L`Islamisme politique au pouvoir : Quels bilans ? Quels avenirs

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L`Islamisme politique au pouvoir : Quels bilans ? Quels avenirs
L’Islamisme politique au pouvoir : Quels bilans ? Quels avenirs ?
Tunis/Hammamet, Forum Réalités, 24.4.2014
Perspectives européennes sur l’islam politique au pouvoir
Les bouleversements multiples dans le monde arabe et notamment le processus de
transition en Tunisie - toujours considéré comme un modèle à suivre - continuent à
intéresser non seulement la classe politique, mais aussi les opinions publiques
européennes. Les réactions en Europe à l’accès au pouvoir des partis islamistes, dans
certains pays, ont été mitigées, allant de la surprise en passant par la déception jusqu’à
la curiosité ou bien la méfiance.
Les réactions en Europe au « printemps arabe » en général et aux succès électoraux
de l’islam politique en particulier
D’une perspective européenne, on observe la multiplication des acteurs émergents sur
la scène politique, la diversification des systèmes politiques, les nouvelles dynamiques
au sein des sociétés, l’hétérogénéisation des situations et des conflits politiques dans
les différents pays et les différentes régions, mais aussi la présence accrue d’autres
acteurs politiques internationaux ou bien régionaux, et leur influence croissante sur les
développements politiques au Maghreb et au Mashrek, comme celle des Etats du
Golfe, de la Chine ou bien de la Russie. Jusqu’à présent, nous pouvons distinguer
quatre phases de réactions en Europe : D’abord une phase d’hésitation du fait de la
surprise et de la rapidité des événements, ensuite une phase d’enthousiasme et
d’empathie par rapport aux révoltes, suivi d’une phase d’un certain désenchantement
(notamment à la suite des victoires électorales des islamistes et à la récupération des
révolutions par ces forces politiques), et enfin actuellement une phase d’attentisme.
Les positionnements politiques en Europe par rapport à l’islam politique sont
multiples et très divers : Il y a ceux, qui considèrent qu’il faudrait continuer à donner
une chance aux acteurs politiques qui ont été réprimés sous les régimes autoritaires,
mais qui ne sont en même temps pas convaincus des premiers résultats des
responsables islamistes lors des premières expériences gouvernementales en Tunisie
et en Egypte. Il y a ceux qui pensent que de nouvelles opportunités s’ouvrent avec
l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène politique et avec la multiplication, voire
pluralisation des acteurs politiques en général – que ce soit la plus grande visibilité et
l’influence des partis islamistes, des mouvements sociaux, des mouvements de
jeunesse, ou bien de la société civile – ceci est considéré comme un développement
positif faisant partie du processus de la transition démocratique. D’un autre côté, il y a
ceux qui considèrent les succès électoraux des partis islamistes avec scepticisme et qui
ne croient ni à la volonté de vouloir bâtir des états démocratiques, ni à un dialogue
efficace et constructif avec ces partis. Certains font revivre d’anciennes images
d’ennemis des islamistes, tout en esquissant des scénarios de menace, et en rappelant
les argumentations des années de la « guerre contre le terrorisme » après le
11 septembre 2001. D’autres pensent qu’il faudrait avant tout soutenir les forces
libérales. Puis, il y a ceux qui pensent qu’il faut avant tout respecter la volonté des
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électeurs et des citoyens tunisiens et égyptiens – et donc les gouvernements
démocratiquement élus.
Mais en réalité nous observons surtout un certain désarroi en Europe, notamment face
aux situations de guerre civile en Syrie et en Libye, face aux nouveaux phénomènes de
violence politique en Tunisie, et face aux incertitudes sur l’avenir à court, à moyen et à
long terme de la région entière. On se pose la question qui seront-ils les nouveaux
interlocuteurs pour les années à venir. Et on constate, que finalement - bien que les
opinions publiques en Europe commencent à différencier plus sur le spectre de l’islam
politique (entre islamistes, salafistes, djihadistes, violents, non-violents…) et à
reconnaître que la démocratie et l’islam sont bien compatibles - que les connaissances
sur les nouveaux acteurs islamistes restent malgré tout assez limitées: Quels sont leurs
objectifs politiques ? Qui est « modéré », et qui ne l’est pas ? Existe-t-il un « islamisme
modéré », pragmatique et compatible avec le système parlementaire ? Qui est fiable
ou bien qui mène un double langage ?
