CESSNA CJ1
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CESSNA CJ1
ACHETER ET VENDRE COTE DE L’OCCASION ET LE PRIX DU NEUF ULM QUEL MOTEUR POUR VOTRE MACHINE ? SAFETY PREVENTION DES ATTENTATS AMATEUR PIPER J3 : REVE DE PILOTE DOSSIER LES MINI-JETS ARRIVENT SIMU : MIEUX QUE L’AVION L’entraînement de tous sans danger NUMERO 370 - NOVEMBRE 2004 - France : 5,50 € . Belgique : 6,55 € . Canada : 6,75 $ CAN. Luxembourg : 6,25 € . Suisse : 11,30 FS. Zone CFA : 4100 M 01062 - 370 - F: 5,50 E CESSNA CJ1 LES MINI-JETS ARRIVENT 3:HIKLKG=WUZZUZ:?a@n@h@a@k; EN VOL Piloter son jet Cessna À 34 ans, Benjamin Tranchant pilote un Cessna Citation CJ1. Tout seul. Même si pour la grande majorité des pilotes privés, cela reste du domaine du rêve, certains d’entre nous se mettront bientôt aux commandes de « mini-jets » qui finissent actuellement leurs essais en vol. Alors : pour quels pilotes, pour quel budget et pour quelles missions ? PAR EMMANUEL DAVIDSON PHOTOGRAPHIES J. CALLIES ET CESSNA es jets nous laissent tous rêveurs. En apercevant un Citation Jet, un Falcon ou un Lear sur le tarmac d’un aéroport, il est bien difficile de ne pas s’imaginer se glissant aux commandes pour décoller vers une destination lointaine comme Rome, Ibiza, Le Caire… À l’arrière, nos passagers, bercés par le doux bruit des réacteurs, un verre à la main, admirent en toute quiétude les Alpes, la Méditérranée… Eh bien, arrêtons de rêver, s’il-vous-plaît, ce doux rêve pourrait fort bien devenir réalité prochainement pour certains pilotes privés ! L 24 En effet, depuis quelques années, les constructeurs travaillent sur des appareils à réaction, capables d’emmener six ou huit passagers et leurs bagages, dont le budget d’achat et d’entretien ne soit pas totalement dissuasif pour un utilisateur à titre privé. Jusqu’à maintenant, le moindre jet d’affaires revenait à l’achat à un minimum de 3 à 4 millions de dollars, neuf. De quoi éliminer ceux dont les occupations professionnelles ne justifient pas des déplacements réguliers, à trois ou quatre personnes au minimum, sur des trajets que les lignes commerciales ne desservent pas. Prenons Cessna. La firme de Wichita construit depuis longtemps des biréacteurs d’affaires. C’est d’ailleurs le segment de marché qui lui fait réellement gagner de l’argent. Pas moins de huit aéronefs constituent la gamme des jets, sans compter le Mustang, l’appareil d’entrée de gamme qui devrait effectuer son premier vol en 2005. Plus de modèles que l’ensemble des machines à hélices, moteurs à pistons et turbopropulseurs réunis. Du gros et ultra rapide Citation X au relativement « modeste » CJ1, il y en a déjà pour tous les goûts. La taille de la cabine, l’emport, l’autonomie ainsi que le prix de vente sont étagés de manière à ce que chaque client potentiel puisse trouver dans la gamme l’avion qui lui convient à un moment donné. Les commerciaux tiennent en réserve les programmes de multipropriété et de financement avec garantie de reprise qui finissent par convaincre les prospects. Alors, qu’est- www. aviation-pilote. com Aviation & Pilote n° 370 — 2004 EN CJ1 VOL Cessna CJ1 Motorisation : 2 réacteurs Williams-Rolls FJ44-1A développant 862 kg de poussée Nombre de places : 7/8 Longueur : 12,98 m Envergure : 14,26 m Hauteur : 4,20 m Capacité carburant : 481 gal Conso croisière : 590-430 lbs/h Masse à vide équipé : 2 996 kg MTOW : 4 808 kg Charge utile : 1 766 kg Vitesse décrochage : 70-98 kt Vitesse ascentionnelle : 3 230 ft/min Vitesse de croisière : 345-381 kt Niveau de croisière : FL 340-410 Distance franchissable : 1 200 nm Prix : environ 3,5 million de US$ Constructeur : Cessna Aircraft à Wichita Contact : Patrice Magot Tél. : 33 (0)4 72 37 27 00 ce qui a conduit les dirigeants de Cessna à se lancer dans l’étude, la construction et la certification du Citation Mustang ? Surtout si l’on considère que son prix de vente sera inférieur de 50 % à celui d’un Citation Jet 1. En fait, les spécialistes du marketing