Juste la fin du monde Un film de Xavier Dolan

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Juste la fin du monde Un film de Xavier Dolan
Juste la fin du monde
Un film de Xavier Dolan
Xavier Dolan poursuit son travail sur les affres de l’intimité, les heurs et malheurs
familiaux. Il ne faut cependant pas se tromper, ainsi que l’indique le titre du film sorti sur les
écrans français le 21 septembre 2016, la déliquescence des relations familiales, leurs difficultés
à se vivre est une parabole d’un monde tout entier en décomposition et proche de sa fin.
Lars von Trier, dans ce qui est sans doute son meilleur film à ce jour Melancholia poursuivait
la même réflexion, opérait les mêmes rapprochements entre l’intime et le cosmique.
Xavier Dolan utilise de manière virtuose les moyens du grand cinéma mélodramatique
classique : acteurs de premier plan, gros plans, musique très présente, sentiments exacerbés…
pour traiter une histoire presque intemporelle : l’annonce, tout au moins sa tentative, par un fils
qui s’est éloigné de sa famille pendant plus de dix ans, de sa mort prochaine.
A la différence de ses films précédents, le cinéaste canadien a ici abandonné le joual, ce parler
québécois populaire qui nécessite, pour être compris, d’être sous-titré. Ses acteurs sont
maintenant français, et parmi les plus célèbres et les plus renommés. Il n’est pas non plus à
l’origine du scénario, inspiré d’une pièce de théâtre du dramaturge français Jean-Luc Lagarce,
mort du sida en 1995. Cependant, c’est bien son univers que l’on retrouve dans Juste la fin du
monde. Univers de l’excès des sentiments, des souffrances intimes et familiales et de
l’impossibilité pour les êtres de se comprendre. Ou bien, avant même de se comprendre,
impossibilité de dire, de se dire.
On souligne souvent, avec raison, la nécessité de trouver les mots justes pour raconter, on dit
d’autant la nécessité à dépasser les non-dits. Certes, cependant, interroge Nolan, la parole estelle toujours le chemin pour apaiser les douleurs, elle semble parfois les porter à vif. La presque
dernière image du film, celle montrant Louis, le doigt sur les lèvres, invitant sa belle-sœur à ne
pas rompre le silence, fragile, rejoint les mots qui terminent le Tractatus de Wittgenstein : « Ce
dont on ne peut parler, il faut le taire ».
Les circonstances ont fait que, la veille de découvrir Juste la fin du monde j’ai regardé à la
télévision son film précédent Mommy. Je n’avais encore pu le voir. Sans doute est-il encore plus
puissant, en particulier parce qu’il est pleinement québécois ; les deux actrices qui occupent
l’écran sont tout à fait exceptionnelles, il est juste de les nommer : Anne Doval et Suzanne
Clément. Là aussi, une histoire de souffrances familiales mais avec une sorte de vitalité peutêtre absente du film actuel.
Quoi qu’il en soit, Xavier Dolan, déjà auteur de six films à vingt-sept ans, est un cinéaste
exceptionnel, un grand certainement. On peut souhaiter qu’avec les années, il développe un art
qui saura s’exprimer autrement que dans la mise en scène de sentiments paroxystiques, même
s’il y excelle et si cela correspond à son univers. Il y a toujours quelque facilité à traiter de sujets
sont presque « hors normes ». La minceur d’une histoire, sa presque futilité sont le test des
capacités d’un artiste à sublimer ce qui n’est que de peu d’importance.
Juste la fin du monde fut distingué par le festival de Cannes en mai 2016. Il remporta le Grand
Prix ainsi que le prix du jury œcuménique.
+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers

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