CESSNA CJ1

Transcription

CESSNA CJ1
ACHETER
ET VENDRE
COTE DE
L’OCCASION
ET LE PRIX DU NEUF
ULM
QUEL MOTEUR
POUR VOTRE
MACHINE ?
SAFETY
PREVENTION
DES ATTENTATS
AMATEUR
PIPER J3 :
REVE DE PILOTE
DOSSIER
LES MINI-JETS ARRIVENT
SIMU : MIEUX QUE L’AVION
L’entraînement de tous sans danger
NUMERO 370 - NOVEMBRE 2004 - France : 5,50 € . Belgique : 6,55 € . Canada : 6,75 $ CAN. Luxembourg : 6,25 € . Suisse : 11,30 FS. Zone CFA : 4100
M 01062 - 370 - F: 5,50 E
CESSNA CJ1
LES MINI-JETS ARRIVENT
3:HIKLKG=WUZZUZ:?a@n@h@a@k;
EN VOL
Piloter son jet
Cessna
À 34 ans, Benjamin Tranchant pilote un Cessna Citation CJ1.
Tout seul. Même si pour la grande majorité des pilotes privés, cela
reste du domaine du rêve, certains d’entre nous se mettront bientôt
aux commandes de « mini-jets » qui finissent actuellement leurs essais
en vol. Alors : pour quels pilotes, pour quel budget et pour quelles
missions ?
PAR EMMANUEL DAVIDSON
PHOTOGRAPHIES J. CALLIES ET CESSNA
es jets nous laissent tous
rêveurs. En apercevant un
Citation Jet, un Falcon ou un
Lear sur le tarmac d’un
aéroport, il est bien difficile de
ne pas s’imaginer se glissant aux
commandes pour décoller vers une
destination lointaine comme Rome,
Ibiza, Le Caire… À l’arrière, nos
passagers, bercés par le doux bruit des
réacteurs, un verre à la main, admirent
en toute quiétude les Alpes, la
Méditérranée… Eh bien, arrêtons de
rêver, s’il-vous-plaît, ce doux rêve
pourrait fort bien devenir réalité
prochainement pour certains pilotes
privés !
L
24
En effet, depuis quelques années, les
constructeurs travaillent sur des
appareils à réaction, capables
d’emmener six ou huit passagers et leurs
bagages, dont le budget d’achat et
d’entretien ne soit pas totalement
dissuasif pour un utilisateur à titre privé.
Jusqu’à maintenant, le moindre jet
d’affaires revenait à l’achat à un
minimum de 3 à 4 millions de dollars,
neuf. De quoi éliminer ceux dont les
occupations professionnelles ne
justifient pas des déplacements réguliers,
à trois ou quatre personnes au minimum,
sur des trajets que les lignes
commerciales ne desservent pas.
Prenons Cessna. La firme de Wichita
construit depuis longtemps des
biréacteurs d’affaires. C’est d’ailleurs le
segment de marché qui lui fait
réellement gagner de l’argent. Pas moins
de huit aéronefs constituent la gamme
des jets, sans compter le Mustang,
l’appareil d’entrée de gamme qui devrait
effectuer son premier vol en 2005. Plus
de modèles que l’ensemble des
machines à hélices, moteurs à pistons et
turbopropulseurs réunis. Du gros et ultra
rapide Citation X au relativement
« modeste » CJ1, il y en a déjà pour tous
les goûts. La taille de la cabine,
l’emport, l’autonomie ainsi que le prix
de vente sont étagés de manière à ce que
chaque client potentiel puisse trouver
dans la gamme l’avion qui lui convient à
un moment donné. Les commerciaux
tiennent en réserve les programmes de
multipropriété et de financement avec
garantie de reprise qui finissent par
convaincre les prospects. Alors, qu’est-
www. aviation-pilote. com
Aviation & Pilote n° 370 — 2004
EN
CJ1
VOL
Cessna CJ1
Motorisation : 2 réacteurs Williams-Rolls
FJ44-1A développant 862 kg de poussée
Nombre de places :
7/8
Longueur :
12,98 m
Envergure :
14,26 m
Hauteur :
4,20 m
Capacité carburant :
481 gal
Conso croisière :
590-430 lbs/h
Masse à vide équipé :
2 996 kg
MTOW :
4 808 kg
Charge utile :
1 766 kg
Vitesse décrochage :
70-98 kt
Vitesse ascentionnelle :
3 230 ft/min
Vitesse de croisière :
345-381 kt
Niveau de croisière :
FL 340-410
Distance franchissable :
1 200 nm
Prix : environ 3,5 million de US$
Constructeur : Cessna Aircraft à Wichita
Contact : Patrice Magot
Tél. : 33 (0)4 72 37 27 00
ce qui a conduit les dirigeants de Cessna
à se lancer dans l’étude, la construction
et la certification du Citation Mustang ?
