CA-AIX Audience solennelle rentrée 08 01 2014 Discours de JM

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CA-AIX Audience solennelle rentrée 08 01 2014 Discours de JM
Cour d'Appel d'Aix-en-Provence
AUDIENCE SOLENNELLE DU 8 JANVIER 2014
Discours du procureur général Jean-Marie Huet
Voici déjà revenu pour les magistrats et fonctionnaires de cette Cour, ce
temps fort de l’audience solennelle de rentrée, que la loi, consacrant une tradition de plusieurs
siècles, nous prescrit de tenir.
Exercice convenu pour certains, voire désuet pour d’autres, il reste pourtant
à mes yeux incontournable, tant je considère que nous avons effectivement des comptes à
rendre.
En effet si les magistrats se plaisent à rappeler que la Justice est rendue au
nom de leurs concitoyens, c’est moins pour y rechercher la justification de leurs pouvoirs,
que pour déterminer l’étendue de leurs obligations à leur égard.
Aussi cette audience solennelle ne doit donc pas être seulement la
manifestation d’une certaine autosatisfaction, fut-elle légitime, mais la restitution en une
image comptablement fidèle et transparente, de l’activité judiciaire dans le vaste ressort de
cette cour, l’occasion de convaincre des évolutions intervenues, afin que le regard que nos
concitoyens et ceux qui les représentent ce matin portent sur la justice soit plus éclairé.
J'exprime ma gratitude à chacune et chacun d’entre vous d’avoir bien voulu
rejoindre ce matin notre assemblée, en sacrifiant à ce rite judiciaire qui n’est pas pour une
fois, abandonné aux seuls professionnels du droit, mais se veut une tradition vivante et non
l’expression d’une éternité figée.
Une cour auditée et contrôlée
Comme bien d’autres institutions, notre cour d’appel d’Aix-en-Provence
doit se soumettre à des audits de fonctionnement, et elle a fait l’objet de la part de
l’inspection générale des services judiciaires, dès fin 2012 et tout au long de cette année
2013, d'un contrôle de fonctionnement extrêmement approfondi. Nous pouvons
objectivement, magistrats et fonctionnaires de cette cour, être particulièrement fiers du
diagnostic très positif ainsi porté sur la seconde cour d’appel de France. En fin d’année, c'est
la Cour des Comptes qui a également sollicité de notre cour de très nombreuses informations
statistiques, questionnaires divers, sur le champ de l'exécution des peines, tout ceci illustrant
s’il en était besoin, la transparence avec laquelle nous justifions de l’utilisation de nos
moyens et de nos textes.
S’agissant des moyens dont nous sommes dotés et que vous avez pu
découvrir sur les écrans au début de cette audience, nous nous efforçons Madame la
première présidente et moi-même dans cette période budgétaire contrainte, de les gérer avec
discernement et circonspection pour l’ensemble des juridictions du ressort, de manière
équitable, en privilégiant toujours l’intérêt du justiciable.
S’agissant des textes, j’aurai l’occasion d’évoquer les évolutions les plus
significatives, mais surtout les très importantes perspectives qui s’ouvrent pour l’année 2014.
Activité pénale de la cour
Les chiffres restituant l’activité pénale de cette cour d’appel et des
juridictions du ressort qui ont été diffusés sur l’écran au début de cette audience, illustrent
une relative stabilisation de la production juridictionnelle.
Environ 10000 décisions pénales ont été rendues par cette cour l’an dernier,
dont 5700 arrêts prononcés par les chambres correctionnelles, d’application des peines et des
mineurs, et près de 4200 décisions prononcées par les chambres de l’instruction, sans parler
des 155 arrêts des cours d’assises du ressort dont 79 pour la seule cour d’assises des Bouchesdu-Rhône. S’agissant de l’activité du service international, si le nombre des mandats d’arrêts
européens exécutés est à peu près identique à l’année écoulée (165), le nombre d’extraditions
à lui plus que doublé en 2013, concernant de surcroît des situations d’une particulière
complexité, dans des affaires le plus souvent à connotation économique et financière. Les
médias se sont fait l'écho de ces audiences où l'on a vu pour la première fois les représentants
des états requérants soutenir eux-mêmes leurs observations à l’audience à l’appui de leur
demande.
