Inexecution du contrat

Transcription

Inexecution du contrat
Chapitre 2 L’inexécution des contrats: la responsabilité contractuelle
La responsabilité contractuelle est la sanction de l’inexécution ou de la mauvaise
exécution du contrat. Elle est prévue par l’article 1147 du Code civil. Le
fondement de cette responsabilité a longtemps divisé la doctrine. Certains
auteurs affirmaient l’autonomie du droit des contrats, voulant dissocier la
responsabilité contractuelle de la responsabilité délictuelle. Ils soulignaient
notamment que le code civil n’envisageait que l’allocation de dommages-intérêts,
sans mentionner le terme de « responsabilité ». Peut-on aujourd’hui souscrire à
cette autonomie, ou bien nous faut-il rattacher la responsabilité contractuelle à la
responsabilité délictuelle dans un ensemble unique de responsabilité civile ?
Lorsque la responsabilité était liée à la faute, la distinction pouvait se justifier,
mais depuis que la responsabilité a perdu sa connotation morale pour acquérir
une dimension sociale de solidarité avec les régimes d’indemnisation
automatique, l’autonomie de la responsabilité contractuelle est plus difficile à
justifier. Si la question reste débattue, nous considèrerons ici que la
responsabilité contractuelle n’est qu’une modalité de la responsabilité civile,
certes spécifique, mais répondant au même objectif.
On retrouve ainsi dans
cette responsabilité les trois exigences d’un dommage, d’un fait dommageable et
d’un lien de causalité. Simplement, l’organisation préalable de leur relation
juridique par les parties conduit à faciliter la preuve du droit à dommagesintérêts en faisant naître le dommage et la faute de la simple constatation de
l’inexécution des obligations contractuelles (Section 1°). Cette organisation
préalable de la relation juridique entre les parties explique également qu’à la
différence de la responsabilité délictuelle, les parties puissent prévoir un
aménagement conventionnel de leur droit à indemnisation (Section 2°).
Section 1 La notion d’inexécution du contrat
La responsabilité contractuelle est fondée sur le constat de l’inexécution des
obligations contractuelles. Il convient donc, en premier lieu, de définir en quoi
consiste cette inexécution. On retrouve ici une distinction déjà étudiée dans la
classification des obligations entre obligation de moyen et obligation de résultat
(§1). On précisera ensuite les règles qui président à l’octroi des dommagesintérêts (§2).
§1 Obligation de moyen, obligation de résultat
C’est une évidence qu’il n’est pas indifférent de rappeler : constater l’inexécution
d’une obligation par le débiteur implique de définir les obligations qui pèsent sur
lui. La faute se déduit alors de la nature de cette obligation. À cet égard on
distingue classiquement deux sortes d’obligations contractuelles : les obligations
de moyen et les obligations de résultat.
L’obligation de moyen exige du contractant qu’il fasse son possible pour exécuter
sa prestation sans pour autant qu’une conséquence précise soit attendue de son
intervention. L’obligation de résultat, en revanche, fait peser sur le contractant la
production d’une conséquence précise, définie. Il ne doit pas simplement
essayer ; il doit réussir.
Comme exemple d’obligation de moyen, on cite toujours le médecin qui, certes,
doit faire son possible pour soigner le patient, mais n’est pas tenu de le guérir.
Dans le domaine industriel, on peut évoquer les professions de conseil ou de
diagnostic, là encore tenues de faire au mieux pour apporter une aide à leur
client sans pour autant avoir à résoudre leurs difficultés.
Comme exemple d’obligation de résultat, on citera la plupart des prestations de
service : le plombier, le fabricant d’équipement, etc… , tous tenus de parvenir au
but attendu : réparer la fuite, fournir un équipement en état de fonctionner, etc…
Bien entendu, les obligations de moyen sont moins contraignantes pour le
contractant puisqu’il lui suffit d’exercer ses capacités au mieux. Cette facilité se
retrouvera au niveau de la responsabilité. L’absence du résultat attendu ne
démontre pas la faute. Le créancier pour obtenir les dommages-intérêts doit
prouver la faute, c’est-à-dire démontrer que les moyens employés n’étaient pas
adaptés ou qu’ils étaient insuffisants : le débiteur pouvait faire plus, pouvait faire
mieux. Le créancier doit donc prouver l’existence d’une faute dans le
comportement du débiteur, sans se contenter de présenter l’absence du résultat
attendu.
