ETUDE PROSPECTIVE DE L`ANTIBIOPROPHYLAXIE

Transcription

ETUDE PROSPECTIVE DE L`ANTIBIOPROPHYLAXIE
ETUDE PROSPECTIVE DE L’ANTIBIOPROPHYLAXIE
SUR UN AN AU CENTRE DE TRAUMATOLOGIE, D’ORTHOPÉDIE
ET DE RÉÉDUCATION FONCTIONNELLE DE DAKAR
1
2
3
4
5
E.S. CAMARA , A. CISSE , M.C. SOW , E.A. DIOP , B. COLY , E.I. DIOP
RESUME
Les auteurs rapportent, à partir d’une étude randomisée chez 2 051 malades, l’intérêt de l’antibioprophylaxie dans la prévention des infections postopératoires en orthopédie-traumatologie au Centre de
Traumatologie et d’Orthopédie de Dakar. Leur
protocole, bien défini selon le type d’intervention ainsi
que leurs bons résultats, les poussent à proposer ce
procédé en Afrique où l’infection, dans leur spécialité,
pose d’énormes problèmes du fait du manque
d’asepsie en pré-per-post-opératoire, augmentant ainsi
le coût et la durée d’hospitalisation.
INTRODUCTION
L’infection post-opératoire compromet l’acte chirurgical et
crée une pathologie iatrogène qui n’est pas toujours simple
à guérir et élève le coût de l’hospitalisation ; ce qui a
poussé le chirurgien à promouvoir l’antibioprophylaxie en
vue de réduire cette morbidité et ce coût.
MATERIEL ET METHODE
Le 1er octobre 1989, nous avons établi une étude randomisée avec un protocole d’antibioprophylaxie en fonction
du risque infectieux pour chaque type d’intervention, du
germe visé et du rapport coût-toxicité-efficacité. 2 079
foyers opératoires répondant à nos critères ont été retenus.
Cette étude est arrêtée le 30 septembre 1990 pour évaluation. Elle a porté sur 1 500 sujets de sexe masculin et 551
de sexe féminin. L’âge de prédilection se situe entre 20-40
ans ce qui correspond à la tranche d’âge la plus fréquente
dans notre recrutement. Les malades immunodéprimés
(diabète, corticothérapie, cancer, drépanocytose, ...) ont été
écartés de cette étude.
PROTOCOLE
6
ries cibles à la lumière des travaux internationaux et des
réalités de notre flore, le produit à utiliser, le timing, la
durée de la prophylaxie. Le personnel est informé de
l’unicité des protocoles et nous avons surveillé une
éventuelle dérive par rapport au protocole de départ.
LA DEFINITION DE LA BACTERIE CIBLE
- En orthopédie et en traumatologie à foyer fermé, le germe
le plus rencontré est le staphylocoque doré (1) dans les
infections post-opératoires. C’est un germe présent sur la
peau qui peut être responsable d’ostéïtes rebelles.
- Dans les fractures ouvertes et les plaies articulaires, les
germes visés sont les clostridia responsables du tétanos et
surtout des gangrènes gazeuses mortelles.
LE CHOIX DU PRODUIT
- Contre le staphylocoque doré, les céphalosporines de première et de deuxième génération sont les plus utilisées en
orthopédie. La céfazoline est la molécule de référence (1).
- Contre les anaérobies : si la pénicilline G possède une
action satisfaisante sur les cocci (sauf le staphylocoque) et
sur les anaérobies (à l’exception du Bacteroïdes fragilis),
elle n’est pas considérée comme l’antibiotique standard,
aucune étude randomisée contrôlée n’ayant montré ni
validé sa pratique. Le Métronidazole a été d’abord utilisé
en Europe dans des situations où les anaérobies gram (-)
étaient susceptibles d’entraîner des infections post-opératoires graves. Introduit tardivement aux Etats-Unis, aujourd'hui le Métronidazole est considéré en Europe comme
l’antibiotique de référence contre les anaérobies.
- Le mode d’administration : l’injection faite en intraveineuse lente avant l’induction.
- 2 gr de céfazoline en orthopédie et traumatologie fermée
lors des ostéosynthèses, et rien en post-opératoire.
Pour chaque type de chirurgie, nous avons défini les bacté-
Fractures ouvertes
5 M. de Pénicilline G d’emblée en intraveineuse lente, puis
1 - El Hadj Souleymane CAMARA : Assistant des Services Universitaires, Chef de
clinique. Centre de Traumatologie, d’Orthopédie et de Rééducation Fonctionnelle.