Surtout si l’on considère que son prix de
vente sera inférieur de 50 % à celui d’un
Citation Jet 1.
En fait, les spécialistes du marketing
ont identifié une catégorie de pilotes qui
pourraient devenir des clients
« réacteur » : les propriétaires pilotes.
Vous objecterez qu’ils existent depuis
des décennies… Les propriétaires de
TBM 700 ou de PC12 voudront
forcément évoluer à un moment ou un
autre. Ceux qui volent sur Baron
pressurisés, Malibu ou Cheyenne sont
des clients potentiels pour des machines
fiables qui croisent vite et au-dessus du
mauvais temps. Hélas, jusqu’à présent,
les coûts d’accession à la propriété et les
Aviation & Pilote n° 370 — 2004
frais d’entretien d’un équipage
professionnel rendaient cette opération
difficilement rentable pour un public
plus large.
Jet démocratique pour
pilote propriétaire
réacteurs Williams FJ33, le fameux petit
réacteur au prix raisonnable,
photographié ci-dessous, qui a permis
l’éclosion d’un nombre important de
projets. L’appareil a fait ses premiers
essais en vol cet été. Safire, après avoir
annoncé la recapitalisation de
l’entreprise au
début de
Ce n’est donc plus le cas
aujourd’hui et Cessna n’est pas
le seul à faire le pari du jet
« démocratique ». Eclipse, après
plusieurs mois turbulents, a
repris les essais en vol et la
certification de son appareil.
Adam Aircraft, en phase finale
de certification de l’Adam 500,
le bimoteur à pistons, a déjà mis
en chantier le 700 équipé de deux
www. aviation-pilote. com
25
EN
VOL
On joue certes dans la cour des grands mais le constructeur a tout prévu pour que la prévol puisse être effectuée par le pilote. Les niveaux du
robuste Williams-Rolls FJ44-1A (l’aube est fondue en une seule pièce) sont accessibles. Au cas où, un escabeau est rangé dans la soute arrière.
l’été, semble continuer à développer son
jet. Diamond Aircraft a aussi annoncé
son intention de se placer sur ce marché
avec le D-JET, un monoréacteur dont le
prix de vente devrait être inférieur à un
million de dollars.
Tous ces avionneurs ont un point en
commun : ils croient au marché du
« propriétaire qui veut s’asseoir en
place gauche et piloter lui-même. » Mais
pour que ce marché ait une réalité plus
tangible, à savoir des chiffres de ventes
plus conséquents, il faut proposer des
machines qui n’effraient pas les
assureurs, dont le coût horaire ne soit
pas prohibitif. On devrait donc voir dans
un avenir proche une série d’avions
destinés aux pilotes IFR expérimentés,
mais qui, jusqu’alors, volaient
uniquement sur des appareils à hélices.
Prix de base
Prix estimé Mars 2006
Rayon d’action avec res. IFR
et 4 personnes à bord
Rayon d’action
avec 4 personnes à bord
Vitesse croisière max
Distance décollage, SL, ISA
Distance atterissage
Taux de montée
Taux de montée N-1
Altitude Max
Plafond pratique N-1
26
Nous en avons rencontré un qui a déjà
effectué cette transition. Nous avons
voulu apprendre comment il avait
franchi le Rubicon et quels avaient été
les points les plus importants de son
parcours.
Aller plus vite
et plus haut
On ne présente plus le Groupe
Tranchant, désormais bien connu des
amateurs de voltige, de casinos et de la
chaîne LCI puisqu’il y fait plusieurs fois
par jour, depuis des années, à l’heure de
la météo, « la pluie et le beau temps » !
Benjamin, l’un des fils Tranchant, se
déplace régulièrement à travers
l’Europe. Les activités du groupe
familial étant diverses et éloignées, elles
l’obligent à visiter régulièrement les
entreprises qui le constituent, localisées
dans des régions qui ne sont pas toujours
accessibles par la ligne. Et comme il lui
faut souvent déplacer un staff de quatre
à cinq personnes, l’avion privé s’est vite
imposé.
