Les principes qui fondent le service public (Loi Rolland 1938
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Les principes qui fondent le service public (Loi Rolland 1938
Pour un renouvellement de la réflexion sur le service public d’éducation La conception actuelle du service public s’est lentement élaborée depuis la fin du 18 ème siècle à partir de l’émergence d’une part de la notion d’intérêt général et d’autre part de la représentation d’un bien commun. Cette conception s’est incarnée dans des pratiques d’administration et des décisions de justice avant de voir ses principes fondamentaux précisés dans la loi Rolland (1938) et réaffirmés en 1997. Selon cette loi, trois principes fondent le service public : - la mutabilité (ou adaptabilité) qui justifie que des modifications puissent être apportées au fonctionnement ou à l’organisation des services publics afin de satisfaire au mieux l’intérêt général, - la continuité et le fonctionnement correct qui signifient que l’administration est tenue de faire fonctionner correctement le service public et de l’assurer sans interruption, - l’égalité qui concerne aussi bien l’accès au service public que son fonctionnement ; il s’applique aux agents (égalité dans l’accès aux emploi publics) et aux usagers. Il entraîne de fait deux conséquences : la neutralité et la laïcité. Ce dernier principe qui s’appuie sur des clauses constitutionnelles peut s’entendre de plusieurs façons. L’opinion l’entend le plus souvent de façon mécanique : à situation identique, traitement identique. Mais sur le plan juridique il est entendu en fonction de variables liées à la situation ou aux conditions de fonctionnement du service public : à situation différente, possibilité de traitement différent. L’éducation est un Service Public Administratif (SPA) dont le régime administratif et juridique tend à se différencier de plus en plus de celui des Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC) en raison de leur place spécifique au sein de l’économie et également en raison d’une législation européenne d’inspiration libérale. Il résulte de cette évolution que la notion de service public apparaît dans l’histoire de la France comme liée à une idéologie politique particulière : celle de la République mais aussi au fondement des institutions, la Démocratie. Les services publics sont régulièrement l’objet de débats dont l’enjeu est rien moins que la représentation de la société et du rôle de l’État que se font ses diverses composantes de la nation. Ce qui bien sûr, entraîne un certain nombre de tensions, voire de contradictions et des évolutions importantes notamment dans la hiérarchie des valeurs qui traversent les principes du service public. En ce qui concerne l’éducation – qui selon Durkheim assure une fonction fondamentale pour perpétuer et renforcer l’homogénéité sociale et donc occupe une place particulière parmi les institutions – les enjeux de l’évolution des représentations et des attentes à l’égard du service public sont considérables et touchent tous les fonctions de la société. L’affaiblissement du rôle de l’État et des institutions et les mutations dans leur fonctionnement sont perceptibles à plusieurs niveaux : dans les hésitations des usages du vocabulaire (par exemple dans le domaine de la santé entre patient, usager et client), mais aussi dans un accent porté sur certains aspects du droit des usagers. Dans le domaine de la santé, le droit à l’information et au fonctionnement correct, à l’école le droit à la continuité du service public et à l’égalité sont de plus en plus souvent objets de litiges portés devant les tribunaux. Le débat porte sur la manière de considérer les grandes institutions : par exemple, leur sécularisation qui entraîne une nouvelle conception de la laïcité (Baubérot, 2004), les contradictions entre le mouvement d’institutionnalisation et l’incertitude induite par l’humanité des sujets auxquels elles s’adressent 1. On assiste par ailleurs à une sorte d’inversion des responsabilités au regard de la neutralité et de l’égalité, de plus en plus de familles considérant - à tort ou à raison - que les valeurs éducatives sont mieux prises en considération dans l’enseignement privé que dans l’enseignement public. 1 La pédagogie et les savoirs : éléments de débat, Débat entre Denis Kambouchner et Philippe Meirieu, Revue Française de Pédagogie, n° 137, 2002. 1 Depuis 1997, les échanges au niveau européen ont produit en France une forme d’acculturation de la notion de service public, notamment dans le domaine des SPIC. Les textes de la Commission européenne précisent le cadre politique (marchand) de ces dernières et introduisent la concurrence comme régulateur (énergie, transports publics, poste…). Mais si les SPA, et notamment l’éducation, relèvent de la subsidiarité, une réflexion commune s’est mise en place. Elle concerne la conception d’une société et d’une économie de la connaissance, l’articulation entre les objectifs de développement économiques et l’élévation du niveau de formation, la forme et le contenu des études dans l’enseignement supérieur (accords de Bologne). Au niveau mondial, les évaluations des systèmes éducatifs mises en place par l’OCDE contribuent à questionner les fondements et les principes d’une éducation conçue sur le modèle d’un service public à la française. Les éléments du débat sont