Minéralité - La Chablisienne
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Minéralité - La Chablisienne
Ominéralité(s)P petit chablis • chablis • chablis 1er cru • chablis grand cru • château grenouilles Quelqu’un aurait-il jeté des cailloux dans le vin ? Depuis quelques années, la minéralité s’est immiscée dans le vocabulaire des sommeliers et des œnophiles. Avec elle, des arômes tout droit sortis de la roche et un goût jusque-là enfoui dans le terroir ont refait surface, avant de se répandre dans les caves et les esprits. Étrange minéralité. Derrière ce néologisme aux contours flous, se cacheraient des sensations à la fois olfactives, sapides et tactiles. Des sensations que l’on peut débusquer au détour d’une dégustation de Chablis, l’archétype du vin minéral. 2 | www.chablisienne.com L’ affaire fait grand bruit dans le petit monde des œnologues et des passionnés de vin. Depuis les années 1970, les dégustateurs du monde entier pensaient s’être entendus pour parler la même langue : à chacun sa perception, mais à tous, un vocabulaire commun, universel et précis pour décrire un arôme ou un bouquet. L’œnologie avait même fini par dompter certaines sensations récalcitrantes par des formules chimiques de polyphénols, d’aldéhydes ou d’esters. Et puis, sans que personne ne sache précisément ni quand, ni comment, un mot mystérieux a fait irruption dans ce lexique bien ordonné, une sorte de nébuleuse, dont nul, jusqu’à présent, n’est parvenu à fixer les frontières : la minéralité. Tension et énergie Le mot n’apparaît dans aucun des plus anciens grimoires du vin. Quel sens alors donner à ce mot qui n’existe pas ? Et où faut-il chercher cette minéralité pour espérer la dénicher ? Certains pensent l’avoir entraperçue dans quelques vins rouges. Ils cherchent toujours… Car, c’est plutôt du côté des blancs que les indices sont les plus nombreux. Les meilleurs sommeliers, en fins limiers, ont retrouvé sa trace en remontant la Loire puis en bifurquant vers la Bourgogne et 4 | www.chablisienne.com l’Alsace. Ils l’ont traquée dans un Muscadet, un Sancerre, un Chablis ou un Riesling. Mais la chose ne se laisse pas si facilement découvrir. Il faut un examen minutieux pour identifier les premiers arômes : ceux de silex, de pierre à fusil, de craie, de mine de crayon… Certains y décèlent de la terre et quelques notes de pétrole ; d’autres des coquillages et de l’iode. Et puis, il y a cette sensation étrange : celle de “sucer un caillou”. Damien Leclerc, directeur général de La Chablisienne nous entraîne plus loin encore pour décrire ces impressions diffuses : pour lui “les premières grosses gouttes de pluie qui surviennent juste avant un orage lors d’une journée chaude et sèche expriment à merveille ce qu’est la minéralité”. Il y a une soudaine fraîcheur qui envahit l’atmosphère en même temps qu’une tension qui s’installe dans l’air. Une énergie, peut-être tellurique. “La minéralité renvoie alors aussi à une certaine forme de pureté, à une vision cristalline du vin”, poursuit Damien Leclerc. misère. Et avant même que les œnophiles lui aient trouvé un sens, elle l’a déjà perdu à force d’être galvaudée. Des huîtres qui font des étincelles Un terme galvaudé Ce monde minéral, pur et dur, se devine petit à petit. Il est subtil et réservé ; ne se dévoile pas à la première gorgée. Ce sont ces vins, complexes, que le mot “minéralité” tente de décrire. Parfois maladroitement et toujours de façon subjective et abstraite. À tel point, que les pistes finissent par se brouiller. Dans un conte de Perrault, les cailloux permettent à des enfants de retrouver leur chemin ; dans le monde du vin, ces mêmes cailloux se jouent des dégustateurs pour finir par les égarer. Car, de la minéralité, on en retrouve désormais partout. Le concept est moderne, très “tendance”. “Il y a quelque temps, les consommateurs voulaient des vins pleins, puissants, aux notes beurrées presque