L`œuvre de création de jeu vidéo

Transcription

L`œuvre de création de jeu vidéo
Colloque du XXIème anniversaire
du Magistère en droit
des techniques de l’information
et de la communication
L'œuvre de création de jeu vidéo
Intervention de Monsieur Dominique BOUGEROL
Sommaire
I. L'âge classique des jeux vidéo
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1. Un jeu vidéo peut-il être une œuvre de l'esprit ?
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2. En quoi consiste l'originalité d'un jeu vidéo ?
2.1. Analyse jurisprudentielle de l’originalité des jeux vidéo
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a) Présomption d’originalité des jeux vidéo
b) Appel à un expert
c) Analyse de la forme d’expression
2.2. Refus de consacrer une conception subjective de l’originalité
3. Quel rapport juridique existe-t-il entre le programme informatique sous-jacent
et le résultat esthétique apparent ?
3.1. Le logiciel n’est pas une œuvre
3.2. Le logiciel est le centre névralgique du jeu vidéo
II. L'âge moderne des jeux vidéo
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1. L'originalité des jeux vidéo
1.1. Discussion de l’originalité de la contribution d’un auteur
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a) L’affaire Versailles
b) L'affaire Urban Runner
1.2. Discussion de l’originalité de l’œuvre dans son ensemble
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a) Originalité présumée
b) Originalité discutée
2. Le rapport juridique entre le programme informatique sous-jacent
et le résultat esthétique apparent
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Il y a près d’un quart de siècle, le 3 mars 1982 pour être précis, la 10e chambre correctionnelle
du Tribunal de grande instance de Paris rendait un premier jugement en matière de contrefaçon
de jeux vidéo. Plusieurs autres décisions suivirent dont deux d’entre elles firent l’objet d’un
pourvoi en cassation aboutissant à deux arrêts de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en
date du 7 mars 1986.
1982 - 1986 : cette période de quatre ans constitue ce que l'on pourrait appeler l'âge primitif de
la protection des jeux vidéos :
—
primitif d'abord parce que les jeux vidéo commercialisés au début des années 1980
apparaissent rétrospectivement comme singulièrement rudimentaires au vu des jeux
actuellement mis sur le marché ;
—
primitif ensuite parce que le droit de la propriété littéraire et artistique applicable à cette
époque semble d'une grande simplicité au regard de la réglementation foisonnante
actuelle. Il n'existe en effet pas encore de régime juridique propre aux logiciels, ni aux
œuvres audiovisuelles sans même évoquer les dispositions légales spécifiques aux bases
de données. Seul existe alors un statut particulier relatif aux œuvres cinématographiques,
associé à quelques rares règles spécifiques en matière d'œuvres télévisuelles.
Mais, à la réflexion, le qualificatif de primitif semble inutilement péjoratif pour décrire une
époque où les jeux vidéo étaient, après tout, considérés comme des œuvres comme les autres, à
l’instar des œuvres littéraires, artistiques ou musicales. C’est pourquoi, l’expression d’âge
classique des jeux vidéo me paraît être plus judicieuse. Cet âge classique fera l’objet de la
première partie de cette intervention.
Après 1986, année de l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1985 portant réforme du droit
d’auteur, l’analyse juridique des jeux vidéo ne peut plus être tout à fait la même. En multipliant
les régimes légaux spéciaux relatifs aux œuvres audiovisuelles, aux logiciels ou aux œuvres
publicitaires, par exemple, la question de la délimitation des frontières de ces régimes va
irrémédiablement être posée aux tribunaux dès la fin des années 1980. Et, dans ce contentieux,
les jeux vidéo vont prendre une place de choix en raison d’enjeux industriels importants. Cette
seconde période, je la qualifierais d’âge moderne de la protection des jeux vidéo. Elle sera
l’objet de la seconde partie de cet exposé.
I. L'âge classique des jeux vidéo
Pourquoi revenir vers cette courte période de 4 ans qui a précédé la mise en place de la
réforme de 1985 ? Il me semble que ce laps de temps offre une expérience très intéressante pour
examiner la question de la création des jeux vidéo, car en ce temps - que les jeunes de 20 ans ne
peuvent pas connaître -, cette question se pose pour la première fois. Plus précisément, pendant
cette période, l’analyse de la création des jeux vidéo s’élabore dans toute sa « pureté » puisque le
débat sur le choix à opérer entre plusieurs régimes légaux particuliers (logiciels, œuvres
audiovisuelles, bases de données) n'est pas encore d'actualité.
Ceci dit, l’analyse de la création des jeux vidéo à laquelle procèdent les tribunaux tourne
autour de trois questions principales :
1/ Un jeu vidéo peut-il être une œuvre de l'esprit ?
2/ Dans l'affirmative, en quoi consiste l'originalité d'un jeu vidéo donné ?
3/ Enfin, quel rapport juridique existe-t-il entre les deux aspects constitutifs d'un jeu vidéo
que sont le programme informatique sous-jacent, d'une part, et le résultat esthétique
apparent, d'autre part ?
