Audience solennelle d`installation du Premier président de la cour d

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Audience solennelle d`installation du Premier président de la cour d
Audience solennelle d’installation du Premier président de la cour d’appel de Paris
Discours de Monsieur Jacques Degrandi, premier président
18 mai 2010 à 16 h 30
Mme le ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, votre présence à
cette cérémonie honore particulièrement la cour d’appel. Elle traduit une fois de plus l’intérêt que vous lui
portez et auquel elle est d’autant plus sensible que vous incarnez des valeurs profondément ancrées dans
l’histoire de la République française. Vous accueillir dans cette enceinte est toujours une source de grande
fierté. Soyez très vivement remerciée d’être parmi nous.
La cour exprime également sa reconnaissance aux hautes personnalités qui ont bien voulu la
gratifier de leur présence et témoigner de leur intérêt pour l’institution judiciaire.
Je suis personnellement très touché par le fait que chacune des personnes présentes a bien voulu
prendre de son temps pour être à mes côtés en ce moment important de ma vie professionnelle.
J’exprime ma gratitude au procureur général et à M. Bichard, président de chambre, pour leurs
propos aimables et chaleureux. Nos premiers contacts me laissent pressentir une fructueuse collaboration.
J’aurai désormais, M. le Procureur Général, plaisir à travailler avec vous, dans un esprit de dialogue
facilité par notre attachement commun à l’unité du corps et par l’estime réciproque jamais démentie
depuis que nos routes se sont croisées en 1978, à la Direction des affaires criminelles et des grâces.
Je m’associe à l’hommage rendu à mon prédécesseur, M. Jean-Claude Magendie. Sa curiosité
intellectuelle, sa volonté d’ouvrir l’institution judiciaire au monde extérieur, son souhait de croiser toutes
les composantes de la société et de percevoir toutes les logiques qui la parcourent pour maîtriser plus
finement l’impact et la portée des décisions judiciaires, ses travaux et rapports qui ont déjà et vont encore
marquer profondément la procédure civile au premier comme au second degré de juridiction, sa capacité à
organiser des colloques originaux réunissant des personnalités prestigieuses, sa participation à beaucoup
d’autres ont donné à la cour de Paris un intense rayonnement. Fin juriste, remarquable rédacteur, mettant
un point d’honneur à présider des affaires délicates, il n’a cessé d’enrichir la réflexion dans maints
domaines et de mettre en œuvre tout ce qui paraissait le plus propice à une bonne administration de la
justice. Sous son égide, la cour aura connu une réforme de son organisation particulièrement innovante.
Nous savons tous qu’elle a demandé du courage parce qu’elle a bousculé des standards séculaires et
réaffecté des hommes. Elle est probablement susceptible d’adaptations car tout ce qui est vivant bouge.
Mais elle préfigure un mode d’organisation qui donnera le ton, voire s’imposera aux juridictions de
dimensions importantes. Une justice moderne appelle en effet une spécialisation pointue pour répondre à
celle de ses interlocuteurs et à la complexité croissante du droit. Elle nécessite également une réflexion
interne collective et transversale, mais aussi externe et pluridisciplinaire pour promouvoir une
jurisprudence de qualité et garantir la sécurité juridique sans laquelle elle ne peut inspirer la confiance.
Les pôles de compétence promus par Jean-Claude Magendie favoriseront la réalisation de tels objectifs.
Je mesure le privilège qui m’est accordé de lui succéder à nouveau tout autant que la difficulté de
s’inscrire dans un parcours aussi exceptionnel que le sien. Il quitte l’institution pour se consacrer à de
nouvelles activités. Je l’assure de ce qu’il sera toujours le bienvenu parmi nous.
J'entends également manifester ma profonde reconnaissance au Conseil Supérieur de la
Magistrature pour avoir proposé ma nomination à ce poste. Je suis particulièrement honoré d’avoir été
distingué pour une fonction d’une telle importance, par l'institution constitutionnelle qui assiste le
Président de la République dans sa fonction de garant de l'indépendance de l’autorité judiciaire. Cet
honneur m’oblige. Je tâcherai, Mme et MM. les Hauts-Conseillers, d’être digne de votre confiance.
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Chers collègues, Mmes et MM. les fonctionnaires du greffe, vous êtes, que ce soit à la cour ou
dans les juridictions du ressort, constamment au cœur de l’actualité, au contact des problématiques de la
société, plus exacerbées ici que partout ailleurs sur le territoire national parce qu’une capitale et sa
périphérie vivent plus intensément toutes les évolutions sociales. Ce contexte favorise l’innovation. Il
incite à mettre en œuvre ou à s’adapter à des pratiques inaugurant le meilleur de ce qui sera demain. Je
sais qu’aucune avancée ne pourra voir le jour sans votre collaboration mais qu’avec votre soutien,
beaucoup sera possible. Vous pourrez compter sur ma considération et mon attention soutenue.