La coopération pénale internationale s’intensifie d’année en année,
conséquence naturelle d’une délinquance de plus en plus organisée qui se structure bien
évidemment en dehors des frontières. Plus d’un millier de requêtes ont transité l'an passé par
le parquet général : commissions rogatoires, dénonciations officielles, actes judiciaires, etc.
L’aridité de ces chiffres ne traduit bien évidemment pas la complexité des
procédures soumises aux juridictions pénales de la cour, et donc le nombre de jours
d’audiences consacrés bien souvent à un seul dossier, au regard notamment des nombreux
contentieux spécialisés ressortissant de la compétence de celles-ci en appel des décisions
rendues par la juridiction marseillaise.
L’activité pénale de cette cour traduit également l’aboutissement des
procédures traitées par l’ensemble des juridictions du premier ressort, (27500 jugements
correctionnels en 2013). L'on peut faire le constat d’une relative stagnation s’agissant de
l’ensemble des affaires poursuivables traitées par les huit parquets du ressort, 72000 pour
2013 contre 70000 en 2012 s’agissant des crimes, délits et contraventions de 5ème classe.
La diversification des réponses pénales est toujours une réalité dans notre
ressort, puisque si près de 30500 procédures ont fait l’objet de saisines des juridictions
correctionnelles, de police ou d’instruction, les mesures alternatives (rappels à la loi,
médiations…) ont pris cette année encore toute leur place avec 35184 procédures orientées
vers cette voie.
La délinquance dans le ressort
S’agissant de la forme des actes de délinquance constatés l’an dernier, c’est
bien évidemment à l’expression toujours très prégnante de cette délinquance violente que l'on
songe, notamment mais pas exclusivement, dans l’agglomération marseillaise, avec un
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chiffre pourtant réduit par rapport à l’année écoulée, mais bien sûr toujours trop important, du
nombre de meurtres sous forme de règlements de compte.
Sur ce point je souhaite plutôt mettre en exergue de manière parfaitement
objective, l'efficacité des services d'enquêtes avec l'élucidation de nombreuses affaires
criminelles, mais aussi des magistrats puisqu'un nombre significatif de dossiers d'information
suivis à la JIRS de Marseille ont fait l'objet de saisines des juridictions de jugement. Il faut
également saluer la réalité de l’engagement conjoint des parquets, des responsables des
services de police et de gendarmerie, et des services de l'état, cet investissement étant destiné
à s’inscrire dans le temps, qu’il s’agisse de l'application de la circulaire de politique pénale
territoriale de Madame la Garde des Sceaux de novembre 2012, prescrivant une mobilisation
tout à fait spécifique dans les Bouches-du-Rhône, ou du partenariat efficace mis en œuvre
dans les Zones de Sécurité Prioritaires de Marseille Nord et Sud, de Bouc Bel Air et de
Gardanne, de l’agglomération niçoise, de Hyères et depuis peu de Toulon. Il a pu ainsi être
démontré qu’il est toujours possible, en mutualisant les analyses comme les ressources, en
définissant plus clairement et lisiblement les objectifs à atteindre, de parvenir à des résultats
plus significatifs. Les chiffres qui seront restitués par les procureurs lors des audiences des
tribunaux de grande instance, illustreront j’en suis convaincu la réalité et l’efficacité de cette
démarche novatrice.
Il faut aussi se réjouir des résultats obtenus à la faveur d’un fort
investissement des services de police judiciaire, dans le domaine du proxénétisme mafieux,
notamment dans l’est de ce ressort.
Mais il est d’autres formes de délinquance qui doivent justifier chaque jour
davantage notre vigilante attention.
Ce sont tout d’abord les violences conjugales pour lesquelles en dépit des
efforts fournis, non seulement par les services d’enquête et les juridictions, mais également
les différents partenaires associatifs, il existe incontestablement une marge de progression
dans la mise en exergue de ces situations dramatiques, en améliorant encore la détection de
celles-ci, les conditions d’accueil dans les services d’enquêtes ou dans nos palais de Justice,
dans l’orientation la plus appropriée de ces procédures pour le traitement le plus dissuasif des
auteurs des ces maltraitances, les drames récents survenus dans la région ne peuvent sur ce
point que nous inciter à redoubler d’attention.