entêtantes. Aujourd’hui, ils recherchent des vins plus aériens, plus dynamiques”, explique Damien Leclerc. Et comme le consommateur a toujours raison, s’il veut ces vins-là, vignerons et cavistes vont se charger de les lui servir, bien frais. Certains, peu scrupuleux, vont même trouver de la minéralité là où il n’y en a pas. Ainsi, nombre de vins, trop acides, avec un raisin qui n’est pas arrivé à maturité, vont (trop) rapidement être estampillés “minéral”. Autant dire que la minéralité a bon dos : elle sert maintenant de cache- Pourtant rares sont ceux qui prétendent qu’elle n’existe pas. Et rares sont ceux qui ne l’ont pas ressentie en buvant un Riesling ou un Chablis. La minéralité est un néologisme récent, mais elle a toujours plané au-dessus de certains vignobles… À Chablis, avant que le mot ne soit inventé, on parlait déjà de “goût de pierre à fusil”. En fait, il s’agit plutôt d’une odeur : celle que dégageaient les mousquets des fantassins du XVIIe siècle, lorsque les deux silex du mécanisme de mise à feu s’entrechoquaient. L’odeur est restée dans les mémoires… Quant aux silex, inutile de les chercher dans le sol de Chablis : il n’y en a jamais eu. Ce sont des huîtres que l’on découvre en grattant entre les rangs de vignes. Plus exactement des fossiles d’huître, que les géologues ont baptisé Exogyra Virgula. En quoi ces bivalves peuvent-ils nous conduire jusqu’à la minéralité ? Et comment sont-ils parvenus en Bourgogne, à plusieurs centaines de kilomètres de la mer ? Damien Leclerc a comparé deux vins, en se concentrant sur leur minéralité : un Riesling 1998 d’un excellent vigneron et un Chablis Premier Cru Vaulorent 2002 (La Chablisienne). “Pour le Riesling dégusté, explique-t-il, la minéralité s’exprime à travers des arômes de pierre à fusil avec quelques nuances d’hydrocarbures. Le vin apparaît racé, tendu. C’est une minéralité assez froide, transversale au vin, très “caillasse”, très terroir, tournée vers le sol et ses racines. “ À Chablis, avant que le mot ne soit inventé, on parlait déjà de goût de pierre à fusil ” 5 Au contraire, le Vaulorent 2002 présente une dynamique ascendante avec une minéralité plus aérienne, presque “embrun” qui lui donne beaucoup d’énergie. Elle est très iodée et elle s’exprime surtout en bouche avec une sensation presque salée qui rend la fin de bouche très salivante.” Deux vins, deux minéralités, deux cépages et deux sols différents. Le Riesling se déploie sur des grès, schistes, granits, marnes, calcaires et même des roches volcaniques. Le terrain de jeu du Chablis, c’est le fameux sol kimméridgien. Un sol qui s’est formé au Jurassique supérieur, il y a quelque 150 millions d’années, à une époque où la France était submergée par une mer tropicale. Chablis avait alors des airs de lagon : une belle carte postale, où quelques dinosaures posaient pour la photo, éparpillés sur les rares terres émergées et quelques chapelets d’îlots. C’est dans ces eaux peu profondes que les huîtres Exogyra virgula et d’autres mollusques ont bâti de véritables récifs qui ont formé un étage géologique bien particulier : celui du Kimméridgien. Une roche calcaire mêlée à des argiles est ainsi née, qui, après le retrait de la mer, s’est altérée pour donner naissance, en surface, à de la terre. Et c’est dans cette terre, au XIIe siècle, que des moines cisterciens ont planté de la vigne, plus précisément un cépage originaire de Bourgogne : le Chardonnay. Collemboles et vers de terre Aujourd’hui, beaucoup, en se penchant sur un verre de Chablis, de Riesling ou même de Champagne, voudraient y voir le reflet du terroir. Mais quel lien y a-t-il vraiment entre le sol et le vin ? Et quel rôle jouent les minéraux qui composent la roche ? Le Chardonnay est le cépage blanc le plus cultivé au monde. Des États-Unis à l’Australie, en passant par le Chili et l’Afrique du Sud, on le retrouve partout. Pourtant, tous les Chardonnays ne font pas des vins