ont identifié une catégorie de pilotes qui pourraient devenir des clients « réacteur » : les propriétaires pilotes. Vous objecterez qu’ils existent depuis des décennies… Les propriétaires de TBM 700 ou de PC12 voudront forcément évoluer à un moment ou un autre. Ceux qui volent sur Baron pressurisés, Malibu ou Cheyenne sont des clients potentiels pour des machines fiables qui croisent vite et au-dessus du mauvais temps. Hélas, jusqu’à présent, les coûts d’accession à la propriété et les Aviation & Pilote n° 370 — 2004 frais d’entretien d’un équipage professionnel rendaient cette opération difficilement rentable pour un public plus large. Jet démocratique pour pilote propriétaire réacteurs Williams FJ33, le fameux petit réacteur au prix raisonnable, photographié ci-dessous, qui a permis l’éclosion d’un nombre important de projets. L’appareil a fait ses premiers essais en vol cet été. Safire, après avoir annoncé la recapitalisation de l’entreprise au début de Ce n’est donc plus le cas aujourd’hui et Cessna n’est pas le seul à faire le pari du jet « démocratique ». Eclipse, après plusieurs mois turbulents, a repris les essais en vol et la certification de son appareil. Adam Aircraft, en phase finale de certification de l’Adam 500, le bimoteur à pistons, a déjà mis en chantier le 700 équipé de deux www. aviation-pilote. com 25 EN VOL On joue certes dans la cour des grands mais le constructeur a tout prévu pour que la prévol puisse être effectuée par le pilote. Les niveaux du robuste Williams-Rolls FJ44-1A (l’aube est fondue en une seule pièce) sont accessibles. Au cas où, un escabeau est rangé dans la soute arrière. l’été, semble continuer à développer son jet. Diamond Aircraft a aussi annoncé son intention de se placer sur ce marché avec le D-JET, un monoréacteur dont le prix de vente devrait être inférieur à un million de dollars. Tous ces avionneurs ont un point en commun : ils croient au marché du « propriétaire qui veut s’asseoir en place gauche et piloter lui-même. » Mais pour que ce marché ait une réalité plus tangible, à savoir des chiffres de ventes plus conséquents, il faut proposer des machines qui n’effraient pas les assureurs, dont le coût horaire ne soit pas prohibitif. On devrait donc voir dans un avenir proche une série d’avions destinés aux pilotes IFR expérimentés, mais qui, jusqu’alors, volaient uniquement sur des appareils à hélices. Prix de base Prix estimé Mars 2006 Rayon d’action avec res. IFR et 4 personnes à bord Rayon d’action avec 4 personnes à bord Vitesse croisière max Distance décollage, SL, ISA Distance atterissage Taux de montée Taux de montée N-1 Altitude Max Plafond pratique N-1 26 Nous en avons rencontré un qui a déjà effectué cette transition. Nous avons voulu apprendre comment il avait franchi le Rubicon et quels avaient été les points les plus importants de son parcours. Aller plus vite et plus haut On ne présente plus le Groupe Tranchant, désormais bien connu des amateurs de voltige, de casinos et de la chaîne LCI puisqu’il y fait plusieurs fois par jour, depuis des années, à l’heure de la météo, « la pluie et le beau temps » ! Benjamin, l’un des fils Tranchant, se déplace régulièrement à travers l’Europe. Les activités du groupe familial étant diverses et éloignées, elles l’obligent à visiter régulièrement les entreprises qui le constituent, localisées dans des régions qui ne sont pas toujours accessibles par la ligne. Et comme il lui faut souvent déplacer un staff de quatre à cinq personnes, l’avion privé s’est vite imposé. Benjamin Tranchant a toujours été en contact avec l’aviation générale. Son père, pilote IFR, a été importateur à une époque des avions de la marque Piper. Il n’a donc pas étonné sa famille en voulant passer sa licence de pilote privé le jour de ses 17 ans. Ce qui est moins courant, c’est d’avoir pu ajouter à sa licence les qualifications train rentrant, pas variable et bimoteur dans les 48 heures qui ont suivi son