Ce sont ces trois questions qui seront examinées successivement.
1. Un jeu vidéo peut-il être une œuvre de l'esprit ?
Si aujourd'hui il nous semble évident qu'une œuvre de l'esprit peut admettre l'intervention
d'un utilisateur dans son déroulement, cette interactivité (appelée alors « inter-réaction ») est, à
l'époque, source d'interrogation pour les juridictions saisies.
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C'est ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris dans son arrêt du 8 décembre 1982, et
à propos du jeu Centipède, prend le soin de préciser que « si le joueur peut déplacer son arme, et
moduler la fréquence de ses tirs, si les végétaux et les animaux peuvent subir certaines
transformations sous l'effet des projectiles, il convient de constater que ces changements, ces
mouvements ne proviennent pas d'une création réalisée par le joueur, mais de ce que ce dernier, en
utilisant l'arme dont il dispose, fait surgir d'un programme préétabli telle ou telle situation dont le
nombre par nature est limité ». Il en déduit « qu'il s'agit incontestablement d'une œuvre, se
manifestant de manière visuelle, par un certain nombre d'images fixes ou mobiles, sur un fond
sonore particulier ».
Le débat est-il clos avant même d’avoir commencé ? À l’évidence non, puisque, à l'occasion de
deux affaires (l'une relative au jeu de course automobile Burnin'Rubber et l'autre au jeu de tirs
Defender), la Cour d'appel de Paris rend deux décisions le 20 février 1985 où elle refuse de
qualifier ces jeux vidéo d'œuvre de l'esprit au motif que « la caractéristique d'une œuvre artistique
pénalement protégée est son intangibilité interdisant à l'interprète ou à l'utilisateur de la modifier
ou d'intervenir dans l'ordre de ses divers éléments ».
Cette argumentation prête aujourd'hui à sourire en ce qu'elle mélange le principe de la
protection et ses modalités d’application. Si, en effet, un auteur peut empêcher, au titre de son
droit moral, un interprète ou un exploitant (mais non un utilisateur final) de modifier ou
d'intervenir dans l'ordre de ses divers éléments, cela ne veut pas dire pour autant qu'en créant
une œuvre interactive, il n'a pas créé d'œuvre du tout…
C'est donc sans surprise que la Cour de cassation casse la décision de la Cour d'appel de Paris
rendue dans l'affaire Defender, même si il est vrai que, formellement, elle ne répond pas dans le
détail à l'objection d'intangibilité de l'œuvre de l'esprit faite par les juges du fond.
2. En quoi consiste l'originalité d'un jeu vidéo ?
Avant d'étudier comment les différentes juridictions saisies ont examiné la question de
l'originalité des jeux vidéo, il faut prendre le soin de rappeler certaines caractéristiques de ces
premières affaires.
En premier lieu, les litiges relatifs à la protection de jeux vidéo par le droit d'auteur opposent
exclusivement des exploitants entre eux. Cette précision est importante, car les créateurs de ces
jeux ne sont à aucun moment entendus dans le cadre de ces procès, ne serait-ce que sous la forme
de témoignages expliquant les spécificités de leur démarche artistique, permettant ainsi aux
juges de mesurer l'originalité de ces œuvres.
Une deuxième caractéristique propre à plusieurs de ces affaires est que les éditeurs de jeux
vidéo qui se plaignent de contrefaçon sont d’origine étrangère (en l'occurrence, américains et
japonais) et préfèrent agir en contrefaçon des manifestations visuelles et sonores de ces jeux
plutôt qu’en contrefaçon du programme informatique sous-jacent.
Sans être spécialiste des droits américains et japonais en vigueur au début des années 1980, je
me hasarderais à émettre quelques hypothèses susceptibles d'expliquer cet état de fait.
Il semble ainsi que les éditeurs étrangers de jeux vidéo aient privilégié une action en
contrefaçon relative aux manifestations audiovisuelles, car, au moment de ces actions en justice,
la question de l’étendue de la protection des programmes informatiques restait débattue, dans
leur propre pays. Ils ont donc vraisemblablement estimé dangereux d'agir en contrefaçon en
France sur ce terrain incertain.
À ceci s'ajoute le fait que les éditeurs de jeux américains étaient soumis à un dépôt des
exemplaires du jeu dans leur pays d'origine, formalité qui prenaient la forme d'un dépôt d'une
cassette audiovisuelle reprenant les principales phases du jeu vidéo. Bien que le dépôt ne soit pas
constitutif de droits dans leur pays, et a fortiori en France, il a pu leur paraître naturel de
restreindre leur action en contrefaçon aux éléments audiovisuels des jeux.
Ceci dit, on constate une forte hétérogénéité de la motivation des décisions jurisprudentielles
statuant sur l’originalité des jeux vidéo (2.1), ainsi qu’une objectivation du critère de l’originalité
due à l’absence de discussion quant au rôle joué par les auteurs (2.2).