Benjamin Tranchant a toujours été en
contact avec l’aviation générale. Son
père, pilote IFR, a été importateur à une
époque des avions de la marque Piper. Il
n’a donc pas étonné sa famille en
voulant passer sa licence de pilote privé
le jour de ses 17 ans. Ce qui est moins
courant, c’est d’avoir pu ajouter à sa
licence les qualifications train rentrant,
pas variable et bimoteur dans les
48 heures qui ont suivi son anniversaire.
Benjamin Tranchant a commencé à
Eclipse 500
Cessna
Mustang
Adam
A-700
Safire Jet
$1,175,000
$1,348,383
$2,395,000
$2,601,463
$2,100,000
$2,205,202
$1,395,000
$1,507,281
1280 nm
1150 nm
1100 nm
940 nm
1395 nm
375 kt
2155 ft
2040 ft
2990 fpm
888 fpm
41000 ft
25000 ft
1300 nm
340 kt
3120 ft
2560 ft
N/A
N/A
41000 ft
N/A
1400 nm
340 kt
2950 ft
N/A
N/A
540 fpm
41000 ft
30000 ft
1050 nm
380 kt
2500 ft
2500 ft
2900 fpm
880 fpm
41000 ft
N/A
Aviation & Pilote n° 370 — 2004
Devant le pilote, on aperçoit le Primary Flight Display (PFD). Au centre le MultiFunction Display
(MFD). Suit le panneau de communication et radionavigation, puis quelques pendules de secours.
achat, la différence de coûts
d’exploitation directs entre le Beech et
un Citation CJ1 est même de moins de
180 euros à l’heure. Comme le groupe
exploite déjà un CJ5, la revente du King
90 est décidée, ce qui permettra de
rationaliser la flotte et la formation des
pilotes. Pour exploiter le CJ5 en
monopilote — et non pas en équipage
professionnel de deux pilotes, ce qui est
obligatoire, celui-ci a été immatriculé
aux Etats-Unis.
C’est donc naturellement que la
recherche d’un Citation CJ1 commence
aux USA. Après avoir localisé l’appareil
qui correspond à leur cahier des charges,
l’achat est rapidement négocié.
Benjamin Tranchant ira outre-Atlantique
pour convoyer l’avion vers l’Europe.
Depuis, le CJ1, qui fait l’objet de cet
article, est basé au Bourget. Lorsque
nous y avons retrouvé Benjamin, notre
objectif était d’apprendre comment et
jusqu’à quel niveau un simple pilote IFR
privé doit se remettre en question pour
arriver à réussir la transition de l’hélice
au réacteur. Sa réponse est très claire :
« Il est indispensable d’acquérir un
niveau professionnel car il n’y a pas de
place pour l’erreur ou la moindre
hésitation à plus de 350 kt. Il est
impensable d’être derrière sa machine. »
FlightSafety
pour se former
Nous l’interrogeons sur la formation
et l’expérience minimale nécessaires
avant de passer au jet : « Comme tout va
Avocet
ProJet
Diamond
D-Jet
Beechcraft
Baron 58
Piper
Malibu Mirage
$2,100,000
$2,253,619
$850,000
$921,087
$1,154,210
Mai 2004
$970,000
Janvier 2004
1060 nm
1210 nm
932 nm
655 nm
1200 nm
365 kt
3000 ft
3000 ft
N/A
N/A
41000 ft
N/A
1320 nm
315 kt
2372 ft
N/A
2600 fpm
Atter. d’urgence
25000 ft
Atter. d’urgence
1149 nm
202 kt
2300 ft
1300 ft
1700 fpm
390 fpm
20688 ft
7284 ft
765 nm
220 kt
2090 ft
1960 ft
1200 fpm
Atter. d’urgence
25000 ft
Atter. d’urgence
Aviation & Pilote n° 370 — 2004
www. aviation-pilote. com
Comme on le remarque certains modèles sont comparables en termes de prix à un Malibu ou un Baron neuf.
Toutes les valeurs ci-contre sont des données constructeur
empiler les heures de vol en VFR sans
penser, au départ, au vol aux
instruments. Il est même allergique au
vol de nuit, du moins en monomoteur :
« J’en ai 2H10 sur mon carnet de vol,
par accident. J’aime voler la nuit, mais
pas aux commandes d’un monomoteur
et cela inclut les monoturbines. » Les
heures s’accumulant, il se rend à
l’évidence. Voler pour les besoins de son
travail implique le passage de l’IR et
d’une licence professionnelle, un plus
apprécié par les assureurs. Ce qu’il fait.
