ECHEC DE L`ISLAM POLITIQUE EN EGYPTE ET EN TUNISIE : LE

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ECHEC DE L`ISLAM POLITIQUE EN EGYPTE ET EN TUNISIE : LE
ECHEC DE L’ISLAM POLITIQUE EN EGYPTE ET EN TUNISIE : LE MOUVEMENT ENNAHDA
POURRA-T-IL EVITER A LA TUNISIE LE DRAME EGYPTIEN ?
Cherif FERJANI
L’Egypte est le pays où les Frères Musulmans, l’expression la plus achevée de l’islam
politique, a vu le jour dans les années 1920, et où la victoire électorale des islamistes au lendemain
du printemps arabe a été la plus large. Moins de deux ans après cette victoire, l’échec est sans
appels : extrême détérioration de la situation économique, aggravation des problèmes sociaux,
multiplication des actes violents et des agressions contre les femmes, les artistes, les journalistes, les
intellectuels, montée de l’intolérance et déferlement de la violence contre les minorités musulmanes
– notamment les chiites - et non musulmanes, démantèlement des services de l’Etat et de ses
institutions, etc. Plus le pouvoir islamiste montre son impuissance à gouverner, plus Les Frères
Musulmans et les groupes islamistes s’entêtent à vouloir imposer à la société, par tous les moyens,
leurs conceptions rétrogrades tournant le dos à l’évolution que le pays à connu depuis près de deux
siècles. Les Frères musulmans ont ainsi réussi, en moins de deux ans de pouvoir, à montrer la vanité
de leur slogan « L’ISLAM EST LA SOLUTION » qu’ils proposent, depuis la fin des années 1960, comme
la solution miracle à tous les problèmes des sociétés musulmanes et comme une alternative au
« désenchantement national » et aux différents modèles de développements prônés par les régimes
« modernistes » tournés vers le bloc de l’Est ou vers les pays occidentaux. Ceux qui ont voté pour eux
et les ont portés au pouvoir au lendemain du printemps arabe, par sympathie pour les victimes qu’ils
étaient de l’exclusion et de la répression des régimes déchus, ou en pensant que des gouvernants qui
se présentent comme des « croyants qui craignent Dieu » ne peuvent ni voler, ni mentir, ni se prêter
à la corruption, ont très vite désenchanté.
Contre cette tournure prise par la révolution depuis l’accès au pouvoir des islamistes, plus de
20 millions d’Egyptien(ne)s ont signé l’appel des jeunes à l’insurrection (tamarrud) qui a été à
l’origine des plus grandes manifestations de l’histoire du pays. Un seul mot d’ordre : le départ de
Morsi et le retour aux objectifs de la révolution. Au lieu d’entendre l’appel de millions de
manifestants et de proposer des solutions pour sortir le pays de la crise où il l’a conduit, le pouvoir
islamiste a fait appel à ses partisans pour qu’ils organisent des contre manifestations opposant à la
légitimité populaire la légitimité des urnes. Pour limiter les risques d’une guerre civile provoquée par
l’aveuglement des islamistes, la police et l’armée sont intervenues pour protéger les manifestants
réclamant le départ de Morsi puis pour mettre fin au pouvoir de celui-ci et confier la gestion
provisoire des affaires à un gouvernement de technocrates sous la direction du Président du Conseil
constitutionnel en attendant l’organisation de nouvelles élections dans un délai inférieur à un an. Au
lieu d’accepter une solution qui évite au pays de sombrer dans la guerre civile, les Frères Musulmans
ont préféré la fuite en avant en conviant leurs partisans à un affrontement avec les forces de l’ordre
et la population qui ne veut plus de leur pouvoir. Ils s’accrochent à la légitimité que les urnes leur ont
accordée et qu’ils ont battue en brèche en trahissant l’inspiration démocratique et sociale de la
révolution. Ils opposent la légitimité des urnes qu’ils ont trahie à la volonté d’un peuple qui ne leur
fait plus confiance. Ils montrent ainsi les limites de leur conversion à la démocratie et leur incapacité
à dépasser le stade utopique de l’idéologisation de la religion. Leur attitude aggrave les risques d’une
guerre civile dont les prémisses ont déjà fait plusieurs dizaines de victimes. Rien ne dit qu’ils vont
s’arrêter là malgré le nombre élevé de morts et de blessés, y compris dans leurs rangs notamment
après les tirs de l’armée contre les manifestants islamistes le 8 juillet 2013, et les énormes dégâts
déjà causés par leur politique et auxquels leur fuite en avant donne une tournure dramatique.
