SAINT-DOMINGUE

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SAINT-DOMINGUE
SAINT-DOMINGUE
un certain regard
Ce livre a été publié avec le concours de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et l'Association des parents d'élèves du
lycée français de Saint-Domingue, République Dominicaine.
Lycée Français de Saint Domingue
Rafael Damiron esquina Jiménez Maya,
Centra de los Héroes, La Feria
Santo Domingo, Republica Dominicana
Boîte Postale: 780
Téléphone: (1) (809) 533 - 33 38/17 54
Fax: (1) (809) 535 - 88 14
E-mail: [email protected]
REMERCIEMENTS
POUR AUTORISATION
DE REPRODUCTION
Elsa Nunez, pour ses tableaux, les auteurs de chansons, pour la traduction de leurs
textes et les professeurs et élèves, pour leurs photos.
CONCEPTION
Elèves
DU LIVRE
de la classe
de 3'm'
COORDINATION
DU PROJET
Claudine Lebreton / Professeur
de Lettres
ENCADREMENT
Ateliers d'écriture: Lyne Sallée - Jacques Véniel - Claudine Lebreton
Histoire - géographie: Daniel Pierre - Jacques Véniel
Excursions - interviews photos: Jacques Véniel- Josyane Vicini
Traductions: Terminale ES (spécialité espagnol)
sous la tutelle de Claudia Hureau
Saisie des textes: Marie Massot - Abel Robineau
Scanner: Thierry Bettale
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CONCEPTION
GRAPHIQUE
Carlos Rodriguez
Alvarez
CARTES
Internet
ET MISE EN PAGE
SAINT-DOMINGUE
un certain regard
Lycée Français de Saint Domingue
L'Harmattan
5-7, rue de l'Ecole Polytechnique
75005 Paris - FRANCE
L'Harmattan Ine
55, rue Saint-Jacques
Montréal (Qc) - Canada H2Y IK9
@ L'Harmattan, 2000
ISBN: 2-7384-9136-7
Au seuil des
Amériques
Je suis un homme heureux
Fernandito Villalona
Paroles de Franklin Garcia
Esprit dominicain: toujours content
Je viens d'un endroit qui se trouve très loin
Où gronde la mer, où il n y a pas de complexes
Où tout le monde désire
Où tout le monde aime
Et où on ne perd jamais son calme.
Cela fait longtemps que je chante à mon peuple
Et arrivé dans la ville ils m'ont tous aimé
Je remercie la vie pour ce privilège
Je remercie mes parents qui m'ont conçu.
Je suis un homme heureux
De ['amour j'en ai en trop
Je suis un homme chanceux
J'ai ce que je veux.
Grâce à la vie, à travers le monde
Je porte mes chansons, ce que j'aime le plus au monde
Peu importent les langues, peu importent les couleurs
C'est un chant de mon âme à vos cœurs.
Jaune soleil, bleu océan
I
l est cinq heures de l'après-midi quand nous échappons à la
cohue étouffante de l'aéroport.
Sous les rayons du soleil couchant, la mer scintille de mille
feux et prend des teintes bleu violacé. Nous empruntons un
échangeur flambant neuf et nous retrouvons rapidement sur l'autoroute Las Americas en cours de reconstruction.
Le péage lui aussi a été récemment modernisé, nous dit
notre chauffeur. En effet, le long de l'autoroute, les nombreux
panneaux de propagande du ministère des Travaux publics
témoignent de la politique de grands travaux entreprise par le
gouvernement actuel. Dans le minibus, la musique devient
assourdissante ; une bachata, chanson d'amertume sur des peines
d'amour, fait résonner son refrain nostalgique au rythme des sons
aigus et répétitifs de la guitare.
L'autoroute longe la mer à travers une cocoteraie qui a été
sérieusement endommagée par le cyclone Georges. Des vagues
puissantes viennent s'écraser contre les rochers escarpés du plateau
corallien et s'engouffrent dans des grottes de la falaise pour ressortir violemment par des cheminées karstiques sous forme de jets
d'écume qui balaient l'asphalte glissant.
Après avoir dépassé 1'hippodrome po Centenario* qui étend
ses infrastructures modernes au sein d'une nature semi-aride, couverte d'une garrigue peu hospitalière, nous nous arrêtons pour nous
*
VIOCentenario
: cinquième
centenaire
de la découverte
du continent
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désaltérer à un de ces nombreux colmados ou épiceries locales.