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2.1. Analyse jurisprudentielle de l’originalité des jeux vidéo
À lire les différentes décisions rendues avant 1986, l’appréciation de l’originalité des jeux vidéo
diffère très sensiblement d'une juridiction à l'autre. D’une part, parce que les décisions de
première instance et d'appel sont généralement contradictoires. Ainsi, les jeux Centipède,
Defender et Burnin'Rubber sont considérés comme originaux par les juges de première instance
mais, au contraire, jugés banals en appel. Ensuite, et surtout, parce que les raisonnements tenus
par les magistrats pour analyser l’originalité des jeux vidéos ne sont pas identiques, même
lorsqu'ils aboutissent à un résultat identique. Certains se fondent sur une présomption
d’originalité des jeux vidéo (a), d’autres sur un avis d’expertise (b), d’autres encore sur une
analyse de la forme d’expression (c).
a) Présomption d’originalité des jeux vidéo
C'est le cas du Tribunal de grande instance de Paris, dans sa décision du 8 décembre 1982 fait
bénéficier les jeux Centipède et Asteroids en reconnaissant, pour l'un comme pour l'autre, qu’il
« s'agit incontestablement d'une œuvre, se manifestant, de manière visuelle, par un certain nombre
d'images fixes ou mobiles, sur un fond sonore particulier, que l'on peut rattacher aux œuvres
cinématographiques ou obtenues par un procédé analogue à la cinématographie et entrant dans le
cadre de l'article 3 de la loi du 11 mars 1957. » Cette juridiction n'a donc pas à examiner dans le
détail les composantes formelles du jeu pour en déduire son originalité.
Cette assimilation des jeux vidéo aux œuvres cinématographiques, genre présumé original,
témoigne d’une confusion. Si effectivement les œuvres cinématographiques sont depuis les années
1930 présumées originales par les tribunaux, c’est que le contentieux les concernant porte
exclusivement sur des œuvres réalisées dans le cadre de l’industrie de fiction cinématographique.
Mais imaginons que les tribunaux aient été saisis de la question de la protection d’un film
expérimental ou d’un film scientifique, il y a fort à parier que, nonobstant la qualification d’œuvre
cinématographique, une discussion serrée de l’originalité de l’œuvre litigieuse se serait produite.
Remarquer que les jeux vidéos empruntent une forme d’expression analogue à la cinématographie
ne donne donc aucune indication sur leur originalité.
b) Appel à un expert
Dans une autre affaire, la même juridiction refuse de se prononcer immédiatement et choisit
de faire appel, cette fois, à un expert pour déterminer l'originalité du jeu Defender. Après avoir
pris connaissance du rapport de l'expert, et s'en inspirant fortement pour rédiger son jugement, le
Tribunal décide, dans sa décision du 13 décembre 1983 :
[…] le jeu "Defender", tant à travers la représentation matérielle des éléments
animés qui le constituent que dans l'agencement des séquences découlant des règles du
jeu mises en œuvre, les objectifs à réaliser par le joueur et les modalités
d'actionnement mises à sa disposition, présente un réel caractère d'originalité qui se
matérialise sur l'écran de télévision associé sous des formes caractéristiques et
reconnaissables se distinguant vis-à-vis de celles des jeux antérieurs connus du public.
L'originalité de ce jeu repose fondamentalement sur l'utilisation d'un programme
particulier constituant une œuvre de l'esprit apte comme telle à être valablement
protégée, notamment à travers l'expression visuelle qu'elle détermine sur l'écran de
jeu.
À la lecture de cet extrait, il est possible de se demander s'il n'aurait pas été plus heureux de
se passer de l'avis de l’expert, tant il est difficile, à la lecture de ce jargon, de comprendre en quoi
l'œuvre en question est originale, les fonctionnalités du jeu étant mélangés aux éléments formels
proprement dit.
c) Analyse de la forme d’expression
D'autres juridictions, enfin, prennent heureusement le soin de motiver soigneusement leurs
décisions. La décision la plus aboutie me paraît être celle rendue par le Tribunal de grande
instance de Nanterre le 29 juin 1984 et qui, au terme de son analyse, considère comme banal ce
jeu vidéo Pengo.
Il serait trop long dans le cadre de ce colloque de vous lire les considérants de cette décision,
mais j'encourage les étudiants ici présents à consulter ce jugement pour comprendre ce que peut
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être une analyse approfondie de l'originalité d'une œuvre de l'esprit, même si la décision peut
sans doute faire l'objet, ici ou là, de certaines critiques.
Ce que l'on peut retenir de cette décision, c’est la méthode arborescente de l'analyse du jeu
vidéo. Ainsi, le Tribunal distingue 3 éléments principaux que sont :
- « l'élément technique concrétisé par un micro-processeur qui a en mémoire de multiples
instructions relatives aux mouvements donnés par les images qui apparaissent sur l'écran et aux
sons qui accompagnent ces mouvements » ;
Le Tribunal refuse toute protection à cet élément technique, c'est-à-dire au logiciel, « dès lors
que l'effort intellectuel accompli par le technicien qui l'a élaboré n'apparaît pas de même nature
que l'effort créatif protégé [par la loi du 11 mars 1957 : NDA], mais relève du régime juridique du
"savoir-faire" ».