minéraux. Et la minéralité n’est pas le propre de ce cépage. Les vignerons chablisiens en sont convaincus, qui affirment haut et fort que leur vin a “le goût de ses origines”, avant d’ajouter que “le Chardonnay s’exprime à merveille sur les marnes calcaires du Kimméridgien”. D’ailleurs, comment expliquer autrement que par la roche, cette particularité minérale des Chablis ? Cépages et techniques de vinification peuvent être copiés aux quatre coins du globe, jamais le résultat ne sera le même qu’à Chablis… Mais le monde minéral est, par nature, inerte. Entre la roche et la vigne, il faut donc d’abord chercher dans la terre. “ D’ailleurs, comment expliquer autrement que par la roche, cette particularité minérale des Chablis ? ” 6 | www.chablisienne.com En creusant un peu dans un sol préservé, ce sont plusieurs milliers de micro-organismes que l’on découvre dans chaque gramme de terre : bactéries, champignons, acariens, cloportes et, une taille au-dessus, vers de terre, se partagent le terrain. Les scientifiques avouent n’avoir pas recensé la moitié de ces espèces souterraines. Mais ils se sont toutefois aperçus qu’elles n’étaient pas les mêmes selon le type de roche qui se trouvait en dessous. Certaines de ces espèces seraient même endémiques à un sol et à une région. La vie qui grouille sous nos pieds n’est donc pas tout à fait la même en Alsace et en Bourgogne. Acariens, cloportes et autres collemboles pourraient-ils alors changer l’expression d’un vin ? Le mariage du minéral et de l’organique Les vignerons n’arpentent pas leurs parcelles un microscope à la main. Pourtant ils savent qu’ils ne sont pas seuls à travailler la terre. Ils devinent le labeur acharné de ces milliards d’organismes, indispensables au développement de la vigne. C’est en effet l’action combinée de cette microflore et de cette microfaune qui va apporter à la plante les minéraux dont elle a besoin. Le mécanisme est d’ailleurs bien rôdé : par sa photosynthèse, la vigne produit du sucre, dont une partie est envoyée dans ses racines pour “nourrir” des bactéries ; ces bactéries, en secrétant de l’acide, vont ensuite attaquer la roche et en extraire des minéraux (phosphore, magnésium, fer, iode…). Commence alors un rapprochement inespéré entre le monde minéral et le monde organique. Silicium, aluminium et humus (le fruit de la décomposition de la matière organique), sont assemblés par cette armée lilliputienne, où chaque espèce connaît sa partition. Il en résulte un complexe argilo-humique qui n’a pas fini d’émerveiller les biologistes. La “chose” a, c’est vrai, de quoi intriguer : elle se comporte comme un aimant attirant à elle, par “ Le Chardonnay s’exprime à merveille sur les marnes calcaires du Kimméridgien ” des échanges d’électrons, les minéraux extraits par les bactéries, sous forme d’ions. Ces complexes argilo-humiques vont ainsi constituer de véritables “garde-manger” pour la vigne : un stock de minéraux ouvert 24 heures/24, dans lequel elle n’a plus qu’à puiser. La nature a donc, une fois de plus, bien fait les choses. Mais pas simplement, loin de là. Le monde des argiles est infiniment complexe. Selon la nature de la roche et des micro-organismes qui vivent dans le sol, ces argiles ne seront pas les mêmes. Et selon le type d’argiles, la vigne n’assimilera pas les minéraux de la même manière. De quoi influer sur l’expression d’un vin… Et peut-être sur sa minéralité. Cultiver la minéralité Ces petites bêtes, aussi déplaisantes puissentelles paraître à certains, jouent donc un rôle primordial pour la vigne. Même sans microscope, la plupart des vignerons ont aujourd’hui compris qu’il fallait préserver cette vie six pieds sous terre, en limitant l’usage de pesticides et d’engrais chimiques ou en se convertissant à l’agriculture biologique. Comme la roche, ces micro-organismes font partie du terroir. 