Ainsi les opinions publiques européennes aussi bien que les décideurs politiques ont
poursuivi avec un grand intérêt les débats et les processus d’adoption des nouvelles
constitutions en Tunisie et en Egypte. Notamment la question de la place de la loi
islamique dans les nouveaux textes des constitutions a été dans le centre de l’intérêt,
mais aussi bien la place des libertés politiques et civiques. Mais nous observons aussi
un certain scepticisme et des craintes en Europe par rapport aux compétences des
acteurs islamistes, notamment en matière de politique économique et financière.
Ainsi, on se pose la question s’ils réunissent les compétences nécessaires pour prendre
les bonnes décisions économiques pressantes. Au premier regard, vue de l’Europe, les
nouveaux responsables islamistes n’ont pas mis en œuvre des réformes économiques
substantielles afin de répondre aux défis socio-économiques urgents ni en Egypte, ni
en Tunisie. Mais il est vrai aussi, que le temps au pouvoir d’Ennahda en Tunisie, et des
Frères musulmans en Egypte était finalement assez court, et qu’on n’en pouvait pas
attendre des solutions miracles en si peu de temps.
Les réactions de l’Union européenne au « printemps arabe »
Les objectifs centraux de l’Union Européenne (UE) restent toujours les mêmes : un
voisinage stable, la paix et la prospérité dans l’espace méditerranéen, des
interlocuteurs fiables, le respect de l’état de droit et des droits de l’homme, un
développement durable, le combat contre la corruption, des relations économiques et
commerciales stables et intenses, et une coopération intensifiée en matière de
sécurité, de migration et de société civile.
Afin de contribuer à la réalisation de ces objectifs, l’UE a proposé depuis 2011 tout un
éventail d’anciens et quelques nouveaux instruments et programmes surtout dans le
cadre de la Politique Européenne de Voisinage (PEV), que ce soit : le « Partenariat pour
la démocratie et la prospérité partagée », la « Nouvelle réponse au voisinage en
mutation », les fameux trois « M » (Money, Markets and Mobility), la conditionnalité
positive, la création d’un « Fonds Européen pour la Démocratie (FEDEM) », la facilité
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de voisinage pour la société civile pour la promotion de la société civile, le
développement des « Accords de libre-échange complet et approfondi (Aleca) », pour
le développement d’une économie et une croissance durables, les « partenariats de
mobilité », la création d’un poste d’Envoyé Spécial pour la Méditerranée du Sud, etc.
De plus, l’UE et les Etats membres ont débloqué des sommes financières importantes
pour soutenir les processus de transition, notamment en Tunisie et en Egypte - et ceci
malgré le fait que l’Europe même se trouve en crise financière. Mais, finalement on
peut aussi constater que ces réactions de l’UE ont été plutôt techniques et
pragmatiques, et qu’il manque une vision politique ou bien une réflexion stratégique
sur une politique étrangère commune à suivre dans le moyen et long terme. D’ailleurs
dans les programmes et instruments nommés, l’islam politique ne joue pas de rôle
significatif, voire n’est pas explicitement nommé. Le manque d’approche politique
commune s’explique en partie par la crise interne de l’UE en matière d’intégration
européenne, par la crise financière et économique, notamment dans les Etats
membres du Sud de l’Europe, mais aussi en raison de l’hétérogénéisation des
situations de transition et de conflits et des divergences croissantes entre les intérêts
des Etats membres.