anniversaire. Benjamin Tranchant a commencé à Eclipse 500 Cessna Mustang Adam A-700 Safire Jet $1,175,000 $1,348,383 $2,395,000 $2,601,463 $2,100,000 $2,205,202 $1,395,000 $1,507,281 1280 nm 1150 nm 1100 nm 940 nm 1395 nm 375 kt 2155 ft 2040 ft 2990 fpm 888 fpm 41000 ft 25000 ft 1300 nm 340 kt 3120 ft 2560 ft N/A N/A 41000 ft N/A 1400 nm 340 kt 2950 ft N/A N/A 540 fpm 41000 ft 30000 ft 1050 nm 380 kt 2500 ft 2500 ft 2900 fpm 880 fpm 41000 ft N/A Aviation & Pilote n° 370 — 2004 Devant le pilote, on aperçoit le Primary Flight Display (PFD). Au centre le MultiFunction Display (MFD). Suit le panneau de communication et radionavigation, puis quelques pendules de secours. achat, la différence de coûts d’exploitation directs entre le Beech et un Citation CJ1 est même de moins de 180 euros à l’heure. Comme le groupe exploite déjà un CJ5, la revente du King 90 est décidée, ce qui permettra de rationaliser la flotte et la formation des pilotes. Pour exploiter le CJ5 en monopilote — et non pas en équipage professionnel de deux pilotes, ce qui est obligatoire, celui-ci a été immatriculé aux Etats-Unis. C’est donc naturellement que la recherche d’un Citation CJ1 commence aux USA. Après avoir localisé l’appareil qui correspond à leur cahier des charges, l’achat est rapidement négocié. Benjamin Tranchant ira outre-Atlantique pour convoyer l’avion vers l’Europe. Depuis, le CJ1, qui fait l’objet de cet article, est basé au Bourget. Lorsque nous y avons retrouvé Benjamin, notre objectif était d’apprendre comment et jusqu’à quel niveau un simple pilote IFR privé doit se remettre en question pour arriver à réussir la transition de l’hélice au réacteur. Sa réponse est très claire : « Il est indispensable d’acquérir un niveau professionnel car il n’y a pas de place pour l’erreur ou la moindre hésitation à plus de 350 kt. Il est impensable d’être derrière sa machine. » FlightSafety pour se former Nous l’interrogeons sur la formation et l’expérience minimale nécessaires avant de passer au jet : « Comme tout va Avocet ProJet Diamond D-Jet Beechcraft Baron 58 Piper Malibu Mirage $2,100,000 $2,253,619 $850,000 $921,087 $1,154,210 Mai 2004 $970,000 Janvier 2004 1060 nm 1210 nm 932 nm 655 nm 1200 nm 365 kt 3000 ft 3000 ft N/A N/A 41000 ft N/A 1320 nm 315 kt 2372 ft N/A 2600 fpm Atter. d’urgence 25000 ft Atter. d’urgence 1149 nm 202 kt 2300 ft 1300 ft 1700 fpm 390 fpm 20688 ft 7284 ft 765 nm 220 kt 2090 ft 1960 ft 1200 fpm Atter. d’urgence 25000 ft Atter. d’urgence Aviation & Pilote n° 370 — 2004 www. aviation-pilote. com Comme on le remarque certains modèles sont comparables en termes de prix à un Malibu ou un Baron neuf. Toutes les valeurs ci-contre sont des données constructeur empiler les heures de vol en VFR sans penser, au départ, au vol aux instruments. Il est même allergique au vol de nuit, du moins en monomoteur : « J’en ai 2H10 sur mon carnet de vol, par accident. J’aime voler la nuit, mais pas aux commandes d’un monomoteur et cela inclut les monoturbines. » Les heures s’accumulant, il se rend à l’évidence. Voler pour les besoins de son travail implique le passage de l’IR et d’une licence professionnelle, un plus apprécié par les assureurs. Ce qu’il fait. Son parcours est alors classique : il passe du Bonanza au Baron. Même si c’est déjà un avion bien armé, il réalise qu’il est quasiment toujours dans les nuages aux altitudes de croisière recommandées que sont le FL 100 ou le FL 110 pour un avion turbocompressé mais non pressurisé. Après avoir piloté un Baron E55 pendant 500 heures, il pense à voler plus haut et plus vite. Les besoins en transport des cadres de la société augmentant, un King 90 entre dans le groupe Tranchant. Comme nous l’avions écrit dans un précédent numéro, « Sa majesté le King » remplit parfaitement ses fonctions pendant quelques années car la machine est puissante et idéale à exploiter en IFR. Mais le démon de la vitesse habite à la fois Benjamin et son pilote de père. Après avoir fait une