HÉLÈNE GARCIA
Transcription
HÉLÈNE GARCIA
HÉLÈNE GARCIA Il y a toujours un Garcia est une œuvre singulière dans la pratique d’Hélène Garcia. Même si l’écriture occupe toujours une place importante dans le travail de l ‘artiste- par le biais de l’installation ou de l’édition -, l’oeuvre présentée pour Ut pictura poesis prend comme point de départ un élément fondateur de sa personne : son nom patronymique. L’oeuvre, qu’elle qualifie à juste titre de pièce écrite, part de son héritage sans tomber dans l’écueil de la psychologie ou du développement personnel. Son « je » est une personne anonyme qui s’inscrit dans une lignée d’homonymes atemporels. L’architecture de son texte est un arbre qui n’est pas généalogique. Chaque branche contient une potentialité de ce qui constituerait un individu : Ce que je suis, ce que je transmets, ce que je possède. Les caractéristiques objectives posées par l’artiste qui empruntent leur nom à Garcia, Saint, banque, ville, magasin, etc. semblent appartenir à une famille de rêve à la notoriété et à l’influence internationale. Néanmoins, la partie droite de son « schéma » contient des éléments plus prosaïques qui tendent à décrédibiliser cette envie de gloire. Vente de Tapis, église de la Nouvelle Vie ou glace à la cerise font esquisser un sourire moqueur : qui cherche trouve ! Il y a toujours un Garcia est une pièce qui convoque l’auto-dérision dans son contenu mais également dans sa forme. Les éléments plastiques de l’oeuvre reprennent des signes de ponctuation, point, accolades et crochets, et structurent le texte comme un schéma de données pseudologiques. Dans le même temps, ces signes façonnés par la main de l’artiste comme des bas-reliefs paraissent imiter un griffonnage de cahier d’école et s’opposent à la rectitude du texte. Ils semblent flotter et ponctuent davantage l’espace qu’ils ne relient le texte. Cette œuvre ouvre l’exposition sur une écriture non linéaire qui fonctionne davantage sur la superposition des éléments. La forme est aussi son contenu, elle joue à la fois sur la plasticité des éléments graphiques et sur l’universalisme du mot Garcia. Agnès Noël critique d’art et commissaire indépendante 2015 ENTRETIEN AVEC ARCADIA MISSA Le travail d’Hélène Garcia associe pratique artistique et activité éditoriale : le texte et le langage y jouent un rôle de premier plan. D’une part, les photographies, « pièces écrites » ou installations réalisées par Hélène Garcia témoignent d’une esthétique enracinée dans la pratique conceptuelle ; d’autre part, Manuel, la publication qu’elle a co-créé se pose comme une réponse protéiforme et généreuse à la prolifération d’images contemporaines. Nous demandons à l’artiste comment ces différentes problématiques s’agencent dans son travail, et comment choisit-elle les pièces qui intégreront son oeuvre et celles qui resteront cantonnées dans sa pratique d’éditrice. Parlez-nous de l’oeuvre que vous présentez au Centquatre. À l’occasion de Dépaysements, je présenterai une nouvelle installation, composée de quinze livres ouverts fixés au mur et d’un volume présenté sur une tablette ; permettant au spectateur d’apprécier l’ouvrage imprimé et de comprendre qu’il s’agit du seul et même livre présenté au mur mais ouvert à différentes pages. La volonté d’installer l’édition dans l’espace a été initié par un souhait d’aller dans le sens de la nature du livre. En effet généralement, lorsqu’un ouvrage est exposé c’est sous une vitrine, de sorte qu’une seule double page n’est visible et qu’on ne peut pas le parcourir, ce qui pour moi est frustrant, car c’est aller contre la nature du livre lui-même. Quelle est l’importance du langage et de son esthétique, pour communiquer les éléments conceptuels de votre travail ? Les particularités du langage tiennent une place très importante dans ma pratique. Je suis fascinée par les expressions,leurs significations et leurs emplois. La pratique de l’argot comme le Cockney Rhyming Slang (argot de l’East London) ou l’utilisation des mots invariables ont été des sujets récurrents dans ma pratique. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Manuel, et sur la manière dont cette publication s’intègre dans l’ensemble de votre travail ? Manuel (Publication) est un projet commun, initié avec d’autres plasticiens sous la forme d’un collectif. Nous voulions, au départ, créer une émulation créative autour de l’ouvrage papier. Manuel est une plateforme itinérante, elle associe une ville française et une ville étrangère à chaque numéro qu’elle publie. Ce protocole permet de créer des échanges entres entre différents lieux et acteurs de la création contemporaine. Traité à la fois sous la forme éditoriale : Manuel Fanzine et sous la forme de manifestations (workshops, expositions, résidences...) orchestrées par le collectif Manuel. De quoi parle Wooden Brief - text pieces - (2011) ? J’ai initié le genre des pièces écrites avec Micro-vérité. Il s’agissait d’un recueil de textes courts (de la poésie, d’une certaine manière) utilisant principalement les mots invariables, spécificité de la Grammaire française. Lors de mon échange à Londres, j’ai cherché des spécificités du langage anglais et ai découvert le Cockney Rhyming Slang. La rédaction de ces pièces écrites (utilisant cet argot) a prit la forme d’un catalogue d’exposition factice où le spectateur au fil des pages «se déplace» dans un white cube fictif en découvrant les textes inscrit sur les murs. Je suis intrigué par votre description du livre comme un objet qu’on ne peut regarder sans toucher : c’est vraiment intéressant, quand on pense aux nouvelles technologies d’objets de communication comme les smartphones, les tablettes tactiles. J’aurais bien voulu en entendre davantage sur le lien dans votre oeuvre entre la perception visuelle et l’interaction. J’essaye, autant que possible, d’intégrer mes pièces dans l’espace où je les expose, c’est une façon d’interagir avec l’environnement et le spectateur. Par essence, le livre est une chose physique – et ayant choisi de consacrer une partie de mes recherches à cet objet, j’essaye de le présenter sans le dénaturer. Pour prolonger la question de la «mise en espace», la manière dont vous présenter votre travail tient une place importante. Cela est-il lié à la manière dont vous construisez vos photographies, ou s’agit-il d’autre chose ? Cette question se pose-t-elle lors de la production et la distribution de Manuel ? Dans la mesure où la photographie a son propre espace (le cadre photographique), j’essaye de jouer avec celuici pour provoquer une perte d’échelle (Handle with care), parfois perceptible dans son rapport à l’arrièreplan (Passage Lathuille). En ce qui concerne Manuel, pour chaque lancement nous essayons de construire une manière de présenter l’ouvrage en rapport avec le thème du numéro. Pour nous, il est aussi important de réaliser un objet papier pertinent, que de construire un cadre adéquat pour le présenter au public. Rozsa Farkas & Tom Clark artist-run space - www.arcadiamissa.com 2013 Hélène Garcia cherche à faire se rencontrer l’espace du livre et celui de l’exposition, au-delà même de l’esthétique du livre d’artiste qu’elle s’emploie à ouvrir davantage, décloisonnant les catégories. Il s’agit donc de créer des « mises en espace d’édition », afin de tenter de donner à l’édition d’artiste un statut équivalent à celui d’une peinture ou d’une sculpture. Le texte devient matière première d’une œuvre considérée dans sa dimension plastique. D’une micro-vérité à l’autre, tel est le titre d’une installation dévoilée lors du diplôme : il s’agit en effet de saisir le double sens des mots, de sentir le poids d’un signe graphique, noir, sur la page blanche. Le spectateur est obligé de s’approcher, porter une attention particulière au texte, prendre le temps de réfléchir à l’insaisissable. Que le texte soit anamorphosé ou inscrit « en négatif » sur la vitrine qui lui donne un caractère précieux, il dialogue, par un subtile jeu d’échelles, avec celui qui le regarde et le découvre par la lecture. C’est le sens de la découverte poétique qui est en jeu. Un simple exemple, faisant penser à l’écriture silencieuse de Maurice Blanchot ou encore à celle de Mallarmé, donne toute la portée du poème à l’œuvre : « Parce que l’ailleurs / Loin devant / Tant pis pour dedans / Dehors : volontiers meilleur ». La lecture demande un arrêt, demande une réorientation du «regard vers des contre-sens poétiques » : « Sans soudain, / Jamais d’aussitôt / Aussitôt dit, bientôt fait / Avec autant de bientôt / Jamais demain de sitôt ». Léa Bismuth critique d’art et commissaire indépendante 2012