L `expert en sinistre de brousse…
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L `expert en sinistre de brousse…
Pierre Racine L ’expert en sinistre de brousse… Comment votre carrière de pilote/ expert en sinistre a-t-elle débuté ? P.G. J ’avais toujours été fasciné par la grâce et l ’élégance d ’un hydravion et, en 1978, après avoir obtenu mon brevet de pilote, j ’ai acheté un Cessna 172. Au cours des années, j ’ai progressé lentement pour finalement atteindre mon but et j ’ai fait l ’acquisition d ’un Cessna 185 doté de roues/skis et de flotteurs amphibies. Et, petit à petit, le bouche à oreille a fait son œuvre. Les compagnies d ’assurance ont commencé à me dire des choses du genre: « On a un dossier à la Romaine et à Schefferville, pourrais-tu t ’en occuper ? » Aujourd ’hui, 30 ans plus tard, ma clientèle du Grand Nord représente 60 % de mon volume d ’affaires. Et on peut dire que c ’est une clientèle captive puisque personne d ’autre que moi ne peut donner ce genre de service aux assureurs, qui constituent la totalité de mes clients. Vous n ’avez pas de compétiteur ? P.G. Non, je suis le seul ! Le seul autre Québécois qui œuvre en assurance et qui possède un avion est un évaluateur en bâtiments. Il possède un petit Cessna 172. Mais ce n ’est pas un expert en sinistre… Pierre Gareau – un expert en sinistre qui a su joindre l ’utile à l ’agréable : voyager à bord de son Cessna 185 pour pratiquer son métier dans le Grand Nord. Combien vaut votre avion ? P.G. Aujourd ’hui ? Entre 250 000 $ et 300 000 $. À l ’époque où j ’ai débuté, on pouvait en avoir un pour environ 30 000 $, neuf ! Aujourd ’hui, ce modèle ne se fabrique plus, ce qui fait que sa valeur s ’est considérablement accrue. Quel est le danger de piloter un avion privé ? P.G. Le facteur de risque associé au pilotage d ’un avion privé est en effet très élevé. Je peux vous nommer dix de mes amis qui se sont tués en pilotant ! Et la plupart du temps, les accidents tragiques sont dus à la météo. Vous avez donc eu, probablement, des incidents… P.G. Ah oui… J ’ai eu une panne de moteur, par exemple, au-dessus du fleuve St-Laurent à 35 km au sud-ouest de SeptÎles. Après avoir lancé un appel de détresse, j ’ai quand même réussi à amerrir dans de la vague de presque huit pieds ! Mais Pierre Gareau est le seul expert en sinistre au Québec qui se sert d ’un Cessna pour pratiquer son métier : « Personne d ’autre que moi ne peut donner ce genre de service aux assureurs, qui constituent la totalité de mes clients », indique-t-il. 28 Assurance• septembre 2009 j ’aurais pu y laisser ma peau. À Kuujuack, j ’ai été pris pendant deux jours avec des vents de 40 nœuds (1 nœud = 1,852 km/h). Il a fallu se servir d ’un bateau, l ’attacher à l ’avion, remorquer le Cessna derrière une île et le fixer au gouvernail d ’un avion d ’Air Inuit tellement il ventait ! J ’ai aussi fait un décollage très dangereux à Manic 5 parce qu ’il n ’y avait pas d ’électricité pour éclairer la piste. Tout ce que j ’avais comme éclairage, c ’était un « pickup » qui m ’éclairait avec ses phares à l ’autre bout de la piste ! Au moment où l ’avion a pris de l ’altitude, je ne voyais rien ! Je n ’avais plus de référence visuelle. Mais je savais qu ’il y avait une montagne devant et qu ’une fois que je l ’aurais franchie, les phares de Manic 5 me permettraient de mieux me repérer. Mais j ’ai passé un mauvais quart d ’heure… Quelle est la fréquence de vos vols dans le Grand Nord ? P.G. Je fais environ 100 heures de vol par année, soit une