Son parcours est alors classique : il
passe du Bonanza au Baron. Même si
c’est déjà un avion bien armé, il réalise
qu’il est quasiment toujours dans les
nuages aux altitudes de croisière
recommandées que sont le FL 100 ou le
FL 110 pour un avion turbocompressé
mais non pressurisé.
Après avoir piloté un Baron E55
pendant 500 heures, il pense à voler plus
haut et plus vite. Les besoins en
transport des cadres de la société
augmentant, un King 90 entre dans le
groupe Tranchant. Comme nous l’avions
écrit dans un précédent numéro, « Sa
majesté le King » remplit parfaitement
ses fonctions pendant quelques années
car la machine est puissante et idéale à
exploiter en IFR.
Mais le démon de la vitesse habite à
la fois Benjamin et son pilote de père.
Après avoir fait une étude sérieuse des
coûts de revient et des frais
d’exploitation, tous deux découvrent que
le jet est loin d’être aussi inaccessible
que la rumeur veut le faire croire. Hors
27
EN
VOL
Comme dit le refrain, tout est calme, luxe et volupté à bord : aménagement en salon pour quatre
privilégiés, siège de secours à l’arrière pour le petit dernier, siège face à la porte d’accès à bord
servant de jump seat et deux sièges pilote à l’avant. Soit un maximum de huit âmes à bord.
bien plus vite aux commandes d’un jet,
une expérience significative de machines
rapides, équipées d’une ou deux
turbines, me paraît essentielle. Passer
d’un avion monomoteur à pistons au jet
ne me paraît vraiment pas raisonnable.
Je crois sincèrement qu’il faut, avant de
s’attaquer à l’environnement particulier
du jet, avoir déjà une connaissance
approfondie des machines complexes
ainsi qu’une grande expérience du vol
IFR tout temps. » Le message est clair.
Une fois l’expérience acquise, comment
fait-on sa transition ? Là encore, il n’y a
pas d’improvisation possible. On passe
forcément par un stage préparant à la
qualification de type (QT) chez un
spécialiste. Les Tranchant ont choisi
l’école américaine FlightSafety.
Présente au Bourget, cette société a
l’avantage d’avoir une réputation
internationale propre à rassurer les
assureurs les plus tatillons. Le « Type
Rating » couvre non seulement la
formation aux systèmes de bord, mais
aussi tous les aspects du maniement en
vol de l’aéronef, et ce n’est pas une
affaire simple. Il faut s’initier à
l’utilisation du Flight Management
System (FMS) ou système de gestion de
28
vol, que l’on trouve habituellement sur
les avions de ligne, se mettre à niveau
sur l’emploi de l’avionique intégrée et
s’habituer aux écrans de l’ensemble
d’instruments de vol électroniques
(EFIS) qui y sont installés.
Il est vrai que, lorsque l’on s’assied
pour la première fois dans le cockpit
d’un jet, on est intimidé par la somme de
boutons et de commandes diverses qui
tapissent le poste de pilotage. Mais on
apprend vite que l’ergonomie a été
pensée pour permettre une efficacité
opérationnelle maximale. Tout répond à
la logique de la conduite du vol. Pour
pouvoir se mêler aux autres pilotes
« réacteur », il faut penser comme eux,
pouvoir agir comme eux et réagir aussi
vite qu’eux. Cela ne peut se faire qu’en
utilisant au mieux les systèmes
embarqués qui sont, en fait, identiques à
ceux installés dans les cockpits de
Boeing et d’Airbus.
La charge de travail pendant le stage
est importante et difficilement
compatible avec une autre activité.
Outre le travail personnel exigé, la
disponibilité mentale du stagiaire est
essentielle. Il doit accepter de se
remettre en question, s’adapter au
changement de rythme dans la gestion
du vol et, surtout, prévoir longtemps à
l’avance chaque phase du vol, en restant
prêt à toute éventualité. Être plus que
jamais « devant » l’avion !