Il est une autre forme de délinquance, plus sournoise, plus pernicieuse qui
n’accroît guère les statistiques des services d’enquête comme des parquets, mais qui doit
pourtant justifier également une particulière vigilance : je veux parler là des infractions à
caractère raciste, antisémite, xénophobe ou homophobe, qu’il s’agissent d’agressions
physiques, d’injures ou de discriminations.
Nous disposons d’un arsenal législatif tout à fait adapté pour réprimer,
sanctionner à leur juste mesure les propos et les actes racistes qui minent le lien social. Je sais
les parquets déjà accaparés par d’assez nombreuses priorités que je leur demande de prendre
en compte dans la déclinaison locale de la politique pénale régionale que j’ai la responsabilité
de mettre en œuvre. Toutefois ils connaissent mon exigence particulière dans ce domaine où
la mobilisation doit être constante pour permettre aux enquêteurs d’identifier dans les délais
les plus brefs les auteurs des infractions qui doivent comparaître devant les juridictions de
manière diligente.
Notre région est par ailleurs, particulièrement concernée par la
problématique environnementale, (pollutions en Méditerranée, atteintes au patrimoine du
littoral, décharges sauvages, non respect des règles d'urbanisme....). La réforme des polices
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de l'environnement entrée en vigueur au 1er juillet 2013 fait toute sa place à la transaction,
mais elle reste sous le contrôle du parquet. À la faveur de partenariats renforcés récemment
avec la direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement la DREAL,
la mise en place de structures départementales de lutte contre toutes les formes d’atteintes à
l’environnement, nous serons désormais mieux en mesure de détecter ces infractions, d'en
identifier les auteurs et d'apporter la réponse pénale la plus pertinente.
Une délinquance économique et financière aux facettes multiples
L’interpénétration de la criminalité organisée, des trafics de stupéfiants,
d’êtres humains et de la délinquance économique et financière a justifié la mise en place de
nouvelles approches avec le concours du groupement d’intervention régional PACA, de son
antenne à Nice, et de l’antenne marseillaise crée à la fin de l’année 2012.
Mais il faudrait évoquer également pour cette année 2013 la mobilisation de
l’ensemble des acteurs susceptibles d’être concernés par les atteintes à la probité (officiers
publics ministériels, mandataires de justice, commissaires aux comptes), le renforcement des
liens avec la chambre régionale des comptes, la cellule TRACFIN, qui nous ont permis
d’acquérir une meilleure maîtrise de ces mécanismes dans la détection de ces infractions,
face à l’imagination toujours plus débordante de leurs auteurs quels que soient leurs statuts ou
leurs fonctions.
Sur ce sujet la récente loi du 6 décembre 2013 a renforcé le dispositif de
lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière et crée à compter du
1er février prochain, un procureur financier national, qui constituera certainement une
incontestable plus value, même si nous disposons déjà au plan régional de compétences et
d’expertises qui ont d’ores et déjà fait leurs preuves.
Mieux appréhender le patrimoine des délinquants
Mais encore faut-il s’attaquer plus efficacement aux patrimoines
illégalement obtenus par ces délinquants.
Moins de trois ans après sa création, l’Agence de Gestion et de
Recouvrement des Avoirs Criminels saisis et confisqués en charge de la centralisation de
toutes les saisies au plan national, peut afficher sur son tableau de bord une valorisation
supérieure à un milliard d’euros, si l’on additionne l’ensemble des numéraires saisis, des
comptes bancaires, des véhicules, des biens mobiliers divers, et également de plus en plus
fréquemment des saisies immobilières pratiquées chez ces délinquants. Certes il ne s’agit que
de saisies conservatoires, mais qui pour un certain nombre d’entre elles se sont vues
confirmées par la voie de confiscations devenues définitives, et l’AGRASC s’est déjà
employée au cours de l’année 2013 à réaliser la vente de biens immobiliers et de restituer
ainsi au budget général de l’Etat plusieurs millions d’euros. Des ventes de biens immobiliers
confisqués ont aussi concerné l’exécution de demandes d’entraide internationale provenant de
plusieurs pays étrangers.