Mmes et MM. les avocats, Mmes et MM. les officiers publics et ministériels, avoués, notaires,
huissiers, commissaires priseurs, Mmes et MM. les experts, Mmes et MM. les conciliateurs, Mmes et
MM. les médiateurs, vous contribuez à des degrés divers à l’œuvre de justice. Vous en êtes des maillons
indispensables. De la qualité de ce que vous faites dépendent aussi la qualité et l’efficacité de la justice. Je
partagerai avec vous mon ambition pour la justice. J’ai toujours pu compter sur votre appui. Vous savez
pouvoir compter sur le mien.
Mmes et MM. les officiers et agents de police judiciaire, vous êtes naturellement associés à cet
hommage, vous qui, sur le terrain, souvent au prix de votre intégrité physique, parfois de votre vie,
constituez le premier maillon de la chaîne pénale. Il est de notre devoir de magistrat de ne jamais l’oublier
et, dès lors que vous exercez votre difficile et périlleuse mission dans le respect de l’éthique et de la
déontologie de la sécurité, de vous apporter par nos décisions, tout le soutien nécessaire.
Je veux à cet instant avoir une pensée pour les magistrats et fonctionnaires du tribunal de grande
instance de Paris. C’est par les efforts du plus grand nombre d’entre eux que cette grande juridiction
constitue le creuset dans lequel se met progressivement en place la justice de demain. Je suis fier d’avoir
été à leur tête pendant près de trois ans. Ils m’inspirent, ainsi que beaucoup d’avocats du barreau de Paris,
dont les bâtonniers que j’ai eu l’honneur de côtoyer, une affectueuse et fidèle attention. Je suis satisfait de
passer le relais à la présidente Chantal Arens. Elle m’a succédé à Nanterre. Nos expériences respectives
se ressemblent et nous rapprochent. Cette proximité augure d’un fonctionnement harmonieux de la justice
à Paris. Je salue les autres présidents de tribunaux de grande instance et procureurs de la République du
ressort, avec lesquels j’entretiens des rapports cordiaux noués dans le cadre de mes activités précédentes.
Je tiens à rendre un hommage particulier à mon homologue parisien du parquet, Jean-Claude Marin, dont
les qualités exceptionnelles suscitent une sincère, haute et très amicale considération.
Je profiterai de cette tribune pour évoquer quelques thèmes qui me sont chers et ne vont pas
manquer de guider mon action à la tête de la première cour d’appel de France.
Pour la justice civile tout d’abord. Je veux partager avec les magistrats de la cour, des
juridictions et leurs partenaires la volonté de promouvoir toujours plus une démarche de qualité
commune à tous les acteurs du procès pour qu’ils deviennent les instruments actifs d’une plus grande
effectivité de la décision de justice. C’est une ambition à poursuivre de manière opiniâtre. Elle
conditionne la crédibilité de l’institution judiciaire. Elle doit nous inciter à faire de la gestion des stocks
et de la maîtrise des flux une préoccupation constante. Elle doit se concrétiser par des pratiques
innovantes telles la modélisation des décisions dans les domaines qui s’y prêtent, la structuration des
écritures des parties, ou encore la mise en œuvre du principe de concentration qui exige, notamment,
d’invoquer dès les premières conclusions, tous les faits, moyens et preuves qui fondent les prétentions
des parties. Elle doit favoriser le développement de la médiation civile qui procède de la conviction
qu’une solution négociée des différends présente beaucoup plus d’avantages pour les justiciables qu’une
solution imposée.
Il me paraît par ailleurs nécessaire d’ordonner l'exécution provisoire des décisions de première
instance chaque fois que le litige ne présente pas de sérieuse difficulté et d’appliquer restrictivement les
textes sur la suspension de cette exécution par le premier président de la cour d’appel même si je
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n’ignore pas les réticences que suscite cette position. De même, il nous faut rendre exceptionnel le renvoi
des dossiers fixés à une audience de jugement et respecter strictement les dates de délibéré. Nous devons
tous travailler pour que la légitimité de l’institution judiciaire, fortement fragilisée par des attaques qui
ne tiennent pas suffisamment compte de l’efficience, en soit renforcée. L’engagement doit être collectif.
Je compte sur la richesse et la diversité des expériences respectives, sur le soutien des partenaires de
justice pour développer ces pratiques d’avenir parce qu’elles s’inscrivent dans cette recherche
persévérante d’une célérité et d’une qualité toujours plus grandes du service public de la justice.
