Jugement du 28 juin 2002 - Copropriété

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Jugement du 28 juin 2002 - Copropriété
Les fiches ju ridiques de Cop ropri ét é-eJuris : Loyers & Copropri été – Const ruction – Nouvelles technologies
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Droit des contrats immobiliers
Tontine n° 1
Tribunal Civil de Charleroi (1ère Ch.)
Jugement du 28 juin 2002
Le pacte tontinier constitue une convention qui fait échec à
l’application de l’article 815 du Code civil, lequel n‘est que supplétif
à la volonté des parties en cas d’indivision volontaire à titre principal.
Le fait que le concubinage ait pris fin ne suffit pas à permettre la
sortie de l’indivision assortie d’une clause de tontine, sans le
consentement des parties.
Objet de la demande.
Discussion.
Attendu que la demande a pour objet la
liquidation et le partage de l’immeuble sis à
Carnières, rue de Collarmiont, 37 et la
désignation du notaire Debouche, de résidence à
Feluy pour y procéder ainsi qu’éventuellement
pour procéder à la vente publique dudit
immeuble.
Attendu que la demanderesse s’appuie sur la thèse
défendue par Pirson et Lechien pour prétendre
que l’article 815 du Code civil s’applique à
l’indivision volontaire tandis que le défendeur fait
sienne la proposition adoptée par De Page pour
s’opposer à pareille application.
Les faits.
- Les parties ont vécu en concubinage.
- Elles ont acquis par acre notarié du 30 octobre
1989 un immeuble sis à Carnières, rue de
Collarmoni, 37, sous les modalités ainsi libellées
« Monsieur Frédéric Canone (...) mademoiselle
Françoise L(...) Caupain (...) lesquels déclarent
effectuer la présente acquisition, chacun pour
moitié, avec clause de tontine aux termes de
laquelle chacun d’eux acquiert la moitié du bien
en pleine propriété sous la condition résolutoire
de son prédécès et l’autre moitié en pleine
propriété sous la conditions suspensive du
prédécès de l’autre partie.
Au décès de l’un des acquéreurs, sa part accroîtra
celle du survivant qui perçoit cet accroissement
en vertu de la présente tontine ».
Elles se sont séparées en février 1998.
Attendu que la question de l’application de
l’article 815 du Code civil aux indivisions
volontaires fait objet d’une controverse qui ne
semble pas avoir été tranchée; que parmi la
doctrine la plus récente, les positions continuent à
s’opposer diamétralement (cf J.F. Romain,
Copropriété et autonomie de la volonté: de la
copropriété à titre principal et de l’application de I
article 815 du Code civil, Les copropriétés,
Conférences du Centre de Droit privé, vol. VIII,
p. 9 et s., contra S. Brat et A.C. Van Gysel, La
copropriété et l’union libre, Les Copropriétés, op.
cii., p. 303 et s.).
Attendu qu’il échet de rappeler que la copropriété
existant entre les parties à la présente cause
résulte d’un accord de volontés librement
consenti en vue de créer, entre elles, une
indivision immobilière, à titre principal.
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Tontine n° 1
Que la demanderesse soutient que l’article 815 du
Code civil est applicable à pareille indivision, la
seule exception à cette disposition étant
l’indivision forcée prévue à l’article 577 - 2, al. 9,
du Code civil.
Qu’elle se prévaut ainsi des dispositions de
l’article 577-2 § 8 du Code civil selon lequel « le
partage de la chose commune est régi par
- les règles établies au titre « des successions ».
Attendu que l’analyse des travaux préparatoires
de la loi du 8 juillet 1924 ne permet pas de tenir
pour acquis que la disposition ci-dessus
reproduite concerne, dans la volonté du
législateur, les indivisions volontaires telles que
définies ci-avant; qu’à supposer que ce
soit le cas, force est alors d’admettre que l’article
577-2 § 8 du Code civil a un caractère supplétif à
la volonté des parties.
Attendu, en effet, qu’à cet égard, le tribunal se
rallie à l’analyse des travaux préparatoires de la
loi du 8 juillet 1924 à laquelle a procédé J.E
Romain (copropriété et autonomie de la volonté
de la copropriété à titre principal et de l’application de l’article 815 du Code civil, op. cit., p. 6, n°
29 et s.) pour conclure qu’il « est douteux que le
législateur de 1924 ait eu à l’esprit la question
précise de l’application de l’article 815 du Code
civil à la copropriété volontaire à titre principal
(...)». (JF. Romain, ibid., p. 50.)
Attendu, par conséquent, que le moyen tiré des
travaux préparatoires de la loi du 8 juillet 1924
dont la finalité première « (...) était d’une part de
bâtir une forme de droit commun de la
copropriété, d’autre part et surtout, de poser les
principes de base régissant la copropriété forcée à
titre accessoire en matière immobilière » (J.E
Romain, op. cil., p. 46) n’est pas déterminant pour
reconnaître à l’article 815 du Code civil le
caractère général qu’entend lui donner la
demanderesse.
Attendu que cette dernière soutient encore qu’en
ce qui concerne les indivisions volontaires,
l’article 815 souffre deux exceptions, à savoir
celle résultant de l’article 215 du Code civil et
celle résultant du pacte d’indivision conforme à
l’article 815, al. 2, du Code civil, ces deux
exceptions ayant été soulignées au cours des
travaux préparatoires de la loi du 14juillet1976 et
notamment au rapport fait au Sénat au nom de la
Commission de la Justice par Monsieur Hambye
(Pasinomie, 1976, p. 1733).
