Le Liban victime collatérale de la répression en Syrie
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Le Liban victime collatérale de la répression en Syrie
Le Liban victime collatérale de la répression en Syrie Face à la répression menée en Syrie contre les opposants au régime, force est de constater que les condamnations de la part d’hommes politiques libanais se font plutôt rares. Au contraire, ces dernières semaines, les déclarations du patriarche maronite du Liban Béchara Raï1 ou encore celles du général Michel Aoun2 sont venues compléter la liste de soutiens dont bénéficie le président syrien Bachar al-Assad au Liban. Certes, le député du « courant du futur » Khaled Zahraman a annoncé que son groupe s’opposait aux propos du patriarche et a qualifié le régime syrien de « régime oppressif »3. Cependant, ce type de déclarations au Liban contre le régime syrien reste marginal même de la part des politiques issus du mouvement du 14 mars (coalition formée en 2005 en opposition à l’ingérence syrienne au Liban). Cette réserve des politiques libanais peut s’expliquer par la menace que représente l’instabilité de la Syrie pour le Liban : victime collatérale de la situation en Syrie. L’image des « pro-syriens » ternie Tout d’abord, la répression en Syrie a pour conséquence de ternir l’image des alliés de la Syrie au Liban, à commencer par celle du Hezbollah. L’image du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a ainsi souffert de ses déclarations de soutien à Bachar al Assad4. On rapporte que lors de manifestations à Abu Kemal (frontière syro-irakienne), le 27 mai 2011, des portraits de Hassan Nasrallah ont même été incendiés 5 . Aussi, des rumeurs sur la participation du Hezbollah à la répression ont achevé d’entacher l’image associée au « parti de Dieu ». En août, la chaîne d’informations panarabe Alarabiya relayait les propos d’un des leaders de la révolte en Syrie : Wahid Saqr (coalition des jeunes de la révolution), qui accusait le Hezbollah d’avoir envoyé des « milices armées 6» pour prêter main forte à Bachar al Assad. 1. HADDAD, « Une tournée avec en tête une mission : préserver la présence chrétienne », L’Orient le jour, 26 septembre 2011. 2. « Aoun : Assad will not fall, Hariri at fault on maritime debacle », The daily Star, 21 septembre 2011. 3. « Zahraman : We do not understand patriarch’s support of Syrian regime », Now Lebanon, 29 septembre 2011. 4. MILLER, « Nasrallah comes to the rescue of Assad », Jerusalem Post, 26 mai 2011. 5. LAWRENCE, « Protests sweep Syria’s east, Nasrallah pictures burnt », Reuters, 27 mai 2011. 6. AJBAILI, « Syria’s youth coalition accuses Hezbollah of role in Assad’s brutal crackdown », Alarabiya, 28 août 2011. Si la répression ternit l’image du Hezbollah, elle ternit plus généralement l’image du gouvernement libanais. Le premier ministre libanais, Najib Mikati, qui préside le Conseil de sécurité de l’ONU jusqu’à la fin de l’année 2011, risque de se retrouver dans une situation compliquée lors des prochains débats du Conseil sur la situation en Syrie. En effet, le chef de gouvernement libanais doit sa nomination, le 25 janvier 2011, à son alliance avec la coalition du 8 mars (coalition pro-syrienne) et le soutien de Bachar al Assad. Le gouvernement qu’il a formé en juin est dominé par l’alliance du 8 mars. Le « Courant patriotique libre » de Michel Aoun, le Hezbollah et leurs alliés ont ainsi dix-huit ministres sur trente. D’après un communiqué de la présidence de la République libanaise, le président libanais Michel Sleiman aurait même été félicité par le président syrien suite à la formation de ce gouvernement7. Par conséquent, Najib Mikati et son gouvernement sont contraints de rester silencieux sur les répressions en Syrie. Or, ce lien entre Damas et le gouvernement libanais est nocif pour l’image de ce dernier. Les propos d’une des principales figures du Mouvement du 14 mars, Samir Geagea, résument