7 Les vignerons aussi, d’ailleurs, en font partie. Ce sont eux les maîtres d’œuvre qui conduisent la vigne. Travailler le sol, tailler la vigne, la rogner, l’effeuiller… Le savoir-faire d’un vigneron se juge d’abord lors des vendanges, dans un seul grain de raisin, là où, par chacun de ses gestes, il a su concentrer les sucres et les acides. Mais les vignerons peuvent-ils conduire la vigne de façon à obtenir un vin plus minéral ? Peuvent-ils cultiver cette minéralité ? “On observe qu’avec les vieilles vignes, on obtient des vins avec une plus grande minéralité, explique Damien Leclerc. Elles ont un réseau de racines plus développées, qui plongent davantage dans le sol”. L’idée serait donc d’aller puiser la minéralité à sa source. Les moines cisterciens, en plantant des milliers de pieds à l’hectare, faisaient jouer la concurrence entre les racines et les obligeaient ainsi à creuser toujours plus profondément. Mais, tout étant question d’équilibre subtil, surtout dans les rapports intimes entre le matériel végétal et son environnement, ces hauts rendements à l’hectare pouvaient parfois également engendrer des difficultés de maturation. Certains vignerons, aujourd’hui, éliminent mécaniquement les racines superficielles pour forcer la vigne à aller explorer plus bas. La plupart évitent surtout de compacter les sols pour préserver le patient travail des lombrics, qui brassent et aèrent la terre, ce qui permet aux racines de se développer plus facilement. En augmentant ainsi la surface d’échange entre la vigne et la terre, les vignerons pourraient donc eux aussi contribuer à la minéralité d’un vin. Mais dans ce cas, où retrouve-t-on ces minéraux acheminés jusqu’à la plante par ces microorganismes et par le vigneron lui-même ? “ On observe qu’avec les vieilles vignes, on obtient des vins avec une plus grande minéralité 8 | www.chablisienne.com ” Extrait de Kimméridgien Il y a encore peu, tous ces processus souterrains laissaient l’œnologie indifférente. Les œnologues préféraient scruter, dans leurs cuves et tonneaux, l’accomplissement de l’œuvre secrète et miraculeuse des levures, capables à elles seules de transformer un vulgaire jus de raisin en un noble vin. Dans leur marmite, les œnologues ont observé les phénomènes de fermentation et ils ont appris à maîtriser les composés organiques. Ils savent maintenant tanniser, détanniser, acidifier, désacidifier, alcooliser, désalcooliser… Mais la minéralité leur échappe toujours. Se pourrait-il que les minéraux de la roche flottent dans leur chaudron sans qu’ils s’en soient aperçus ? Ces minéraux, on les retrouve bien dans le raisin. En quantité infime. Il s’agit surtout d’azote, de potassium, de calcium et de magnésium. Des minéraux qui proviennent de la roche, mais aussi des amendements (biologiques ou non) et probablement aussi de la matière organique (feuilles, animaux morts…), décomposée et minéralisée dans les couches superficielles du sol. En jouant les alchimistes et en chauffant le moût jusqu’à ce que les éléments volatils se soient évaporés, on retrouve également, dans les cendres, la trace de ces minéraux… Peut-on dire alors qu’il y a bien des extraits de roche du Kimméridgien dans le Chablis ou des morceaux de craie de Bélemnite dans le Champagne ? L’idée fait son chemin. Pour certains, ces minéraux joueraient les exhausteurs de goût, comme notre sel de table. D’autres y voient des sensations similaires à celles qui sont perçues en buvant différentes eaux minérales : sensations amères et métalliques avec une eau peu minéralisée ; fraîche et neutre avec une eau moyennement minéralisée ; salées et souvent astringentes avec une eau fortement minéralisée. Le contact physique avec un Chablis – cette fraîcheur et cette énergie presque électrique – pourrait-il alors venir de ces minéraux noyés dans le vin ? Les scientifiques sont sceptiques et préfèrent rester prudents. Ces minéraux se retrouvent en quantité infime dans le vin, à l’état de traces et sous forme