Grand-Yoff, Dakar, BP 3270.
2 - A. CISSE : Pharmacien biologiste, Chef du Laboratoire, C.T.O.
3 - M.C. SOW : Assistant au Service d’Orthopédie Adulte, C.T.O.
4 - E.A. DIOP : Médecin Anesthésiste Réanimateur, C.T.O.
5 - B. COLY : Interne des Hôpitaux aux Urgences du C.T.O.
6 - E.I. DIOP : Professeur Agrégé, Chef du Service d’Orthopédie Adulte du C.T.O.
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (10)
ETUDE PROSPECTIVE DE L'ANTIBIOPROPHYLAXIE SUR UN AN AU CENTRE DE TRAUMATOLOGIE,
D'ORTHOPEDIE ET DE REEDUCATION FONCTIONNELLE DE DAKAR
1 à 2 millions 4 fois le lendemain quel que soit le type.
Dans les fractures graves souillées, grade IIIb et IIIc de
Gustillo, avec attrition musculaire : 1 g de Métronidazole
703
pendant une heure. L’antibioprophylaxie dure 48 heures
(voir tableau schéma thérapeutique).
SCHEMA THERAPEUTIQUE
Indications Germes visés
Modalités
ORTHOPÉDIE
Chirurgie
de durée moyenne
Staphylocoque doré
Céfazoline : 2 g en I.V.D.
durant l’induction. Rien en post-opératoire
TRAUMATOLOGIE
Fractures fermées
ostéosynthèses (plaque-clou)
Staphylocoque doré
Céfazoline 2 g en I.V.D.
durant l’induction. Rien en post-opératoire
Fractures ouvertes quel que soit
le type (protocole unique)
Anaérobies (Clostridium perfringens)
Pénicilline G : 5.M.U.I. en I.V. lente le 1er jour.
Puis 1 à 2 M.U.I. 4 fois par jour pendant 3 jours.
Fracture grade IIIB-IIIC selon GUSTILLO :
prélèvement bactériologique aérobie
et anaérobie, parage soigneux de la plaie
Anaérobie (Clostridium perfringens)
Métronidazole : 1 g en I.V.L. pendant 1 H.
Durée 48 heures
Plaie articulaire
Anaérobie (Clostridium perfringens)
Idem que ci-dessus
Cas particuliers des enfants
Anaérobies
Pénicilline G : 50 000 U.I./Kg le 1er jour. Puis
50 000 U.I./Kg/jour réparties en 4 doses pendant
3 jours
RESULTATS
Staphylocoque + Klebsiella pneumoniae
Nous avons jugé de l’efficacité de l’antibioprophylaxie en
retenant les critères ci-après pour l’infection post-opératoire :
Méthode d’appréciation des infections post-opératoires
. Clinique : fièvre, chaleur, douleurs de la plaie, écoulements.
. Paraclinique : vitesse de sédimentation, numération
blanche.
. Bactériologique : mise en évidence d’un germe.
Répartition selon le type de chirurgie
1-
Chirurgie orthopédique
Staphylocoque doré
% Taux d’infection
2 - Chirurgie traumatologique
2.1 - Fermée
. Répartition des germes :
Staphylocoque doré
654 foyers
2
0,30 %
1 425 foyers
438 foyers
8
2
Total
% Taux d’infection
10
2,28 %
2.2 - Ouverte
987 foyers
Type de fracture selon GUSTILLO
* type I
* type II
* type III
. Répartition des germes :
Staphylocoque doré
Staphylocoque + Entérobactéries
Entérobactérie
dont : Klebsiella pneumoniae
Proteus mirabilis
Morganella morganii
+ Citrobacter freundii
Total
% Taux d’infection
128
533
326
84
26
23
12
10
1
133
13,47 %
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (10)
E.S. CAMARA, A. CISSE, M.C. SOW, E.A. DIOP, B. COLY, E.I. DIOP
704
Il est à noter le polymorphisme des infections dans les
fractures ouvertes.
DISCUSSIONS ET COMMENTAIRES
Les chirurgies orthopédique et traumatologique se trouvent
menacées par le staphylocoque doré.
. Dans la chirurgie propre, le taux d’infection (0,30 %) est
inférieur à la moyenne des taux observés sans
antibioprophylaxie.
