Blog Obea_Tensions_RH
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Les DRH régulateurs des tensions de l’entreprise1 Par Charles-Henri Besseyre des Horts Professeur Associé, HEC Paris Senior Advisor Obea Les DRH doivent réaliser que le monde aujourd’hui ne sera plus comme avant car il leur faudra plus encore savoir réguler des tensions et même gérer des injonctions paradoxales qui sont souvent « les petits grains de sable dans la chaussure de celles et ceux qui veulent mettre l’entreprise en mouvement » comme le soulignait Olivier Sastre, ancien DRH du Club Med à propos de la transformation de cette entreprise depuis 2004. Trop fréquemment en effet, et encore plus en période de crise, les programmes de changement des entreprises subissent des déboires plus ou moins cuisants car les responsables concernés, DRH et autres managers, ne savent pas réguler correctement les inévitables tensions qui naissent quand on est à la croisée des chemins ou éliminer « les petits détails qui tuent » conduisant de nombreux collaborateurs à ne plus croire en des lendemains qui chantent en dépit des efforts de communication et de mobilisation de tous. Dans cette perspective, la période actuelle a mis en évidence la nécessité pour les DRH de savoir rechercher, plus finement qu’avant, des équilibres entre l’individuel et le collectif, le court et long terme, le « hard » et le « soft », pour ne citer que quelques unes des tensions les plus visibles aujourd’hui. La tension entre l’individuel et le collectif Depuis plus d’un quart de siècle, la montée de l’individualisation a été la tendance dominante de l’évolution de la gestion des ressources humaines. Cette reconnaissance explicite de la nécessité de singulariser la relation entre l’individu et l’organisation s’est traduite notamment dans les transformations des dispositifs de mesure de la performance, des systèmes de rémunération ou des parcours professionnels. Ce faisant, ces changements ont parfaitement répondu à la double exigence, d’une part, de recherche de flexibilité de l’entreprise pour rester compétitive et, d’autre part, d’équité pour les individus soucieux de faire reconnaître leur propre contribution. Or, la crise actuelle montre des signes d’un retour de la dimension collective dans les préoccupations des DRH que l’on peut observer, par exemple, dans leur rôle actif pour rénover les relations avec les partenaires sociaux au sein de l’entreprise ou mettre en haut de l’agenda des dirigeants la création du sens avant celle de la valeur pour 1 Une version précédente de cet article a été publiée dans “Personnel”, ANDRH, mai 2010 1 l’actionnaire. Le défi pour les DRH est ici de savoir réguler cette tension en continuant à piloter le mouvement inéluctable de l’individualisation de la gestion des personnes tout en redonnant une place nouvelle au collectif qui doit pouvoir jouer le rôle de garde-fou. La tension entre le court et le long terme Il est devenu banal de souligner combien le temps de l’entreprise s’est considérablement accéléré sous l’effet de multiples causes dont les exigences des analystes financiers avec la fameuse tyrannie des « quarterly reports », la pression croissante des clients ou le développement exponentiels des technologies de l’information avec l’explosion d’internet et l’utilisation des outils nomades. Cette course effrénée a impacté la gestion des ressources humaines en transformant, dans certaines entreprises, les pratiques de recrutement par le recours croissant aux réseaux sociaux comme Facebook ou les processus d’évaluation des performances se focalisant sur les seuls résultats à court terme avec un effet immédiat sur la partie variable de la rémunération. Fort heureusement, cependant, la plupart des DRH résistent face à cette dictature du court terme en arguant du fait, et la crise leur donne raison, que le capital humain ne peut se gérer au mieux qu’à moyen terme. De ce point de vue, ils ne peuvent que voir leur position renforcée par la part croissante dans les enjeux des dirigeants du développement durable et de la responsabilité sociale de l’entreprise. La tension entre le « hard » et le « soft » Dave Ulrich, l'un des gourous américains des ressources humaines, proposait il y a plus de 15 ans dans un livre qui a marqué profondément la profession2 une vision équilibrée de le GRH insistant particulièrement sur la nécessité pour la Fonction RH de renforcer simultanément sa dimension « hard » (l’attention portée aux process) et sa dimension « soft » (l'attention portée aux personnes). La période que nous traversons actuellement ne fait que renforcer l'exigence de plus grande rigueur et d'économies dans les activités de la fonction RH mais celle-ci, et les DRH le savent bien, ne peut accroître son efficacité et son efficience que si l'ensemble des acteurs (managers, collaborateurs) s'approprient les enjeux du changement, appropriation qui passe nécessairement par la prise en compte des attentes et des émotions individuelles et collectives. Il est illusoire, en effet, de croire que la mise en place de nouveaux outils et process RH, si performants soient-ils, soit suffisant pour répondre aux 2 Ulrich, D. (1997) ; Human Resources Champions, Boston :Harvard Business Press. 2 défis qui sont lancés aujourd'hui aux DRH, encore faut-il que ceux-ci soient également capables de faire face aux conséquences pour les personnes pouvant se traduire par de l'anxiété et un repli sur soi3 voire des conséquences beaucoup plus dramatiques et médiatisées. Le discernement, une compétence clé des DRH Face à ces tensions, et à bien d'autres non mentionnées ici, qu’ils doivent savoir réguler, les DRH sont amenés à renforcer beaucoup plus aujourd'hui leur compétence de discernement jusqu’à acquérir la légitimité de jouer le rôle de contre-pouvoir au sein d'un comité de direction. Cette capacité des DRH à faire la part des choses devient essentielle aux yeux des parties prenantes et en particulier des conseils d'administration qui se préoccupent de plus en plus des questions liées à la gestion du capital humain au-delà de celles qui les concernent traditionnellement à savoir la stratégie d'entreprise et la gestion du capital financier4 . En définitive, la période tourmentée que nous traversons aura eu au moins un effet particulièrement bénéfique : celui de questionner des fondamentaux dans la gestion de nos organisations. Espérons que les DRH et l'ensemble des acteurs concernés (ici principalement les collaborateurs de la fonction RH et les managers) trouvent les ressources nécessaires, tangibles et intangibles, pour que la régulation des tensions évoquées plus haut ne se transforme pas en une série d'injonctions paradoxales si dommageables pour l'image de fonction et, plus généralement, celle de l’entreprise. 3 Thévenet, M. (2009) « Finance et management, domination ou soumission », Revue Française de Gestion, n°198-199, pp. 173-192 4 Voir les travaux de l’Institut Français des Administrateurs (IFA) : http://www.ifa-asso.com/ 3