Le ressort de notre cour d’appel d’Aix-en-Provence n’est pas en reste,
puisque depuis la création de l’agence, avec le regroupement de toutes les saisies réalisées
certaines fois depuis de nombreuses années, plus de 95 millions d’euros de biens mobiliers et
immobiliers saisis proviennent des huit juridictions du ressort de la cour d’appel d’Aix-enProvence. Pour la seule année 2013 plus de 30 millions d’euros ont été saisis dont plus de 12
concernent des valeurs immobilières. Ceci illustre s’il en était besoin, la totale maîtrise, par
les services d’enquête tout d’abord, police, gendarmerie, douane et par les magistrats du
parquet, de l’instruction, et des juridictions de jugement ensuite, de cette nouvelle approche
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patrimoniale dans une lutte toujours plus efficace contre la criminalité organisée et la
délinquance économique et financière.
La justice en chantiers
L'année 2014 devrait connaître l’aboutissement de nombreux chantiers
ouverts par notre Garde des Sceaux.
Le projet de loi pénale relatif à la prévention de la récidive et à
l’individualisation de la peine devrait être débattu devant le Parlement au printemps prochain.
L’enjeu est d’envergure pour imaginer de nouveaux leviers d’actions en vue de favoriser la
réinsertion des condamnés. Puisse cette démarche normative, nous amenant à revisiter notre
conception de la peine, provoquer un débat de qualité, qui mérite et impose lucidité, rigueur
et humilité dans l’analyse, très loin des certitudes arrogantes. La nouvelle peine de contrainte
pénale, peine sans emprisonnement mais avec de strictes obligations pour le condamné, le
concept de césure entendue comme une distinction dans le temps, entre le moment de la
reconnaissance de la culpabilité et de celui de la détermination de la peine, constitueront
parmi bien d’autres dispositions de nouveaux outils qu’il nous faudra appréhender dès que la
loi sera applicable.
Nous sommes particulièrement concernés dans le ressort de cette cour par la
problématique de la surpopulation carcérale, avec à ce jour 7450 personnes écrouées,
nonobstant un taux d’aménagement des peines qui ne cesse de croître. Par ailleurs les
manifestations organisées en marge du 30ème anniversaire de la peine du travail d’intérêt
général en novembre dernier, auront eu j’en suis convaincu un effet salutaire de conviction
vis-à-vis des collectivités territoriales, les différentes institutions ou structures, susceptibles
de proposer aux magistrats de plus nombreux postes de TIG, diversifiés, plus adaptés au
profil des condamnés. Il s’agit là d’une vraie peine qui a démontré toute son efficacité et que
l’on ne doit pas hésiter à requérir.
S'agissant des entreprises en difficulté, après de nombreuses consultations,
le parlement, par la loi du 2 janvier 2014, à autorisé le gouvernement à procéder par
ordonnance à une nouvelle réforme des procédures collectives, pour favoriser les mesures de
prévention, les procédures de sauvegarde, améliorer les procédures liquidatives, en précisant
les conditions d'intervention du ministère public. Les juridictions consulaires mais aussi les
parquets doivent donc s'attendre dans les mois qui viennent à devoir s'adapter à de nouvelles
règles procédurales dans le but de mieux préserver les emplois.
A l'initiative de la Ministre de la Justice, plusieurs groupes de travail ont
donc tout au long de l’année 2013 mené des réflexions approfondies sur l’organisation
judiciaire, le périmètre d'intervention du juge et sur l’avenir du Ministère Public.
Je ferai tout d’abord le constat que certains thèmes ou propositions sont
véritablement transversaux aux différents groupes. Je pense notamment à l’indispensable
dépénalisation ou à tout le moins déjudiciarisation d’un certain nombre d’infractions dont la
masse ne permet pas toujours un traitement individualisé ni de justifier l’intervention d’un
magistrat du Ministère Public submergé de tâches, voire l’intervention d’un juge. De
nombreuses propositions ont été formulées qui vont de l’accroissement du champ des
amendes forfaitaires à celui des procédures de transaction. Je songe aussi à l’articulation la
plus adaptée au territoire d’une organisation judiciaire moderne et cohérente, avec le concept
du tribunal départemental et donc d’un procureur départemental. Nous aurons l'occasion dans
les prochains jours et les prochaines semaines, dans différentes enceintes, d'approfondir ces
concepts, envisager toutes les conséquences pour favoriser l’émergence de consensus sur les
solutions les plus pertinentes et pragmatiques.