- l'élément ludique qui correspond à la règle du jeu ;
Les juges considèrent qu’il s’agit là d’un système de caractères abstraits non protégeables ;
- l'élément graphique et auditif, lui-même composé de différents éléments :
- les décors de banquise dont la matérialisation consiste en des "blocs de glace" sous
forme de carrés arrondis et de blocs taillés sommairement en diamant ;
- les personnages "pingouin" et "créatures hostiles" représentés par des lignes
géométriques s'apparentant de loin à des animaux ;
- les mouvements des personnages ou des actions (éclosion d'œufs) sont identiques à ceux
qui existent dans les autres jeux électroniques et dictés par les possibilités du microprocesseur plus que par le choix arbitraire du créateur ;
- les sons sont stéréotypés.
Le Tribunal en déduit que le jeu vidéo Pengo n'est pas une œuvre originale, mais seulement un
moyen technique de réaliser une « activité ludique élémentaire qui ne fait appel qu'à l'attention et
aux réflexes sans prétendre par ailleurs solliciter l'intelligence, l'imagination et encore moins la
sensibilité artistique ».
2.2. Refus de consacrer une conception subjective de l’originalité
Autre fait intéressant : quels que soient la solution et le mode de raisonnement adoptés, on
remarque que l'intention du ou des auteurs des jeux vidéo n'est jamais évoquée par les juges du
fond.
Cette absence est d'abord imputable, comme j'ai eu l'occasion de le signaler, à la qualité des
parties qui sont exclusivement des exploitants. Lorsqu’un auteur agit en contrefaçon, et pour peu
que la partie adverse invoque l'absence d'originalité de son œuvre, il est contraint, s'il ne veut pas
perdre son procès, de dévoiler son projet artistique et d'expliquer en quoi le fruit de sa démarche
est original.
Cette absence est aussi due à la façon dont les juridictions appréhendent la question de
l'originalité. En effet, en négligeant de demander à l'auteur de venir s'expliquer sur son intention
esthétique ou du moins de rechercher les indices de cette intention en sollicitant ses ayants droit
pour qu’ils apportent des éléments attestant d'une recherche artistique (par des esquisses, des
projets,…), les magistrats se trouvent contraints, par la force des choses, d'adopter une conception
objective de l'originalité.
Et de fait, il faut admettre que la conception subjective de l'originalité prenant le soin de
placer la conception intellectuelle de l'auteur au centre de la recherche de l'originalité d'une
œuvre n'est pas celle retenue par la Cour de cassation dans ses arrêts du 7 mars 1986.
Plus précisément, la Cour de cassation censure la décision rendue par la Cour d'appel de Paris
dans l'affaire Defender en lui reprochant en particulier d'avoir considéré que si le jeu audio-visuel
Defender « présente quelque lointaine similitude avec une œuvre cinématographique, la preuve
n'est pas rapportée que le concepteur de ce jeu ait eu, à l'inverse d'un cinéaste, une quelconque
préoccupation de recherche esthétique ou artistique ».
Bien sûr, on peut souligner une certaine maladresse de rédaction de la part de la Cour d'appel
de Paris qui semble opposer le genre cinématographique, pour lequel l'originalité serait certaine,
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et le genre « jeu vidéo » pour lequel, par principe, l'originalité serait absente. Mais une lecture
plus attentive montre que la Cour d'appel parle du jeu Defender et non des jeux vidéo en général.
Il ne me semble pas incongru d’exiger des demandeurs qu'ils apportent la preuve d'une
quelconque préoccupation de recherche esthétique ou artistique de la part de l'auteur pour
prouver l’originalité de l’œuvre.
3. Quel rapport juridique existe-t-il entre le programme informatique
sous-jacent et le résultat esthétique apparent ?
L'analyse de cette question par les tribunaux dans les années 1980 apparaît rétrospectivement
comme embryonnaire. Il ne faut pas s'en étonner, car plusieurs facteurs ont concouru à ce que les
termes de ce problème juridique soient seulement esquissés.
En premier lieu, il faut se rappeler la nouveauté de l'irruption des programmes d'ordinateurs
dans le monde du droit d'auteur. Il suffit de relire les écrits doctrinaux de l'époque, pourtant très
nombreux, pour mesurer les difficultés à analyser les programmes d'ordinateur avec les concepts
traditionnels du droit d'auteur. L'objet « logiciel » étant déjà difficile à cerner, les rapports entre
un logiciel et ses manifestations audiovisuelles n'étaient donc guère faciles à élucider. À cette
première explication d'ordre structurelle, s'en ajoute une seconde d'ordre conjoncturelle : les
éditeurs de jeux vidéo n'ont guère cherché à lier la protection du logiciel inscrit sur la carte
logique aux manifestations audiovisuelles. Les décisions rendues se sont donc essentiellement
focalisées sur la protection de ces manifestations audiovisuelles.