d’ions. Pour eux, cette “soupe de cailloux” serait en fait totalement insipide et parfaitement imperceptible. L’idée de minéraux puisés dans la roche et qui passeraient directement dans le vin pour se laisser sentir et goûter, ne tient pas vraiment la route. Romantique, marketing, mais pas scientifique… Les minéraux favorisent donc des réactions chimiques. Chaque cépage a ensuite ses propres caractéristiques et va ainsi façonner ses arômes et ses saveurs à sa manière, selon son programme génétique. Enfin, il y a la vinification, où ces molécules sont remodelées par les levures, sous l’œil bienveillant du vigneron et de l’œnologue, pour ressortir sous forme de notes fruitées, florales, boisées… Tandis qu’acides et sucres s’équilibrent… La minéralité est-elle modelée de la même manière ? Les arômes de silex, de graphite ou d’iode sont-ils fabriqués sur cette même chaîne ? La science nous apprend que les minéraux n’ont pas d’odeur. Le soufre ne dégage son odeur suffocante que lorsqu’il est brûlé. L’iode, sans l’apport de composés organiques provenant d’algues ou d’animaux, n’apporterait pas grand-chose au grand air marin. Quant à la pierre à fusil, les scientifiques ont fini par mettre la main dessus : il s’agit de benzenemethanethiol, une molécule qui n’a rien de minéral et que l’on classerait davantage dans les arômes empyreumatiques, cette famille d’arômes de type “grillé” ou “brûlé”. La fabrique des arômes et des saveurs Pourtant, ces arômes minéraux sont bien là, s’échappant d’un Montée de Tonnerre ou d’un Château Grenouilles. D’où sortent-ils alors ? Ont-ils été façonnés par la plante elle-même, ou par les levures dans le chaudron magique des œnologues ? Minéraux et oligo-éléments sont indispensables à l’Homme. Pourquoi en serait-il autrement pour la plante ? Comme chez l’humain, ces minéraux vont jouer, dans la vigne, le rôle de co-enzymes et activer des réactions chimiques vitales. On les retrouve dans la photosynthèse, par exemple, mais aussi dans la synthèse des molécules odorantes et sapides : les arômes et les saveurs. 9 Acidité et minéralité Les arômes minéraux ont donc quelque chose d’organique. Mais les scientifiques ont leur langage, qui n’est pas celui des amateurs de vin. Et pour ces derniers, tous les mots, leurs associations et les images auxquelles ils renvoient, sont bons à prendre pour décrire une sensation qui ne se laisse pas si facilement apprivoiser et qu’une analyse scientifique ne parviendrait pas à approcher. Qu’importe donc la formule chimique, les sensations d’un Muscadet, d’un Riesling ou d’un Chablis nous entraînent bien vers le monde minéral. “Muscadet, Riesling, Chablis, tous ces vins ont une structure acide dominante, rappelle Damien Leclerc. Même si elle n’est pas suffisante, l’acidité n’en demeure pas moins l’une des conditions nécessaires à l’expression minérale”. L’acidité est une composante essentielle du vin. Elle participe à son équilibre en apportant de la fraîcheur. C’est elle qui donne au vin son mordant, sa vivacité. Pas assez d’acidité et le vin est mou ; trop d’acidité, et le vin est vert. Trois types d’acides importants sont apportés lors de la fermentation : lactiques, acétiques et succiniques. Et trois autres par le raisin : tartriques, maliques et citriques. 10 | www.chablisienne.com L’œnologie a démontré que la composition du sous-sol, dans lequel puise la vigne, a une grande influence sur la force et le nombre des acides que l’on retrouve dans le raisin puis dans le vin. Des acides volatils qui pourraient être les vecteurs des arômes minéraux d’un vin. Or, outre ces six acides majeurs, ce ne sont pas moins de 30 à 40 acides différents, que l’on dénombre dans un vin. Les minéraux favoriseraient donc la production d’acides, plus ou moins forts, et en plus ou moins grandes quantités, selon la nature du sol. Le cépage – de par son programme génétique – synthétiserait des arômes d’hydrocarbure pour