Benjamin Tranchant insiste sur la
nécessité impérative de laisser à la porte
du cockpit tous les soucis qui ne
concernent pas le pilotage. « Il faut
pouvoir se déconnecter complètement
des problèmes professionnels pour se
concentrer uniquement sur le vol. Si on
n’arrive pas à dissocier les deux, il faut
laisser impérativement les commandes à
un autre pilote. » C’est une règle qui
s’applique en principe à tout pilote
businessman, mais plus encore dans le
cas présent car, aux vitesses atteintes par
un jet comme le CJ1, le commandant de
bord a peu de temps pour corriger ses
erreurs. Benjamin a pu vérifier ce
postulat lorsqu’il a passé sa QT aux
Etats-Unis. Après que le testeur de la
FAA lui ait signé sa qualif, l’ancien
propriétaire de l’avion a repris sa place
pilote. Quelques minutes après le
décollage, il a « emplafonné » une
clairance d’altitude de 300 ft : à 50 ft par
seconde en montée, il suffit de 6
secondes d’inattention. Le testeur FAA,
toujours à bord, lui a demandé sa licence
et l’a alors déchiré…
Une bonne maîtrise de l’anglais est
également indispensable. Pas un
contrôleur n’en voudra à un pilote
affublé d’un accent prononcé ; par
contre, nul ne lui pardonnera une
phraséologie approximative alors que les
fréquences sont très encombrées, au
moins en approche.
Pratique intensive
Une fois le pilote prêt à la sortie de
son stage chez Flight Safety, il lui faut
rester à niveau en permanence.
Benjamin Tranchant nous dit : « Je suis
un stage de remise à niveau une fois par
an. FlightSafety me fait passer au
travers d’un programme intense :
révision de tous les systèmes de bord ,
du carburant aux pannes hydrauliques
en passant par l’exploitation avionique.
Ensuite, on aborde les exercices sur
simulateurs ou on effectue un vol de
contrôle sur machine. Ce stage de cinq
jours est très prenant et des plus
intenses. Une fois encore, on ne peut
penser qu’à remettre à jour ses
connaissances et à rien d’autre. »
Entrent évidemment en ligne de
compte les heures de vol . À partir de
combien d’heures par an peut-on
considérer que l’on est Suite page 31
www. aviation-pilote. com
Aviation & Pilote n° 370 — 2004
Aux
commandes
:
Paris-Deauville en 20’
Avant de s’aligner au Bourget, Benjamin
Tranchant et Emmanuel Davidson
patientent derrière un Gulfstream V.
PAR JACQUES CALLIES
PHOTOGRAPHIES DE L’AUTEUR
es occasions restent rares de
grimper dans un biréacteur. C’est
même un privilège tellement la
dimension unique du jet se mérite
à tous points de vue. Lorsque
vous vous dirigez à pied vers un tel engin,
il suffit d’observer le regard des autres
pour comprendre que vous et votre avion
êtes l’objet de toutes les convoitises. Ce
regard se conçoit parfaitement tellement
l’univers que l’on vous offre est irréprochable: design, confort, électronique,
aménagements intérieurs, niveau sonore,
tout est de qualité exceptionnelle. Puis,
lorsque vous volez à son bord, seul dans
un ciel immaculé, à une vitesse de croisière approchant parfois celle du son,
vous savez que vous avez laissé le monde
de l’ordinaire loin derrière vous pour
pénétrer dans celui du sublime.
Lors de ce reportage, Benjamin Tranchant nous a proposé un aller-retour entre
Le Bourget et Deauville. Ce type de vol
est évidemment trop court pour juger de
l’efficacité d’un avion comme le CJ1.
Lorsqu’on grimpe aux niveaux supérieurs, même à toute vitesse, il est bien
plus rentable de rester au moins un petit
instant en palier. Que représentent effectivement les 5 ou 6 minutes de vol en
plus à mach 0.65 qui vous emportent
vers Jersey au lieu de Deauville ?
Au jour dit, nous retrouvons Benja-
L
Aviation & Pilote n° 370 — 2004
min Tranchant et son CJ1 au Bourget,
avec d’autant plus de plaisir que ce dernier est toujours un hôte amical et enthousiaste. L’avion nous attend, parqué en
première ligne devant les anciens locaux
de Transair. J’ai eu la chance de piloter
un tel avion il y a 4 ans, sous la surveillance décontractée de Franck Burgess, un instructeur du constructeur venu
de Wichita. Cette heure de vol, bourrée
d’émotions fortes, m’a évidemment laissé
sur ma faim.
Le Cessna CJ1, certifié sous la FAR
23, catégorie réservée à l’aviation générale qui implique une limitation de la
masse maxi à 12 500 livres, est monopilote.