Ceci dit, lorsque l'on étudie la jurisprudence de l'époque, les juridictions saisies semblent avoir
adopté deux attitudes antagonistes en matière de logiciel.
3.1. Le logiciel n’est pas une œuvre
Pour plusieurs juridictions, la partie logicielle du jeu électronique se voit refuser le statut
d'œuvre de l'esprit.
Tel est le cas de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 4 juin 1984 qui prévoit :
quelle que soit la complexité technique, surtout aux yeux d'un profane, d'un logiciel
ou de la mise en programme d'un ordinateur, il s'agit, en définitif, d'un assemblage
technologique qui requiert parfois, d'habiles électromécaniciens mais qu'il n'y a pas
lieu de « sacraliser » au point de le hisser au rang des œuvres de l'esprit prévues par la
loi de 1957 précitée ; que les éléments d'un jeu électronique, comme d'un ordinateur,
relèvent, en fait, de la structure d'un simple objet industriel ; que l'inventeur, dont
l'activité intellectuelle peut être, certes, d'un très haut niveau, ne se trouve donc
protégé contre l'atteinte à la propriété de son brevet que par une action civile ;
3.2. Le logiciel est le centre névralgique du jeu vidéo
À l’inverse, pour une autre partie de la jurisprudence, la partie logicielle est au centre même
du jeu vidéo. C'est en tout cas l'opinion exprimée par les magistrats du Tribunal de grande
instance de Paris dans leur jugement du 13 décembre 1983. Selon eux, « l'originalité [du jeu
Defender : NDA] repose fondamentalement sur l'utilisation d'un programme particulier
constituant une œuvre de l'esprit apte comme telle à être valablement protégée, notamment à
travers l'expression visuelle qu'elle détermine sur l'écran de jeu. »
Signalons que cette opinion semble également être celle adoptée par M. le Conseiller Jean
Jonquères, auteur du rapport rendu dans le cadre des arrêts de l'Assemblée plénière de la Cour
de Cassation du 7 mars 1986 dans les affaires Atari (Centipède) et Williams Electronics
(Defender). Le rapporteur précise ainsi que « c'est le logiciel qui est la raison d'être du jeu et du
décor pictural mouvant dans lequel il se déroule et aussi, sans lequel il ne pourrait exister. » Il en
déduit alors que « la carte logique est partie intégrante du jeu, ce qui implique […] que le problème
de la protection du logiciel est nécessairement dans la cause au même titre que celle de l'œuvre
"composite" créée ».
Reste que la Cour de cassation a préféré adopter une position plus prudente en se gardant bien
de décider si les manifestations visuelles et sonores des jeux vidéos étaient la prolongation du
logiciel sous-jacent. Elle s'est bornée à censurer deux arrêts de la Cour d'appel de Paris ayant
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refusé au programme informatique sous-jacent la qualité d'œuvre de l'esprit et ayant remis en
cause, d'une manière inappropriée à son goût, l'originalité des manifestations audiovisuelles de
ces deux jeux vidéo.
En conclusion, la jurisprudence de l'époque est restée en marge de cette question épineuse. En
admettant le caractère interactif des œuvres de l'esprit alors que les œuvres traditionnelles
étaient linéaires ou statiques, elle n'était pourtant pas loin de se poser la question de la
nouveauté du support des jeux vidéos. Mais il lui aurait vraisemblablement fallu plusieurs
années avant qu’elle ne statue sur cette question.
En qualifiant d'office le logiciel d'œuvre de l'esprit, la loi de 1985 a, d'une certaine façon, clos le
débat et inauguré l’âge moderne de la protection des jeux vidéo.
II. L'âge moderne des jeux vidéo
L'irruption en droit positif de régimes légaux spécifiques aux logiciels aux œuvres
audiovisuelles a rendu, depuis 1986, singulièrement plus complexe l'analyse de la création de jeux
vidéo. En effet, nombre des arguments échangés au cours de procès concernant ce type d’œuvres
ont pour unique objectif d’appliquer ou, au contraire, d’écarter telle ou telle disposition propre à
l’un ou l’autre de ces régimes spéciaux.
Ces conflits de qualification vous seront présentés tout à l'heure par Frédéric Sardain. Afin de
ne pas empiéter sur son domaine d'intervention, je vous propose donc de faire abstraction de la
présence de ces régimes légaux particuliers.
Si l’on adopte cette démarche, on constate alors que cet âge moderne des jeux vidéo s'est
délesté d'une question qui se posait aux jeux vidéo des premiers temps. La nature d'œuvre de
l'esprit des jeux vidéo n'est aujourd'hui plus discutée. Reste donc deux questions : celle de
l'originalité des jeux vidéo (1.) et celle du rapport entre le programme informatique sous-jacent et
les manifestations audiovisuelles apparentes (2.).