un Riesling ou d’iode pour un Chablis qui seraient alors portés et révélés par ces acides. D’ailleurs, en bouche, plus que des goûts ou des saveurs, ce serait ces arômes (des molécules odorantes peu solubles dans l’eau et la salive) qui seraient perçus par voie rétro-nasale. En résumé : la relation directe “acidité-minéralité” apparaît trop simpliste et “réductrice”, il faut d’abord un sol, un terroir, sur lequel puisse s’exprimer un cépage favorable aux vins acides, pour à la fin obtenir cette minéralité. Dire que “le Chardonnay s’exprime à merveille sur les marnes calcaires du Kimméridgien” ne serait donc pas une vue de l’esprit… À droite ou à gauche du Serein Alors que les hypothèses vont bon train et que les dégustateurs commencent à avoir la tête qui tourne à force de chercher la minéralité dans un Riesling ou dans quelques bulles de Champagne, il faut maintenant revenir à Chablis, un paisible petit village traversé par le Serein. Tout autour, sur les plateaux et les coteaux, se déploient les vignes : celles du Petit Chablis, du Chablis, du Chablis Premier Cru et du Chablis Grand Cru, hissé sur sa colline magique. Si la minéralité s’exprime différemment, d’une région à l’autre, selon le sol et le cépage, elle sait aussi prendre de tout autres visages au sein d’un même vignoble. De part et d’autre du Serein, ce n’est ainsi plus tout à fait la même histoire. “Sur la rive droite, on a une minéralité plus aérienne, plus dynamique, solaire, des Crus de ciel, observe Damien Leclerc. Sur la rive gauche, la minéralité est plus caillouteuse, crayeuse, austère, des Crus de racines”. Ainsi, quand la minéralité d’un Château Grenouilles regarde vers le haut, celle d’un Montmains scrute le sol. Deux expositions et deux minéralités différentes. “Mais ce n’est pas binaire, poursuit notre guide. C’est vraiment des nuances de minéral”. Le soleil, dans son mouvement apparent autour de la terre, a donc lui aussi décidé de se mêler de minéralité. Et c’est plutôt au nord de la Loire, en se faisant parcimonieux, qu’il a jeté son dévolu. C’est là que les sommeliers, en fins limiers, l’ont suivi. Car la fraîcheur du climat semble elle aussi participer à l’expression des minéralités. Et le vignoble chablisien, en sentinelle des vins de Bourgogne, le plus au nord, a décroché une place de choix. Une révélation D’une année sur l’autre, le soleil sait aussi jouer sur les nuances. Le millésime 2003, l’année de la canicule en France, diffère ainsi du millésime 2005, une année au profil météo plus classique. Selon Damien Leclerc, “pour le millésime 2005, la minéralité s’est révélée seulement cinq ou six mois après les vendanges, en janvier/février 2006. Pour le millésime 2003, la signature s’est installée six ans après ! Mais, la minéralité, ce n’est pas une pierre figée dans le temps, poursuit-il. Une fois sous le verre de la bouteille, c’est un peu comme la tectonique des plaques : ça bouge. La minéralité demande du temps”. Après avoir traversé la roche, puis la terre sur le dos d’un collembole ou d’un acarien ; après s’être exprimée à travers son cépage, puis s’être révélée lors de la vinification, peut-être portée par des acides, la minéralité garde encore une part de mystère. “Toutes ces considérations prouvent, si besoin était, que la dégustation n’est pas une science exacte, conclut Damien Leclerc, notre guide dans cette quête de minéralité. La transcription écrite ou orale de nos perceptions nous est parfois impossible. Mais c’est justement plutôt rassurant car elle laisse la part belle aux émotions et au plaisir et c’est bien là l’essentiel, non ?” Nous vous souhaitons de belles émotions minérales ! janvier 2010 11 8, Boulevard Pasteur - B.P. 14 - 89800 Chablis - France Tél. +33 (0)3 86 42 89 89 - Fax +33 (0)3 86 42 89 90 L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION www.madeinmouse.com, photos Richard Sprang, Daniel Chaslerie, x www.chablisienne.com