Nous ne nous attardons pas dans le petit local populaire devant
lequel stationnent de nombreuses motos-taxis. Une fois avalé notre
merenrock, soda aux différents arômes tropicaux, nous quittons
l'autoroute pour rejoindre l'avenue d'Espagne, construite elle aussi
en bordure de mer. De temps à autre, nous apercevons des silhouettes de pêcheurs en équilibre instable sur les rochers pointus. Des
promeneurs flânent sur les sentiers qui longent la mer, d'autres sont
accoudés aux buvettes de fortune installées aux alentours de
l'Aquarium national. Des couples flirtent discrètement, assis sur des
troncs d'arbres abattus par les tempêtes. Nous passons devant
l'aquarium et sentons, aussi bien par le changement des infrastructures que par le flux grandissant de personnes, que nous approchons
de la ville.
Au loin, à notre droite, apparaît soudain un immense mausolée cruciforme en béton. Le chauffeur nous explique que c'est le
phare élevé en 1992 à la mémoire de Christophe Colomb. La nuit,
ce phare projette dans le ciel un rayon laser qui dessine une croix
visible, dit-on, de Panama. A l'intérieur, un tombeau en marbre de
Carrare abriterait une partie des restes du célébre amiral. Ce monument solitaire qui dresse sa carcasse grise à I'horizon semble
bien incarner la Mort, toujours aux aguets des grandes ambitions.
Avant de franchir le pont Mella qui enjambe de sa voûte métallique
le fleuve Ozama, nous apercevons un autre monument symbolique
lui aussi d'un temps presque révolu: "Le monument de la canne".
Cette sculpture en bronze représente une charrette remplie de
canne à sucre tirée par des bœufs et accompagnée de travailleurs en
pleine récolte. Le bronze luisant laisse suinter la sueur de siècles
d'esclavage.
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Ralenti par les travaux de réparation du pont, notre minibus
arrive enfin aux portes de la ville. Tout autour de nous, zigzaguent
des vagues de motos pétaradantes et des véhicules jouant du klaxon
comme d'une trompette. Le tout est agrémenté d'une musique
atteignant des niveaux de sonorité inquiétants. L'ensemble produit
une cacophonie étourdissante. Malgré le déclin du soleil à l'horizon, la chaleur d'étuve environnante est toujours aussi pesante et
nous sentons de grosses gouttes de sueur perler à notre front.
Le pont surplombe à gauche le quartier colonial avec
l'Alcazar, les Casas Reales et la Forteresse Ozama. Ces murs, cinq
fois centenaires et témoins «vivants»
de l'histoire de SaintDomingue, se teintent, à cette heure, de toutes les nuances de rouge,
jaune, orange et ocre.
A nos pieds, se déroule la longue Avenue du Port, lieu de rencontre et de fête du samedi soir. En face, le port de Sans Souci abrite
d'immenses bateaux de croisière aux côtés desquels somnolent de
petits rafiots, croulants sous la rouille. Une centrale électrique, la
Estrella dei Sur, construite sur l'eau, dégage une fumée blanche qui
empeste le fuel. Cent mètres plus loin, la première centrale thermique de la ville, construite sous le régime du dictateur Trujillo,
arbore quatre cheminées en briques coiffées de nuages de fumée
grisâtre et crasseuse. L'odeur nauséabonde produite par cette centrale emplit nos narines et envahit l'atmosphère climatisée du
minibus.
Sur la droite, le fleuve jonché de détritus est envahi par les
jacinthes d'eau. De vastes flaques de graisse flottent sur l'eau et de
petites îles de végétations sont charriées vers la mer par un faible
courant. Divers ponts métalliques, portant les noms des Pères de la
Patrie, franchissent le fleuve. Les derniers rayons solaires viennent
s'écraser sur les toits en zinc des bidonvilles qui prolifèrent le long
des rives de l'Ozama, entre morceaux de jungle inextricable, bouches d'égout et dépotoirs divers.
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Nous sommes fatigués, le décalage horaire commence à faire
peser nos paupières et nous avons faim. Quelle torture!