Tous ces facteurs et bien d’autres font que l’Europe se retrouve dans une phase
d’attentisme. Etant donné que la situation politique au Sud et à l’Est de la
Méditerranée change toujours plus rapidement depuis 2011, et que le nombre de
gouvernements de transition est assez important (que ce soit en Egypte, en Tunisie, ou
en Libye), et étant donné le fait que personne ne sait vraiment dans quelle direction la
situation va évoluer, l’UE reste donc attentive et réactive, et non pas proactive. Bien
qu’il ne soit pas le moment de formuler une nouvelle stratégie compréhensive pour
l’espace méditerranéen, il est pourtant crucial pour l’UE de se positionner clairement
en tant qu’acteur international dans certaines questions, comme p.ex. Face à la guerre
civile en Syrie et de continuer sa contribution à ce qu’une résolution du conflit soit
trouvée. Mais il est vrai aussi, que l’attention des décideurs européens s’est
actuellement tournée vers la crise en Ukraine, et aussi en partie envers les prochaines
élections du Parlement européen en mai 2014.
Perspectives
Jusqu’à ce jour, l’UE n’a pas trouvé une réponse stratégique commune pour répondre
aux bouleversements dans son voisinage au Sud et à l’Est de la Méditerranée.
Néanmoins, l’UE ne peut pas se contenter d’une simple réponse technique face à un
voisinage en mutation profonde, de plus en plus fragmenté, multipolaire et
hétérogène. L’Europe est en train d’apprendre à réagir d’une manière plus flexible,
plus rapide, moins institutionnelle, plus adaptée aux données et aux situations locales,
selon pays, selon les différents groupes ou mouvements sociaux. Ainsi la création de
stratégies rapides et cohérentes en moment de crise est devenue un défi courant.
Une des craintes majeures de l’Europe reste la déstabilisation profonde de la région du
Sahel, et la propagation d’islamistes radicaux de la Syrie, de la Libye, en passant par le
sud de l’Algérie jusqu'au Mali. Mais en dehors d’une réponse stratégique et de sécurité
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aux réseaux d’extrémistes, l’UE a également besoin de trouver une réponse politique à
la situation difficile en Libye, à continuer à soutenir les processus de réforme et de
transition en Tunisie, au Maroc, en Jordanie à moyen et long terme, à trouver des
approches adéquates aux évolutions en Egypte. De plus, il semble important de
réfléchir de nouveau sur les cadres de coopération multilatéraux et subrégionaux
existants (p.ex. Union pour la Méditerranée (UpM), le « Dialogue 5+5 »), et sur une
meilleure coordination européenne des différentes relations bilatérales des Etats
membres et pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée.
Quant à la tentative de trouver une approche commune de l’Europe face à l’islam
politique, celle-ci n’existe pas, étant donné que les positions des différents Etatsmembres de l’UE sont divergentes dans cette question. Mais il est évident que
l’Europe cherche à apprendre des leçons faites lors de l’expérience algérienne après la
victoire électorale du Front islamique du salut (FIS) en 1990/1991, ou bien à la suite du
succès électoral du Hamas en 2006. L’UE a changé son approche dans le sens qu’elle
est plus ouverte à mener un dialogue politique avec des forces politiques islamistes,
comme l’a montré la réception officielle de l’ex-président égyptien, Mohammed
Moursi ou bien de l’ex-premier Ministre, Hamadi Jebali, dans les capitales
européennes, ou bien la tentative de la Haute Représentante de l’Union pour les
affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, de jouer un rôle de
médiateur en Egypte en été 2013. En fait, l’Europe espère voir émerger des systèmes
politiques pluralistes et inclusifs dans son voisinage.
Enfin, c’est aussi dans ce sens que la nouvelle constitution tunisienne était aperçue en
Europe comme un compromis historique, et porteur d’avenir dans le sens d’un
développement de systèmes politiques permettant d’intégrer des fractions religieuses
et séculaires d’une manière démocratique et pacifique.
Isabel Schäfer, Docteur en Science Politique,
Enseignante à l’Université Humboldt de Berlin
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