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DoSSier : FinanceS PubliqueS IntroductIon Jacques Rueff a-t-il encore des héritiers ? Jean-Marc danIel Professeur d’économie à ESCP-EAP A u retour du général de Gaulle aux affaires, en juin 1958, la France est dans une situation délicate. Depuis plusieurs mois, elle négocie avec le FMI. Son déficit budgétaire conduit tout naturellement à un déficit extérieur qui menace la valeur de sa monnaie. Jacques Rueff propose alors un plan de redressement combinant une dévaluation pour regagner des parts de marché à l’export et un serrage budgétaire afin de réduire la demande et les importations. Les fonctions de Musgrave Ce plan est un succès et amorce une période au cours de laquelle la France connaît une forte croissance. Au passage, son appareil productif se modernise et la structure de ses finances publiques se modifie. 24 • Sociétal n°62 Les impôts, qui s’élevaient à 22,3 % du PIB en 1959, en représentent désormais 27,8 %. Mais les cotisations sociales sont passées de 9 % à 16,5 %, sachant qu’une partie des impôts est affectée au financement de la Sécurité sociale. L’économiste américain Richard Musgrave distinguait trois fonctions économiques de l’État : la gestion des externalités, c’est-à-dire des situations dont les conséquences dépassent le cadre de l’échange marchand – un cas typique est le tabac : ses conséquences économiques en termes de santé vont au-delà de la vente des cigarettes – ; la gestion de la solidarité ; la gestion de la régulation conjoncturelle. La montée en puissance de la Sécurité sociale peut être considérée comme une sorte de primat de l’action de solidarité sur les deux autres. Si des voix s’élèvent pour contester le caractère vraiment redistributif des dépenses sociales, il n’en reste pas moins que l’affirmation de l’État providence a été le fait majeur Jacques Rueff a-t-il encore des héritiers ? de ces cinquante dernières années. Au point d’être devenu envahissant et bancal. Un État providence envahissant et bancal Envahissant parce que notre taux de prélèvements obligatoires, qui est de 44,2 %, est supérieur de 4 points à celui de nos partenaires, qui sont aussi nos concurrents… Un retour à une situation comparable à la leur nécessiterait une baisse de 78 milliards d’euros. Une telle baisse n’a de sens qu’associée à celle, simultanée, des dépenses. C’est ce que rappelle Michel Taly dans son article sur la Révision générale des prélèvements obligatoires (Rgpo), dont les responsables ont remis leur rapport au printemps dernier. C’est ce qu’expertisent les articles sur la dépense publique et la réforme de l’État de Christian Saint-Étienne et Yves Cannac. Chirac, par exemple, se félicitait naguère pour opposer un modèle français au modèle anglosaxon, trop éloigné des préoccupations sociales, a eu pour conséquence d’éluder l’évolution de la régulation conjoncturelle. Fin de l’inflation et contrainte extérieure Cette régulation conjoncturelle a dû faire face, principalement après 1975, à deux ruptures que la politique budgétaire a eu du mal à digérer. Bancal parce que le secteur public accumule les dettes. Celles-ci ont atteint en poids de PIB un niveau historiquement élevé, même si ce n’est pas celui de l’aube de la Révolution ou de l’immédiat après-Napoléon III. L’endettement public nous place en porte-à-faux par rapport à nos engagements européens, ceux que l’opinion rattache au traité de Maastricht mais qui sont, à rigoureusement parler, ceux prévus par le traité d’Amsterdam et son Pacte de stabilité et de croissance. Diverses raisons militent pour réduire cette dette et dans ce dossier François Ecalle les récapitule selon la présentation originale d’un dialogue. La première, positive en soi, a été la disparition de l’inflation. En émettant ces dernières années des obligations indexées sur l’évolution des prix, l’État semblait s’inscrire dans une logique de refus durable de toute tentation inflationniste. Paradoxalement, au moment même où ces emprunts étaient émis, la classe politique s’acharnait à critiquer une BCE assumant avec compétence et réalisme sa mission, au motif fallacieux qu’elle aurait trop pensé à l’inflation et pas assez à la croissance. Ce type de propos, certes moins fréquents en cette période de crise financière mais toujours latents chez certains, traduit en fait une nostalgie malsaine des temps d’avant l’adoption de la politique de désinflation compétitive. Ces temps où l’inflation effaçait la dette et la dévaluation, les conséquences de cette inflation. Aujourd’hui, cette époque est révolue. Et le déficit récurrent des finances publiques se transforme en une dette qui n’en finit pas de s’alourdir, réduisant les marges de manœuvre de l’État et pénalisant l’activité économique. Cette mise en place d’un État providence de plus en plus lourd, dont le président Jacques La seconde rupture se manifeste dans l’apparition régulière du « déficit jumeau » de celui 4 ème trimestre 2008 • 25 Dossier : Finances Publiques du budget qu’est le déficit extérieur. Le fragile équilibre des paiements courants français a été rompu à diverses reprises par des événements extérieurs tels les chocs pétroliers. Dans ces cas, l’indispensable compression de la demande a été systématiquement différée, jusqu’au moment où les réserves en devise du pays se sont asséchées. Le spectre du FMI et d’une politique d’austérité imposée favorise alors les prises de conscience. Ceux qui ont côtoyé François Mitterrand en 1982-1983 rappellent que la simple évocation du destin d’Harold Wilson, Premier ministre travailliste anglais ayant démissionné en 1976 après avoir dû faire appel au FMI, l’avait décidé à abandonner sur le champ toute idée de poursuivre la politique de relance. Renoncer aux équilibres fondamentaux « La récession mondiale de 1975 a montré brutalement ce que coûtent la recherche systématique d’une croissance à tout prix et le renoncement aux équilibres fondamentaux. Pour avoir cédé, de 1972 à 1974, à l’euphorie éphémère d’une période d’expansion inflationniste, nombre de pays ont dû et doivent main- 26 • Sociétal n°62 tenant encore affronter de graves difficultés. » Cet extrait du premier discours de politique générale de Raymond Barre en tant que Premier ministre fournit une bonne clef de compréhension des erreurs de politique économique de la période récente. Face aux chocs pétroliers, face aux conséquences de la réunification allemande, la France s’est abandonnée aux illusions du « renoncement aux équilibres fondamentaux ». Et elle a dû finalement corriger le tir dans la douleur. Aujourd’hui, les solidarités au sein de la zone euro masquent une situation semblable à celle décrite par Raymond Barre. Combien de temps les Allemands, qui, comme nous le rappelle l’article de Frédérique Cerisier, ont fait l’effort du redressement, accepteront-ils que nous nous comportions en passager clandestin de leur politique économique ? Certes, il y a peu, les dirigeants français croyaient pouvoir affronter leurs réprimandes. Il leur suffisait de se référer aux thèses des disciples plus ou moins dévoyés du keynésianisme affirmant que si les États-Unis ont connu ces dernières années une longue période de croissance, c’est parce qu’ils ont su « renoncer aux équilibres fondamentaux ». Mais c’était hier, avant les dégâts du « renoncement » en question…