1. L'originalité des jeux vidéo
Une différence notable entre la situation qui avait cours dans les années 1980 et celle qui
existe depuis une quinzaine d'années est que les créateurs ont enfin fait leur apparition dans des
procès de jeux vidéo. Une brève analyse de ce contentieux sera d’abord nécessaire (1.1).
Par ailleurs, et c’est une surprise, le contentieux entre éditeurs ou distributeurs et exploitants
continue encore récemment d’évoquer l’originalité des jeux vidéos alors même que ces jeux ont un
tel degré d’élaboration qu’il est difficile d’imaginer qu’ils ne soient pas originaux. Il sera donc
également intéressant de se pencher sur ce contentieux (1.2).
1.1. Discussion de l’originalité de la contribution d’un auteur
Deux affaires relativement récentes peuvent être évoquées pour comprendre comment les
magistrats sont amenés à analyser la forme d’expression d’un jeu vidéo et l’originalité d’une
contribution.
a) L’affaire Versailles
Dans cette affaire, deux auteurs, l’une ayant rédigé le scénario et l’autre ayant assuré le rôle
de chef de projet, du jeu d’enquête Versailles, complot à la Cour du Roi Soleil revendiquaient la
qualité de coauteurs du jeu et demandaient à bénéficier d’une rémunération proportionnelle aux
ventes de ce jeu à succès.
À la lecture du jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 30 janvier 2002
comme de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 2 avril 2004, l’originalité des
contributions de ces deux protagonistes n’est guère l’objet de discussion, sinon pour déterminer
s’ils ont agi dans le cadre d’une œuvre de collaboration ou d’une œuvre collective.
Il ne faut pas s’en étonner, car à partir du moment où des contrats de cession de droits
d’auteur sont conclus par un éditeur, comme c’était le cas en l’espèce, on voit mal comment il
pourrait lui-même se contredire en remettant en cause l’objet même de ces cessions.
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Sur le terrain de la création, ces deux décisions présentent néanmoins le mérite de lever, ne
serait-ce que très partiellement, le voile sur la manière dont un jeu d’enquête est réalisé en
faisant valoir :
1/ le rôle prépondérant du scénario dans ce type de jeu. Caractéristique que l’on ne
retrouverait pas nécessairement dans des jeux sportifs (golf, football, tennis…) ;
Sont ainsi mentionnés l’importance de l’intrigue et de la caractérisation des personnages.
2/ le rôle également important de la construction de l’architecture du jeu, assez proche de
l’opération de montage en matière audiovisuelle. À ce titre, est souligné par le jugement du TGI
de Paris du 30 janvier 2002 :
[le] choix de l’ordre des séquences et leurs titres dans le mode d’accès aux différentes
parties du programme, [la] mise en scène détaillée incluant l’assemblage des médias
textes, images et sons et la finalisation de chaque scène cinématique.
Dans la même affaire, l’arrêt d’appel (2 avril 2004) évoque, quant à lui, le concept très à la
mode du Game Design et précise :
Que la séquence du crédit figurant à la fin du jeu confirme que les contributions de
chacun sont discernables par le découpage, la forme, l’intrigue et les intervenants
historiques, éléments essentiels du jeu ;
b) L'affaire Urban Runner
Cette affaire a fait l'objet d'un jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre en date
du 26 novembre 1997, infirmé par une décision de la Cour d'appel de Versailles en date du 18
novembre 1999.
Rappelons les faits : dans le cadre de la création du jeu Urban Runner, un éditeur commanda à
un réalisateur le tournage de plusieurs scènes audiovisuelles dans lesquelles il était demandé à
des acteurs de mimer des situations dramatiques, ces scènes étant destinées à être numérisées
puis intégrées dans le jeu vidéo.
Le contrat passé entre le réalisateur et l’éditeur était qualifié de « contrat de prestations de
services contribuant à une œuvre collective ».
Ayant eu vent de l’intention de l’éditeur de retoucher certaines scènes, le réalisateur mit en
demeure l’éditeur de l’avertir et d’obtenir son accord avant toute retouche. Refusant d’obtempérer,
l’éditeur effectua plusieurs modifications et, pour certaines scènes, les fit retourner. Le
réalisateur saisit les tribunaux pour violation de son droit moral.
Dans cette affaire, on remarquera qu’il n’est pas question, comme dans l’affaire Versailles, d’un
contrat de cession de droits d’auteur, mais d’un contrat de « prestation de services ». Il était donc
logique que le réalisateur prouvât que le travail qui lui avait été commandé n’était pas un simple
travail, mais une création protégée. Bien sûr, l’affirmation du caractère d’œuvre collective du jeu
dans le libellé du contrat de commande est particulièrement maladroite, car elle n’apporte rien à
la qualification du contrat passé entre le réalisateur et l’éditeur.
Là encore, j’encourage les étudiants ici présents à mettre en parallèle les décisions de première
instance et d’appel dans cette affaire, car chacune aboutit à des conclusions radicalement
opposées alors même qu’elles sont motivées l’une et l’autre.