étude sérieuse des coûts de revient et des frais d’exploitation, tous deux découvrent que le jet est loin d’être aussi inaccessible que la rumeur veut le faire croire. Hors 27 EN VOL Comme dit le refrain, tout est calme, luxe et volupté à bord : aménagement en salon pour quatre privilégiés, siège de secours à l’arrière pour le petit dernier, siège face à la porte d’accès à bord servant de jump seat et deux sièges pilote à l’avant. Soit un maximum de huit âmes à bord. bien plus vite aux commandes d’un jet, une expérience significative de machines rapides, équipées d’une ou deux turbines, me paraît essentielle. Passer d’un avion monomoteur à pistons au jet ne me paraît vraiment pas raisonnable. Je crois sincèrement qu’il faut, avant de s’attaquer à l’environnement particulier du jet, avoir déjà une connaissance approfondie des machines complexes ainsi qu’une grande expérience du vol IFR tout temps. » Le message est clair. Une fois l’expérience acquise, comment fait-on sa transition ? Là encore, il n’y a pas d’improvisation possible. On passe forcément par un stage préparant à la qualification de type (QT) chez un spécialiste. Les Tranchant ont choisi l’école américaine FlightSafety. Présente au Bourget, cette société a l’avantage d’avoir une réputation internationale propre à rassurer les assureurs les plus tatillons. Le « Type Rating » couvre non seulement la formation aux systèmes de bord, mais aussi tous les aspects du maniement en vol de l’aéronef, et ce n’est pas une affaire simple. Il faut s’initier à l’utilisation du Flight Management System (FMS) ou système de gestion de 28 vol, que l’on trouve habituellement sur les avions de ligne, se mettre à niveau sur l’emploi de l’avionique intégrée et s’habituer aux écrans de l’ensemble d’instruments de vol électroniques (EFIS) qui y sont installés. Il est vrai que, lorsque l’on s’assied pour la première fois dans le cockpit d’un jet, on est intimidé par la somme de boutons et de commandes diverses qui tapissent le poste de pilotage. Mais on apprend vite que l’ergonomie a été pensée pour permettre une efficacité opérationnelle maximale. Tout répond à la logique de la conduite du vol. Pour pouvoir se mêler aux autres pilotes « réacteur », il faut penser comme eux, pouvoir agir comme eux et réagir aussi vite qu’eux. Cela ne peut se faire qu’en utilisant au mieux les systèmes embarqués qui sont, en fait, identiques à ceux installés dans les cockpits de Boeing et d’Airbus. La charge de travail pendant le stage est importante et difficilement compatible avec une autre activité. Outre le travail personnel exigé, la disponibilité mentale du stagiaire est essentielle. Il doit accepter de se remettre en question, s’adapter au changement de rythme dans la gestion du vol et, surtout, prévoir longtemps à l’avance chaque phase du vol, en restant prêt à toute éventualité. Être plus que jamais « devant » l’avion ! Benjamin Tranchant insiste sur la nécessité impérative de laisser à la porte du cockpit tous les soucis qui ne concernent pas le pilotage. « Il faut pouvoir se déconnecter complètement des problèmes professionnels pour se concentrer uniquement sur le vol. Si on n’arrive pas à dissocier les deux, il faut laisser impérativement les commandes à un autre pilote. » C’est une règle qui s’applique en principe à tout pilote businessman, mais plus encore dans le cas présent car, aux vitesses atteintes par un jet comme le CJ1, le commandant de bord a peu de temps pour corriger ses erreurs. Benjamin a pu vérifier ce postulat lorsqu’il a passé sa QT aux Etats-Unis. Après que le testeur de la FAA lui ait signé sa qualif, l’ancien propriétaire de l’avion a repris sa place pilote. Quelques minutes après le décollage, il a « emplafonné » une clairance d’altitude de 300 ft : à 50 ft par seconde en montée, il suffit de 6 secondes d’inattention. Le testeur FAA, toujours à bord, lui a demandé sa licence et l’a alors déchiré… Une bonne maîtrise de l’anglais est