Discours de M.Dallest, Procureur Général

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Discours de M.Dallest, Procureur Général
DISCOURS AUDIENCE DE RENTREE DE LA COUR
D'APPEL DE CHAMBERY LE 8 JANVIER 2016
Je salue tous nos invités qui nous font l’honneur d’être parmi
nous, à Chambéry, cette ville qui a été la capitale politique des
comtes de Savoie connus sous le surnom, évocateur, de
« portiers des Alpes ».
Ces Alpes si belles nous rassemblent Suisses et Français,
Dauphinois et Savoyards et nous rapprochent dans un destin
partagé et riche d’ambitions communes.
Discourir lors d’une audience de rentrée amène cependant à
des considérations plus prosaïques sur le fonctionnement de
notre justice, cette vertu inatteignable.
Je ne crois pas être atteint par ce mal judiciaire français, qui
consiste à se lamenter encore et toujours du manque de
moyens, comme une figure imposée des discours de rentrée,
qui ne peut que lasser l’assistance.
Dérogeant pourtant à ma règle de conduite, je voudrais me
faire l'écho d'un mal être profond: celui des procureurs de la
république dont la presse s'est fait récemment l'écho.
Assumant avec dévouement les obligations qui sont les leurs,
animés par le seul souci de servir la justice, les procureurs sont
inquiets et le disent tout haut afin que nul n'en ignore.
Trop de missions toutes plus prioritaires les unes que les
autres !
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trop de sollicitations de toute nature, qui deviennent de
véritables contraintes !
des contraintes d’abord propres à l’institution :
pression permanente de l'urgence pénale, charge
juridictionnelle toujours plus lourde eu égard aux multiples
priorités d'action publique, insuffisance des effectifs, nécessité
d'une gestion parcimonieuse des ressources financières ce qui
n'est pas sans peser sur les choix de politique pénale
mais aussi des exigences sociétales qui ajoutent à l’inconfort de
la fonction :
medias comminatoires en quête d'informations immédiates sur
les enquêtes en cours, victimes exaspérées en attente de
jugement et d’une réparation quelquefois impossible,
justiciables en colère, éternellement en colère, toujours
prompts à mettre en cause une justice aveugle, sourde et bien
évidemment laxiste!
Comme mon homologue de Grenoble qui a connu également
les joies et les peines du métier de procureur, je n'en sais que
trop les dures contraintes et les pesanteurs. Assaillis de
responsabilités, soumis à des demandes contradictoires,
faiblement dotés, les procureurs doivent faire beaucoup avec
peu.
Le défi est quotidien.
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Conscients de leur devoir, mais meurtris, ils font face
néanmoins, espérant en des lendemains meilleurs que
l’avalanche des textes nouveaux et les obligations qui en
découlent rendent pourtant bien incertains.
Etre parquetier est rude et les candidats ne se bousculent plus
pour rejoindre l'équipe de rameurs, de galériens, qui sont en
charge de faire avancer la barque judiciaire pénale, chargée à
ras bord et affectée de voies d'eau permanentes.
J’exprime ma gratitude aux magistrats du parquet qui,
malgré vents et marées, tiennent bon, soucieux d’exercer leur
mission avec cœur.
Le métier de parquetier attire peu et seule l'affectation de
jeunes magistrats sortant de l'école de la magistrature vient
combler les vacances de postes, toujours nombreuses et
souvent durables.
Je comprends quant à moi ce mal être, ce mal vivre des
magistrats des parquets, qui veulent si bien faire et qui sont
souvent si démunis face aux attentes renforcées de notre
société en quête inlassable de sécurité.
Immergés au point de manquer d'oxygène, comme le dirait le
président de la conférence des procureurs, les magistrats du
ministère public peinent à assurer leur mission d'intérêt
général, ployant sous la tâche et haletant sous l'effort. En
quête légitime de reconnaissance notamment symbolique, ils
ont besoin de marques tangibles d'estime et de considération.
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La perfusion ne suffira plus. Le remède doit être radical si l'on
veut que l'institution joue pleinement le rôle qui doit être le
sien: poursuivre les infractions à la loi pénale et assurer sa
mission d'ordre public au service de nos concitoyens.
Je ne vois pour ma part que deux solutions:
_la première consisterait à alléger l'embarcation judiciaire
surchargée en déjudiciarisant et en dépénalisant
massivement .
J'ai toujours été quant à moi partisan de la décroissance
pénale. Mais, étant réaliste, je ne crois pas que cette option,
pourtant salutaire, emporte l'adhésion de nos décideurs et des
bâtisseurs de nos lois tant est forte la demande de sanction et
de punition émanant du corps social français.
_ L'autre solution, alternative et beaucoup plus simple à
mettre en œuvre, consisterait à compléter l'équipage, par un
renfort de bras, bien nécessaire.
Ces bras, je les vois non pas forcément dans la nomination de
magistrats supplémentaires, mais plutôt dans l'affectation au
sein des parquets d'assistants qu'ils soient spécialisés ou non.