D’après les vendeurs, cet avion est un
tueur de biturbopropulseurs car il leur
est bien supérieur au niveau des performances, coûts d’exploitation, valeur de
revente, charge utile, maintenance, facilité de pilotage. En l’observant attentivement, on voit que ce modèle d’entrée
de gamme, du moins tant que le Mustang ne sera pas livrable, n’a rien à envier
à ses aînés. Il a été construit sur des critères n’imposant aucune limite de potentiel et aussi sérieusement que son grand
frère le Citation X, le biréacteur le plus
rapide du monde. L’altitude cabine de
8000ft à 41000ft en témoigne par exemple.
D’autres détails aussi: la porte est manoeuvrable par un simple passager, le parebrise blindé est à double dégivrage, le
vitrage des hublots est triple, le dégivrage des ailes, mis à part celui de l’em-
www. aviation-pilote. com
pennage arrière, se fait en réchauffant
la peau avec de l’air prélevé sur le compresseur des réacteur, ce qui permet le dégivrage préventif. Comme sur les gros. On
remarquera aussi que le train à roues
tirées permet les incursions sur des terrains moyennement entretenus et facilite le posé. À l’arrière, montés sur des
pylônes contre le fuselage, avec un dièdre
important pour éviter toute ingestion de
glace en provenance des ailes, on peut
admirer les petits réacteurs WilliamsRolls FJ44-1A produisant 862 kg de
poussée. Ils ne sont pas équipés d’inverseurs de poussée mais de simples
déflecteurs qui atténuent la poussée pendant le roulage et après l’atterrissage.
C’est évidemment moins efficace que
des reverses, il faut solliciter sérieusement les freins sur piste courte. Les freins
sont donc puissants et équipés d’un système antiblocage. Le FJ44-1A, entièrement géré par l’électronique, est fiable
et économique. À moins de ne pas avoir
le voltage nécessaire lors de sa mise en
route, il ne peut rien se passer car la
séquence de démarrage est entièrement
automatique. Le pilote se contente de
surveiller, au cas d’une éventuelle
défaillance d’un système. Les différents
niveaux des fluides sont parfaitement
accessibles pendant la visite prévol : sur
les moteurs, dans le coffre avant et par
une trappe de visite à l’arrière.
Une fois à bord, n’étant pas qualifié
sur la machine, je choisis le jump seat
qui va me permettre d’observer très à
l’aise le travail en solo de notre ami
pilote. Dès que la porte est refermée et
la mise en route effectuée, je retrouve
l’environnement propre aux liners, que
l’on ressent en pénétrant dans le cockpit d’un avion de ligne. Ambiance feutrée, absence de vibrations, surabondance
d’électroniques…
L’univers est professionnel, chaque
seconde compte, donc tout va très vite :
les clairances autant que le travail. Benjamin nourrit en un clin d’œil le FMS avec
le départ standard que nous donne le
29
EN
VOL
contrôle. Par réflexe ou peut-être par
prudence, il garde à portée des yeux la
documentation papier. Puis il nous
annonce les vitesses qu’il a retenues
pour le décollage, à dessein les plus
pénalisantes. Pour gagner du temps et
pour ne pas se fatiguer inutilement les
neurones. Notons que le FMS aurait très
bien pu les calculer automatiquement à
condition de lui ingérer notre masse au
décollage et les paramètres du jour. La
check-list défile sur l’écran. Le boulot
est mâché, tout est OK, c’est fini. À son
signal, l’employé au sol enlève les cales,
nous roulons, et rattrapons un majestueux « Gé Cinq » juste avant le point
d’arrêt : l’herbe est toujours plus verte
dans le pré du voisin…
Deux minutes plus tard, aligné face à
l’ouest, les manettes poussées en avant,
notre petit CJ1 bondit en silence et nous
quittons furtivement la planète aux alentours de 100 kt, avec une assiette à grimper à faire pâlir d’envie tous les pilotes
peut-être que le monde du jet, pour un
pilote, c’est d’abord une affaire d’assiette. Donc de sensations. Mais n’estce pas ce que nous recherchons tous ?
Ce qui surprend immédiatement après,
c’est la vitesse. Comme si le monde avait
rétréci. L’enchaînement des clairances
paraît incroyable. À croire que le contrôle
sait qu’il doit gérer une sorte de projectile dont il ne faut surtout pas contrarier
la course folle. Pas question des sempiternels : « Maintenez le niveau, atteignant. Pour plus haut, voyez avec Paris
Contrôle… » mais des autorisations de
grimper haut, toujours plus haut, bien
avant que le niveau autorisé ne soit atteint.
