Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage…

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Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage…
Edith Soonckindt
Auteur, traductrice, éditrice, conseillère
éditoriale
Patience et longueur
de temps font plus que force ni
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que rage…
Author : didou151515
La semaine dernière je vous avais entretenus des sept longues années d’attente
qu’il m’avait fallu endurer pour avoir enfin le plaisir de voir mon premier roman
publié, et recevoir un prix dans la foulée (se reporter à l’épisode précédent pour
tous les palpitants détails…).
Eh bien cette semaine dans LIRE, dont je recommande la lecture à tous et à
chacun, j’ai découvert que j’avais été battue à plate couture par James Ellory,
auteur de polars « à succès », ainsi que le veut l’expression.
James Ellory se lèvera pendant des années à l’aube pour écrire quelques heures
avant de partir au travail, pendant des années il écrira roman sur roman, vingtdeux au total, et pendant des années ses vingt-deux romans seront refusés
les uns après les autres ! Il garde dans un tiroir les six cents lettres de refus
émanant de cent vingt éditeurs…
Où, une fois de plus, l’on voit qu’il est important de ne pas désespérer… Il dit
avoir relu ses romans par la suite et ne pas les avoir trouvés si mauvais que ça.
C’est quand il a lâché prise, en se tournant vers la musique puis vers le polar,
que tout à coup « ça » s’est mis à marcher et qu’il est aujourd’hui le grand
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auteur qu’il est.
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Ce qui me rappelle tout à coup le curieux modèle qui m’avait, moi, aidée à tenir le
coup durant les cinq années où, éditorialement parlant, il ne s’est rien passé. Et
ce curieux modèle était… Abraham Lincoln, dont j’ai appris en parcourant un de
ces livres américains visant à stimuler les ardeurs créatrices qu’il avait subi échec
sur échec politique vingt-huit années durant, que ce soit au Congrès, comme
sénateur ou même au poste de fonctionnaire rural !! Malgré tous ces déboires il
n’abandonna jamais et finit par être élu président des Etats-Unis, et l’un des plus
illustres. C’est bête, mais c’est cette anecdote qui m’a remis le pied à l’étrier…
J’ai un autre exemple en stock et c’est celui d’une écrivaine aujourd’hui
célèbre, Christine Angot, qui se trouve avoir été une amie proche lors de mes
années niçoises. J’ai suivi les débuts de Christine, et je peux vous assurer qu’ils
ont été pénibles ! Elle avait écrit Vu du ciel, un roman noir et violent inspiré par de
nombreux viols de fillettes qui avaient eu lieu à l’époque en France, et elle avait
tout bonnement été refusée partout. Mais elle croyait en elle, son mari Claude la
soutenait beaucoup aussi, plus que tout elle voulait vivre de sa plume, et plus que
tout elle voulait faire entendre « une voix », qu’elle pensait novatrice. Elle a fini
par réussir sur toute la ligne, en tout cas jusqu’à Pourquoi le Brésil.
Comment y est-elle parvenue ? En envoyant son roman à une petite collection
chez Gallimard (l’Arpenteur) où l’éditeur (Gérard Bourgadier) n’avait pas de
sacro-saint comité de lecture (toujours partagé quand il s’agissait des écrits de
Christine) et prenait ses décisions éditoriales seul. Bien sûr c’était du tout ou rien
mais ce fut un pari gagnant et c’est chez lui que son premier roman a vu le jour.
Qu’ensuite, lors d’une rencontre littéraire à Nice, un lecteur ulcéré lui lance
« Madame, les gens comme vous ne méritent pas de vivre ! » n’est que le début
de ce qu’elle a eu à subir ensuite tout au long d’une carrière pour le moins
houleuse…
J’en ai donc retenu comme leçon, et je vous la livre volontiers, que lorsque l’on
sait avoir une écriture non-consensuelle, il est effectivement préférable de
s’adresser soit à des petits éditeurs, soit à un éditeur d’une grande maison ayant
les coudées franches. Et cela se piste en lisant la presse spécialisée
essentiellement, dont je vous recommandais l’intérêt il y a déjà quelques
semaines.
Car savez-vous qui siège au fameux comité de lecture ? L’éditeur bien sûr,
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l’attachée de presse qui veut savoir si ce nouvel auteur tiendra le coup face à
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Ardisson/Ruquier (cochez la case préférée), mais parfois on consulte la
secrétaire, ou la comptable (véridique !), qui elle veut surtout savoir si l’auteur a
un physique médiatique, et au diable l’éventuel talent qu’il pourrait posséder !
