L`Expanded ASEAN Maritime Forum (EAMF) : nouveau venu dans l

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L`Expanded ASEAN Maritime Forum (EAMF) : nouveau venu dans l
OBSERVATOIRE ASIE DU SUD-EST 2012/2013
note
L’Expanded
ASEAN Maritime
Forum (EAMF) :
nouveau venu
dans l’architecture
régionale de
sécurité
Note de l’étude quadrimestrielle n°1,
cycle 2012-2013, Observatoire Asie du Sud-est
Eric Frécon (pilote de l’observatoire Asie du Sud-est à Asia Centre et enseignantchercheur à l’École navale)
Avril 2013
L’Asie du Sud-est est connue pour son rôle de sas
maritime entre les pôles majeurs de la mondialisation.
Dans ce contexte, sûreté et sécurité1 maritimes y revêtent
une importance stratégique. Or, si certaines menaces sont
considérées par la communauté navalo-maritime comme
« apprivoisées » (tame), c’est-à-dire clairement définies
et appréhendées (piraterie, assistance humanitaire,
terrorisme), d’autres demeurent « malicieuses » (wicked),
comme par exemple les définitions du passage inoffensif
dans les eaux territoriales ou des activités possibles dans
les Zones économiques exclusives (ZEE).
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Ces questions sont propices aux dérapages militaires,
en mer de Chine méridionale et ailleurs, comme dans les
détroits de Malacca vers Pulau Nipah ou de Makassar
non loin d’Ambalat. L’exemple le plus fameux demeure
celui de l’USS Impeccable stoppé en mars 2009 par
deux bateaux de pêche chinois dans leur ZEE au large de
Hainan : pour Pékin, les activités auxquelles se livraient le
bâtiment américain outrepassait ce qu’autorise le droit de
la mer ; de même, il est arrivé que des milices anti-Malaisie
se constituent en Indonésie suite à des litiges frontaliers
dans les eaux limitrophes. Les difficultés pourraient
monter d’un cran à l’avenir, comme l’explique Termsak
1
La sécurité (safety en anglais) recouvre les problématiques
liées aux accidents en mer tandis que la sûreté (security)
traite des menaces telles le banditisme maritime, la piraterie
et le terrorisme.
Chalermpalanupap, qui a travaillé vingt ans durant sur les
questions de politique et de sécurité au sein de l’ASEAN :
qu’en sera-t-il en effet quand la Chine enverra son
prochain groupe aéronaval sillonner les mers resserrées et
les détroits de l’Insulinde ?
Afin de régler ces questions sensibles, le marin, l’officier et
le diplomate font face à un embouteillage institutionnel, au
carrefour des diplomaties Tracks 1, 1.5 et 2. Le CSCAP
(Council for Security Cooperation in the Asia Pacific) avait
certes monté un groupe d’étude sur l’amélioration de la
situation navale (naval enhancement) en Asie pacifique,
mais rien de concret n’a abouti et la course aux armements
navals de se poursuivre…
1. La nécessité de l’EAMF face aux défis maritimes
Les réalisations concrètes et les offres actuellement les
plus sérieuses sont :
• Les ARF (ASEAN Regional Forum) Inter-Sessional
Meetings (ISM) on Maritime Security, mises
en place à Singapour en 2008 ; ces réunions
sont co-présidées par l’Indonésie, le Japon et
la Nouvelle-Zélande. Les trois priorités sont :
échange d’information, mesures de confiance et
formation des forces de l’ordre, surtout à l’attention
d’éléments non-navals comme les garde-côtes, et
ce sous l’impulsion du Japon ;
•
de souveraineté. Les sujets abordés sont pourtant
essentiels ; les déclarations officielles indiquent leurs titres :
• UNCLOS in Today’s Context ; en complément fut
rappelée l’importance complémentaire du Traite
d’amitié et de coopération en Asie du Sud-est et
de la Déclaration sur la conduite des parties en
mer de Chine méridionale ;
Le Maritime Security Expert Working Group
(MSEWG) de l’ADMM+ (ASEAN Defence
Ministerial Meetings), créé dès la mise en place
de l’ADMM+ en octobre 2010 et co-présidé par
l’Australie et la Malaisie ;
• Le Heads of Asian Coast Guard Agencies (HACGA)
Meetings, utiles au niveau 1.5, notamment entre
Inde et Chine, mais peu reconnues ; elles ont
pourtant contribué à la mise en place du ReCAAP
(Regional Cooperation Agreement on Combating
Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia).