Ainsi, après avoir visionné les séquences litigieuses et entendu les parties, le Tribunal de
grande instance de Nanterre, dans son jugement du 26 novembre 1997, dénie la qualité d’auteur
au réalisateur des séquences audiovisuelles en faisant valoir notamment que :
[Le réalisateur] a réalisé une succession de séquences animées tournées en plan fixe
avec des acteurs censés représenter l’action des personnages du jeu selon les diverses
options exercées par le joueur.
Présentées de façon linéaire et sans connaissance du contexte dans lequel elles sont destinées
à s’intégrer, ces images sont dépourvues de liens logiques et apparaissent incompréhensibles.
[Ces séquences] ont été commandées […] selon un cahier des charges […] qui
comprend une description très détaillée des scènes à réaliser.
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De son côté, la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 18 novembre 1999, reconnaît, au
contraire, la qualité d’auteur au réalisateur au motif que :
[s]’il exact que la tâche du [réalisateur] était strictement encadrée pour que le jeu
puisse se dérouler tel qu’il avait été conçu et que pour les limites liées aux techniques
informatiques de l’époque ne soient pas dépassées […] les contraintes imposées à un
auteur ne l’empêchent pas d’accomplir une œuvre originale ; qu’en l’espèce il n’est pas
contesté que [le réalisateur] n’a reçu que des instructions écrites dans le cahier des
charges du tournage et qu’il a librement traduit en images ces instructions ; qu’il n’est
pas prétendu que, lors des tournages, [le réalisateur] ait été supervisé par une autre
personne ; qu’il a donc accompli en toute liberté, choisissant l’emplacement des
caméras et la profondeur des plans, dictant aux acteurs les actions à accomplir, les
attitudes à prendre, les gestes à réaliser, les mouvements à entreprendre, les sensations
à exprimer, les sentiments à suggérer ;
Considérant qu’il apparaît ainsi que, bien qu’enserrée dans des limites étroites, la
tâche [du réalisateur] ne s’est pas limitée à la mise en œuvre d’une simple technique,
mais lui a laissé suffisamment d’initiative à prendre, d’options à choisir,
d’instructions à donner, mettant en jeu son intelligence, son imagination, sa
sensibilité, son sens artistique, sa vision des choses et qu’il s’en déduit que sa
contribution à l’œuvre porte l’empreinte de sa personnalité et lui confère la qualité de
coauteur bénéficiant de la propriété intellectuelle.
S’il fallait apprécier la valeur des motivations de la décision de première instance par rapport
à la décision d’appel, il me semble que l’on peut faire remarquer que l’argument selon lequel un
cahier des charges, même précis, n’est pas susceptible d’entraver la liberté artistique d’un
réalisateur au seul motif que la transcription de l’écrit à l’écran est nécessairement créative me
semble assez discutable. La liberté est une condition nécessaire, mais non suffisante de la
création qui doit encore être la réalisation d’une conception intellectuelle. La simple mise en
scène, en l’espèce nécessairement rudimentaire, semble difficilement répondre à l’exigence d’une
création véritable.
1.2. Discussion de l’originalité de l’œuvre dans son ensemble
Étant donné le degré d’élaboration des jeux vidéo de ces derniers 15 ans, il est difficile
d’imaginer qu’une discussion puisse naître sur le point de savoir si un jeu dans son ensemble peut
être original. Les jeux vidéo bénéficient effectivement d’une présomption prétorienne d’originalité
(a). Ce n’est donc que dans des circonstances particulières qu’une évocation de l’originalité peut
avoir lieu (b).
a) Originalité présumée
Cette présomption est retenue, d’une manière un peu confuse il est vrai, par la Cour d’appel de
Paris, dans son arrêt du 4 juin 1999. Selon cette décision :
Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que les jeux vidéo qui font
l'objet de l'actuel litige ont été réalisés par les salariés de Nintendo Ltd sous la
direction et à l'initiative de celle-ci, puis divulgués et commercialisés sous son
nom ; que cette société est présumée à l'égard des tiers être investie sur ces jeux des
droits de propriété incorporelle de l'auteur ; que ces œuvres permettent de visualiser
sur un écran de télévision une succession d'images animées, sur le cours desquelles le
joueur peut intervenir au moyen de diverses commandes, donnant au jeu, un caractère
interactif résultant du logiciel qui y est incorporé ; que l'originalité de la combinaison
des personnages, des décors ludiques ou des intrigues qui caractérisent chaque jeu ne
fait pas l'objet de discussion ; que l'originalité des logiciels de chacun des jeux,
quoique mise en doute par DPM, n'est pas utilement contestée alors qu'il est acquis
que leurs spécifications externes, expressions télévisuelles et enchaînement des
fonctionnalités, témoignent d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de
leurs créateurs ;
La Cour de cassation confirme cette décision d’appel par un arrêt en date du 27 avril 2004 où il
est précisé :
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Attendu que la société Nouvelle DPM reproche tout d'abord à l'arrêt attaqué (Paris,
4 juin 1999) d'avoir retenu à son encontre les griefs de contrefaçon, alors, selon le
moyen, qu'en se bornant à affirmer que les spécifications externes, expressions
télévisuelles et enchaînement des fonctionnalités étaient originales sans expliquer en
quoi ces caractères et fonctions qui peuvent définir n'importe quel logiciel, présentaient
un caractère original, la cour d'appel a entaché sa décision d'un manque de base
légale au regard de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que, relevant que
les spécifications externes, l'expression télévisuelle et l'enchaînement des
fonctionnalités des logiciels de chacun des jeux concernés témoignaient d'un effort
créatif portant l'empreinte de la personnalité de leurs créateurs, la cour d'appel a
estimé que ces logiciels présentaient un caractère original ; que le grief n'est pas fondé ;
Il me semble que cette présomption d’originalité des jeux vidéo peut être mise en parallèle avec
la présomption d’originalité que la jurisprudence a reconnu aux œuvres cinématographiques dans
les années 1930. Dans un cas comme dans l’autre, on sent bien que ce n’est pas tant le genre qui
doit être protégé, mais plutôt le fonctionnement d’une industrie qui s’appuie désormais largement
sur le droit d’auteur. Il est donc inenvisageable qu’une action en contrefaçon d’un éditeur ou un
distributeur de jeux vidéo puisse, de nos jours, fragiliser ce fonctionnement en admettant une
discussion approfondie de l’originalité des œuvres contrefaites.