Pour la justice pénale, je souhaite que nous résistions, magistrats et avocats, aux dérives qui
consistent à instrumentaliser le procès au service d’une cause ou d’une idéologie. Nous connaissons tous
les stratégies qui consistent à discréditer la formation juridictionnelle pour tenter de la déstabiliser, à
transformer le procès en tribune au service d’un combat étranger à la manifestation de la vérité et à
l’application de la loi, puis à dénigrer les décisions d’une justice que l’on prétend disqualifiée. Ces
stratégies portent gravement atteinte à l’indépendance juridictionnelle des juges, à l’autorité de la justice
et donc, à la démocratie dont cette indépendance et cette autorité sont un pilier. Nous ne pouvons pas nous
en satisfaire. Nous mènerons une action déterminée pour une justice qui passe dans la sérénité. La
réforme de la procédure pénale pourra nous y aider lorsque sera abordé le volet de l’audience pénale et
donc le rôle de son président. Cette réforme ne concerne pour l’instant que la phase de l’enquête. Je suis
de ceux qui pensent qu’au prix de simplifications et amendements, dont la phase de concertation a révélé
l’utilité, elle doit être poursuivie avec détermination car le statu quo n’est pas acceptable. Je considère que
les modalités proposées sont, dans leur principe, de nature à permettre un indéniable progrès pour
introduire un surcroît significatif de contradiction qui atténue largement le caractère encore trop
inquisitoire de la procédure actuelle. Je m’étais prononcé pour la suppression du juge d’instruction à cinq
conditions : la nomination par décret du juge de l’enquête et des libertés, le suivi personnalisé des
enquêtes les plus complexes sur désignation du président du tribunal de grande instance, la mise en place
d’une procédure de règlement des incidents d’exécution, le cas échéant par une formation du siège
substituée au parquet, la possibilité pour une partie de remettre en cause un classement sans suite à l’issue
de l’enquête, la modification du statut du parquet de telle sorte que la nomination des procureurs de la
République et des procureurs généraux soit soumise à l’avis conforme et non plus simple du Conseil
supérieur de la magistrature. Les quatre premières de ces conditions sont satisfaites par le projet. Elles
sont essentielles et doivent permettre de faire la part entre les analyses raisonnables et les postures. La
réforme statutaire n’est quant à elle pas à l’ordre du jour. Mais elle devra être envisagée tôt ou tard ou
alors, la séparation du siège et du parquet sera une conséquence inéluctable de la réforme qui, de surcroît,
restera suspecte aux yeux de l’opinion publique. Je tiens à réaffirmer mon attachement personnel à l’unité
du corps judiciaire. Elle est conforme à notre tradition juridique qui veut que la loi ne soit pas un outil de
pouvoir mais une source de protection pour les citoyens en tant qu’expression et instrument de l’intérêt
général. Le parquet sert la loi. Il doit jouir à ce titre d’une indépendance suffisante pour assurer
l’application du principe d’égalité devant la loi, qui est un des fondements de la démocratie. La qualité de
magistrat permet de mieux satisfaire cette préoccupation. J’ajoute que le statut commun facilite
grandement la fonction d’interface entre les pouvoirs publics et les formations juridictionnelles grâce au
partage de l’éthique et de la déontologie des magistrats. Enfin, la formation commune, lorsqu’elle est
complétée par la double expérience du siège et du parquet, est une indéniable source de richesse et de
force pour l’institution. J’ai donc la conviction que la modeste modification statutaire que beaucoup
appellent de leurs vœux doit compléter cette réforme proche des standards européens qui nous est
promise.
Je ne serais pas complet sur ce volet de l’activité des juridictions, que ce soit en matière civile ou
pénale, si je n’évoquais la nécessité de maîtriser les nouvelles technologies permettant la communication
électronique, la numérisation des pièces, la dématérialisation des procédures, la gestion électronique des
documents, la visioconférence lorsque ses avantages l’emportent sur ses inconvénients. Nous devons,
Mmes et MM. les magistrats, Mmes et MM. les fonctionnaires, parvenir le plus rapidement possible à être
le fer de lance de cette maîtrise qui commence à porter ses fruits au sein de la cour et des juridictions de
son ressort mais nécessite de soutenir les efforts, tant domine le sentiment que nous sommes au milieu du
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gué et que des moyens importants restent à déployer. Des défis majeurs nous attendent en ce domaine, à
commencer par ceux que posent aux cours d’appel le décret du 9 décembre 2009 qui imposera, dès le
1er janvier 2011, à peine d’irrecevabilité, la transmission dématérialisée de la déclaration d’appel et de la
constitution d’avoué et, à compter du 1er janvier 2013, des autres pièces de la procédure. Je souhaite que
la première cour d’appel de France fasse l’objet d’un accompagnement adapté aux dimensions de
plusieurs des juridictions qui la composent, dont évidemment le tribunal de grande instance de Paris qui,
comme la cour elle-même, est hors normes dans sa catégorie.