complexes – et parfois confus : - jusqu’à quel point est-il légitime d’introduire les contraintes économiques dans la définition des orientations du service public ? - l’éducation peut-elle être un marché ? - les comparaisons internationales mettent en évidence des différences liées au caractère centralisé ou au contraire décentralisé des politiques éducatives et des oscillations autour des modèles nationaux (plus ou moins de décentralisation au cours du temps) ; quels en sont les avantages et les inconvénients ? - l’extension progressive de la continuité de l’offre de formation à l’ensemble de l’espace européen pour l’enseignement supérieur et la formation tout au long de la vie conjuguée à la libre circulation des travailleurs, a potentiellement des conséquences économiques considérables dans la définition des professions et pour l’emploi. Comment anticiper ces effets ? Sont-ils tous positifs ? - le service public d’éducation est de plus en plus interpellé à propos de ses résultats ; est-ce compatible avec la reconnaissance de la spécificité des professions de l’humain auxquelles est attribuée une obligation de moyens mais non pas de résultats ? À l’intérieur de l’espace national, la décentralisation et la déconcentration ont des effets sur la conception et le fonctionnement du service public d’éducation, accrus depuis le transfert de compétences opérés en 2005. En ce qui concerne l’éducation, le transfert a des retentissements au-delà des compétences strictement transférées. Les collectivités territoriales assument de plus en plus des responsabilités dans le développement des moyens au service d’une véritable politique locale d’éducation et de formation : - complémentaire de celle de l’État (exemple : l’accompagnement éducatif à l’école et au collège) ; - en lien avec une politique de la ville, vis-à-vis de la jeunesse, des dispositifs d’intégration sociale et de solidarité dans le domaine culturel, sportif et éducatif ; - par négociation avec les services de l’État, elles influencent l’offre de formation (par exemple : ouverture de nouvelles sections de formation dans les établissements publics). Le débat est à la fois idéologique, administratif et budgétaire. Il porte entre autre sur : - l’unité du service public ; jusqu’où peuvent aller les adaptions locales sans remettre en cause l’unité de la République ? sont-elles légitimes au regard du principe d’égalité ? - l’action des collectivités territoriales s’articule avec celle de l’état dans les grands domaines des SPA (notamment santé et éducation) ; jusqu’à quel point cette articulation ne déresponsabilise-t-elle pas l’État dans les domaines qui relèvent traditionnellement de l’action publique (exemple : embauche de personnels pour pallier le déficit en personnel éducatif)? l’articulation ne revient-elle pas à transférer des charges alors que l’État conserve l’initiative en termes de moyens (exemple : l’accueil des élèves, pour assurer la continuité du service public, en cas de grève des personnels de l’État) ? Enfin l’alternance des politiques éducatives pose non seulement un problème au regard de la continuité du service public mais aussi au regard du principe d’égalité. Les conceptions de la démocratisation de l’école se sont succédées entraînant la définition de priorités et la mise en œuvre de mesures différentes. En ce qui concerne les élèves en difficulté par exemple, le mode de détermination et le traitement de la difficulté ont oscillé au cours du temps et même, pour un moment donné, au travers de l’espace national. L’accent est mis alternativement 2 - au niveau politique sur la sélection, l’éducation compensatoire et sa version française l’éducation prioritaire ou la discrimination positive du type « action affirmative » qui réserve des places à des élèves sur la base de leur appartenance sociale ou de leur implantation géographique, au niveau des dispositifs sur la remédiation dans des filières séparées, l’adaptation, l’intégration, l’inclusion etc. Chaque option laissant des traces dans la suivante, il se produit une imbrication des politiques qui, loin d’assurer une continuité, entraîne une complexification de l’offre éducative et des dispositifs à mettre en œuvre. L’exemple le plus évident est le paysage contrasté et complexe de l’accompagnement dont les dispositions s’échelonnent sur deux décennies et concernent l’État et ses institutions (santé, travail social, justice, éducation), les collectivités territoriales et le monde associatif. Chacun contribuant avec des responsabilités différentes, des moyens variés, des cultures professionnelles et des diagnostics divers à la mise en œuvre de cette politique, l’offre, même si elle peut être perçue comme relativement cohérente au niveau local, devient difficilement lisible au niveau national. L’usager se heurte à une difficulté pour s’informer et se représenter les enjeux de cette politique. Ces évolutions, dont la description ci-dessus est loin d’être exhaustive, concourent à brouiller l’image du service public d’éducation. C’est pourquoi, il est urgent d’en dresser un bilan et de repérer comment elles contribuent à déplacer les enjeux politiques, sociaux et économiques et de définir des zones de consensus sur des orientations que nos organisations considèrent comme souhaitables. Le 29 mars 2010 Françoise Clerc Pour le bureau d’Éducation et & Devenir 3