L’intervention de l’armée va-t-elle s’arrêter aux limites annoncées ou va-telle profiter des risques de
la guerre civile et du chaos dans lequel le pouvoir islamiste a précipité le pays pour retourner aux
affaires ? Rien ne semble, pour le moment, fermer la porte à une telle évolution qui serait fatale pour
le devenir de la démocratie en Egypte et dans la région. La responsabilité d’un tel échec revient avant
tout aux Frères musulmans qui ont trahi la confiance du peuple qui les a portés au pouvoir. Ils ont cru
que la légitimité des urnes leur suffit pour imposer à la société leurs conceptions et tourner le dos
aux aspirations d’un peuple qui s’est soulevé, sans eux, contre la dictature de Moubarak pour
accéder à la liberté et mettre fin à des décennies de corruption, d’injustice, de mépris et de misère
pour le plus grand nombre. La démocratie n’est encore pour eux qu’un moyen parmi d’autres pour
accéder au pouvoir et non un système politique fondé sur la souveraineté d’un peuple formé de
citoyens libres, égaux et jouissant de droits inaliénables et opposables à ses représentants qui ne
sont là que pour le servir.
La crise égyptienne intervient quelques semaines après les manifestations de la Place Taksim
à Istanbul et les affrontements qui les ont suivies, dans toute la Turquie, entre la population et le
gouvernement d’Erdogan montrant les limites de la réussite de l’AKP souvent donné comme un
modèle de conciliation de l’islam politique avec la démocratie. Il faut rappeler que la conversion à la
démocratie, dont on mesure les limites à la lumière des décisions qui ont déclenché les dernières
manifestations, fut précédée par l’intervention de l’armée pour chasser les islamistes du pouvoir en
raison de leur volonté de remettre en cause les fondements du système politique et social du pays, à
l’instar de ce qui s’est passé avec le gouvernement d’Erbakan en 1997.
L’attitude des islamistes au pouvoir en Tunisie est marquée par une duplicité devenue la
marque de leur politique : Tout en minimisant les risques de voir les évènements d’Egypte se
reproduire en Tunisie - dont ils font semblant de vanter les spécificités que leur politique cherche par
ailleurs à gommer par tous les moyens -, ils multiplient les appels à la solidarité avec Morsi et le
Frères musulmans. Leurs bras armés que sont les Ligues dites de « Protection de la Révolution » sont
allés jusqu’à menacer de mort toute personne qui appellerait à une insurrection (tamarrud) à l’instar
de ce qui s’est passé en Egypte ou à la solidarité avec le peuple égyptien qui s’est soulevé contre le
gouvernement des Frères musulmans. Cette attitude des dirigeants d’Ennahda et des islamistes
tunisiens s’explique par la peur de voir les mêmes causes reproduire les mêmes effets :
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Comme en Egypte, les islamistes tunisiens ne voient dans la démocratie qu’un moyen
parmi d’autres pour prendre le pouvoir sans en respecter les règles et les implications
quant au rapport entre gouvernants et gouvernés.
Comme en Egypte, ils s’accrochent à la légitimité des urnes qu’ils n’ont pas respectée en
s’arrogeant des pouvoirs pour lesquels ils n’ont pas été mandatés et en prolongeant leur
mandat électif au-delà de ce qui a été prévu par la loi électorale qui leur a permis
d’accéder à la tête de l’Etat.
Comme en Egypte, ils se sont acharnés à démanteler les institutions de l’Etat auquel ils
ne croient pas, pour y substituer des structures partisanes destinées à pérenniser leur
pouvoir et à imposer à la société leurs conceptions.
