La protection des droits de l`homme sur le continent asiatique

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La protection des droits de l`homme sur le continent asiatique
Aubineau Alice
Kusak Pauline
Décembre 2007
DOSSIER
JUSTICE INTERNATIONALE
La protection des droits de l’homme sur le continent asiatique
1
Table des matières
Introduction
Chapitre I
Un régionalisme des droits de l’homme « par le haut » sur le continent asiatique : Donne
internationale et perspective(s) officielle(s) de l’ASEAN en matière de droits de l’homme
A) Une « impuissante puissance » de la communauté internationale et des dispositifs onusiens pour la
protection des droits de l’homme dans la région ?
1. Efforts des Nations Unies dans la région depuis la Conférence de Vienne (1993)
2. Quel poids régional pour les dispositifs onusiens en Asie face à l’insoluble débat du
relativisme culturel et des « valeurs asiatiques » ?
B) L’engagement relatif des gouvernements asiatiques en matière de droits de l’homme dans la
région du Sud Est: une difficile homogénéisation des perspectives à l’échelon « inter-ASEAN »
1. Une realpolitik au nom du dogme de non-ingérence comme entrave à la protection efficace
des droits de l’homme dans la région
2. L’espoir de la « politique des petits pas » de l’ASEAN depuis la Déclaration de Bangkok
Chapitre II
L’action régionale non étatique d’impulsion d’une protection des droits de l’homme « par le
bas » : la société civile au cœur de ce processus
A) La société civile : définition générale, implication en Asie du Sud-Est et acteurs
1. Une société civile asiatique ?
2. Des acteurs divers unis par une même volonté de voir triompher la liberté en Asie
B) Les actions menées par la société civile : une voie diplomatique alternative et non officielle très
prometteuse.
1. Une initiative populaire et encourageante : la mise en place d’un Groupe de travail pour un
mécanisme régional des droits de l’homme
2. D’autres avancées prometteuses en faveur de la création d’un mécanisme régional de protection
des droits de l’homme
Conclusion
Sources bibliographiques
2
Introduction
La remise du Prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi en Birmanie en 1991, ainsi qu’à
Carlos Felipe Ximenes Belo et à Jose Ramos-Horta au Timor Oriental en 1996, ont marqué sur le
continent asiatique un regain d’attention en matière des droits de l’homme. Malgré cet hommage
exprimant la désapprobation de la communauté internationale à l’égard de l’attitude de certains
régimes semi-autoritaires d’Asie, la crise birmane actuelle révèle la persistance des transgressions
quotidiennes des droits de l’homme dans la région et l’impuissance des Etats occidentaux à rendre
efficace l’application des divers instruments internationaux en matière de droits de l’homme.
Inégalités, discrimination, impunité, conflits armés, extrême violence, déficits démocratiques,
faiblesse des institutions politiques fragilisées, … Autant de facteurs propices à la violation sérieuse
des droits de l’homme. À l’aune de ces nombreux défis à relever en Asie, le bilan sur la coopération
avec les mécanismes internationaux des droits de l’homme apparaît inéluctablement mitigé, et le taux
de ratification dans la région Asie-Pacifique demeure aujourd’hui très faible par rapport aux autres
régions du globe. Avec pour exemple la signature de seulement 13 pays asiatiques sur les 105 pays
signataires du statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, le cas de l’Asie met notamment en
exergue l’existence d’un véritable déficit, voire une négligence volontaire quant à la promotion et
protection des droits de l’homme dans la région. Alors qu’un processus de régionalisation des droits
de l’homme a été amorcé depuis déjà plusieurs décennies aux Etats-Unis, en Europe, et en Afrique,
l’Asie demeure en effet le seul continent dans le monde à ne pas disposer d’instrument régional global
pour les droits de l’homme, ni de mécanisme régional institutionnalisé. Si le continent asiatique est le
siège de nombreuses organisations économiques régionales et organes subsidiaires, il n’existe aucun
organisme politique régional offrant une infrastructure intergouvernementale pour délibérer de la
question des droits de l’homme et garantir l’application des traités et conventions internationales.
L’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (l’Indonésie, le Cambodge, la Malaisie, Singapour, la
Thaïlande, le Vietnam, les Philippines, le Laos, Brunei, et la Birmanie), offre à ce titre un cadre
d’analyse pertinent pour aborder la problématique de la protection des droits de l’homme sur le
continent asiatique. Lors du 13e sommet de l’ASEAN, qui s’est tenu à Singapour le 21 novembre
dernier, les dix Etats membres ont notamment convenu de l’élaboration prochaine d’une agence
régionale des droits de l’homme. En outre, le rapport prévoit la rédaction par cette future agence d’une
« feuille de route à long terme » pour la promotion des droits de l’homme. Ce point de consensus,
quasi inespéré, marque en l’occurrence une avancée considérable dans la mesure où l’Asie se
caractérise par une très forte hétérogénéité régionale. La question des droits de l’homme n’y est pas
neutre, suscitant de nombreux points de discorde et de débats entre les gouvernements de la région,
d’autant plus que les gouvernements de l’ASEAN récusent l’idée de voir appliquer sur leurs territoires
une notion occidentalisée et ethnocentriste des droits de l’homme au nom de la spécificité de « valeurs
asiatiques ». Si la déclaration de Bangkok, rédigée en 1993 par plus de 40 représentants des
gouvernements d’Asie Pacifique, y compris ceux de l’ASEAN, fait a priori figure de volonté
collective de dialoguer et d’incorporer la question des droits de l’homme dans l’agenda régional, le
principe sacré de la non-ingérence au sein de l’Asean entrave encore manifestement la jouissance de
ces droits fondamentaux dans plusieurs sociétés. Pour l’heure, la persistance de la primauté des
principes de souveraineté nationale et d’intégralité territoriale, prônés par ces gouvernements, rend
toujours difficile et délicate la création d’un mécanisme régional efficace des droits de l’homme, ainsi
que la projection d’une « perspective asiatique » cohérente des droits de l’homme.