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La nécessaire refondation du ministère public
Vous comprendrez que je concentre mon propos sur la commission présidée
par Jean-Louis NADAL et qui a affiché ni plus ou moins l’ambition de refonder le Ministère
Public.
A l’heure où la Ministre de la Justice souhaite pourtant dans les jours tous
prochains lors du colloque organisé sur la Justice du XXIème siècle, mettre en exergue la
place du citoyen au cœur de la Justice, je conçois que pour un certain nombre d’entre vous les
préoccupations statutaires, organisationnelles ou fonctionnelles des magistrats des parquets
apparaissent quelque peu éloignées de leur propres soucis…
Dans la conception française, « c'est dans leur qualité de magistrat que les
membres du ministère public puisent leur légitimité. Qu'il s'agisse de contrôler l'action de la
police judiciaire en veillant au respect des libertés et des droits fondamentaux, d'examiner la
loyauté et la consistance des preuves avant de saisir le juge ou de s'exprimer, dans leurs
réquisitions, au nom de la société, les magistrats du parquet n'agissent qu'en considération de
la seule exigence de la défense de l'intérêt général, dans le respect du principe d'impartialité
auquel ils sont tenus » .
L’incompréhension persistante des magistrats du Ministère Public qui vivent
leur métier avec passion, porte sur la remise en cause, non pas de leur prérogatives, mais de la
légitimité de leur capacité à garantir eux aussi les libertés individuelles comme le Conseil
Constitutionnel ne cesse de leur rappeler. Certaines jurisprudences récentes ont des
incidences concrètes sur la régularité des actes d’enquêtes effectués sous le contrôle des
procureurs, et ceci constitue un enjeu qui concerne l’ensemble des justiciables, auteurs ou
victimes. La réforme engagée mais non encore finalisée du Conseil Supérieur de la
Magistrature, devrait donc impérativement aboutir pour garantir l’indépendance statutaire du
Ministère Public, et ne plus susciter quelque suspicion que ce soit sur son impartialité.
D’indispensables moyens aussi bien humains que matériels doivent être
donnés aux parquets. Le renforcement de l’autorité du Ministère Public sur la police
judiciaire, doit s’exprimer concrètement aussi bien en consolidant le rôle du parquet dans le
contrôle des enquêtes qu’en rappelant le principe du libre choix du service d’enquête par les
parquets. Depuis le 1er janvier 2014 policiers et gendarmes sont dotés d'un code de
déontologie commun, constituant des repères essentiels sur leurs obligations et leur cadre
d'action : discrétion, probité, discernement, impartialité. Je ne doute que le respect de ces
normes facilite la relation qu'ils entretiennent avec nos concitoyens.
Procureurs généraux et procureurs doivent pouvoir être associés à la
répartition des moyens, des effectifs au sein des services de police judiciaire, pour être
véritablement en mesure de mettre en œuvre la politique pénale décidée au niveau national,
déclinée régionalement et localement.
La commission NADAL recommande aussi, mesdames et messieurs les
bâtonniers, d’introduire une phase de contradictoire dans les enquêtes longues qui n’ont pas
fait l’objet d’ouverture d’une information judiciaire, et de généraliser l’assistance d’un avocat
au moment du défèrement.
Les membres de la Commission ont parfaitement conscience de l'urgence de
la situation et des espoirs placés en elle, mais aussi qu’un certain nombre des 67
préconisations qu’elle formule ne se réaliseront pas à court terme, compte tenu notamment de
la nature normative, législative, voire constitutionnelle de certaines d’entres elles, mais il
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importe que ces chantiers normatifs soient engagés et que les préconisations les plus
opérationnelles et parfaitement réalistes, soient rapidement mises en œuvre. Cela me paraît
tout simplement vital pour le ministère public français.