ou deux fois par mois. En été, la demande est cependant plus forte qu ’en hiver. Y a-t-il une différence entre voler l ’hiver et l ’été ? P.G. Oui. Certains jours, l ’accès est impossible en hiver, notamment à cause du froid. Je ne prends jamais mon Cessna à une température de – 30º C. Les grands froids ont en effet un impact négatif sur certains éléments de la structure de l ’avion qui, dans ces conditions, pourraient céder. Il y a aussi, bien sûr, les impondérables de la météo… www.assurancededommages.ca Pierre Gareau a débuté sa carrière d ’expert en sinistre en 1964. Il œuvrait alors pour le compte de la compagnie d ’assurance Bélair, à l ’époque où elle assurait des taxis. Pierre Gareau à côté de son Cessna : « Le métier d ’expert en sinistre n ’a de limite que celle qu ’on lui impose… » En pratique, comment se passe une journée typique pour vous ? P.G. Lorsqu ’il y a un sinistre, le courtier de l ’assureur m ’appelle. Je contacte ensuite le sinistré par téléphone satellite et je saute dans mon avion ! Souvent, je suis là le lendemain. Mon avion a une autonomie de vol de 4,5 heures et se déplace à environ 250 km/h. Je peux donc couvrir un territoire de plus de 1 000 km en quatre heures. Et comme mon Cessna est muni de flotteurs et de roues, je peux amerrir sur n ’importe quel lac ou atterrir presque partout : Chicoutimi, Bagotville, Roberval, Manic 5, Schefferville, etc. J ’ai même été à l ’endroit exact où le réseau routier s ’arrête dans le Grand Nord, soit au Lac Caniapiscau. Au-delà de cet endroit, il n ’y a plus de route ! Et pour commémorer mon passage, j ’ai planté un écriteau au nom de ma femme… La clientèle du Grand Nord est-elle différente de Montréal ? P.G. Bien sûr. On voit des choses inhabituelles… La problématique propre au Grand Nord tient au genre de sinistres qu ’on y constate, mais également au www.assurancededommages.ca contexte particulier dans lequel nous devons travailler. Par exemple, lorsque j ’ai été chargé des réclamations du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, j ’ai vu des enfants inuits brûlés vifs, laissés sans surveillance suite à l ’incendie d ’une maison familiale. J ’ai également vu des chasseurs noyés en Ungava. J ’ai aussi été menacé physiquement par des autochtones à Schefferville… Et j ’ai vécu des expériences inouïes ! Notamment lorsque mon avion sur skis s ’est enfoncé dans la « sloche » à Manic 3. Il y a aussi plus de sinistres ayant trait à la machinerie lourde, par exemple. Mais tous ces inconvénients ont toujours été largement compensés par les joies de mon métier. Un jour, alors que je préparais mon hydravion par un beau matin d ’été, à Lebel-sur-Quévillon, je me suis surpris à dire: « C ’est incroyable, on me paie pour faire ça ! » Je vous le dis : il n ’y a rien de plus beau que de survoler la forêt boréale avec ses montagnes imposantes, ses lacs limpides, pour ensuite atteindre la taïga et, finalement, la toundra avec ses eskers recouverts de mousse… Le métier d ’expert en sinistre n ’a de limite que celle qu ’on lui impose… Spécialisé en assurance Carole Chauvin responsabilité, il œuvre à son compte depuis 1975. C ’est en 1978 qu ’il devient le seul expert en sinistre québécois pouvant se rendre dans l ’Arctique sur un seul coup de fil ! Un atout que ses clients assureurs exploiteront très vite. Mais affronter la météo de l ’Arctique en avion présente également ses défis, ses dangers. Et Pierre Gareau a bien failli y laisser sa peau ! Rencontre avec un battant. Assurance•septembre 2009 29