Ayant choisie de focaliser la problématique de la protection régionale des droits de l’homme sur la
zone sud-est de l’Asie, notre travail portera sur l’analyse de ces prémices d’une « régionalisation » en
matière de droits de l’homme, à travers et malgré l’ASEAN, soulignant ses ambiguïtés et lacunes,
mais aussi les espoirs qu’elle suscite. Il s’agit d’examiner dans quelles mesures cet organisme
intergouvernemental, initialement chargé de s’occuper de questions politiques, économiques et
sociales, fournit un cadre institutionnel propice au recentrage et à la canalisation du débat sur les droits
de l’homme dans la région, à la fois sous la pression de la communauté internationale et de la société
civile. Il convient dès lors de se demander de quelle manière le jeu de forces entre la communauté
internationale, les gouvernements de l’ASEAN et la société civile, consolident ou déstabilisent-ils
l’ASEAN en tant qu’institution en route vers un véritable régionalisme. Quelle est la viabilité de ce
3
système régional esquissé en matière des droits de l’homme alors que voit le jour une pluralité de
perspectives entre les différents acteurs impliqués? Dans quelles mesures une certaine « vision
ASEAN » peut elle avoir un impact sur la société et sur l’évolution de la diplomatie des droits de
l’homme ?
La discussion portera dans une première partie sur les évolutions du discours des droits de l’homme en
Asie du Sud Est selon un processus de régionalisme « par le haut » instauré depuis 1993, année de
deux conférences majeures sur les droits de l’homme – la Conférence Mondiale des Nations Unies à
Vienne, et la Conférence Régionale des pays d’Asie et du Pacifique à Bangkok. Quel est en effet le
positionnement des « stakeholders » (Etats) par rapport aux efforts manifestes du Haut Commissariat
des Nations Unies aux droits de l’homme dans la région ? Il s’agit notamment ici de s’intéresser aux
antagonismes s’articulant autour de la problématique des droits de l’homme en Asie. D’une part, au
niveau « extra-ASEAN », on observe un antagonisme entre les Etats membres de l’ASEAN et la
communauté internationale, les clivages de perspective mettant l’accent sur la dichotomie universalitérelativisme culturel. D’autre part, au niveau « inter-ASEAN », des perspectives officielles différentes
sont avancées au sein même de l’ASEAN entre les dix gouvernements. Dans une deuxième partie,
nous étudierons de manière détaillée les initiatives des sociétés civiles en matière de droits de
l’homme, comme embryon d’un régionalisme « par le bas ». Ce second chapitre mettra en exergue les
avancées manifestes de cette collaboration régionale non étatique et s’attachera à démontrer dans
quelles mesures la conciliation entre la volonté politique des Etats de l’ASEAN et la participation
croissante des populations, au niveau « intra-ASEAN », représente-t-elle une force motrice
prometteuse dans la promotion et la protection des droits de l’homme dans la région.
4
CH I - Un régionalisme des droits de l’homme « par le haut » sur le continent asiatique :
Donne internationale et perspective(s) officielle(s) des Etats membres de l’ASEAN
Cela fait désormais 15 ans que les Etats de l’ASEAN se sont réunis la première fois pour
évoquer la problématique des droits de l’homme en Asie, et ont affirmé une perspective asiatique
commune concernant ces droits, à l’occasion de la conférence régionale de Bangkok en 1993.
Pourtant, cet apparent « consensus » ne s’est à ce jour toujours pas traduit dans la praxis politique, et
aucun mécanisme régional n’existe encore pour assurer la protection des droits de l’homme dans la
région. La raison principale de ces maigres avancées se trouve dans les divergences internes que les
dix Etats membres de l’ASEAN ont à surmonter. Mandatée pour assurer la bonne coopération
régionale dans la zone Sud Est de l’Asie, l’ASEAN est avant tout une institution
intergouvernementale, dépendante du bon vouloir de ses Etats membres. Ainsi, la mise en oeuvre d’un
mécanisme régional efficace en matière des droits de l’homme peut difficilement voir le jour sans
l’affirmation en amont d’une véritable volonté politique des Etats. Si les gouvernements du Sud-Est
asiatique peinent encore à reconnaître et exprimer un enthousiasme pour les droits de l’homme, ces
derniers ne peuvent aujourd’hui plus faire fi de l’importance de cette problématique, au regard des
pressions internes et externes. En ce sens, les efforts constants de l’Organisation des Nations Unies
dans la région constituent notamment un facteur fondamental d’encouragement et d’incitation. Les
Etats de l’ASEAN font désormais preuve d’une relative ouverture, et ont bel et bien enclenché un
régionalisme des droits de l’homme « par le haut », tout aussi long et difficile qu’il soit à mettre en
place. Des antagonismes entre les gouvernements de l’ASEAN eux-mêmes d’une part, et avec la
communauté internationale d’autre part, illustre les jeux de forces et les débats qui s’articulent autour
du projet d’un mécanisme régional de protection des droits de l’homme en Asie du Sud Est.
A) Une « impuissante puissance » de la communauté internationale et des dispositifs onusiens
pour la protection des droits de l’homme dans la région ?
1) Efforts des Nations Unies dans la région depuis la Conférence de Vienne (juin 1993) :
Les Nations Unies affirment en autre, comme objectif majeur, la poursuite d’une coopération dans
la promotion et l’encouragement du respect des droits de l’homme. L’Asie étant la seule région à ne
pas faire l’objet d’un traité spécifique en matière de droits de l’homme, et à être dépourvue d’un
mécanisme régional de protection de ces droits, les Nations Unies se sont engagées, à travers le Haut
Commissariat aux droits de l’homme et sa Commission Régionale pour l’Asie et le Pacifique, à
fournir aux gouvernements asiatiques de la région l’assistance nécessaire pour mettre en œuvre ces
arrangements régionaux 1 .