J'ai pu juger dans de précédentes fonctions de l'apport,
crucial, des fonctionnaire issus des finances publiques, de la
douane, des services de santé et qui travaillent aux côtés des
magistrats. Affectés dans certaines juridictions confrontées à
des contentieux spécifiques, ces assistants de haute technicité
contribuent très efficacement au bon fonctionnement de la
justice, du parquet comme de l'instruction d'ailleurs.
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Mais, je vais quant à moi plus loin en militant depuis
longtemps pour l'affectation de fonctionnaires de police et de
militaires de la gendarmerie au sein du ministère public.
Dans la situation de grande tension que nous connaissons, ces
officiers de liaison ainsi détachés dans les parquets se
verraient confier des attributions essentielles et aideraient très
certainement à un meilleur fonctionnement de la machine
pénale.
Je pourrai en citer quelques unes : analyse des phénomènes
criminels du ressort, études statistiques, élaboration de
dossiers thématiques, suivi opérationnel des enquêtes, liaison
avec les services saisis et les administrations compétentes, aide
à la permanence téléphonique etc...
Aux côtés de greffiers assistants, ces OPJ détachés
compléteraient efficacement l'équipe du ministère public en
rendant celui-ci apte à réagir encore mieux à l'événement et en
démultipliant son action dans le champ pénal.
Enivré par un espoir fou , je vais jusqu’à suggérer qu'un
statisticien, un documentaliste et un attaché de presse viennent
un jour renforcer le parquet, qui passerait ainsi de l'artisanat
pénal à la PME moderne, apte à remplir enfin la vaste mission
qui lui est confiée par la société.
Rentrons enfin dans le XXIème siècle ! Donnons nous des
espaces de progrès dans l’intérêt d’une meilleure justice.
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A l'heure où vont s'élaborer programmes et professions de foi
politiques, j'émets le vœu que ces propositions d'intérêt public
soient examinées de près par ceux qui ambitionnent de
présider aux destinée de notre pays.
« Les hommes ayant de grandes prétentions et de petits projets »
dirait VAUVENARGUES, je reviens à notre présent et aux
réalisations, modestes mais profitables, qui pourraient être les
nôtres dans cette année 2016.
Monsieur le Premier Président,
Nous partageons une ambition pour notre cour: insérer celle-ci
encore davantage dans la cité, dans nos départements et dans
notre région si riches de talents et de projets.
Nous sommes partisans tous les deux d'une justice ouverte à la
ville, d'une justice accueillante certes aux justiciables, c'est sa
mission première, mais aussi à tous ceux qui sont intéressés
par son fonctionnement et l'apport qui peut être le sien à la
bonne marche de notre société.
La montagne est déjà un thème bien investi qui voit se
parfaire ce rapprochement entre le monde du droit, le nôtre,et
celui des professionnels de cet espace d'activité, de vie mais
aussi malheureusement de drames.
Se connaître pour se comprendre et voir en l'autre un
partenaire utile et non un adversaire, voilà notre ambition.
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Étant un chaud partisan d'une justice pénale restaurative,
pédagogique et éducative et pas seulement sanctionnatrice et
punitive, je crois qu'ainsi, elle peut contribuer davantage à la
cohésion sociale et faire progresser notre communauté
humaine.
Le conseil de juridiction que nous devrons mettre en place
peut être ce carrefour d'idées et d'échange entre nous et la
société civile dont on sait qu'elle fourmille de projets qui
peuvent nous intéresser directement.
Avec l'Université SAVOIE MONT BLANC- je salue le doyen
de la faculté de droit- avec les acteurs judiciaires locaux, avec
les élus, les socio-professionnels, les associations et les
administrations, nous devons nouer des liens constructifs,
donner à voir nos réalisations et nous enrichir de regards
nouveaux.
La famille, la jeunesse, les personnes âgées, l'habitat,
l'environnement, le travail sont quelques uns des sujets qui me
semblent fédérateurs et porteurs de réflexions et d'actions
communes innovantes.
A nous, chefs de cour, d'impulser ce mouvement et ces
rencontres.
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Monsieur le Préfet,
Soyez remercié de votre présence.
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Vous avez découvert la Savoie, ses atouts,ses richesses et sa
beauté mais aussi ses particularités moins agréables comme sa
délinquance polymorphe.
L’immigration illégale, les trafics et fraudes de toutes sortes, le
blanchiment, les atteintes aux personnes et aux biens du
quotidien, la violence routière vous préoccupent et nous
préoccupent vivement.
Soutenus par le parquet général, les procureurs de
CHAMBERY et d’ALBERTVILLE, des magistrats solides et
motivés, vous apporteront sans hésitation leur soutien à la
lutte résolue contre les illégalités qui doit être notre
détermination commune.
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A messieurs les nouveaux bâtonniers d'ANNECY,
BONNEVILLE, CHAMBERY et THONON LES BAINS
j'adresse mes amicales félicitations pour leur élection.
Ils savent la charge écrasante de la fonction et sauront, je n'en
doute pas, œuvrer comme leurs prédécesseurs, avec
détermination et conviction pour le bien de leurs barreaux et
de nos concitoyens.
La défense est plus que jamais nécessaire surtout dans cette
période de tous les dangers que nous vivons actuellement.