. Dans la chirurgie traumatologique fermée, le taux de
2,28 %, légèrement plus élevé, s’explique par l’attrition
musculaire, mais reste au dessus des moyennes observées
sans antibioprophylaxie où il varie entre 1 et 2 %. Par
contre, ce taux est presque nul avec antibioprophylaxie
dans la littérature (3).
. Les fractures ouvertes présentent un taux d’infection
post-opératoire peu important (13,47 %) et le Clostridium n’a jamais été mis en évidence.
Dans les fractures ouvertes type I
0,81 %
Dans les fractures ouvertes type II
1,06 %
Dans les fractures ouvertes type III
11,60 %
Elles peuvent être de deux modes, éventuellement
combinées :
. La fracture infectée reçue au-delà de la 4ème heure
(12,74 %)
. La fracture avec présence de corps étrangers (16,28 %).
La variété des germes rencontrés ne permet aucune antibioprophylaxie.
Une reprise du débridement avec prélèvement, culture,
antibiogramme et une antibiothérapie adaptée, s’imposent.
Dans la littérature elle varie entre 25-50 % sans antibioprophylaxie et de 15 à 35 % avec antibioprophylaxie (3).
Dans les fractures ouvertes en général, notre taux d’infection (13,47 %) reste inférieur aux fractures traitées sans
antibioprophylaxie (25 à 50 % dans la littérature) (3), ce
qui correspond aux résultats des auteurs européens et américains (3).
Rapport coût/efficacité
* La durée d’hospitalisation moyenne pour nos malades
orthopédiques et ceux à traumatismes fermés, est de quinze
jours, d’où une importante réduction de la durée
d’hospitalisation par rapport aux autres structures sanitaires
de Dakar, où elle est évaluée à deux mois.
* Dans les fractures ouvertes de jambe, les infections postopératoires sont de l’ordre de 25 % à l’Hôpital A. Le
Dantec, CHU de Dakar, entraînant des hospitalisations
variant de 2 à 50 mois, avec des séquelles sévères.
* Dans notre série, l’état local de la plaie permet une
reprise chirurgicale rapide de la lésion par un recouvrement
par greffes, la durée moyenne d’hospitalisation de ces
grands délabrements étant de 78 jours. Ceci permet une
réduction spectaculaire en milieu africain de l’Incapacité
Temporaire de Travail et une guérison rapide avec des
séquelles moindres.
* Quant à la morbidité nous n’avons pas rencontré d’allergie ou d’autre forme d’intolérance.
* La mortalité est nulle dans notre série. Elle est de 2,9 %
par gangrène gazeuse pour les fractures ouvertes de jambe
à l’Hôpital A. Le Dantec de Dakar en 1985 (4).
* D’où un rapport coût/efficacité indiscutablement favorable dans notre série.
CONCLUSION
L’asepsie pré-per et post-opératoire n’est pas rigoureuse en
Afrique, d’où l’intérêt de l’antibioprophylaxie en milieu
africain, compte tenu de la morbidité et de la mortalité par
infection post-opératoire qui restent importantes (4). Le
problème demeure une question de mentalité de projection
dans le long terme. L’antibioprophylaxie selon notre
schéma est efficace. Cependant, il n’est pas exclu d’utiliser d’autres molécules dans un schéma tenant compte du
tryptique : coût-toxicité-efficacité, en fonction d’éventuelles résistances.
BIBLIOGRAPHIE
1 - J. CARLET
Antibioprophylaxie en chirurgie. Mise au point d’Anesthésie et de
Réanimation, Paris 3-4 Juin 1988, p. 99-106.
2 - O. DURBEC, C. CRANTIL
Controverses actuelles en antibioprophylaxie chirurgicale ; mise au point
d’Anesthésie et de Réanimation 1990, 6ème édition. P. 655-664.
3 - P.L. FAGNIEZ, M. KRACHT, N. ROTMAN
Antibioprophylaxie en chirurgie. Mise au point d’Anesthésie Réanimation,
p. 21-30.
4 - C.M. SOW, E.S. CAMARA, A. NDIAYE, V.I. DANSOKHO, E.I.
DIOP
Complications locales des fractures ouvertes de jambe au Centre de
Traumatologie et d’Orthopédie de Dakar. 31ème Conférence Annuelle du
Collège Ouest- Africain des Chirurgiens. 4-9 février 1991, Lomé.
Médecine d'Afrique Noire : 1992, 39 (10)