C’est à l’occasion de la conférence mondiale des droits de l’homme, à Vienne en 1993, que les
Nations Unies ont rappelé l’importance du renforcement de l’assistance technique aux Etats en matière
de droits de l’homme, au nom des principes de solidarité et de coopération. La déclaration de Vienne
mettant en exergue la centralité du principe d’universalité des droits de l’homme, a notamment marqué
la volonté de la communauté internationale de renouveler ses efforts de consolidation et d’application
complète des instruments relatifs aux droits de l’homme. C’est à la suite à cette conférence, que
l’Assemblée générale des Nations Unies a convenu de la création d’un Haut Commissariat aux droits
de l’homme dans le but de « jalonner les efforts politiques et diplomatiques qui assurent un dialogue
continu au niveau le plus élevé du gouvernement afin de parvenir à des résultats et des progrès
concrets » 2 . Une commission aux droits de l’homme pour la région de l’Asie et du Pacifique a été crée
plus spécifiquement en 2001, pour établir des priorités et stratégies régionales plus efficaces en
matière de droits de l’homme. L’objectif commun des efforts déployés par le HCDH dans les pays de
la région Asie-Pacifique est de s’assurer que les acteurs nationaux, les institutions gouvernementales,
1
Principe affirmé par les Nations Unies dans sa résolution 1998/45 du 11 avril 1997, et réaffirmé dans sa résolution 2001/77 du 25 avril
2001.
2
Tinio Maria Linda, « Les droits de l’homme en Asie du Sud-Est », 2004
5
et les ONG, offrent des voies de recours aux personnes dont les droits de l’homme ont été bafoués. 3
Au travers d’une étroite collaboration entre le Haut Commissariat aux Droits de l’Homme et sa
commission spéciale pour l’Asie, l’ONU fait alors figure d’acteur régional à part entière en Asie. Les
arrangements régionaux mis en place sous son égide permettent de maintenir à l’ordre du jour le
discours des droits de l’homme en Asie, et constituent un facteur de pression internationale, que les
gouvernements de l’ASEAN ne peuvent plus négliger ou ignorer. Les nombreux ateliers sur la
question des droits de l’homme organisés en Asie attestent des efforts des Nations Unies dans la
région depuis la décennie 90. 4
2) Quel poids régional pour les dispositifs onusiens en Asie face à l’insoluble débat du
relativisme culturel et des « valeurs asiatiques » ?
La Conférence de Vienne a suscité d’importants débats autour de la dichotomie
universalisme/relativisme culturel et ainsi engendré des clivages profonds entre les pays occidentaux
et les acteurs asiatiques. Cet antagonisme est le reflet de conceptualisations différentes quant à la
manière d’aborder les droits de l’homme au niveau régional. Nonobstant le phénomène
« d’internationalisation » des droits de l’homme, et la primauté de la protection des droits de l’homme
comme une devise globale, une convergence n’est pourtant toujours pas à l’ordre du jour.
Le discours officiel de la communauté internationale au travers de la déclaration de Vienne met en
exergue le caractère universel des droits de l’homme, une vision dite occidentale et ethnocentriste, qui
va dès lors à l’encontre du discours asiatique formulé dans la déclaration de Bangkok. La conférence
de Bangkok, organisée en avril 1993 en prévision de la conférence de Vienne, a permis aux acteurs
régionaux étatiques d’Asie d’échanger leurs conceptions des droits de l’homme sur l’agenda global, et
ainsi de parvenir à une position collective a priori consensuelle. S’il ne s’agit pas d’un rejet
catégorique du principe d’universalisme des droits de l’homme, la déclaration de Bangkok sera vécue
comme une opportunité de s’exprimer sur le sentiment « d’impérialisme occidental » en rappelant aux
instances internationales l’impératif de prendre en compte les particularités nationales, régionales et
historiques. Les gouvernements d’Asie considèrent en effet qu’il n’existe pas de modèle unique
prescrit pour l’ensemble des mécanismes régionaux en matière des droits de l’homme. Selon eux, les
réalités de la région asiatique doivent être prises en compte afin de parvenir à une coopération
internationale plus efficace en matière de droits de l’homme, et ainsi garantir la conception
d’arrangements régionaux plus cohérents et adaptés pour la protection de ces droits. Les particularités
de chaque pays, politiques, économiques, culturelles, et sociales, doivent donc être identifiées avant
même de décréter quels droits sont prioritaires dans la région. Au nom du principe de non-ingérence
dans les affaires domestiques, les gouvernements asiatiques refusent de suivre aveuglément les
pratiques occidentales, et de voir exercés dans leur région des pressions extérieures qui ne seraient
qu’une façade occidentale pour mieux s’affirmer sur la scène internationale. Le recours au discours sur
les valeurs asiatiques constitue dès lors un argumentaire puissant pour les gouvernements de la région
qui légitiment en cela leurs régimes, et éloigne tout éventuelle intromission extérieure dans leurs
affaires internes. Bien souvent, ce « langage officiel » conduit à une attitude d’indifférence des
gouvernements, qui au final sont peu soucieux du regard critique de la communauté internationale, et
peu volontaires à respecter les dispositifs onusiens qu’ils se sont engagés à appliquer.
En effet, malgré le nombre non négligeable d’instruments internationaux relatifs aux droits de
l’homme auxquels les Etats de l’ASEAN sont parties sous l’égide des Nations Unies, le caractère non
contraignant de ces conventions et pactes internationaux demeure une réalité criante au regard de la
persistance des atteintes aux droits de l’homme, commises sur le continent asiatique. En effet,
l’adoption de certains instruments internationaux ne garantit en rien l’application de ces derniers dans
la praxis politique : limitation de la liberté d’expression en Birmanie, Malaisie et Singapour,
arrestations et harcèlement des hommes politiques de l’opposition ainsi que des manifestants de la
3
Site www.ohchr.org Les priorités définies pour l’année 2006-2007 prévoit : un soutien plus marqué à chaque pays de la part du Siège ; le
renforcement de la capacité en matière des droits de l’homme et de soutien pour ces droits au sein des missions de paix de Nations Unies,
notamment en Afghanistan ; le soutien des bureaux nationaux au Cambodge et au Népal ; et le soutien du Responsable des droits de l’homme
de l’Équipe de pays des Nations Unies au Sri Lanka ; et le renforcement du Bureau régional de Bangkok.
