Section 1. Les critères du service public

Transcription

Section 1. Les critères du service public
PARTIE 2. LES SERVICES PUBLICS
Le service public est une activité assurée directement ou indirectement par une personne publique
en vue de la satisfaction d’un intérêt public. Si le service public a longtemps été une catégorie homogène,
elle est aujourd’hui une catégorie éclatée : certains services publics sont gérés par des personnes
publiques, d’autres par des personnes privées ; certains sont des services publics administratifs, d’autres
des services publics industriels et commerciaux.
CHAPITRE 1. LA NOTION DE SERVICE PUBLIC
Section 1. Les critères du service public
Le service public est une activité. Il ne désigne jamais en droit une personne. Il est par
conséquent faux d’affirmer que la SNCF est un service public. La SNCF n’est pas une activité, c’est un
établissement public gérant le service public des transports ferroviaires.
Le service public est une activité générale gérée directement ou indirectement par une personne
publique. Une activité peut être qualifiée de service public par un texte. Cette qualification peut au
contraire résulter d’une analyse juridique.
A. La qualification par un texte
Lorsqu’un texte qualifie une activité de service public, cette qualification ne s’impose au juge
que si elle résulte d’une loi ou d’un texte de valeur supra-législative. Dans le cas contraire,
l’exactitude de la qualification textuelle est contrôlée par le juge. Ce dernier dispose alors du pouvoir de
requalifier l’activité en cause.
B. La qualification par recours aux critères
Lorsqu’une activité n’est qualifiée de service public par aucun texte ou par un texte de valeur
infra-législative, le juge administratif doit vérifier que les critères organique et matériel sont
cumulativement remplis :
1. UN CRITERE ORGANIQUE
Une activité ne peut être un service public que si elle est gérée directement ou indirectement
par une personne publique.
Une activité est gérée directement par une personne publique lorsque c’est la personne
publique elle-même qui exécute le service public, en recourant à ses moyens matériels, humains et
financiers. On parle alors d’activité gérée en régie.
Il en va ainsi du service public de la justice géré directement par l’Etat ou du service public de la
propreté à Paris géré directement par la Commune de Paris.
Une activité est gérée indirectement par une personne publique, lorsqu’il revient à une
personne privée, sous le contrôle de la personne publique, d’exécuter une mission de service
public. On parle alors de délégation de service public.
Pour qu’un service public soit géré par une personne privée, il est nécessaire que cette gestion
demeure sous le contrôle d’une personne publique. Ce lien entre la personne privée gestionnaire et la
personne publique délégante, se matérialise :
1
Soit sous la forme d’une délégation expresse
Il s’agit de l’hypothèse la plus évidente. La délégation est la conséquence d’un acte contractuel
de délégation, conclu entre une personne publique et une personne privée. Ce contrat détermine, entre
autres, l’objet de la délégation, sa durée, les obligations de la personne privée et sa rémunération.
Soit sous la forme d’une délégation implicite
Il y a délégation implicite lorsque la personne privée gestionnaire est une société dont le
capital est détenu majoritairement par une personne publique (ex : EDF, …).
Il y de même délégation implicite lorsque plusieurs indices sont réunis :
l'indice de l’origine de la personne privée exerçant l’activité à
qualifier :
l’indice du caractère d’intérêt général de l’activité en cause ;
l’indice de l’origine des ressources de la personne gestionnaire ;
l’indice des mécanismes de contrôle de la personne privée à la
disposition de la personne publique (nomination des dirigeants,
contrôle de la gestion, représentation des intérêts de l’Etat, …) ;
l’indice de l’existence ou de l’absence de prérogatives de puissance
publique.
CE, Sect., 28 juin 1963, Narcy
″Cons. qu'il résulte de l'instruction que, depuis sa création, le fonctionnement du Centre
technique des industries de la fonderie a toujours été assuré pour plus de moitié par des
cotisations obligatoires [MODALITES DE FINANCEMENT]] et que notamment le
pourcentage desdites cotisations dans les ressources du Centre s'est élevé en 1957 et 1958 à
95 et 97.