Et comme pour le CSCAP, des mémos ont été
produits pour alimenter la réflexion lors des ARF.
De ce panorama se détachent d’une part une structure à
composante essentiellement diplomatique, forte de hauts
fonctionnaires qui planifient les politiques publiques (l’ARF
ISM) et qui peineraient sans doute à rentrer dans le vif du
sujet, d’autre part un groupe aux accents navals, axé sur
la défense et où les échanges sont plus « tendus » d’après
les témoignages de Sam Bateman, ancien officier de la
Marine australienne, aujourd’hui chercheur incontournable
– sur ces questions – à Singapour et Wollongong.
Afin de dépasser ces doubles limites et après six ans de
discussion, l’ASEAN a mis en place son propre Maritime
Forum lors d’une première réunion à Surabaya en
2010. Si le risque était de contribuer à la confusion par
l’enchevêtrement accru d’initiatives, ce forum a réussi à
associer les compétences maritimes tout en évitant les
dérives navales. Il répond aussi à une exigence du droit
international, à savoir l’obligation de coopérer formalisée
dans le chapitre IX de la Convention des Nations Unies
sur le Droit de la Mer (CNUDM). Elevé au rang 1.5, il réunit
essentiellement des éléments non militaires, à l’échelle des
forces de police ou de garde-côtes : MMEA (Malaysian
Maritime Enforcement Agency), Bakorkamla (Indonesian
Maritime Security Coordinating Board), Philippines Coast
Guards, etc.
Forts des promesses que ce forum a laissé entrevoir, les
chefs d’Etat de l’ASEAN ainsi que ceux de l’EAS à Bali
en 2011 ont proposé une version « étendue » (expanded).
Celle-ci fut mise en place dès la troisième rencontre à
Manille en octobre 2012. La rencontre fut présidée par des
hauts fonctionnaires philippins ; les dix-huit Etats de l’EAS
y ont participé ainsi que le secrétariat de l’ASEAN et des
délégués non gouvernementaux ou chercheurs.
2. La valeur ajoutée de l’EAMF
Pour Sam Bateman, qui est intervenu lors du premier
EAMF, l’intérêt principal de ce dernier est d’adopter une
approche « démilitarisée » et déconnectée des questions
• Maritime Connectivity and Capacity Building:
Infrastructure and Equipment Upgrading and
Seafarers’ Training ; dans ce cadre, les EtatsUnis ont proposé d’organiser des entraînements
spécifiques pour les marins ; surtout, ils ont
annoncé leur souhait de rejoindre le ReCAAP ;
• Protecting the Marine Environment and Promoting
Eco-Tourism and Fishery Regime in East Asia:
Identifying the Best Practices of Cooperation.
L’objectif est d’ainsi mettre en œuvre des mesures de
confiance (Confidence Building Measures) dans des
domaines non-militaires. Celles-ci peuvent néanmoins
être la porte d’entrée vers le règlement de questions
plus sensibles : c’est en effet souvent par des problèmes
impliquant des bateaux de pêche que les tensions
émergent en mer de Chine méridionale. Notons que dans
le cadre des thèmes abordés, la France pourrait apporter
son utile contribution en présentant la spécificité de sa
« fonction garde-côte »2. De même, des diplomates de
Bruxelles sur zone expliquent que l’Union européenne
aurait une expertise à partager forte de ses expériences
dans la Manche ou dans le golfe de Gascogne.
L’autre avantage majeur tient dans la composition du
forum. Certes, lorsque le Japon lança l’idée en premier,
il espérait sans doute – et les grandes puissances avec
lui – mettre en place une structure indépendante. Tokyo
n’en était pas à son coup d’essai. Avec son porte-avions
institutionnel qu’est la Nippon Foundation3, le Japon
est déjà très présent dans le détroit de Malacca, pour
les questions de sécurité, et au sein du ReCAAP, dont
il est l’initiateur après une série de conférences dans les
années 2000. Finalement, l’EAMF est adossé à l’AMF
qui, lui, relève davantage de la diplomatie Track 1. Mary
Ann Palma, chercheur philippine à l’Australian National
Centre for Ocean Resources and Security (ANCORS),
note alors que la question récurrente de la centralité
de l’ASEAN pourrait nuire au règlement de questions
maritimes essentiellement transfrontalières. Euan Graham
– senior fellow au Maritime Security Programme de la
RSIS à Singapour – relève que le débat de la composition
de l’EAMF se poursuit : le Japon serait favorable à une
ouverture plus large tandis que la Chine souhaite se limiter
au minimum. La France, puissance de l’océan Indien
comme l’Inde et limitrophe de l’Australie et de la NouvelleZélande, pourrait-elle alors forcer le passage de ce forum ?