4
Divers ateliers à Manille (1990) ; Jakarta (1993) ; Séoul (1994) ; Katmandou (1996) ; Amman (1997) ; Téhéran (1998) ; New Delhi (1999) ;
Bangkok (1999) ; Tokyo (2000) ; Sana’a (2000) ; Bangkok (2001) ; Kuala Lumpur (2001), …cf Tinio Maria Linda, « Les droits de l’homme
en Asie du Sud-Est », 2004
6
société civile, etc… Au nom des principes de non-ingérence, de souveraineté nationale, et de question
de sécurité territoriale, les gouvernements de l’ASEAN ont notamment tendance à remettre en cause
trois types de droits les droits des peuples (ex : droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) ; les droits
des minorités (autonomie et préservation identité culturelle) ; et les droits des individus (droits de
l’homme et droits civils comme liberté d’expression, de réunion, de presse). A noter qu’au centrisme
occidental pour les droits civils et politiques s’oppose la priorité accordée par les pays asiatiques aux
droits économiques, sociaux et culturels justifiant dés lors le rôle d’un Etat paternaliste fort, agent du
développement économique (théorie de « la légitimité par la performance »). 5
Ainsi, les instruments internationaux sont remis en cause par le courant relativiste des élites politiques
de la région. Dans une certaine mesure, les gouvernements asiatiques projettent sur l’échiquier
international une image de mauvaise foi, négligeant volontairement dans la pratique les droits de
l’homme, au nom de la suprématie de l’Etat. Du fait que les gouvernements asiatiques privilégient
l’ordre public et la stabilité politique au détriment des droits individuels et de la démocratie libérale,
certains auteurs vont même jusqu’à parler d’un phénomène de « banalisation » des dispositifs
onusiens, vidés de leur sens. 6 On ne peut citer le discours des valeurs occidentales sans tenir compte
de la diversité régionale qui caractérise l’Asie.
B) L’engagement relatif des gouvernements asiatiques en matière de droits de l’homme dans la
région du Sud Est: une difficile homogénéisation des perspectives à l’échelon « inter-ASEAN »
La création de l’ASEAN en 1967 répondait à la volonté des pays du Sud Est de l’Asie de
coordonner au niveau régional les questions politiques, économiques et sociales (principaux
mécanismes : l’Asean Regional Forum et l’Asia Pacific Economic Co-Operation). Ce n’est qu’à partir
de la conférence de Bangkok en 1993, que l’épineuse problématique des droits de l’homme a
progressivement été associée à l’agenda politique régional. L’institution de l’ASEAN est depuis
envisagée comme une éventuelle structure régionale pour délibérer des droits de l’homme dans la
région, avec le projet à terme de parvenir à la création d’un véritable mécanisme régional efficace pour
faire appliquer les instruments internationaux relatifs à la protection de ces droits. Malgré les avancées
entreprises, les facteurs d’hétérogénéité régionale et de sacralisation de la souveraineté nationale au
sein de l’ASEAN demeure les obstacles majeurs.
1) Une realpolitik au nom du dogme de non-ingérence comme entrave à la protection efficace
des droits de l’homme dans la région
La souveraineté nationale demeure le dogme au sein de l’ASEAN. Tous les membres sont égaux,
la règle étant celle de l’unanimité. L’illustration de ce dogme s’articule autour de la doctrine de noningérence qui figure au cœur du processus de régionalisme et fonde dès lors la politique
intergouvernementale de l’ASEAN (affirmation de ce principe dans toutes les principales déclarations
et corpus d’instruments officiels). D’où le recours aux concepts de « statu quo » et de « bon
voisinage » pour qualifier la communauté de l’ASEAN. Ses dix Etats membres établissent leur agenda
politique en termes de realpolitik, appelée « l’ASEAN Way », qui vise à légitimer la position officielle
de chaque Etat, et en l’occurrence en ce qui nous concerne, la position vis-à-vis de la question des
droits de l’homme. La souveraineté nationale, l’intégralité territoriale et la non-ingérence dans les
affaires domestiques représentent les trois principes fondateurs non-négociables de ce code de
conduite régional. Il s’agit pour l’ASEAN d’éviter toute tension interétatique pour maintenir la
stabilité et la sécurité de la région Sud Est de l’Asie. Parvenir à un dialogue politique et des
déclarations officielles ; mettre en place un processus inter-étatique composé d’un réseau de réunions
et de solidarité ; respecter des normes de dialogue et de coexistence pacifique, et in fine instaurer un
mécanisme décisionnel au niveau bilatéral, en cas de conflit. Le caractère potentiellement
transformateur de la question des droits de l’homme sur la société conduit d’autant plus les Etats de
l’ASEAN à maintenir le statu quo afin de préserver la légitimité des gouvernements et la crédibilité de
5
6
Tinio Maria Linda, « Les droits de l’homme en Asie du Sud-Est », 2004
Tinio Maria Linda, « Les droits de l’homme en Asie du Sud-Est », 2004
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l’institution dans son ensemble. Pour l’Asean, le principe de la non-ingérence offre un terrain
doctrinal efficace et légitimateur auquel les gouvernements ont recours pour parvenir à leurs objectifs
régionaux. En d’autres termes, la souveraineté devient outil de protection des Etats de l’ASEAN
contre tout discours critique émis par des acteurs extérieurs, ainsi qu’intérieurs, à savoir les sociétés
civiles asiatiques.
2) L’espoir de la « politique des petits pas » de l’ASEAN depuis la Déclaration de Bangkok
S’il s’avère que la question de l’instauration des arrangements régionaux pour les droits de
l’homme ne constitue toujours pas une priorité pour les dix Etats membres, il convient de souligner la
mise en agenda effective de la question depuis la Conférence de Bangkok en 1993. Les gouvernements
de l’ASEAN, ayant souscrit aux notions occidentales de développement et de libre marché, se doivent
en conséquence d’affronter le défi des droits de l’homme. La déclaration de Bangkok sera dès lors
l’occasion pour ces derniers de s’affirmer sur cette question et de projeter une perspective asiatique
homogène des droits de l’homme – perspective officielle venant d’en haut, à la recherche d’une
apparence d’harmonie. Les Etats de l’ASEAN ont en outre affiché leur volonté de développer un
mécanisme régional des droits de l’homme avec le « Communiqué de Singapour » du 23 juillet 1993.