″Cons. qu'en vertu de l'article 1er de la loi du 22 juillet 1948, les ministres compétents sont
autorisés à créer [ORIGINE DE LA PERSONNE PRIVEE]] dans toute branche d'activité
où l'intérêt général de commande [ACTIVITE D’INTERET GENERAL]], des
établissements d'utilité publique dits centres techniques industriels ayant pour objet, aux
termes de l'article 2 de la loi, «de promouvoir le progrès des techniques, de participer à
l'amélioration du rendement et à la garantie de la qualité de l'industrie » ; qu'en vue de les
mettre à même d'exécuter la mission d'intérêt général qui leur est ainsi confiée et d'assurer à
l'administration un droit de regard sur les modalités d'accomplissement de cette mission, le
législateur a conféré aux centres techniques industriels certaines prérogatives de puissance
publique [EXISTENCE DE PREROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE]] et les a
soumis à divers contrôles de l'autorité de tutelle [CONTROLE DE LA PERSONNE
PUBLIQUE SUR LA PERSONNE PRIVEE]] ; qu'en particulier il ressort des termes
mêmes de l'article 1er de la loi précitée qu'il ne peut être créé dans chaque branche d'activité
qu'un seul centre technique industriel ; que chaque centre est investi du droit de percevoir sur
les membres de la profession des cotisations obligatoires ; que les ministres chargés de la
tutelle des centres techniques industriels pourvoient à la nomination des membres de leur
conseil d'administration et contrôlent leur activité par l'intermédiaire d'un commissaire du
gouvernement doté d'un droit de veto suspensif ;
″Cons. qu'en édictant l'ensemble de ces dispositions et nonobstant la circonstance qu'il a
décidé d'associer étroitement les organisations syndicales les plus représentatives des
patrons, des cadres et des ouvriers à la création et au fonctionnement des centres techniques
industriels, le législateur a entendu, sans leur enlever pour autant le caractère d'organismes
privés, charger lesdits centres de la gestion d'un véritable service public″.
2
Il ne faudrait cependant pas croire que le critère organique ne soit rempli que si tous ces
indices sont réunis. Les considérations d’opportunité sont déterminantes.
A l’inverse, on a longtemps cru que l’absence de prérogatives de puissance publique empêchait la
reconnaissance de tout service public. Cependant, le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 20 juillet 1990,
Ville de Melun, a reconnu qu’une activité gérée par une association était une mission de service
public, alors même que cette association ne disposait pour ce faire d’aucune prérogative de
puissance publique. Ainsi, il apparaît clairement qu’aucun indice n’est déterminant.
2. UN CRITERE MATERIEL
Pour qu’une activité soit qualifiée de service public, elle doit être gérée directement ou
indirectement par une personne publique. Elle doit de plus être une activité d’intérêt général.
En effet, si le critère organique est important, il ne suffit pas. Il est nécessaire que l’activité gérée
directement ou indirectement par une personne publique soit d’intérêt général. La notion d’intérêt
général n’est pas figée dans le temps. Bien au contraire, elle évolue avec lui. Il a ainsi fallu attendre l’arrêt
du Conseil d’Etat du 7 avril 1916, Astruc et Société du Théâtre des Champs-Elysées, pour que les
activités culturelles soient enfin considérées comme des activités de service public.
L’intérêt général reste une notion difficile à définir. Il est généralement ce que les personnes
publiques veulent qu’il soit. En tout état de cause, il ne s’oppose pas à ce que l’activité en cause soit
financièrement rentable. Néanmoins, la recherche exclusive du profit s’oppose à ce que l’activité soit
reconnue comme un service public.
CE, 12 mars 1999, Ville de Paris
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat refusa de considérer que le restaurant L’Orée du Bois, situé à
l’intérieur du Bois de Boulogne, exerçait une mission de service public. Il jugea que ″si
l’activité du restaurant (…) contribu[ait] à l’accueil de touristes dans la capitale et
concour[rait] ainsi au rayonnement et au développement de son attrait touristique, cette seule
circonstance, compte tenu des modalités d’exploitation de l’établissement et de son intérêt
propre, ne suffi[sait] pas à lui conférer le caractère d’un service public″.
A contrario CE, 25 mars 1966, Ville de Royan
Dans cette décision, le Conseil conclut qu’une activité de casino pouvait être considérée
comme un service public, dès lors qu’en l’espèce, elle contribuait au développement de la
station touristique et balnéaire de la ville de Royan. Le Conseil jugea qu’″avec tout ce que
comporte un semblable établissement, tels que représentations théâtrales, concerts, bals, salle
de lecture et bibliothèque, jeux divers, salle d’escrime, restaurant″, le contrat conclu entre la
commune et le gestionnaire du casino était une ″concession de service public conclue dans
l'intérêt du développement de la station touristique et balnéaire″.