b) Originalité discutée
Les rares fois où l’originalité est dorénavant discutée, il faut avouer que la discussion est des
plus sommaires, comme le montre l’extrait suivant du jugement du Tribunal de grande instance
de Paris en date du 12 décembre 1997 dans une affaire de contrefaçon du jeu Mortal Kombat.
[…] le jeu Mortal Kombat met en scène, dans divers décors, 7 combattants bien
différenciés dans le domaine des arts martiaux, avec combinaison de sauts arrières
accompagnés d’effets sonores ; qu’il comporte un contrôle de la violence par boîtier de
contacts, un menu de contrôle et de tests de données statistiques ; qu’indépendamment
de l’appréciation qui peut être portée de la valeur esthétique ou artistique des jeux
vidéo, laquelle n’a pas à entrer en ligne de compte, il ne s’agit pas de la simple mise en
œuvre d’une logique automatique mais d’une création de l’esprit présentant un
caractère original ;
À la lecture de ce passage, on se rend bien compte que la question n’est pas de savoir si le jeu
est original, les explications fournies étant insuffisantes pour comprendre où peut bien se nicher,
en l’espèce, l’empreinte de la personnalité du ou des auteurs. L’évocation de l’originalité relève
plutôt d’une sorte de clause de style, ce qui laisse penser que le débat a migré sur le terrain du
rapport entre le programme informatique sous-jacent et les manifestations audiovisuelles.
2. Le rapport juridique entre le programme informatique sous-jacent et le résultat
esthétique apparent
Par deux décisions, la Cour de cassation semble finalement avoir pris parti sur la question du
rapport entre le logiciel et les manifestations audiovisuelles d’un jeu vidéo.
Ainsi, dans un premier arrêt du 21 juin 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation
affirme que :
[…] la programmation informatique d'un jeu électronique étant indissociable de la
combinaison des sons et des images formant les différentes phases du jeu,
l'appréciation de ces éléments permet de déterminer le caractère original du logiciel
contrefait […]
Tandis que dans un second arrêt en date du 27 avril 2004, la première chambre civile de la
Cour de cassation confirme une décision de la Cour d’appel selon laquelle :
[…] les spécifications externes, l'expression télévisuelle et l'enchaînement des
fonctionnalités des logiciels de chacun des jeux concernés témoignaient d'un effort
créatif portant l'empreinte de la personnalité de leurs créateurs.
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Par cette formulation, explicite dans le premier cas et implicite dans le second cas, la Cour de
cassation tire les conséquences de la reconnaissance légale du caractère d’œuvre de l’esprit des
logiciels et décrit la forme de ce nouveau type d’œuvre composée d’un enchaînement de
fonctionnalités, de spécifications externes et d’une expression télévisuelle, ensemble dont
l’originalité, voire le régime juridique, appartient dorénavant à la catégorie légale du logiciel.
Avec ces affirmations, l’expérience que nous avons tenté de mener en traitant le jeu vidéo
comme une œuvre de l’esprit parmi d’autres arrive à son terme. En effet, à suivre la
jurisprudence de la Cour de cassation, le jeu vidéo semble représenter une catégorie d’œuvre
radicalement nouvelle où l’outil logiciel a rejoint la forme audiovisuelle en un tout homogène. Si
tel est le cas, nous avons alors déjà quitté l’âge moderne pour entrer dans l’âge post-moderne des
jeux vidéo.
Je cède donc volontiers la parole à Frédéric Sardain, ainsi qu’à Valérie-Laure Bénabou, pour
qu’ils nous éclairent l’un et l’autre sur cette ère nouvelle.
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