Au contraire, lorsqu’une obligation de résultat pèse sur le débiteur, la tâche du
créancier est grandement facilitée. La faute dans ce cas se déduit de l’absence de
résultat : elle est présumée. Il suffit de montrer que le résultat attendu n’existe
pas – l’appareil ne fonctionne pas, la fuite coule toujours – pour qu’il y ait droit à
dommages-intérêts.
Cette distinction entre faute présumée dans les obligations de résultat et faute
prouvée dans les obligations de moyen doit toutefois être nuancée. D’abord
parce que dans un contrat, plusieurs obligations peuvent être à la charge d’un
débiteur et la nature de ces obligations peut être différente. Ainsi, le dentiste n’a
qu’une obligation de moyen pour les soins mais une obligation de résultat
lorsqu’il pose une prothèse. Ensuite, parce que la jurisprudence « découvre » des
obligations de résultat qu’elle ajoute aux prévisions contractuelles afin de
protéger certains créanciers comme les consommateurs. C’est ainsi qu’elle met à
la charge de nombreux contractants deux obligations de résultats particulières :
une obligation d’information (sur les risques ou les modalités d’utilisation) et une
obligation de sécurité. Le médecin n’a qu’une obligation de moyen dans les soins
qu’il prodigue, mais une obligation d’information quant aux risques que tel ou tel
traitement fait encourir au patient. La SNCF n’a qu’une obligation de moyen
s’agissant du transport de passagers mais une obligation de résultat relativement
à la sécurité de ce transport.
L’objectif évident de la jurisprudence est de rétablir un équilibre entre
responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. Dans la conception du
code civil, le contractant était dans une situation plus favorable que le créancier
d’une responsabilité délictuelle puisque, dans bien des cas, la faute était
présumée. Nous savons que depuis, la responsabilité délictuelle a évolué vers
une responsabilité de plein droit, automatique, tandis que la responsabilité
contractuelle reste fondée sur la faute. Il s’agit dès lors, pour la jurisprudence,
de ne pas trop pénaliser le débiteur d’une responsabilité contractuelle au regard
du débiteur d’une obligation délictuelle.
§2 Le droit à dommages-intérêts
L’inexécution d’une obligation étant constatée, le créancier peut prétendre à
l’octroi de dommages-intérêts. La nature de ces dommages-intérêts dépend de la
nature de l’inexécution. On distingue ainsi le défaut d’exécution du simple retard
dans l’exécution.
Le défaut d’exécution traduit une inexécution définitive totale ou partielle d’une
obligation contractuelle. L’exécution défectueuse de l’obligation sera assimilée à
cet égard à une absence d’exécution. Le défaut d’exécution donne lieu au
versement de dommages-intérêts compensatoires destinés à compenser non
seulement la perte éprouvée mais également, selon la formule consacrée, le gain
manqué (art. 1149 C. civ.). Pour un commerçant, en particulier, cela signifie qu’il
recevra le remboursement du prix payé et des frais engagés augmentés de la
marge qu’il aurait pu espérer réaliser sur la vente ou l’utilisation du bien.
Le retard d’exécution traduit une inexécution temporaire d’une obligation
contractuelle. La commande arrive, mais avec trois semaines de délai
supplémentaire. Ce retard donne lieu au versement de dommages-intérêts
moratoires. La différence de nature des dommages intérêts a des conséquences
sur leur régime juridique. Les intérêts moratoires ne sont pas systématiquement
source de préjudice ; le créancier doit démontrer que ce retard a entraîné pour
lui un dommage réparable (par exemple il n’a pu assumer un chantier). La loi
prévoit toutefois des exceptions en présumant même parfois de manière
irréfragable l’existence d’un préjudice du seul fait du retard. C’est le cas en
faveur du créancier d’une somme d’argent, le Code estimant que le retard dans
le remboursement prive le créancier d’une possibilité de placer son argent (art.