Section 2. Des services publics administratifs (SPA) et des services publics
industriels et commerciaux (SPIC)
Historiquement, le service public était un. Il était géré directement par les personnes publiques qui
trouvaient en lui leur raison d’être. Cependant, deux évolutions majeures sont intervenues, fracturant cette
unité :
L’apparition de deux catégories de services publics : les services publics administratifs (SPA) et
les services publics industriels et commerciaux (SPIC) ;
3
A l’origine, les services publics étaient tous des services publics administratifs. Le Tribunal des
Conflits a rompu, en 1921, cette homogénéité en reconnaissant aux côtés de ces services publics
administratifs, des services d’un type nouveau : les services publics industriels et commerciaux. Ces
services sont des services exploités par une personne publique « dans les mêmes conditions qu’un
industriel ordinaire » (TC, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest Africain dit Bac d’Eloka).
Cette distinction a de profondes conséquences sur le droit applicable et sur la juridiction
compétente. Ainsi, si les SPA sont régis par le droit public et si leurs contentieux relèvent du juge
administratif, les SPIC sont soumis au droit privé et voient leurs contentieux soumis au juge civil.
Cette distinction mérite d’être nuancée, sous l’effet de la jurisprudence du Conseil d’Etat et de
celle du Tribunal des conflits qui ont tenté et réussi à récupérer au profit de la juridiction administrative
certains des contentieux des SPIC.
La distinction entre les SPA et les SPIC est opérée :
- par un texte
Si la qualification est le fait d’un texte à valeur législative, le juge doit appliquer cette
qualification même si elle est erronée (TC, 24 avril 1978, Société Boulangerie de Kourou).
En revanche, si la qualification est le fait d’un texte à valeur infra-législative, le juge dispose du
pouvoir de contrôler cette qualification et peut, le cas échéant, procéder à sa requalification (TC, 24 juin
1968, Société Distillerie bretonne).
- en l’absence de toute qualification textuelle, par le recours à des critères
Le Conseil d’Etat, par son arrêt Union syndicale des industries aéronautiques (CE Ass., 16
novembre 1956), a posé le principe de l’administrativité des services publics. En conséquence de
quoi, tout service public est administratif à moins que 3 conditions cumulatives ne soient remplies :
il faut que l’objet du service soit comparable à celui mené par une entreprise commerciale
Si le service a pour objet la distribution de subventions, il est évident qu’un tel objet n’est pas
comparable à celui d’une entreprise privée (CE Ass., 16 novembre 1956, Union syndicale des industries
aéronautiques). Au contraire, la gestion d’une activité de ramassage des ordures est parfaitement
compatible avec une activité menée par une entreprise privée.
il faut que les ressources perçues pour exercer cette activité aient une origine comparable à
celle d’une entreprise commerciale
Si les ressources proviennent de redevances perçues sur les usagers en contrepartie des prestations
fournies, ce deuxième critère est considéré comme rempli (CE, 20 novembre 1998, SCI La Colline). Ce
n’est pas le cas si les ressources consistent en des subventions ou en des recettes fiscales.
il faut que les modalités de fonctionnement de la personne en charge de cette activité soient
identiques à ceux d’une entreprise commerciale
Les modalités de fonctionnement concernent la qualité des personnels employés, la possibilité ou
non de disposer de comptes bancaires, d’exercer une activité à prix coûtant ou à perte…
Les SPA peuvent être gérés aussi bien par des personnes publiques que par des personnes
privées :
Le Conseil d’Etat a progressivement reconnu que les SPA pouvaient parfaitement être gérés par des
personnes publiques.
4
Reconnaissance implicite
CE, Ass., 31 juillet 1942, Monpeurt
″qu'ainsi, les comités d'organisation, bien que le législateur n'en ait pas fait des
établissements publics, sont chargés de participer à l'exécution d'un service public″.
CE, Ass., 2 avril 1943, Bouguen
″Considérant (…) que le législateur a entendu faire de l'organisation et du contrôle de
l'exercice de la profession médicale un service public ; que, si le Conseil supérieur de l'ordre
des médecins ne constitue pas un établissement public, il concourt au fonctionnement dudit
service″.
Reconnaissance expresse
CE Sect., 13 janvier 1961, Magnier
″qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que le législateur a entendu instituer un
service public administratif dont la gestion est confiée, sous le contrôle de l’administration,
à des organismes de droit privé″.
Par cet arrêt, le Conseil d’Etat met fin à une distinction traditionnelle. Dorénavant, les services
publics peuvent être des SPA ou des SPIC. Ils peuvent être gérés indifféremment par des personnes
publiques ou des personnes privées. Cependant, il reste certains services publics que les personnes
publiques doivent, d’après la Constitution, gérer en régie. Il en va ainsi du service public de la justice, du
service public militaire, etc… De tels services sont dits services publics constitutionnels.
5