également indispensable. Pas un contrôleur n’en voudra à un pilote affublé d’un accent prononcé ; par contre, nul ne lui pardonnera une phraséologie approximative alors que les fréquences sont très encombrées, au moins en approche. Pratique intensive Une fois le pilote prêt à la sortie de son stage chez Flight Safety, il lui faut rester à niveau en permanence. Benjamin Tranchant nous dit : « Je suis un stage de remise à niveau une fois par an. FlightSafety me fait passer au travers d’un programme intense : révision de tous les systèmes de bord , du carburant aux pannes hydrauliques en passant par l’exploitation avionique. Ensuite, on aborde les exercices sur simulateurs ou on effectue un vol de contrôle sur machine. Ce stage de cinq jours est très prenant et des plus intenses. Une fois encore, on ne peut penser qu’à remettre à jour ses connaissances et à rien d’autre. » Entrent évidemment en ligne de compte les heures de vol . À partir de combien d’heures par an peut-on considérer que l’on est Suite page 31 www. aviation-pilote. com Aviation & Pilote n° 370 — 2004 Aux commandes : Paris-Deauville en 20’ Avant de s’aligner au Bourget, Benjamin Tranchant et Emmanuel Davidson patientent derrière un Gulfstream V. PAR JACQUES CALLIES PHOTOGRAPHIES DE L’AUTEUR es occasions restent rares de grimper dans un biréacteur. C’est même un privilège tellement la dimension unique du jet se mérite à tous points de vue. Lorsque vous vous dirigez à pied vers un tel engin, il suffit d’observer le regard des autres pour comprendre que vous et votre avion êtes l’objet de toutes les convoitises. Ce regard se conçoit parfaitement tellement l’univers que l’on vous offre est irréprochable: design, confort, électronique, aménagements intérieurs, niveau sonore, tout est de qualité exceptionnelle. Puis, lorsque vous volez à son bord, seul dans un ciel immaculé, à une vitesse de croisière approchant parfois celle du son, vous savez que vous avez laissé le monde de l’ordinaire loin derrière vous pour pénétrer dans celui du sublime. Lors de ce reportage, Benjamin Tranchant nous a proposé un aller-retour entre Le Bourget et Deauville. Ce type de vol est évidemment trop court pour juger de l’efficacité d’un avion comme le CJ1. Lorsqu’on grimpe aux niveaux supérieurs, même à toute vitesse, il est bien plus rentable de rester au moins un petit instant en palier. Que représentent effectivement les 5 ou 6 minutes de vol en plus à mach 0.65 qui vous emportent vers Jersey au lieu de Deauville ? Au jour dit, nous retrouvons Benja- L Aviation & Pilote n° 370 — 2004 min Tranchant et son CJ1 au Bourget, avec d’autant plus de plaisir que ce dernier est toujours un hôte amical et enthousiaste. L’avion nous attend, parqué en première ligne devant les anciens locaux de Transair. J’ai eu la chance de piloter un tel avion il y a 4 ans, sous la surveillance décontractée de Franck Burgess, un instructeur du constructeur venu de Wichita. Cette heure de vol, bourrée d’émotions fortes, m’a évidemment laissé sur ma faim. Le Cessna CJ1, certifié sous la FAR 23, catégorie réservée à l’aviation générale qui implique une limitation de la masse maxi à 12 500 livres, est monopilote. D’après les vendeurs, cet avion est un tueur de biturbopropulseurs car il leur est bien supérieur au niveau des performances, coûts d’exploitation, valeur de revente, charge utile, maintenance, facilité de pilotage. En l’observant attentivement, on voit que ce modèle d’entrée de gamme, du moins tant que le Mustang ne sera pas livrable, n’a rien à envier à ses aînés. Il a été construit sur des critères n’imposant aucune limite de potentiel et aussi sérieusement que son grand frère le Citation X, le biréacteur le plus rapide du monde. L’altitude cabine de 8000ft à 41000ft en témoigne par exemple. D’autres détails aussi: la porte est manoeuvrable par un simple passager, le parebrise blindé est à double dégivrage, le vitrage des hublots est triple, le dégivrage des ailes, mis