Dans une petite maison que je ne nommerai pas, quelle n’a pas été ma surprise
de traductrice de voir mes dialogues critiqués par la réceptionniste (je ne plaisante
pas) qui avait lu le texte en anglais où ça sonnait mieux ! Ils ont été (mal) réécrits
ensuite, et c’est sur épreuves que j’ai découvert l’entreprise, pour laquelle je
n’ai jamais été consultée…
Vous comprendrez aisément que tout cela rend la tentative éditoriale plus que
risquée. Et vous aurez assisté avec moi dans le précédent épisode à la hantise de
mon éditrice pour tout ce qui pouvait être noir ou violent et risquer de déstabiliser
ce malheureux lecteur (dont, a contrario, Chloé Delaume, auteur et éditrice, ne se
gêne pas pour dire qu’il faut le bousculer !). Moi-même j’ai eu un texte retenu
pour son intérêt, que l’on m’a même demandé de retravailler, et puis que l’on a
laissé en plan parce que… je n’étais pas assez connue, voyez-vous… (ce dont,
normalement, l’on aurait dû se rendre compte avant !). Un autre a été sélectionné
dans un premier temps, puis désélectionné ensuite parce qu’il était soi-disant
l’imitation stylistique d’un grand auteur… que je n’avais jamais lu !!
Bref, les raisons de ne pas être édité sont légion, d’où l’intérêt de la
persévérance…
Un texte refusé ici peut- devenir un grand succès là-bas. A vous d’y croire (within
reason) et de n’abandonner que lorsque vous aurez essayé tout ce que vos
finances et votre système nerveux pourront endurer. Souvenez-vous que même
JK Rowling, l’heureuse génitrice d’Harry Potter, a, dans un premier temps, été
refusée !
Et maintenant quelques petits conseils en vrac pour mettre toutes les
chances de votre côté :
- N’envoyez jamais votre manuscrit l’été dans une grande maison, ce sont des
stagiaires qui à ce moment-là effectuent les lectures, et j’en ai, personnellement,
déjà fait les frais.
- Evitez aussi les tandems éditoriaux mari/femme, heureusement assez rares,
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mais où vous pouvez avoir à subir les conséquences de conflits conjugaux
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autres rapports de pouvoir sous-jacents.
et
- Si vous êtes auteur de poésie, tentez d’instaurer d’abord un rapport personnel
avec l’éditeur pressenti lors d’un salon ou d’une rencontre littéraire, ces petites
maisons travaillent en cercle extrêmement fermé, le plus souvent avec des
auteurs maison, ce qui ne laisse aucune place à la nouveauté. Là aussi, j’en ai
fait les frais, recevant une lettre élogieuse d’un éditeur de poésie m’informant
qu’il aimait beaucoup ce que je faisais (comme rien ne l’obligeait à me l’écrire,
on va supposer que c’était sincère…) mais que son catalogue était déjà établi
pour... les quatre années à venir !
- Sachez aussi que beaucoup de maisons fonctionnent avec des commandes
passées à des auteurs connus (le cercle vicieux continue), c’est le cas par
exemple de la collection Les Affranchis, chez Nil-Laffont.
- Si vous avez écrit un recueil de nouvelles, assurez-vous d’un thème
unificateur (donnant l’illusion d’un roman…), c’est le conseil précieux qui m’a
été donné par Nadine Monfils qui, avec ses contes pour petites filles criminelles
ou perverses ou libertines, connaît le sujet ! ;-) Un autre bon exemple est Thomas
Gunzig, autre auteur belge, avec son fabuleux recueil Quelque chose dans le noir
qu'on n'avait pas vu et son héroïne récurrente (Minitrip !) de nouvelle en nouvelle.
- Enfin, si vous êtes auteur jeunesse, ne commettez pas cette erreur commune
qui consiste à vouloir absolument faire illustrer votre texte avant. Il est rare
que cela fonctionne et les éditeurs jeunesse ont chacun une ligne graphique
bien définie qui peut faire mettre votre texte définitivement de côté en dépit de
ses qualités intrinsèques si l’illustration ne leur convient pas. Si vous êtes choisi,
ce sont eux ensuite qui vous attribueront un illustrateur en fonction du fond et de
la forme de votre texte et, d’expérience, je peux vous assurer que vous n’aurez
strictement pas votre mot à dire (voir à ce sujet mon billet Bela consacré à cette
catégorie) !
Un dernier truc pour vérifier, lorsqu’on vous le renvoie, si votre manuscrit a bien
été lu : y glisser un cheveu, qui ne doit normalement plus s'y trouver après lecture,
le réflexe automatique d'un lecteur étant d’enlever tout obstacle se trouvant sur
sa route…
Enfin, n’oubliez jamais que, selon la taille des maisons, les délais de lecture
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peuvent être très longs (trois à six mois pour une grande maison, une ou deux
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années parfois pour une petite, et là aussi je parle d’expérience). La bonne
méthode consiste à photocopier et relier cinq manuscrits (ce qui coûte déjà fort
cher, sans compter les frais d’envoi) que vous envoyez à vos maisons préférées,
puis à attendre les retours et à effectuer alors une nouvelle salve d’envois qui au
moins ne vous coûtera rien en termes de photocopies et reliures… Ne dépassez
pas vingt envois, sauf si vous êtes très fortuné, statistiquement c’est une bonne
moyenne. Et fuyez l’autoédition (y compris en numérique), dont je serai amenée
à vous reparler.
En désespoir de cause, répétez-vous autant de fois que nécessaire le vers de La
Fontaine que j’ai pris pour titre… ;-)
Courage à tous !
Et attention : durant l'été, mes newsletters risquent d'être un peu plus
épisodiques, repos estival oblige...
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