d’ailleurs la situation dans laquelle se trouve le gouvernement libanais. « Les évènements en Syrie affecteront la vie de ce gouvernement parce qu’il est, à l’origine, lié au Hezbollah et à la Syrie8. » Cette proximité entre Damas et le gouvernement libanais a d’ailleurs été montrée du doigt par Human Rights Watch qui accuse le Liban de remettre à la Syrie des déserteurs syriens malgré les risques de torture et d’assassinat qu’ils encourent9. Le trafic d’armes Un autre impact de la situation syrienne au Liban est le trafic d’armes à la frontière syrolibanaise à destination de la Syrie. Le 29 septembre 2011, l’agence arabe syrienne d’informations Sanna annonçait que les autorités avaient saisi un camion d’armes10, au poste frontalier de Jdaydet Yabous, qui contenait cent vingt-cinq fusils à pompe et trente milles balles de pistolets. Ce type de saisie est fréquent depuis mars 2011. Selon les sources officielles syriennes, des réseaux libanais qui souhaitent la chute du régime de Bachar al Assad, acheminent en Syrie des armes et des munitions pour renforcer l’insurrection. Le président 7. http://www.presidency.gov.lb/English/News/Pages/Details.aspx?nid=9996 8. « Geagea : Government fate linked to Syria unrest », The daily star, 21 août 2011. 9. Ibidem. 10. « Saisie de grandes quantités d’armes et de munitions trafiquées du Liban vers la Syrie », Sanna, 29 septembre 2011. syrien a ainsi accusé Jamal Jarrah, député libanais membre du « courant du futur » (coalition du 14 mars), d’organiser ces réseaux afin de déstabiliser le régime11. L’exportation des confrontations syriennes vers le Liban Enfin, la situation syrienne menace la stabilité, déjà précaire du Liban. Depuis le début de l’insurrection en Syrie, plusieurs confrontations ont éclaté au Liban sur fond de clash interconfessionnel entre « pro-Bachar » (majoritairement alaouites) et « anti-Bachar » (principalement sunnites). L’une des plus importantes a eu lieu à Tripoli le 17 juin 2011. Six Libanais sont morts dans une confrontation entre alaouites issus du quartier Jabal Mohsen et sunnites venant du quartier Bab Tebanneh après une manifestation contre le régime syrien12. Ainsi, la lutte entre le régime syrien et ses opposants s’est même exportée au Liban. Cette menace de déstabilisation du Liban est d’ailleurs particulièrement forte avec la fuite de milliers de Syriens principalement vers le Nord du Liban. Le Haut Commissariat aux Réfugiés a ainsi enregistré 358013 réfugiés syriens depuis le début des révoltes. Bien que le nombre de réfugiés reste pour l’instant limité, un afflux important de Syriens, majoritairement sunnites, au Liban risque d’entraîner des confrontations interconfessionnelles. En septembre, Al Jazeera14 rapportait les propos de syriens ayant fui leur pays pour rejoindre le village de Wadi Khaled au Nord du Liban. Les réfugiés sunnites se plaignaient d’être considérés comme des ennemis par la population du village qui est à majorité alaouite. Par conséquent, le Liban a les yeux rivés sur la Syrie où l’issue de l’insurrection aura un impact majeur sur le « pays du cèdre ». Najib Mikati, dans une interview cette semaine pour le Wall Street Journal, s’est dit conscient de la « situation délicate 15» dans laquelle se trouve le Liban et a refusé de prendre parti, de peur de mettre en péril la stabilité de son pays. Sébastien Laroze Barrit, Etudiant IEP de Lyon Stagiaire au laboratoire GREMMO Octobre 2011 . 11 BLANDFORD, « As syrian uprising escalates, business booms for Lebanon’s arms dealers », Time, 22 mai 2011. . 12 « Six morts et des blessés dans des heurts dans le Nord du Liban », iloubnan, 17 juin 2011. 13. HOLMES, « U.N. report says more than 3,500 Syrian refugees fled to Lebanon », Alarabiya, 19 septembre 2011. 14. WIKSTROM, « Escaping Syria’s crackdown », Al Jazeera, 3 septembre 2011. er 15 . « Mikati: Unrest in Syria poses risks to Lebanon »,The Daily Star,1 octobre 2011.