Attendu que ledit rapport s’exprime comme suit,
sous l’article 1469 du Code civil « la Commission
a estimé utile de régler par la loi certains
problèmes que peut poser l’existence de biens
indivis entre les époux. Le partage de biens
indivis ou de certains d’entre eux peut-il avoir
lieu à tout moment ou seulement à la dissolution
du régime? On invoque l’article 815 du Code
civil selon lequel nul n’est tenu de rester dans
l’indivision; à quoi on répond que cet article vise
l’indivision involontaire née d’une succession
recueillie par plusieurs, alors que l’indivision
entre époux séparés de biens est généralement
volontaire, résultant de l’achat fait ensemble d’un
bien ou la conséquence de la négligence des
époux à se réserver la preuve de leur droit de
propriété (...). La Commission décide d’autoriser
à tout moment le partage des biens indivis, soit
pour la totalité, soit pour certains d’entre eux: les
époux pourront toutefois convenir, dans les
limites de l’article 815 al. 2, de suspendre le
partage dans un temps limité; l’article 215 § P
concernant les actes de disposition de la maison
servant au logement de la famille, permettra aussi
à l’un des époux, de s’opposer pour des motifs
graves à l’action en partage de cet immeuble C) »
Attendu qu’il résulte précisément de ce rapport
que, conscient des difficultés que pose la
controverse persistante relative à l’application de
l’article 815 du Code civil aux indivisions
volontaires existant entre époux séparés de biens,
le législateur ai considéré nécessaire de prévoir,
par la disposition expresse que constitue l’actuel
article 1469 du Code civil,
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Tontine n° 1
la possibilité pour des époux indivis en biens de
solliciter le partage de ceux-ci, sous réserve de
l’application de l’alinéa 2 de l’article 815 du Code
civil et des dispositions de l’article 215 al. 1 du
Code civil auxquels renvoie explicitement ledit
article 1469 du Code civil.
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que la
question de l’application de l’article 815 du Code
civil aux indivisions volontaires demeure
largement ouverte.
Attendu qu’à supposer que cette disposition soit
applicable aux indivisions volontaires en
application de l’article 577-2, § 8 du Code civil,
lequel renvoie aux règles établies au titre « Des
successions » dont elle fait partie, encore faut-il
admettre que dans ce cas, elle ne revêt pas un
caractère d’ordre public.
Attendu, en effet, que les travaux préparatoires de
la loi du 8juillet 1924 et notamment le rapport de
la Commission de la Justice et de la législation
civile et criminelle de la Chambre précise entre
autres que les dispositions du projet sont
purement supplétives. Elles ne valent qu’à défaut
de toutes stipulations conventionnelles ou
testamentaires
Que ce caractère supplétif est d’ailleurs consacré
par l’article 577-2 § I du Code civil, seules les
dispositions de l’article 577-2 § 9 étant
impératives selon le texte même de la loi.
Attendu, par conséquent, que tout argument tiré
du caractère d’ordre public de l’article 815 du
Code civil en tant qu’il s’applique aux indivisions
volontaires manque de pertinence.
Attendu qu’il convient de rappeler qu’en l’espèce,
l’acte notarié du 30octobre 1989 comporte une
clause de tontine rédigée dans les termes
reproduits à l’exposé des faits qui précède.
Attendu qu’une vive controverse existe également
sur le point de savoir si une partie peut sortir
d’indivision, par partage ou licitation, sans
l’accord de l’autre partie.
Attendu que selon De Page, les associations
tontinières sont des associations très particulières
sut generis dont le caractère aléatoire est
dominant et où il n’y a de mise en commun qu’à
fonds perdu, (De Page, T. V, p. 48, n° 24,)
Attendu qu’en dépit de sa rédaction, il y a lieu de
considérer que le pacte tontinier se noue entre les
acquéreurs, soit en l’espèce entre les seules
parties à la présente cause et non entre le vendeur
et lesdits acquéreurs, comme l’analyse textuelle
de la clause le laisse apparaître.
Qu’en effet, considérer qu’il en est autrement
reviendrait à admettre que par le jeu des conditions suspensives et résolutoires, le transfert de
propriété entre vendeur originaire et acquéreurs
serait aléatoire, ce qui est manifestement contraire
à la volonté des parties.
Attendu par conséquent, que l’aléa ne concerne
que les acquéreurs entre eux liés par le pacte
tontinier aux termes duquel, en réalité, ils ont
chacun disposé de leurs droits indivis dans
l’immeuble au profit de l’autre et sous conditions,
en manière telle que l’accord des parties s’impose
pour mettre à néant ledit pacte et permettre la
sortie de l’indivision.
Qu’il en résulte que le pacte tontinier constitue
une convention qui par le mécanisme qui lui est
propre fait échec à l’application de l’article 815
de Code civil, lequel n’est que supplétif à la
volonté des parties en cas d’indivision volontaire
à titre principal, comme c’est le cas en l’espèce.
Attendu que le fait que le concubinage ait pris fin
ne suffit pas à permettre la sortie de l’indivision
assortie d’une clause de tontine, sans le
consentement des parties à cette clause, laquelle a
un double but le premier, purement civil, qui est
de donner le plus de garanties au survivant et
d’assurer à celui-ci au moins la jouissance de
l’immeuble jusqu’à son décès mais aussi de se
prémunir soi-même pour l’avenir, après le d&ès
de l’autre; l’autre avantage recherché est fiscal,
les parties à la tontine cherchant à assurer au
survivant la meilleure situation fiscale lors du
décès du premier d’entre eux.
Que la clause de tontine ne s’adresse d’ailleurs
pas qu’à des concubins mais s’adresse à toute
communauté humaine.
Attendu qu’il en résulte que la demande recevable
n’est pas fondée, Dispositif conforme