Ces discussions particulièrement sensibles sont liées à
l’« internationalisation » de la question de la mer de Chine
méridionale que redoute Pékin.
L’OMI (Organisation maritime internationale) promeut déjà
cette approche unique dans le golfe de Guinée, théâtre de crimes et
trafics en mer, afin de favoriser la coopération entre les différentes
forces de l’ordre mobilisées.
3
Cette fondation est rattachée à la sulfureuse Sasakawa Foundation
comme le souligne régulièrement Philippe Pelletier.
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Malgré ces débats, la composition élargie de l’EAMF
présente des avantages. Tout d’abord, elle valide
l’importance accordée aux questions maritimes comme le
souligne Mary Ann Palma. Pour la première fois, explique
T. Chalermpalanupap, la mer de Chine méridionale n’est
plus une source de tension mais de coopération entre
la Chine et les Etats-Unis. Les deux grandes puissances
se retrouvent dans un cadre propice à l’échange et aux
phases d’approche diplomatique. C’est ce dont témoigne
un diplomate de l’Union européenne basé à Manille, au
lendemain de l’EAMF. Il relève le calme dans lequel Pékin
et Washington ont échangé au sujet de « questions
sensibles en mer de Chine du Sud, dont les disputes
territoriales elles-mêmes ». Il complète : la Chine a fait une
intervention intéressante, pendant laquelle elle a reconnu
le « bienfondé de la CNUDM pour résoudre les conflits4 ».
Preuve du souffle nouveau dans la coopération régionale
maritime, le Vietnam, via son vice-ministre des Affaires
étrangères, s’est félicité de la place tenue par l’ASEAN
face aux grandes puissances. De leur côté, les Etats-Unis
ont suggéré l’institutionnalisation du rendez-vous, de la
même manière que les pays de l’ASEAN ont soumis la
même idée pour l’AMF dans leur déclaration finale.
maritime ; tel est l’un des derniers projets formulé
par Sam Bateman ;
• Le Crimario (Critical Maritime Routes in the Indian
Ocean), mis en place par l’Union européenne.
Il s’agit d’un workshop organisé à Singapour en
février 2013 et qui réunit l’Afrique du Sud, l’Inde,
le Kenya, Singapour, la Tanzanie et le Yémen
ainsi que des organisations internationales et des
entités comme l’IFC (Information Fusion Centre)
et le ReCAAP-ISC (Information Sharing Centre) à
Singapour. Cette structure plus souple et discrète
pourrait-elle s’adapter à l’Asie orientale dans son
ensemble ? Mary Ann Palma relève en effet que
le « working group level » se révèle souvent plus
efficace que les « high level talks ».
Dans tous les cas, les meilleures intentions se heurteront
aux conflits territoriaux toujours non-résolus. Et ce n’est
pas ici, à l’EAMF, qu’ils le seront définitivement.
3. Les limites de l’EAMF
N’en déplaise à Sam Bateman, ravi de cette approche
fonctionnaliste, donc progressive, centrée sur les questions
civiles, loin des habituelles susceptibilités navales, le forum
peine à résoudre certaines questions essentielles. Termsak
Chalermpalanupap en relève deux : le régime juridique des
ZEE et les discussions autour de la dénucléarisation des
eaux sud-est asiatiques.
Quant à Euan Graham, sceptique, il doute de l’« utilité » du
forum. L’un des reproches souvent mentionné est la trop
grande ambition du forum : son efficacité se diluerait en
voulant traiter trop de questions. Par ailleurs, il pâtirait de
l’ASEAN Way, c’est-à-dire du principe de non-ingérence
et de la recherche du consensus.
4. Conclusion
Malgré ces débats, le quatrième AMF et le deuxième
EAMF se tiendront en 2013. Il faudra alors surveiller
leurs prochains développements organisationnels et les
articulations à venir de l’EAMF avec l’ARF et l’ADMM+.
Si ces réunions ne suffisent pas à résoudre les menaces
« malicieuses », il demeure deux nouvelles pistes à
explorer :
• La création de l’Asian Peace Research Institute
(APRI), sur le modèle du SIPRI, avec un volet
Alors que les Etats-Unis n’ont toujours pas ratifié la Convention,
même si John Kerry le souhaiterait.
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