à part celui de l’em- www. aviation-pilote. com pennage arrière, se fait en réchauffant la peau avec de l’air prélevé sur le compresseur des réacteur, ce qui permet le dégivrage préventif. Comme sur les gros. On remarquera aussi que le train à roues tirées permet les incursions sur des terrains moyennement entretenus et facilite le posé. À l’arrière, montés sur des pylônes contre le fuselage, avec un dièdre important pour éviter toute ingestion de glace en provenance des ailes, on peut admirer les petits réacteurs WilliamsRolls FJ44-1A produisant 862 kg de poussée. Ils ne sont pas équipés d’inverseurs de poussée mais de simples déflecteurs qui atténuent la poussée pendant le roulage et après l’atterrissage. C’est évidemment moins efficace que des reverses, il faut solliciter sérieusement les freins sur piste courte. Les freins sont donc puissants et équipés d’un système antiblocage. Le FJ44-1A, entièrement géré par l’électronique, est fiable et économique. À moins de ne pas avoir le voltage nécessaire lors de sa mise en route, il ne peut rien se passer car la séquence de démarrage est entièrement automatique. Le pilote se contente de surveiller, au cas d’une éventuelle défaillance d’un système. Les différents niveaux des fluides sont parfaitement accessibles pendant la visite prévol : sur les moteurs, dans le coffre avant et par une trappe de visite à l’arrière. Une fois à bord, n’étant pas qualifié sur la machine, je choisis le jump seat qui va me permettre d’observer très à l’aise le travail en solo de notre ami pilote. Dès que la porte est refermée et la mise en route effectuée, je retrouve l’environnement propre aux liners, que l’on ressent en pénétrant dans le cockpit d’un avion de ligne. Ambiance feutrée, absence de vibrations, surabondance d’électroniques… L’univers est professionnel, chaque seconde compte, donc tout va très vite : les clairances autant que le travail. Benjamin nourrit en un clin d’œil le FMS avec le départ standard que nous donne le 29 EN VOL contrôle. Par réflexe ou peut-être par prudence, il garde à portée des yeux la documentation papier. Puis il nous annonce les vitesses qu’il a retenues pour le décollage, à dessein les plus pénalisantes. Pour gagner du temps et pour ne pas se fatiguer inutilement les neurones. Notons que le FMS aurait très bien pu les calculer automatiquement à condition de lui ingérer notre masse au décollage et les paramètres du jour. La check-list défile sur l’écran. Le boulot est mâché, tout est OK, c’est fini. À son signal, l’employé au sol enlève les cales, nous roulons, et rattrapons un majestueux « Gé Cinq » juste avant le point d’arrêt : l’herbe est toujours plus verte dans le pré du voisin… Deux minutes plus tard, aligné face à l’ouest, les manettes poussées en avant, notre petit CJ1 bondit en silence et nous quittons furtivement la planète aux alentours de 100 kt, avec une assiette à grimper à faire pâlir d’envie tous les pilotes peut-être que le monde du jet, pour un pilote, c’est d’abord une affaire d’assiette. Donc de sensations. Mais n’estce pas ce que nous recherchons tous ? Ce qui surprend immédiatement après, c’est la vitesse. Comme si le monde avait rétréci. L’enchaînement des clairances paraît incroyable. À croire que le contrôle sait qu’il doit gérer une sorte de projectile dont il ne faut surtout pas contrarier la course folle. Pas question des sempiternels : « Maintenez le niveau, atteignant. Pour plus haut, voyez avec Paris Contrôle… » mais des autorisations de grimper haut, toujours plus haut, bien avant que le niveau autorisé ne soit atteint. Comme cela, sans même claquer du doigt. Jubilatoire ! Et puis, ce qui frappe enfin, c’est la vitesse de croisière proprement dite. On ne parle plus en nœuds mais en nombre de Mach. C’est chic, mais surtout cela signifie qu’on est très haut et que cela va très vite! Il faut même penser à redes- quel pilote, à condition qu’il soit bimoteur, qualifié pour le vol aux instruments