Depuis, l’ASEAN semble avoir progressé dans la prise en considération des sociétés civiles,
notamment en ce qui concerne les droits des enfants et des femmes.
D’autre part, la présence « d’institutions nationales des droits de l’homme » (INDH, selon les
principes onusiens de l’ONU 7 ) dans certains pays de l’ASEAN représente des dispositifs nationaux
pertinents en tant qu’outil de protection des droits de l’homme. Quatre pays de l’ASEAN ont adopté
de telles institutions, il s’agit de l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et de la Thaïlande. On peut
noter l’aspect positif de ces INDH qui encouragent un engagement plus fort de ces gouvernements en
ce qui concerne la question des droits de l’homme. L’article 36 de la déclaration de Vienne stipule que
ces INDH possèdent « la qualité de conseillers des autorités compétentes, … rôle dans l’action visant à
remédier aux violations dont les droits de l’homme font l’objet, et la diffusion d’informations sur les
droits de l’homme et l’éducation. » L’évaluation de la performance des INDH sous l’égide de l’ONU
est effectuée selon les critères suivants : compétence et responsabilité, composition et indépendance,
méthodes d’opérations et mandat pour considérer les plaintes. Au final, l’objet de ces commissions
nationales est d’être reconnues comme des institutions critiques indépendantes au sein de la structure
étatique. Leur rôle n’est toutefois pas de se substituer à un corps judiciaire supposé indépendant,
impartial et accessible à tous, ces derniers éléments reposant uniquement sur la volonté politique des
dirigeants. Bien que cela marque une avancée récente non négligeable pour la protection des droits de
l’homme dans la région, l’existence de la clause « as provided by law » dans les constitutions des pays
membres de l’ASEAN laisse à ces derniers une grande marge de manœuvre dans l’interprétation de la
protection des droits de l’homme. La coordination vers l’institutionnalisation et le régionalisme relatif
aux droits de l’homme, apparaît donc compromis tant que les gouvernements asiatiques prôneront le
principe de souveraineté nationale, évitant une réflexion approfondie sur la situation des droits de
l’homme dans la région. Cependant, l’on observe déjà les prémices d’un assouplissement et
relâchement relatif de la doctrine de la non-ingérence avec l’émergence de dispositifs au sein de
l’ASEAN tel que celui relatif à la Community of caring societies (« communautés bienveillantes)
établie dans le cadre du programme «ASEAN Vision 2020». Le projet d’établir une agence régionale
des droits de l’homme en Asie du Sud-Est a également été à nouveau discuté et approuvé lors du
dernier sommet de l’ASEAN (novembre 2007) alors même que la Birmanie, le Laos, et le Vietnam y
avaient longtemps fait obstruction. La date de création, ses modalités de fonctionnement et ses
pouvoirs sont cependant toujours en cours de discussion.
Il est difficile de dire si l'Asean arrivera ou non à surmonter ses contradictions internes et son
antagonisme avec la communauté internationale. Néanmoins, on peut émettre l’hypothèse que la
progression d’un processus de mécanisme régional des droits de l’homme dans la région apparaîtra
compromis tant qu’un cadre commun ne sera pas concrètement établi. La lenteur des avancées du
7
« Principes de Paris » formulés par l’Onu lors de la première Assemblée internationale concernant les institutions nationales des droits de
l’homme, en 1991 (cf. résolution de la commission des nations unies sur les droits de l’homme 1992/54 du 3mars 1992).
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projet s’inscrit alors sur le long terme. Pourtant, le travail « par le bas » qu’effectuent les acteurs non
étatiques - notamment les ONG - parvient à inscrire la problématique des droits de l’homme dans
l’agenda national et régional et permet d’obtenir un engagement plus fort des Etats dans la défense de
ces droits. Les initiatives croissantes de la société civile dans le domaine des droits de l’homme, et les
résultats de leur collaboration avec les gouvernements feront l’objet de notre second chapitre.
CH II - L’action régionale non étatique d’impulsion d’une protection des droits de
l’homme « par le bas » : la société civile au cœur de ce processus
Comme nous l’avons remarqué précédemment, la protection des droits de l’homme est loin
d’être une priorité pour les gouvernements asiatiques, ni à l’échelle nationale, ni au stade régional.
C’est pour cette raison, et pour pallier ce manque, qu’une société civile sud asiatique a émergé sur la
scène politique. Elle va venir renforcer et suppléer ce projet politique peu effectif de mécanisme
régional des droits de l’homme. On voit alors apparaître un nouveau type de collaboration avec
l’émergence de ce nouvel interlocuteur non gouvernemental qu’est la société civile. Par ailleurs, cette
dernière va se révéler beaucoup plus unie et déterminée dans son action même si elle reste limitée dans
son effectivité car elle n’a pas de statut institutionnel et donc aucune possibilité de prendre des
décisions normatives pour défendre les droits et libertés fondamentaux des populations. Pour analyser
ces questions, nous allons donc dans un premier point tenter de donner une définition complète de la
société civile et de sa réalité en Asie, pour ensuite mieux identifier ses principaux acteurs et enfin
évaluer leurs actions concrètes menées jusqu’à ce jour, ainsi que leur influence sur l’ASEAN.
A) La société civile : définition générale, implication en Asie du Sud-Est et acteurs
1) Une société civile asiatique ?