Cependant, tout se fait très vite: nous arrivons au lycée français
situé à la Feria, quartier administratif de la capitale. Là, nous
sommes immédiatement répartis dans nos familles d'accueil où
nous pensons séjourner deux mois pour perfectionner notre espagnol. Chacun de nous en effet a décidé de vivre dans un quartier
différent. Sarah qui est une passionnée d'histoire sera hébergée
dans la vieille ville; Nicolas, un pantouflard incorrigible, dans une
tour grand standing. Quant à moi, j'irai découvrir un des quartiers
po-pulaires de la partie haute de la ville. Ainsi pourrons-nous
mieux partager nos expériences au retour.
Marc Tareau et Rainer
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Morel / 3ème
La sphère des nations
a Feria est un quartier construit sous la dictature de Trujillo
pour accueillir la Foire de la Paix et de la Confraternité du
"Monde Libre". Inaugurée en 1955 pour fêter les 25 ans du
régime, la Feria abrite divers édifices qui jouent un rôle important
dans la vie du pays, comme le Congrès, la mairie, les ministères de
la Justice, de l'Agriculture et du Travail.
L
L'inauguration de cette Foire et du quartier donna lieu à des
célébrations fastueuses au théâtre Agua y Luz. Le spectacle présenté par le Lido de Paris fut joué tous les soirs pendant quinze jours,
à raison de cinquante mille dollars la soirée.
Ce théâtre, conçu par l'architecte espagnol qui réalisa le
théâtre de Barcelone, devint un des endroits les plus chics du pays
car la haute société y côtoyait de grands artistes étrangers (Danielle
Darieux, Jean-Pierre Aumont), tout en jouissant du casino, d'un
restaurant luxueux et d'un night-club.
Cependant, après la mort de Trujillo, de nombreux bâtiments
furent fermés, et la zone est tombée dans un réel abandon.
Aujourd'hui des détritus jonchent les trottoirs. Les rues, mal
éclairées, sont dangereuses la nuit car elles sont fréquentées par
drogués et prostituées. Les édifices se dégradent rapidement à cause
de la pluie et perdent leurs plaques de marbre.
Mais le gouvernement s'est rendu compte du niveau de détérioration du quartier et a entamé des actions pour assainir la zone. Il
a fait construire la Loterie Nationale et la Poste. La Cour Suprême
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de Justice et des bureaux de douane et d'immigration sont en cours
de construction.
La Feria est aussi un lieu qui commémore la mémoire des
opposants de Trujillo morts sous son régime. Les monuments honorant ces personnages historiques se situent au "Centre des
Héros", vaste place dessinée autour d'un gigantesque globe terrestre, la Bolita dei mundo (La sphère des nations). Le "Monument
aux Victimes de la Dictature" est une énorme sculpture construite
en l'honneur des combattants de divers pays qui moururent pendant
l'expédition de Constanza-Maimon du 14 juin 1959. Les 42 membres de cette petite invasion voulaient sauver le pays en renversant
Trujillo. Hélas, ils ne purent dépasser le lieu de leur atterrissage et
périrent sous les balles des militaires du dictateur. C'est pour cela
que leur souvenir est commémoré chaque année par leur famille,
leurs amis et les associations d'anciens "antitrujillistes".
La Feria est un quartier qui a eu un passé glorieux sous la dictature. Elle garde encore un certain charme désuet. Son avenir, pris
en main par le gouvernement, lui redonnera peut-être tout son éclat
d'antan.
Rainer
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Morel / 3ème
La ville
MOD pays
(dialogue entre un optimiste et un pessimiste)
- extrait
Toque Profundo
Je vis dans un pays plein de
beauté
Et de saleté
Avec de jolies cocoteraies
Et un quartier plein de prostituées
Les soirées sur le Malecon*
Au rythme d'une bouteille de
rhum
Les dimanches avec ma grandmère
Qui, elle, ne pense qu'à son loto
C'est une belle cité
Même s'il n'y a pas d'électricité
Nous avons une mer bleue
Et une dette éternelle dans les
coffres
Il y pousse le meilleur café
Et nous les pauvres, nous
déplaçons à pied
Mais buvons notre petit café!
Je ne veux pas partir maintenant
Moi, je pars en barque à Porto
Rico
C'est une belle cité
Même s'il n'y a pas d'électricité
* Malécon : avenue au bord de la mer.