et totalise un minimum de 1 000 heures de vol. C’est le minimum que spécifie le constructeur dans le contrat qui le lie à son client. J’avais aussi effectué une descente d’urgence, procédure à appliquer en cas de dépressurisation : avec moins 15° à la maquette, les aérofreins à la demande et 9000 ft au vario, les sensations avaient été, une fois encore, prodigieuses. Notre percée à Deauville est tout aussi sensationnelle. Nous perforons les nuages morcelés et la grisaille normande à 260 kt indiqués, jusqu’à ce que nous soyons en vue de la piste. L’interception du localizer à 45° à une telle vitesse n’est pas un problème pour le gros pilote automatique Collins qui équipe le CJ1. Aucune oscillation, aucune hésitation, on « est » sur le localizer, puis sur le glide slope, le directeur de vol aligné au petit poil. En finale, Ben- La charge de travail de Benjamin Tranchant, importante lorsqu’il est seul pilote à bord, est allégée par une avionique intelligente et complète. privés, non sectaires s’entend. Je crois que c’est à cet instant-là, très précisément, qu’on est envahi par une sensation puissante, un sentiment qui ramène peut-être à l’enfance quand, il y a bien longtemps, depuis la cour des grands, on regardait les minots, que nous avions été, jouer à chat perché. On réalise alors que, finalement, l’électronique à gogo, les directeurs de vol en couleurs et grands comme des télés, certains avions légers en ont déjà depuis longtemps ; que tous les pilotes qui voyagent vont finir par en avoir devant eux un jour où l’autre. Mais des assiettes à plus de 10°, des varios de plus de 3000 ft/min en montée, des badins en accélération fantastique au premier palier, cela est et restera pour toujours réservé à l’univers des jets ! En résumé, 30 cendre les étages à toute allure car Deauville, cachée dans le mauvais temps, est à quelques minutes devant. Nous n’aurons pas le temps de jouer et, surtout, l’équipage n’est pas qualifié pour le faire. Mais, lors de mon vol avec Frank Burgess, j’avais exploré le domaine de vol du CJ1 dans son ensemble jusqu’au décrochage, quasi impossible du fait d’un dispositif appelé « stick pusher » qui repousse le manche en avant dès que la vitesse basse devient critique. Quant à mes vitesses trop hautes, rapidement dangereuses sur jet, elles avaient été immédiatement détectées à l’aide des avertisseurs sonores et visuels sur le FMS et gérées immédiatement en sortant les aérofreins. Incontestablement, cet avion est extrêmement sûr dans les mains de n’importe jamin reprend le manche, creuse le plan — « Glide slope ! Glide slope ! » avertit une voix synthétique — pour éviter de se poser long et de trop freiner. Kiss landing comme avec un banal avion de club. La piste est dégagée. Un placeur nous attend au garde-à-vous devant la porte de l’aérogare. Messieurs les puissants, soyez les bienvenus à Deauville ! L’avion est sur freins, le bloc est calculé à 26 minutes, le temps de vol à 20 minutes. Par chance, le restaurant fermé le mardi « pour cause de 35 heures », le temps d’attente d’un taxi et la durée du trajet vers le premier restaurant, le tout bien supérieur à notre temps de vol, me feront redescendre sur terre et son monde de mortels. Sérieusement, j’en avais bien besoin ! y www. aviation-pilote. com Aviation & Pilote n° 370 — 2004 Suite de la page 28 opérationnel, sans compter l’apport du stage annuel ? « Une centaine d’heures au minimum. En dessous de cette limite, on peut craindre pour l’efficacité opérationnelle du pilote. C’est aussi la limite basse qu’il faut se fixer avant de penser à l’utilisation d’un jet par rapport à une machine louée occasionnellement. La propriété, qu’elle soit fractionnée ou non, n’a pas de sens si l’on ne vole pas assez. » 1,88 euro du kilomètre… L’argent étant ce qui fait voler les avions, on peut légitimement s’interroger sur les coûts d’exploitation de tels avions. A priori déraisonnables. Tableaux en main, Benjamin Tranchant