La société civile existe entre l'Etat et le marché d'un côté, et au dessus de la famille et de l'individu
d'un autre côté. Elle est composée d’une multitude d’organisations à buts divers et d'un espace de
débats. Ses groupes constitutifs y discutent de questions d'intérêt public en s'efforçant de contribuer au
bien-être de tous de différentes façons. Son espace de débats est la "sphère publique". Les groupes de
la société civile sont théoriquement des associations de volontaires qui ne cherchent ni le pouvoir dans
l'Etat, ni le profit dans le marché. Ils se consacrent à une large gamme de causes qui vont de
l'éradication de la corruption politique à la promotion des droits de l’homme et à beaucoup d'autres.
Ces organisations peuvent prendre des formes diverses. Aux côtés des organisations non
gouvernementales classiques, la société civile intègre des syndicats de travailleurs, des unions
commerciales, des instances religieuses, des associations, des universitaires, des personnalités
politiques engagées à titre personnel, etc. Elles amènent leurs membres à réfléchir ensemble et malgré
leurs différences, au développement d'une société meilleure et aux moyens d'y parvenir. Les liens
formés dans ces groupes renforcent les communautés locales en améliorant la solidarité et en créant un
capital social pour tous les membres. Les attitudes de la société contemporaine face aux problèmes
d'intérêt public se forment à partir de la presse, de la radio et des médias, qui occupent une large part
de la sphère publique dans la société moderne. Les positions prises et les activités organisées par un
groupe particulier définissent sa position dans la société mais aussi son influence par rapport au
politique.
Il est clair que la démocratie occidentale libérale représente un objectif hautement souhaitable pour
beaucoup de sociétés civiles et l’Asie n’y fait pas exception. Que la société civile n'existe réellement
qu'avec le suffrage universel, les élections régulières, la liberté de la presse, l'indépendance judiciaire,
les libertés de rassemblement et d'expression, la liberté religieuse ou encore la liberté d'enseignement
est une évidence dans nos pays Occidentaux. Cependant, la réalité est tout autre en Asie du Sud-Est
car c’est justement cette absence de libertés fondamentales qui va pousser la société civile à se former
et à chercher à s’imposer comme un interlocuteur de poids sur la scène politique pour inclure la
problématique les droits des l’homme dans l’agenda politique de l’ASEAN. Les idées venues
d’Occident, et, bien évidemment la Déclaration universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’ONU
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en 1948, ont pénétré les mentalités asiatiques par le biais des nouvelles technologies et les
revendications en matière de droits et libertés se sont donc renforcées, légitimées par cette perspective
internationale. Par conséquent, la société civile asiatique est de plus en plus attentive aux questions de
développement et aux grands débats internationaux. Elle essaie aussi d’y contribuer de multiples
façons comme nous le démontrerons un peu plus loin. La société civile a en l’occurrence acquis au fil
de ses débats une dimension militante face aux injustices qu’elle subit. Elle cherche donc à mobiliser
le plus large public asiatique sur la nécessité de défendre ses droits humains, et porte un regard critique
sur les règles du jeu international qui ne prennent pas en compte la volonté des populations.
Ainsi, par le biais de regroupements divers tirant profit d’Internet, une société civile asiatique est née.
Elle dénonce l’égoïsme des nations, l’amoralité du jeu du marché et les carences en matière de
protection des droits de l’homme dans la région. Ses pressions constantes ont permis d’unifier et de
coordonner les revendications et les actions des différents défenseurs de ces droits sur le territoire sud
asiatique. Mais il reste encore du chemin à faire pour que les Etats cessent de l’ignorer et qu’elle
puisse devenir un interlocuteur incontournable dans les débats officiels. Mais même dans ce cas, la
société civile aurait seulement une capacité d’influence sur le politique. De fait, les conséquences de
ses actions sont extrêmement limitées car elle n’a aucune reconnaissance institutionnelle en matière
juridique ou politique et ses décisions n’ont donc aucun caractère normatif. Malgré tout son travail de
recherche, ses actions concrètes sur le terrain et ses mobilisations, la société n’a pas la capacité de
créer du droit, et encore moins des règles en matière de droits de l’homme. La société civile doit donc
se contenter de donner une expertise réaliste aux gouvernements et d’influencer leurs choix pour une
meilleure protection des libertés fondamentales sur le territoire ; son seul moyen de pression étant la
mobilisation d’une population de plus en plus hostile et rebelle contre des gouvernements qui ne
respectent pas les droits de leurs citoyens. Cependant l’espoir qui anime cette société civile se reflète
dans chacun de ses acteurs (que nous allons décrire plus loin) et ceux-ci vont bien évidemment tout
tenter pour parvenir à cristalliser cette recherche de liberté en décision politique contraignante.
2) Des acteurs divers unis par une même volonté de voir triompher la liberté en Asie
Les acteurs de la société civile sont multiples tant par leurs origines que par leur capacité
d’influence réelle sur le politique. On y trouve des élites intellectuelles, des défenseurs des droits de
l’homme, des membres des partis politiques et des personnalités gouvernementales présentes à titre
individuel. Mais surtout, on y trouve les organisations non gouvernementales qui sont devenues l’un
des premiers acteurs de la société civile asiatique en se substituant aux gouvernements en tant que
protectrices efficientes des droits de l’homme. Là où les prises de décision des gouvernements
faisaient défaut, elles ont su s’imposer comme des interlocutrices viables. De fait elles ont tenu un
sommet alternatif en parallèle à la conférence de Bangkok de 1993 pour proposer un agenda détaillé
des actions à mener pour promouvoir les droits de l’homme en Asie du Sud-Est et mettre en lumière
les défis régionaux occasionnés par ces actions. Lors de cette réunion, ces ONG ont critiqué l’ASEAN
qui trouve toujours un prétexte en vertu du principe de souveraineté nationale pour manquer à ses
devoirs. En effet, pour ces quelques 110 ONG présentes à l’occasion de cette assemblée, la solidarité
nationale doit transcender les frontières nationales.