Gardons à l’esprit cette formule tirée d’un roman de PD
JAMES : « C'est quand les gens commencent à dire la vérité
qu'ils ont souvent le plus besoin d'un avocat »
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Un mot d'amitié à l'intention d'Olivier JORNOT, procureur
général de la République et canton de GENEVE, qui nous fait
l'honneur d'être présent à cette audience.
Cher Olivier,
La cour d'appel de CHAMBERY a beaucoup travaillé au
profit du ministère public genevois cette année en vous
adressant moult délinquants d'origine étrangère recherchés
par la justice genevoise et interpellés sur le sol français.
Nous poursuivrons nos échanges tant nous partageons un
espace commun où s'épanouit malheureusement la criminalité.
La lutte contre le trafic de drogue et les cambriolages, sans
oublier le brigandage,
resteront comme nos priorités
majeures en 2016.
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La lutte contre la criminalité et la délinquance est toujours un
combat périlleux. L'année 2015 a montré combien le travail
des forces de l'ordre pouvait être exposé.
Une année tragique pour la France et pour ceux qui ont la
lourde charge de la protéger !
La menace n’a jamais été aussi présente, diffuse, inquiétante.
Le risque est permanent comme l'ont encore montré il y a
quelques jours les événements de VALENCE et de PARIS,
hier.
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L'état d'urgence pèse sur la police et la gendarmerie nationale
comme il pèse sur l'armée, la douane et l'ensemble des services
de l’État. Les missions s'enchaînent sans relâche en exigeant
une vigilance de tous les instants.
La nation doit soutien et reconnaissance aux forces de sécurité.
Elle l'a exprimée clairement l'année dernière. Elle doit le faire
cette année encore.
J'adresse pour ma part des remerciements appuyés aux
policiers de la sécurité publique, de la PAF, de la police
judiciaire, des CRS et du renseignement territorial, aux
gendarmes des groupements et de la section des recherches,
aux douaniers ainsi qu'aux militaires de l'armée de terre qui
ont durement travaillé en 2015 dans nos deux départements
pour nous protéger.
Aux fonctionnaires de l'administration pénitentiaire et de la
protection judiciaire de la jeunesse, j'exprime également ma
gratitude pour le travail difficile qui a été le leur cette année
encore. Leurs publics ne sont pas les plus simples à gérer. Ils
l'ont fait avec abnégation et un engagement toujours
remarquable.
Ma reconnaissance va également à tous les fonctionnaires de la
cour et des juridictions sans lesquels la justice savoyarde
n’aurait pu fonctionner. On aimerait là aussi que leurs bras
soient plus nombreux, tant leur travail est intense et exigeant.
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Mes remerciements enfin et mes meilleurs vœux aux
membres des tribunaux de commerce et des conseils des
prud’hommes, aux experts, conciliateurs,
médiateurs,
délégués du procureur ainsi qu'aux professionnels du chiffre et
du droit qui concourent à l’œuvre de justice et avec lesquels
nous avons échangé de façon très intéressante cette année
encore.
Je salue particulièrement le président MARCZEWSKI qui
anime de main de maître la chambre interdépartementale des
notaires et avec lequel la cour et le parquet général travaille en
toute confiance.
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Je voudrais terminer par un bref retour vers le passé.
L'année 2015 fut terrible. La barbarie s'est abattue sur la
France. La nation a été touchée en son cœur. La plaie est
profonde et la guérison sera longue.
L'état de droit demeure néanmoins avec ses exigences
nouvelles qu'impose la lutte résolue contre ceux qui souhaitent
instaurer le règne de la terreur et de l'intimidation, en
application d'une idéologie bassement criminelle.
Puisons dans notre histoire ô combien fertile en tragédies
quelques enseignements féconds.
Le 8 janvier 1900, il y a donc très exactement 116 ans, naissait
François de MENTHON, dont la famille est installée depuis
des lustres sur les bords du lac d'ANNECY.
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Grand juriste, il fut garde des sceaux en 1945. Résistant
engagé, il fut aussi le délégué du gouvernement provisoire de
la république française près le tribunal militaire international
de NUREMBERG.
Le 17 janvier 1946, il y a 70 ans, François de MENTHON qui
fut chargé de l'exposé introductif de l'accusation française en
appela à la grande espérance d'un avenir meilleur pour la
condition humaine.
« cette grande espérance, conclut-il, parfois balbutie, ou se
trompe de route ou ruse avec elle-même, ou connaît
d'effroyables retours de barbarie, mais toujours elle persiste et
finalement constitue le puissant levier qui fait progresser
l'humanité ».
Ces aspirations toujours renaissantes, poursuit-il, ces
inquiétudes constamment en éveil, cette angoisse sans cesse
présente, ce combat perpétuel contre le mal forment en définitive
la sublime grandeur de l'homme »
Que ces paroles de sagesse nous aident à vivre ces temps de
crainte mais aussi d'espoir.
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Monsieur le Premier Président
je requiers qu'il vous plaise:
_ déclarer close l'année judiciaire 2015
_ déclarer ouverte l'année judiciaire 2016
_et dire que du tout, il sera dressé procès verbal
conformément à la loi
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