nous démontre qu’opérer un jet n’est pas le gouffre financier que l’on croit. « Évidemment, si mon père et moi n’étions pas des pilotes passionnés, nous envisagerions peut-être les choses différemment ! Mais le fait d’avoir deux pilotes qualifiés sur nos deux appareils nous permet de limiter les frais d’équipage puisque nos avions sont certifiés monopilote. Nous avons deux autres pilotes dans le groupe qui sont aussi tous deux qualifiés sur les machines. Par contre, ce qui me parait être la réelle difficulté que rencontrera un pilote propriétaire qui débarque dans cet univers, c’est l’assurance de son avion. Personne ne prendra le risque de l’assurer en tant que CdB tant qu’il n’aura pas au minimum 500 heures de réacteur. Pendant toute la période où il Aviation & Pilote n° 370 — 2004 accumulera ces heures d’expérience, il lui faudra un deuxième pilote à bord. Et cela a un coût non négligeable.» Côté carburant, la maison Tranchant compte, pour le CJ1, environ 480 lb/h de JET A-1 alors que la valeur Cessna est de 410 lb/h. Le coût du programme CESCOM, qui couvre l’entretien et le changement des moteurs en fin de potentiel, est de 170 USD par heure de vol. Il faut ajouter environ 155 euros par vol pour couvrir toutes les taxes en route, d’approche, d’atterrissage et de handling. En résumé, Benjamin, toujours penché sur les documents que lui a produit les services financiers du Groupe, nous livre un chiffre qui semble l’étonner lui-même : « On vole pour 1,88 euro du km, hors les charges que représentent l’achat de l’appareil. » Cela semble beaucoup plus raisonnable que ce à quoi nous pouvions nous attendre. À titre comparatif et sur les mêmes bases de calcul, nous approchons 1 euro de l’heure en Seneca III. En résumé, exploiter un jet tout en le pilotant est plus que tentant pour tous les pilotes qualifiés aux instruments. Un appareil comme le CJ1 devient abordable pour certains passionnés d’un point de vue pilotage, même si le niveau exigé est élevé. Question prix, la propriété pleine de tels appareils reste réservée à une catégorie d’exploitants infiniment minoritaires en France. Pour les autres, il existe des systèmes de propriété partagée tout à fait adaptés. Malheureusement, il est alors difficile, voire impossible, de piloter soi-même car les équipages sont généralement imposés. Si l’accession aux commandes du CJ1 vous paraît plus qu’improbable, www. aviation-pilote. com soyez certain que l’arrivée des mini-jets va vraiment bousculer les choses. Les tarifs affichés par Cessna pour son Mustang, par Eclipse, Diamond, Safire et Adam mettent tous ces appareils directement en concurrence avec le TBM 700, le King 90 ou même le Piper Malibu Mirage. Si les délais de livraison, les prix et les performances sont bien respectés, aucun d’eux n’étant encore livrable, le marché risque de s’en trouver bouleversé. Quelle sera par exemple la décote que connaîtra le coûteux Piper Meridian ? Nous connaissons un propriétaire anglais qui s’en inquiète tellement qu’il compte remettre sa machine sur le marché. Les clients pour ces nouveaux jets existent, et pas seulement aux USA ! Cessna, lors de l’annonce du programme Mustang, a enregistré plus de 200 commandes en trois jours, les clients étant bien sûr rassurés par la solidité financière et la réputation du constructeur de Wichita. Et il ne s’agissait pas de spéculation car, chez Cessna Aircraft, les bons de commande ne se revendent pas : l’avion est contractuellement livré à celui qui a levé l’option. Notez enfin que, dans la gamme des mini jets, le Mustang est l’appareil le plus cher. On peut donc imaginer l’engouement lorsque, par exemple, le D-JET de notre ami Christian Dries — un pilote privé IFR qui a les moyens de financer à titre privé et de réussir les projets les plus ambitieux — sera sur le marché à bien moins d’un million de dollars ? Nous assisterons tout simplement à une véritable révolution au sein de l’aviation générale européenne! y 31