Permettez-moi pour terminer d’évoquer le volet de la gestion au sein de l’institution judiciaire.
Comme les autres services publics, la justice endure les restrictions induites par la Révision générale des
politiques publiques. Il faut être lucide. Nos déficits cumulés des trente cinq dernières années vont
imposer des sacrifices auxquels nous ne sommes pas accoutumés. Les difficultés sont devant nous. Il
serait illusoire de croire que l’institution pourra échapper au mouvement international de management de
la justice. Pour autant, il nous faut en défendre les spécificités et nous vous savons gré, Mme le Garde des
Sceaux, du combat que vous menez pour en convaincre toujours plus vos interlocuteurs, ainsi qu’en
témoignent les dotations budgétaires complémentaires qui viennent d’être allouées aux juridictions pour
l’année 2010. Ce combat est salutaire. Il faut faire admettre le fait que la justice ne peut être traitée
comme les autres services publics. Elle est le support d’une fonction fortement symbolique, essentielle à
la vie sociale, qui conduit à en faire une autorité, si ce n’est un pouvoir constitutionnel. Les juges, dans
leur fonction juridictionnelle, bénéficient de garanties statutaires qui les émancipent. Il n’est pas possible
de rationaliser l’activité judiciaire à partir d’une vision gestionnaire qui ferait abstraction des pouvoirs
propres que leur confèrent les textes, souvent de valeur constitutionnelle. Il est donc nécessaire de trouver
des voies qui concilient ces particularités et la recherche généralisée de performance des structures
publiques. Ainsi que l’avait souligné le premier président Chazal de Mauriac, dans un contexte de
fixation d'objectifs, d'élaboration d'indicateurs d'activité, d'évaluation des résultats, de primes de
rendement, la création de normes adaptées à chaque catégorie de juridiction et à chaque contentieux doit
être menée à son terme parce qu’elle comporte un enjeu de protection des magistrats et de leurs
collaborateurs. Il faut aussi, plus que jamais, recentrer le juge sur ses missions essentielles, d’autant que
ses outils traditionnels s’accommodent mal des solutions rapides revendiquées par nos concitoyens de
manière récurrente et encore plus insistante en période de crise. Je l’ai déjà dit, je ne cesserai de le
répéter, il faut s’engager plus résolument vers la dépénalisation et la déjudiciarisation des rapports
sociaux. Tous les comportements susceptibles de donner lieu à des sanctions civiles, administratives ou
fiscales doivent échapper à la loi pénale qui retrouvera ainsi du sens pour ne concerner que les
agissements les plus réprouvés. La déjudiciarisation doit quant à elle conduire à promouvoir le plus
possible les préalables administratifs, à l’instar de ce qui se passe en matière fiscale, et les modes
alternatifs de résolution des conflits, conciliation, médiation, évidemment strictement encadrés pour
prévenir toute dérive communautaire. Nous sommes loin du compte. Sous l’influence ou la pression des
mutations de la société devenue composite et exigeante, des institutions européennes, de la
mondialisation, des progrès fulgurants des moyens de communication, de l’évolution des compétences, de
l’inflation des textes, l’institution est appelée à réviser constamment ses méthodes de travail et à déployer
beaucoup d’énergie sans toujours pouvoir répondre aux multiples sollicitations dont elle est l’objet. Je
veux dire aux personnels des services judiciaires de la cour et des juridictions de son ressort que je
n’ignore pas certaines inquiétudes. Je sais qu’en qualité d’agents publics, nous devons le plus grand
engagement à nos concitoyens. Je sais aussi que notre efficacité doit être mesurée à l’aune des moyens
mis à disposition. Je serai attentif à cet équilibre. Sachez qu’avec les services de la première présidence,
je tiendrai compte de toutes les suggestions qui paraîtront de nature à améliorer le service rendu aux
justiciables, mais aussi les conditions de travail des uns et des autres, la qualité des relations humaines et
la sûreté des personnes sans lesquels il serait vain de prétendre tirer le meilleur parti du potentiel de
chacun.
Mmes, Mlles, MM., je vous remercie d’avoir bien voulu m’accorder quelques instants de votre
attention.
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M. le procureur général, j’imagine que vous n’avez pas d'autres réquisitions ?
Mmes, Mlles, MM., l'audience solennelle est levée. Les personnels de la cour sont heureux de
vous convier à la réception qui clôturera cette cérémonie dans la salle des pas perdus du tribunal de
grande instance. Le procureur général et moi vous y rejoindrons dans quelques instants, après avoir
raccompagné Mme le Garde des Sceaux.
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