Non seulement ils n’ont pas mis fin à la corruption, mais ils l’ont aggravée en substituant à la justice
transitionnelle, réclamée par la société ; un système de chantage consistant à blanchir ceux qui
acceptent de servir Ennahda et à poursuivre ceux qui refusent de se soumettre à ses exigences. Ils
gèrent le pouvoir comme un butin dont ils disposent pour s’y maintenir par tous les moyens, pour
s’enrichir au plus vite et pour distribuer à leurs militants des « compensations » et à leur clientèle des
avantages au détriment des priorités sociales pour lesquelles les jeunes sans emploi, les populations
et les régions défavorisées se sont soulevés contre la dictature corrompue de Ben Ali. Tournant le
dos aux aspirations démocratiques de la société, ils essaient de remettre en cause les acquis
modernes du pays, dont les droits des femmes, les libertés conquises grâce à la révolution et les
progrès réalisés depuis près de deux siècles de réformes dans les domaines de l’éducation, de la
culture, des mœurs, du droit, et dans les différents secteurs. Ils ne reculent devant la résistance de la
population et des expressions organisées de la société civile que pour reprendre par la main droite ce
qu’ils concèdent par la main gauche. Les reniements de leurs engagements avant et après les
élections montrent leur fourberie. Leur gestion catastrophique de l’économie n’a fait qu’aggraver le
chômage et les conditions de vie non seulement des milieux populaires, notamment dans les régions
défavorisées d’où la révolution est partie, mais aussi des couches moyennes qui se sont appauvries.
Outre la corruption, l’incompétence et l’absence d’un agenda clair concernant l’adoption de la
constitution et les prochaines échéances électorales, aggravent la fragilité d’une économie à bout de
souffle. L’échec le plus patent du gouvernement islamiste en Tunisie est la dégradation de la sécurité
en raison de la complaisance du pouvoir à l’égard des Ligues autoproclamées de Protection de la
Révolution et des groupes salafistes qui prônent ouvertement la violence politique aussi bien contre
les intellectuels, les artistes, les journalistes, les secteurs modernes de la société que contre les
forces de l’ordre, pour imposer leur modèle de société rétrograde.
Ce sont ces similitudes avec la politique des Frère musulmans en Egypte qui expliquent la duplicité de
leur attitude à propos des évènements dramatiques que connaît ce pays. Sauront-ils tirer à temps les
leçons de l’échec du gouvernement islamiste égyptien pour éviter à la Tunisie de connaître le même
scénario dramatique ? On ne peut l’espérer qu’à la condition de les voir respecter les engagements
qu’ils ont pris avant les élections et dans le cadre du dialogue national initié par l’UGTT, la LTDH et
l’ordre des avocats, dialogue qui a fini par réunir d’autres expressions de la société civile, dont
l’UTICA, et la plupart des composantes du champ politique. La réalisation d’un tel espoir passe par :
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un changement d’attitude dans les discussions en cours de l’ultime projet de la
constitution pour donner au pays une loi à la hauteur des aspirations démocratiques et
sociales de sa révolution,
le retrait de leur projet de loi dit d’immunisation de la révolution qui vise à exclure les
adversaires politiques,
la dissolution des Ligues dites de Protection de la Révolution et de tous les groupes qui
prônent la violence politique,
des poursuites contre ceux qui sont passé à l’acte que ce soit dans l’assassinat de Lotfi
Naggadh et de Chokri Belaïd ou dans les différentes agressions et actions violentes que le
pays a connues avec la complaisance du pouvoir dominé par les islamistes,
l’abrogation de toutes les nominations partisanes dans les administrations qui joueront,
d’une manière ou d’une autre, un rôle dans les prochaines élections (dont en particulier
celles concernant les gouverneurs, les délégués, les Omda, et les conseils municipaux),
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la mise en place d’une instance électorale réellement indépendante et le vote rapide des
lois devant servir de cadre aux prochaines élections
l’annonce d’un calendrier clair et ferme concernant la fin de la transition en cours.
Si ces conditions ne sont pas réunies, les islamistes d’Ennahda et leurs alliés assumeront la
responsabilité historique de transformer leur échec politique en avortement de la transition
démocratique avec toutes les chances de voir la crise à laquelle ils ont conduit le pays tourner à la
violence comme en Egypte et partout où l’islam politique a voulu se maintenir au pouvoir contre la
volonté du peuple pour imposer son modèle de société. Ils auront montré que l’islam politique n’est
pas encore prêt à une véritable conversion démocratique comparable à celle qui a permis au
christianisme politique de donner la « démocratie chrétienne».