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Des pierres
chargées
d'histoire...
Sur les traces de Francis
Drake. .. Lettre de Sarah
Saint Domingue, le 12 octobre 1999
Salut Isabelle,
epuis deux jours déjà, je suis à Saint-Domingue. C'est une
ville vivante, gaie... même si pour l'instant je ne connais
réellement que le quartier où j 'habite: le quartier colonial.
C'est le cœur historique de la ville. Les maisons sont en pierres calcaires de couleur ocre qui donnent au quartier un air... comment
dirais-je ?... imposant et majestueux. Dans chaque église et chaque
demeure, l'odeur humide de la pierre nous rappelle les Taïnos*, les
Espagnols ou les pirates... mais aussi le sang versé... sang où se
sont mêlées les souffrances des Indiens, des Africains, des
Européens... au cours des nombreuses batailles qui eurent lieu ici,
entre ces mêmes pierres que je contemple aujourd'hui... En effet les
anciens habitants de cette île ont vécu avec tant de passion, ont laissé tellement d'empreintes de leur vie dans l'architecture et entre les
dalles des constructions coloniales que l'on peut encore sentir leur
présence. A en croire Lalita, la cuisinière des Garcia, on peut
apercevoir l'ombre des pirates, les soirs de pleine lune et il est aussi
possible de communiquer avec leurs esprits. Mais Lalita passe son
temps à inventer des histoires à dormir debout que nous ne croyons
qu'à moitié, tous sauf M. Garcia. Bien qu'il soit souvent absent et
absorbé par son travail, il s'assoit tous les soirs à la même heure,
dans sa mecedora* avec Lalita, pour écouter ses histoires. D'après
D
* Taïnos : indiens qui peuplaient l'île avant l'arrivée des Espagnols.
* Mecedora : chaise à bascule.
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les quelques informations que j'ai pu tirer de Carlos, le fils aîné,
M.Garcia est un historien très célèbre qui a acheté cette maison il y
a vingt ans, avant même de connaître Mme Garcia. Ensemble, ils
ont consacré une dizaine d'années à la restaurer car ils n'ont utilisé
que des matériaux d'époque souvent difficiles à trouver localement.
Aujourd'hui, la maison est entièrement rénovée (bien des parties de
la maison datent de 1577).
La porte cochère pèse presque 500 kilos. C'est un énorme
portail qui s'ouvre en deux battants où sont encastrées une porte et
une fenêtre plus petites. Je suppose qu'à l'époque les Espagnols
entraient avec leurs chevaux dans la cour intérieure. Les murs, très
épais, sont en briques rouges et en mortier. L'accés au patio
intérieur est assuré par quatre arcs magnifiques, en briques eux
aussi. Cet espace donne beaucoup de vie à la maison qui serait assez
sombre s'il n'existait pas. Il est ombragé par quelques palmiers sous
lesquels un hamac et quelques chaises en fer blanc invitent à de
longues causeries après la sieste. Au fond du jardin, derrière le
puits, un agréable petit renfoncement sert de "coin lecture". La
chambre de Carlos (celle oùje dors) possède un balcon donnant sur
la cour d'où pendent des orchidées en fleurs. Le sol de la maison est
couvert d'un carrelage écarlate, très frais malgré la chaleur
ambiante. Une autre chose qui me surprend est le calme qui règne
dans la demeure Garcia. Pourtant la rue voisine est très bruyante. Je
t'ai déjà parlé de l'épaisseur des murs, mais c'est la maison tout
entière qui est immense: elle s'étend sur plus de six cents mètres
carrés! Et chaque recoin, chaque salon, chaque salle de bains ou
chambre à coucher sont décorés avec un goût exquis, dans le style
colonial, si propre aux Garcia. C'est aussi une maison très spéciale.
Elle appartenait au secrétaire de Diego Colomb (au cas où tes connaissances historiques seraient aussi nulles que les miennes avant
mon arrivée, je te rappelle que Diego est le fils de Christophe
Colomb) et d'après M. Garcia, l'actuelle salle à manger était autrefois le bureau où les marchandises à envoyer en Espagne étaient
pesées et empaquetées avant d'être embarquées dans le port tout
proche. C'est génial... tu ne trouves pas? Il paraît aussi que dans le
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