Une Europe judiciaire en construction
L’Europe judiciaire avance. L’an dernier j’évoquais le concept de procureur
européen qui a connu un développement tout à fait concret cette année, avec l’officialisation
le 17 juillet 2013 par la Commission européenne de la proposition de texte portant création
de ce parquet sur un modèle fédéral : le procureur européen serait nommé par le conseil des
Ministres de la Justice et le Parlement européen pour huit ans. Ce procureur nommerait à son
tour des procureurs européens délégués dans chacun des états membres sur une liste proposée
par les gouvernements. L’ensemble du parquet sera soumis au contrôle du parlement
européen, du conseil des Ministres et de la Cour de Justice. Il pourra ordonner des mesures
d’enquêtes, diverses investigations (perquisitions…) en respectant chaque droit national,
mais les personnes poursuivies continueront à être jugées par les juridictions nationales, car
pour le moment il n’est pas question de créer une Cour pénale européenne.
Certes, tous les obstacles ne sont pas franchis, certains Parlements nationaux
estimant que cette proposition empiéterait sur les compétences nationales, il n’est pas
impossible qu’à défaut d’unanimité, ce projet ne réunisse que ceux des Etats membres
volontaires dans le concept de « la coopération renforcée », mais incontestablement les
choses avancent.
L’Europe de la justice, c’est aussi l’adoption le 22 octobre 2013 par le
parlement européen et le conseil de l’union européenne de la directive relative à l’accès à
l’avocat que les états membres doivent transposer dans leurs droits nationaux avant novembre
2016. Cette directive est la 3ème mesure de la feuille de route « garantie procédurale » après
la directive relative au droit à l’interprétariat et à la traduction adoptée le 22 octobre 2010 qui
a fait l’objet en juillet 2013 d’une loi désormais applicable sur notre territoire national et de la
directive relative au droit à l’information adoptée le 22 mai 2012. Cette dernière directive
vient parachever l’harmonisation des règles de procédure pénale applicables aux personnes
suspectées ou poursuivies quel que soit l’Etat membre dans lequel la procédure est conduite.
Elle élargie les conditions dans lesquelles une personne suspectée et poursuivie peut être
assistée par un avocat pendant toute l’audition y compris au regard des « auditions libres ».
S’agissant de la directive relative au droit à l’information adoptée le 22 mai
2012 et qui doit être transposée avant le 12 juin 2014, qui concerne notamment l’accès aux
pièces d’un dossier même aux prémices de la procédure, la France entend bien appliquer dans
toutes ses dispositions cette directive qui constituera incontestablement une avancée dans
l’expression concrète des droits de la défense. Il ne m’apparaît toutefois ni nécessaire ni
opportun d’ici là d’entretenir la confusion en anticipant cette évolution. Il convient
d’envisager sereinement, de manière pragmatique et concrète, notamment dans les services
d’enquête, comment réaliser ce nouvel équilibre qui doit tenir compte des conditions déjà
effectives de l’exercice de ces droits dans chacun des pays de l’union européenne.
Je profite de cette occasion, Mesdames et Messieurs les bâtonniers pour
féliciter ceux et celles qui d’entre vous ont été élus à la tête de leur barreau ces dernières
semaines, et pour le barreau de Marseille de féliciter le bâtonnier désigné. Qu’il me soit
permis de redire aux bâtonniers qui ont terminé leur mandat, combien il m’a été agréable,
avec les membres de mon parquet général, mais bien sûr les parquets du ressort, d’avoir pu
travailler en étroite collaboration avec vos ordres, dans le respect de chacune de nos
institutions et de nos prérogatives, mais dans l’intérêt toujours bien compris du justiciable.
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Je ne peux manquer de souligner l’élection du bâtonnier Marc Bollet à la
tête de la conférence des bâtonniers. Je comprends que le barreau marseillais soit fier de voir
l’un d’entre eux porté à la tête de cette organisation professionnelle nationale.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs, l’année 2014 sera à nouveau riche
d’échéances tout simplement essentielles pour l’institution judiciaire qui concernent non
seulement les professionnels que nous sommes les uns et les autres, mais chacune et chacun
de nos concitoyens.
A l’aube de cette nouvelle année, notre audience solennelle constitue une
nouvelle étape empreinte à la fois de nostalgie lorsque l'on songe à la fuite du temps et
d’espérance dans l’avenir qui nous attend. Qu’il soit empli de notre engagement sans cesse
renouvelé, de notre volonté collective de voir progresser la Justice.
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