Comme cela, sans même claquer du
doigt. Jubilatoire !
Et puis, ce qui frappe enfin, c’est la
vitesse de croisière proprement dite. On
ne parle plus en nœuds mais en nombre
de Mach. C’est chic, mais surtout cela
signifie qu’on est très haut et que cela
va très vite! Il faut même penser à redes-
quel pilote, à condition qu’il soit bimoteur, qualifié pour le vol aux instruments
et totalise un minimum de 1 000 heures
de vol. C’est le minimum que spécifie
le constructeur dans le contrat qui le lie
à son client. J’avais aussi effectué une
descente d’urgence, procédure à appliquer en cas de dépressurisation : avec
moins 15° à la maquette, les aérofreins
à la demande et 9000 ft au vario, les sensations avaient été, une fois encore, prodigieuses.
Notre percée à Deauville est tout
aussi sensationnelle. Nous perforons
les nuages morcelés et la grisaille normande à 260 kt indiqués, jusqu’à ce que
nous soyons en vue de la piste. L’interception du localizer à 45° à une telle
vitesse n’est pas un problème pour le
gros pilote automatique Collins qui
équipe le CJ1. Aucune oscillation, aucune
hésitation, on « est » sur le localizer,
puis sur le glide slope, le directeur de
vol aligné au petit poil. En finale, Ben-
La charge de travail de Benjamin Tranchant, importante lorsqu’il est seul pilote à bord, est allégée par une avionique intelligente et complète.
privés, non sectaires s’entend. Je crois
que c’est à cet instant-là, très précisément, qu’on est envahi par une sensation puissante, un sentiment qui ramène
peut-être à l’enfance quand, il y a bien
longtemps, depuis la cour des grands,
on regardait les minots, que nous avions
été, jouer à chat perché. On réalise alors
que, finalement, l’électronique à gogo,
les directeurs de vol en couleurs et grands
comme des télés, certains avions légers
en ont déjà depuis longtemps ; que tous
les pilotes qui voyagent vont finir par en
avoir devant eux un jour où l’autre. Mais
des assiettes à plus de 10°, des varios de
plus de 3000 ft/min en montée, des badins
en accélération fantastique au premier
palier, cela est et restera pour toujours
réservé à l’univers des jets ! En résumé,
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cendre les étages à toute allure car Deauville, cachée dans le mauvais temps, est
à quelques minutes devant. Nous n’aurons pas le temps de jouer et, surtout,
l’équipage n’est pas qualifié pour le faire.
Mais, lors de mon vol avec Frank Burgess, j’avais exploré le domaine de vol
du CJ1 dans son ensemble jusqu’au
décrochage, quasi impossible du fait
d’un dispositif appelé « stick pusher »
qui repousse le manche en avant dès que
la vitesse basse devient critique. Quant
à mes vitesses trop hautes, rapidement dangereuses sur jet, elles avaient été immédiatement détectées à l’aide des avertisseurs
sonores et visuels sur le FMS et gérées
immédiatement en sortant les aérofreins.
Incontestablement, cet avion est extrêmement sûr dans les mains de n’importe
jamin reprend le manche, creuse le plan
— « Glide slope ! Glide slope ! » avertit une voix synthétique — pour éviter
de se poser long et de trop freiner. Kiss
landing comme avec un banal avion de
club. La piste est dégagée. Un placeur
nous attend au garde-à-vous devant la
porte de l’aérogare. Messieurs les puissants, soyez les bienvenus à Deauville !
L’avion est sur freins, le bloc est calculé à 26 minutes, le temps de vol à 20
minutes. Par chance, le restaurant fermé
le mardi « pour cause de 35 heures »,
le temps d’attente d’un taxi et la durée
du trajet vers le premier restaurant, le
tout bien supérieur à notre temps de
vol, me feront redescendre sur terre et
son monde de mortels. Sérieusement,
j’en avais bien besoin ! y
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Aviation & Pilote n° 370 — 2004
Suite de la page 28 opérationnel, sans
compter l’apport du stage annuel ?
« Une centaine d’heures au minimum.
En dessous de cette limite, on peut
craindre pour l’efficacité opérationnelle
du pilote. C’est aussi la limite basse
qu’il faut se fixer avant de penser à
l’utilisation d’un jet par rapport à une
machine louée occasionnellement. La
propriété, qu’elle soit fractionnée ou
non, n’a pas de sens si l’on ne vole pas
assez. »
1,88 euro du
kilomètre…
L’argent étant ce qui fait voler les
avions, on peut légitimement
s’interroger sur les coûts d’exploitation
de tels avions. A priori déraisonnables.