A titre d’exemple, lors de son dernier congrès annuel, l'ONG Asian Women's Human Rights Council
(AWHRC) a proposé un débat sur les difficultés endurées par les populations de l'Asie du Sud-Est
concernant la reconnaissance de leurs libertés fondamentales. Une des conférencières, Mme Penny
Parker, membre de Minnesota Advocates for human rights, a mis l'accent sur le rôle crucial des ONG
au sein des instances de la société internationale. Le débat portait principalement sur la question de
savoir comment les ONG pouvaient faire pression avec leur savoir et leur influence sur les décisions
politiques des gouvernements nationaux et de l’ASEAN. Et le bilan de cette discussion a été
l’acceptation commune du fait que la création et le renforcement des ONG doivent être encouragés car
celles-ci ont la possibilité via leur réseau et leur travail en tant que groupe de pression de faire
entendre la voix des minorités et de défendre leur cause sur la scène politique.
Au-delà de ces prises de position, ce qui fait des organisations non gouvernementales un acteur majeur
de la société civile, c’est qu’elles se placent en médiateurs entre les victimes de violations des droits de
l’homme et leurs gouvernements qui sont souvent à l’origine des dites transgressions. Il s’agit en fait
d’un groupe de connaisseurs alliant l’expérience sur le terrain de la réalité de ces infractions aux droits
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de l’homme, et l’analyse des manquements politiques aux normes internationales en la matière. Ayant
un point de vue global, ils bénéficient donc du prestige d’une expertise réaliste, d’une popularité
grandissante au sein de la société et d’un réseau développé de professionnels des droits de l’homme.
Malgré leur influence modeste dans certains pays qui n’acceptent pas ce mode de diffusion de la
contestation, les ONG peuvent mobiliser une large part de la population et parvenir à formuler un
projet hétérogène pour la région. De plus, ces organisations ont la capacité de sensibiliser l’opinion
internationale et d’accentuer la pression de celle-ci sur les gouvernements asiatiques. Néanmoins elles
ne peuvent pas contraindre l’ASEAN sinon l’influencer pour qu’elle prenne des décisions effectives
avec sanctions à la clé en cas de manquement aux principes fondamentaux des droits de l’homme. Par
conséquent, seule une alliance avec des acteurs semi institutionnels peut lui permettre de noter la
question des droits de l’homme sur l’agenda politique de l’ASEAN.
Ces acteurs semi institutionnels regroupent pour une large part les bailleurs de fonds de la société
civile. Ils viennent soutenir les projets des ONG en leur offrant une large gamme de services allant des
ressources financières ou techniques à la création d’agences de développement. Mais ces acteurs sont
aussi les instigateurs d’une diplomatie parallèle à celle qui prévaut officiellement au sein de l’ASEAN.
De fait ils ont initié une nouvelle forme de dialogue semi gouvernemental alliant les expériences
complémentaires d’universitaires, de chercheurs, d’ONG, d’acteurs politiques agissants à titre
personnel et non officiel, … Cette nouvelle forme de diplomatie complète les voies gouvernementales
formelles et illustre l’impact croissant de la société civile en Asie du Sud-Est. Elle s’est concrétisée à
travers les travaux de l’ASEAN-ISIS (ISIS étant l’acronyme de Institute of Strategic and International
Studies) depuis sa fondation en 1984. Il s’agit d’un organe réunissant les meilleurs experts,
gouvernementaux ou non, et qui vont travailler sur des recommandations qui seront discutées au
niveau régional. L’ASEAN-ISIS est chargée principalement des questions de sécurité, de relations
bilatérales avec l’extérieur, de disputes territoriales ou encore de l’admission d’éventuels nouveaux
membres dans l’ASEAN. Mais cet organisme s’est donné un nouveau défi en se penchant sur la
question de la nécessité de créer un mécanisme régional de protection des droits de l’homme et a
demandé à l’ASEAN de bien vouloir examiner avec attention cette proposition. Même si l’ASEAN
n’a à ce jour pris aucune réelle mesure en la matière, elle a reconnu officiellement que l’ASEAN-ISIS
avait contribué à améliorer la paix, la stabilité et la prospérité dans la région. Le dialogue entre ces
deux acteurs reste ouvert bien qu’il y ait une nette inégalité dans leur capacité d’influence sur l’autre,
l’ASEAN-ISIS n’étant qu’un groupe de consultants somme toute assez dépendant des gouvernements.
Nonobstant, il n’empêche qu’une voie de dialogue diplomatique alternative a vu le jour et l’émergence
de nouveaux acteurs enrichit et approfondit le débat. En revanche, de la formalisation de prises de
décision populaires et collectives à l’action concrète il y a un large pas à franchir… Et c’est ce pas en
avant que la société civile a décidé de faire à travers plusieurs mesures encourageantes pour l’avenir.
B) Les actions menées par la société civile : une voie diplomatique alternative et non officielle
très prometteuse.
1) Une initiative populaire et encourageante : la mise en place d’un Groupe de travail pour un
mécanisme régional des droits de l’homme
Partant du constat que la Déclaration de Bangkok ne reflétait pas les aspirations des peuples de
l’ASEAN et de l’échec de ses discours, la société civile a décidé de se jeter dans une action concrète
en faveur de la mise en place d’un mécanisme régional pour les droits de l’homme. En 1993, des
membres de la société civile ont donc commencé à se consulter sur cette question et ont émis un appel,
le Communiqué de Singapour, pour formaliser leurs revendications et leurs projets. Cela a débouché
sur la formation du Groupe de Travail pour un Mécanisme des Droits de l’Homme dans l’ASEAN («le
Groupe de travail»), avec un secrétariat à Manille. Ce Groupe rassemble des individus issus de la
région du Sud-Est asiatique qui travaillent en étroite collaboration avec les institutions
gouvernementales et les ONG. L’argument principal que ce Groupe fournit en faveur d’un mécanisme
régional est que la région asiatique, y compris l’ASEAN, est la seule région dans le monde sans un tel
système et que ce dernier lui est nécessaire pour faire entendre sa voix légitimement sur la scène
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internationale. Les groupes de travail nationaux liés au Groupe de travail ont été formés dans six pays,
la Thaïlande, le Cambodge, l’Indonésie, les Philippines, Singapour et la Malaisie.
