juste la fin du monde

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juste la fin du monde
JUSTE LA FIN DU MONDE
Cannes 2016 – Juste la fin du monde de Xavier
Dolan : un huis clos familial d’une intensité
magnifique
De retour en compétition sur la Croisette après
Mommy, le jeune réalisateur québécois plonge
Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel, Léa
Seydoux et Marion Cotillard dans une histoire de
famille névrosée.
Parmi les films les plus attendus de la compétition, ce
sixième long métrage de Xavier Dolan est aussi le
premier où nul accent québécois ne retentit – les
acteurs sont tous français. Il y a déjà un petit miracle
dans la préservation du style du réalisateur sans sa
signature sonore la plus repérable. L'équilibre, plutôt
le déséquilibre, entre intensité et dérision, entre
exubérance et désespoir, qui a fait l'éclat des films
précédents, est bien là, tout de suite, dans une autre
« musique », presque une langue différente.
D'emblée, il y a aussi la force dramaturgique de JeanLuc Lagarce, dont Xavier Dolan adapte (en la
modifiant beaucoup) la pièce Juste la fin du monde.
Avec ce texte, reviennent les douleurs d'une époque,
déjà lointaine, où il était fréquent de mourir du sida
(Lagarce en est mort en 1995). Et où l'homophobie,
bien plus virulente encore qu'aujourd'hui, déchirait les
familles concernées. C'est dans ce contexte
(seulement suggéré par le film) que le héros (Gaspard
Ulliel, doux et fantomatique), âgé de 34 ans, revient
dans sa modeste famille provinciale, avec le projet
d'annoncer sa mort prochaine. Il n'a pas vu sa mère
(Nathalie Baye), son frère aîné (Vincent Cassel) et sa
petite sœur (Léa Seydoux) depuis douze ans. Il n'a pas
jamais rencontré sa belle-sœur (Marion Cotillard),
même à l'occasion de la naissance de ses neveux. Il
est devenu écrivain, pour le théâtre, dans la capitale.
Dès le retour du jeune homme à la maison, la
modernité du texte réside dans l'impossibilité de la
moindre communication entre lui et les siens. Il
n'arrive pas à dire. Ils ne veulent pas, ne peuvent pas
entendre. C'est un moment de gêne absolue et
d'hystérie impossible à contenir, un moment où
toutes les névroses familiales, les jalousies, les
frustrations, mais aussi les adorations se rejouent une
dernière fois, dans le chaos le plus total.
Xavier Dolan ne commet pas l'erreur de fuir le théâtre,
puisqu'il l'a choisi, comme pour Tom à la ferme.
Hormis une violente scène en voiture entre les deux
frères, le huis clos est assumé. Mais des bouffées de
lyrisme inouïes, dues au seul cinéma, viennent
régulièrement suspendre l'impossible réconciliation
familiale. Tout se joue sur les visages, dans les
échanges de regards, d'une intensité magnifique. A
chaque acteur, Dolan réussit à arracher une
vulnérabilité inédite. A Vincent Cassel, le grand frère
prolo et ordurier dont on aperçoit les fêlures.
A Nathalie Baye, en « pot de peinture » dont la
nervosité fofolle n'empêche pas une folie plus
profonde. A Marion Cotillard, bouleversante en bellesœur effacée et mal à l'aise au possible…
Depuis J'ai tué ma mère, jusqu'à Mommy c'est la
honte de soi qui sépare les membres d'une famille
dans les films de Xavier Dolan. Avec Juste la fin du
monde, où la noirceur prend le pas sur l'humour, la
séparation est consommée, sans appel. Comme
une cérémonie des adieux. Peut-être la fin d'un cycle
dans une œuvre déjà riche, d'une cohérence
saisissante.
Louis Guichard

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