Tableaux en main, Benjamin Tranchant
nous démontre qu’opérer un jet n’est pas
le gouffre financier que l’on croit.
« Évidemment, si mon père et moi
n’étions pas des pilotes passionnés, nous
envisagerions peut-être les choses
différemment ! Mais le fait d’avoir deux
pilotes qualifiés sur nos deux appareils
nous permet de limiter les frais
d’équipage puisque nos avions sont
certifiés monopilote. Nous avons deux
autres pilotes dans le groupe qui sont
aussi tous deux qualifiés sur les
machines. Par contre, ce qui me parait
être la réelle difficulté que rencontrera
un pilote propriétaire qui débarque dans
cet univers, c’est l’assurance de son
avion. Personne ne prendra le risque de
l’assurer en tant que CdB tant qu’il
n’aura pas au minimum 500 heures de
réacteur. Pendant toute la période où il
Aviation & Pilote n° 370 — 2004
accumulera ces heures d’expérience, il
lui faudra un deuxième pilote à bord. Et
cela a un coût non négligeable.»
Côté carburant, la maison Tranchant
compte, pour le CJ1, environ 480 lb/h de
JET A-1 alors que la valeur Cessna est
de 410 lb/h. Le coût du programme
CESCOM, qui couvre l’entretien et le
changement des moteurs en fin de
potentiel, est de 170 USD par heure de
vol. Il faut ajouter environ 155 euros par
vol pour couvrir toutes les taxes en
route, d’approche, d’atterrissage et de
handling. En résumé, Benjamin, toujours
penché sur les documents que lui a
produit les services financiers du
Groupe, nous livre un chiffre qui semble
l’étonner lui-même : « On vole pour
1,88 euro du km, hors les charges que
représentent l’achat de l’appareil. »
Cela semble beaucoup plus raisonnable
que ce à quoi nous pouvions nous
attendre. À titre comparatif et sur les
mêmes bases de calcul, nous approchons
1 euro de l’heure en Seneca III.
En résumé, exploiter un jet tout en le
pilotant est plus que tentant pour tous les
pilotes qualifiés aux instruments. Un
appareil comme le CJ1 devient
abordable pour certains passionnés d’un
point de vue pilotage, même si le niveau
exigé est élevé. Question prix, la
propriété pleine de tels appareils reste
réservée à une catégorie d’exploitants
infiniment minoritaires en France. Pour
les autres, il existe des systèmes de
propriété partagée tout à fait adaptés.
Malheureusement, il est alors difficile,
voire impossible, de piloter soi-même
car les équipages sont généralement
imposés. Si l’accession aux commandes
du CJ1 vous paraît plus qu’improbable,
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soyez certain que l’arrivée des mini-jets
va vraiment bousculer les choses. Les
tarifs affichés par Cessna pour son
Mustang, par Eclipse, Diamond, Safire
et Adam mettent tous ces appareils
directement en concurrence avec le
TBM 700, le King 90 ou même le Piper
Malibu Mirage. Si les délais de
livraison, les prix et les performances
sont bien respectés, aucun d’eux n’étant
encore livrable, le marché risque de s’en
trouver bouleversé. Quelle sera par
exemple la décote que connaîtra le
coûteux Piper Meridian ? Nous
connaissons un propriétaire anglais qui
s’en inquiète tellement qu’il compte
remettre sa machine sur le marché.
Les clients pour ces nouveaux jets
existent, et pas seulement aux USA !
Cessna, lors de l’annonce du programme
Mustang, a enregistré plus de 200
commandes en trois jours, les clients
étant bien sûr rassurés par la solidité
financière et la réputation du
constructeur de Wichita. Et il ne
s’agissait pas de spéculation car, chez
Cessna Aircraft, les bons de commande
ne se revendent pas : l’avion est
contractuellement livré à celui qui a levé
l’option. Notez enfin que, dans la
gamme des mini jets, le Mustang est
l’appareil le plus cher. On peut donc
imaginer l’engouement lorsque, par
exemple, le D-JET de notre ami
Christian Dries — un pilote privé IFR
qui a les moyens de financer à titre privé
et de réussir les projets les plus
ambitieux — sera sur le marché à bien
moins d’un million de dollars ? Nous
assisterons tout simplement à une
véritable révolution au sein de l’aviation
générale européenne! y
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