Inflation : de l`écart entre la perception et la statistique

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Inflation : de l'écart entre la perception et la statistique
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Rebonds
Economiques
Inflation : de l'écart entre la perception et la statistique
Par Philippe MARTIN
QUOTIDIEN : lundi 13 novembre 2006
Philippe Martin est professeur à Paris-I et chercheur au Centre d'enseignement, de recherches et d'analyses
socio-économiques (Ceras-CNRS).
L
'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a annoncé une croissance nulle, au sens propre et
figuré, du PIB au troisième trimestre. Pourra-t-on au moins se réjouir avec le chiffre de l'inflation, qui, à 1,1 % sur un
an, n'a pas été aussi faible depuis 1999 ? Vu les déclarations récentes de Ségolène Royal sur «le mensonge de la parole
publique sur le coût de la vie», ce n'est pas certain. La convergence sur ce sujet est totale avec Nicolas Sarkozy, qui,
lorsqu'on l'interrogeait (il y a certes quelques années) sur la divergence entre l'inflation officielle et sa perception,
répondait que «les consommateurs sont beaucoup plus lucides que les indicateurs officiels». Cette remise en cause de
l'objectivité des statistiques publiques est dangereuse, surtout à l'approche d'une campagne présidentielle dont les
débats nécessitent un minimum de consensus sur les chiffres économiques.
L'Insee calcule la variation du niveau général des prix sur le territoire français à partir d'environ 200 000 produits.
Ceux-là ont chacun un poids qui correspond à leur part dans la consommation moyenne. Le prétendu mensonge dénoncé
par Ségolène Royal vient-il du fait que ce consommateur «moyen» est nécessairement fictif ? Des indices de prix
catégoriels existent et sont publiés par l'Insee. Ils traduisent le fait, par exemple, que le panier de biens de
consommation des plus pauvres n'est pas le même que celui des plus riches. L'indice des prix croît en effet plus
rapidement pour les personnes aux revenus les plus faibles. Mais l'écart reste minime : pour les 10 % les plus faibles des
revenus, le prix du panier de consommation a, sur les dernières années, augmenté de 0,13 % par an de plus que la
moyenne générale. Tout l'écart vient de la consommation de tabac plus importante des ménages les plus modestes : il
représente 3,8 % de leur consommation, c'est-à-dire presque le double du ménage moyen. Hors tabac, il n'y a pas
d'écart. Ségolène Royal veut-elle revenir sur les augmentations de taxes sur le tabac ?
D'autres indices moins rigoureux que ceux de l'Insee ont été calculés par des associations de consommateurs, par des
magazines et par le ministère de l'Economie. L'objectif était de montrer que la «vraie» inflation était plus forte que
celle annoncée publiquement. Chaque fois, l'effort pour montrer que l'Insee sous-estimait l'inflation s'est révélé bien
vain. En fait, l'inflation qu'ils estimaient était souvent inférieure au chiffre officiel ! Dans un bel exemple de
transparence, ils en ont donc rapidement abandonné la publication. Gageons qu'un indice Royal proposé par des jurys
populaires subirait le même sort.
Les associations de consommateurs se plaignent aussi de l'ajustement que l'Insee opère pour intégrer le fait que
certaines hausses de prix reflètent une amélioration de la qualité des produits. La critique peut être retournée, car la
plupart des statisticiens considèrent que cet effet qualité est sous-estimé et que, de ce point de vue, l'inflation est
plutôt surestimée. Mais l'élimination de l'ajustement n'ajouterait de toute façon que 0,3 % au chiffre officiel.
Il reste vrai qu'une dissonance est apparue entre le ressenti et le mesuré sur l'augmentation des prix. Plusieurs
explications ont été données, par exemple par le Conseil national de l'information statistique. L'une est que les produits
dont les prix augmentaient le plus sont achetés fréquemment (essence, tabac, restauration), alors que les produits dont
les prix ont baissé (informatique, audiovisuel, appareils ménagers, vêtements) correspondent à des achats moins
fréquents. Les consommateurs percevraient donc les hausses, mais beaucoup moins les baisses de prix. Les économistes
ont aussi montré que les pertes sont systématiquement ressenties plus vivement que les gains. De ce point de vue, une
inflation de 2 % n'est pas perçue de la même manière si tous les prix augmentent uniformément de 2 % et si certains
baissent alors que d'autres augmentent plus fortement. La mondialisation est certainement passée par là puisqu'une des
conséquences de l'ouverture au commerce est de changer de nombreux prix : à la baisse pour les biens importés, et à la
hausse pour ceux exportés ou protégés de la concurrence internationale. Les hausses de prix sur des dépenses
«contraintes», du fait de contrats dont il est difficile de sortir (la téléphonie par exemple), sont aussi plus durement
ressenties. Des propositions concrètes pour limiter ce genre de pratiques seraient plus utiles que le jeu facile qui
consiste à casser le thermomètre lorsque le chiffre calculé par l'Insee ne plaît pas.
Mais le discours économique de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy n'en est pas à une incohérence près. Si tous deux
considèrent que la «vraie» inflation est plus élevée que celle qu'on nous annonce, on attendrait qu'ils exigent de la
Banque centrale européenne qu'elle combatte plus durement l'inflation. Or ils font exactement l'inverse, puisqu'ils lui
reprochent tous deux de trop privilégier la lutte contre l'inflation ! Mais, bien sûr, les deux slogans «l'inflation est trop
forte» et «l'inflation n'est pas si importante» ne sont jamais servis au même auditoire et au même moment.
13/11/2006 16:07
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