1153 al.2 c. Civ.).
Le montant des dommages-intérêts dépend ensuite des conséquences de
l’inexécution. Le juge tiendra compte de l’importance relative de l’obligation
concernée, indemnisant d’autant plus le créancier que l’inexécution se rapporte à
une obligation essentielle et non accessoire ou que cette inexécution est totale et
non partielle.
Enfin il convient de noter que le droit à dommages-intérêts est soumis à une
obligation de forme : la mise en demeure du débiteur défaillant par le créancier.
Cette mise en demeure doit prendre acte du retard et exiger solennellement
l’exécution par le débiteur. Elle peut valablement se faire par lettre simple, mais
les difficultés probatoires incitent généralement les créanciers à adresser la mise
en demeure par recommandé.
Section 2 L’aménagement conventionnel du droit à dommages-intérêts
Si la responsabilité contractuelle est proche de la responsabilité délictuelle dans
sa structure (Faute, dommage et lien de causalité), elle en diffère
fondamentalement en ce qui concerne les conséquences de la responsabilité. En
effet, on admet que les parties puissent adapter les conséquences de leur
responsabilité lors de la formation du contrat. En d’autres termes, les
conséquences de la responsabilité contractuelle peuvent être modifiées librement
par les parties, tant en ce qui concerne le droit à dommages-intérêts (§1) qu’en
ce qui concerne le montant des dommages-intérêts (§2).
§1 Le droit à dommages-intérêts
En matière délictuelle, le droit à dommages-intérêts est d’ordre public. Le
débiteur ne peut donc modifier l’obligation qui pèse sur lui de réparer le préjudice
qu’il crée. Tel n’est pas le cas en matière contractuelle. Le consensualisme
justifie que les parties puissent, avant tout litige, s’accorder sur les conséquences
qu’il convient d’attacher à l’inexécution des obligations contractuelles. Deux
solutions peuvent être envisagées, soit que les parties accroissent les charges
qui pèsent sur le débiteur, soit, au contraire, qu’elles les diminuent.
L’augmentation des charges qui pèsent sur le débiteur prend la forme d’une
« convention de garantie ». Elle consiste dans l’engagement pris par le débiteur
d’indemniser le créancier même lorsque l’inexécution est attribuable à un cas
fortuit. En d’autres termes, le débiteur accepte, pour des raisons commerciales
d’assumer même les dommages dont il ne serait pas l’auteur et qui seraient
imputables à la force majeure.
Plus fréquemment, une des parties décide de limiter ou d’exclure tout droit à
dommages-intérêts par le biais d’une clause de non-responsabilité. Comme nous
l’avons déjà précisé, ces clauses qui ont pour effet de limiter la responsabilité
d’une des parties sont prohibées en matière délictuelle (les dispositions de
l’article 1382 sont d’ordre public on le rappelle). En revanche elles sont admises
en matière contractuelle. On les retrouve souvent dans les contrats d’adhésion. À
titre d’exemple, on citera la clause par laquelle les distributeurs d’eau refusent
toute indemnisation de leur client en cas de rupture de canalisation due au gel.
On citera également les contrats de téléphonie mobile écartant toute
compensation en cas de suspension ou d’interruption de l’accès au réseau, les
contrats de transport SNCF qui excluent toute indemnisation en cas de perte ou
de vol des bagages des passagers, etc…
La généralisation de ces clauses dans les contrats d’adhésion est à l’origine
d’abus qui incitent la jurisprudence à réagir. En premier lieu, les clauses
léonines, c’est-à-dire les clauses qui font porter sur une des parties l’intégralité
des risques du contrat, sont prohibées. Plus généralement, la jurisprudence
n’admet ces clauses que dans la mesure où elles renversent la charge de la
preuve, sans pour autant exclure la responsabilité d’une des parties.
En clair, lorsque le contrat comporte une obligation de résultat, le créancier
bénéficie d’une présomption de faute qui ressort du simple constat du défaut
d’exécution de l’obligation contractuelle. Le débiteur est autorisé à faire échec à
cette présomption par une clause de non-responsabilité. Au terme d’une telle
clause, le créancier devra démontrer une faute du débiteur pour obtenir l’octroi
de dommages-intérêts et non se contenter de dresser le constat matériel du
défaut d’exécution.
En revanche, une clause qui exclurait purement et simplement la responsabilité
contractuelle du débiteur serait nulle.
Par ailleurs, la jurisprudence écarte logiquement les clauses de nonresponsabilité lorsque le défaut d’exécution est la conséquence d’un
comportement volontaire du débiteur. Ainsi, la faute dolosive, intentionnelle, du
débiteur fait échec à l’application des clauses de non responsabilité. On assimile
encore à la faute dolosive la faute lourde, faute non-intentionnelle d’une
exceptionnelle gravité.
Le législateur est également intervenu pour encadrer le recours aux clauses de
non responsabilité lorsque le risque d’abus était trop important. Ces clauses sont
ainsi exclues dans les contrats de transport de marchandises par voie terrestre
ou maritime. Elles sont également exclues dans les contrats de construction
(puisque le constructeur est tenu d’offrir une garantie décennale sur les
immeubles construits). Elles sont enfin, et surtout, exclues dans les contrats
conclus entre les professionnels et les non-professionnels (D. 24 mars 1978,
art.2) dont font partie les consommateurs.
§2 Le montant des dommages-intérêts
Les parties à un contrat peuvent donc réduire ou accroître le domaine du droit à
indemnisation, soit en écartant toute indemnisation à raison de certains
dommages, soit en admettant cette indemnisation même en l’absence de faute
du débiteur, cas fortuit ou force majeure. Elles peuvent également, sans
renoncer au principe du droit à dommages-intérêts, en limiter les effets par une
clause portant sur le montant des dommages-intérêts. Les exemples abondent.
En matière de transport aérien, le transporteur s’engage à indemniser le
passager dont les bagages sont perdus ou détruits. Mais le montant maximum de
cette indemnisation est plafonné, à 20$ par bagage pour les bagages en cabine
et à 4$ du kilo pour les bagages en soute.
Cet aménagement du montant des dommages-intérêts par les parties prend la
forme des « clauses pénales » visées aux articles 1152 et 1226 à 1233 du Code
civil. La clause pénale se définit comme la
disposition par laquelle les parties
déterminent elles-mêmes, de façon forfaitaire,, le montant des dommagesintérêts dus en cas d’inexécution. Les dommages intérêts ne sont plus liés à la
justification détaillée d’un préjudice mais prennent un caractère automatique.
L’objectif de ces clauses définissant a priori le montant des dommages-intérêts
peut être de donner à l’une des parties la faculté de sortir du contrat
unilatéralement à moindres frais, selon l’expression du Pr Carbonnier. On parle
alors de clause de dédit. Plus fréquemment, ces clauses sont destinées à
dissuader un des cocontractants de sortir du contrat en rendant prohibitif le coût
d’une inexécution contractuelle. C’est le cas, par exemple, des clauses qui, dans
les contrats d’abonnement (par exemple à un cours privé), impose au client qui
souhaite quitter le contrat de verser l’intégralité des droits d’inscription prévus
pour l’année. Dans ce cas, sortir du contrat a les mêmes conséquences
financières que d’y rester, rendant vaine toute interruption du contrat avant
terme. Comme le note le Pr Carbonnier, la clause fonctionne alors comme un
instrument de pression en fixant le montant des dommages-intérêts à un niveau
bien supérieur au montant réel du préjudice.
Ce type de disposition joue en général en défaveur de la partie la plus faible, et
en particulier du consommateur. Cette situation a contraint la jurisprudence à
contrôler la validité de ces clauses pénales et à les modifier lorsqu’elle constate
une disproportion excessive entre la valeur réelle du préjudice et le montant
conventionnel des dommages-intérêts.