Mais sept ans après les conclusions du communiqué ministériel de 1993, la forme et la configuration
d’un mécanisme potentiel des droits de l’homme manquaient toujours à la région et pire encore, les
travaux du Groupe n’étaient pas pris au sérieux par l’ASEAN. Le Groupe de travail a donc rédigé en
2000 un document, « l’Accord sur l’établissement d’une Commission de l’ASEAN des Droits de
l’Homme », qu’il a ensuite présenté à la rencontre ministérielle de la même année dans l’espoir que
l’ASEAN s'engage sur la question. En premier lieu, le but de cette Commission serait de promouvoir
et protéger les droits de l’homme. L’accord rédigé met au point l’établissement d’un mécanisme
régional des droits de l’homme à travers un processus progressif. Il exige la ratification d’au moins
trois pays de l’ASEAN pour son entrée en vigueur. Les fonctions de la dite Commission comprennent
la préparation de rapports sur les droits de l’homme, les investigations de sa propre initiative sur des
violations des droits de l’homme, et l’action en réponse aux pétitions et aux communications des Etats
et individus ou groupes concernant des allégations de violations des droits de l’homme. Cependant, la
Commission n’étant pas un organe juridictionnel, elle ne pourra que jouer le rôle de médiateur et
rendre seulement des recommandations, et non des jugements.
Il est important de préciser que l’accès à la Commission est assujetti à l’épuisement des voies de
recours internes conformément au droit international. Cela veut dire que ceux qui veulent déposer
plainte doivent essayer d’utiliser tous les remèdes au niveau national avant le recours à la
Commission. Quand cette proposition a été envoyée aux Ministres des Affaires Etrangères de
l’ASEAN en 2000, la réponse ministérielle a été ambiguë et a vite été mise sous silence. Toutefois, il a
reconnu l’existence et la légitimité du Groupe de travail et deux ans plus tard, le Groupe de travail
s’est distingué en envoyant plusieurs équipes dans les pays de l’ASEAN afin de clarifier les
discussions avec les gouvernements.
La même année, en 2002, il y a eu un autre atelier organisé par le Groupe de Travail à Manille ; une
des conclusions était de prévoir l’établissement de la Commission avant l’année 2020, et entre-temps,
de proposer l’établissement d’une Commission sur les Droits des Femmes et les Droits de l’Enfant.
Toutefois, les Ministres de l’ASEAN n’ont pas encore réagi à cette proposition.
Dans ce processus toujours équivoque, la société civile devrait peut-être se contenter, faute de mieux,
de cet échantillon de mécanisme sous la forme d’une Commission sur les Droits de l’Homme ou d’une
Commission plus spécifique sur les Droits des Femmes et les Droits de l’Enfant. Comme l’ASEAN
n’a jamais suggéré la forme d’un tel mécanisme, la société civile a essayé de faire son devoir en
construisant le premier prototype, à voir à présent s’il aura des suites. Car ce Groupe n’a peut-être pas
été reconnu institutionnellement, mais il a indéniablement acquis une réelle légitimité publique au sein
des peuples et initié une deuxième voie de dialogue diplomatique non officielle mais encore très
productive comme nous allons le voir à présent.
3. D’autres avancées prometteuses en faveur de la création d’un mécanisme régional de
protection des droits de l’homme
La mise en place du Groupe de travail a démontré que la société civile pouvait formaliser et
émettre ses convictions pour pousser les gouvernements asiatiques à passer à l’action. Les voies non
officielles de la société civile apparaissent donc comme l’ultime rempart de la protection des droits de
l’homme dans la région et suscitent alors des recherches plus poussées sur le sujet. C’est le cas tout
d’abord en 1998 avec la Charte Asiatique des Droits de l’Homme, pensée et rédigée par quelques
membres éminents de la société civile pour réaffirmer l’implication des sociétés asiatiques dans la
lutte pour la défense des droits et libertés fondamentaux. Partant du constat qu’une large part de ces
sociétés continuaient d’être exploitées et réprimées, ce groupe de réflexion a voulu mettre en avant les
valeurs universelles de paix, de tolérance et de justice. Cette charte se veut donc le reflet des
aspirations des populations d’Asie et de leur détermination à voir les gouvernements se plier aux
normes de respect des droits de l’homme. Bien sûr c’est une charte populaire qui n’a aucune valeur
institutionnelle et normative mais elle réunit l’espoir de milliers de personnes qui ont contribué à sa
rédaction. En plus de ces personnes, plus de 200 ONG ont participé au processus. Dans ce texte, la
société civile remet en cause l’attitude des dirigeants asiatiques qui se servent du principe de
relativisme culturel pour affirmer que les droits de l’homme sont étrangers à l’Asie et rejeter ainsi
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toute responsabilité en la matière. La société civile ose donc prendre des positions plus radicales et
plus critiques face aux gouvernements membres de l’ASEAN. C’est un autre pas en avant dans
l’implication de la société civile pour une réflexion sur la mise en place d’un mécanisme régional de
protection des droits de l’homme.
Au-delà de cet éveil des consciences populaires sur la problématique des droits de l’homme en Asie, il
y a eu d’autres avancées prometteuses dont la première ASEAN People’s Assembly qui s’est tenue en
2000. Il s’agit en fait d’une communauté d’acteurs non institutionnels qui vont chercher à se faire le
relais entre les revendications de la société asiatique en matière de protection des droits de l’homme et
les gouvernements membres de l’ASEAN. Aujourd’hui, 7 ans après leur création, les ateliers de cette
assemblée populaire réunissent environ 400 partenaires sociaux comme des représentants d’ONG, de
syndicats asiatiques, de personnalités politiques,… Ceux-ci peuvent venir partager leurs analyses et
leurs expériences sur la potentialité d’un développement basé sur le respect et orienté par la garantie et
la promotion des droits fondamentaux pour tous.
L’ASEAN People’s Assembly réunit donc différents membres de la société civile sud-asiatique afin
d’échanger des idées sur les différentes atteintes auxquels la protection régionale des droits de
l’homme fait face. Cette assemblée a aussi vocation à faire remonter ces préoccupations et ces
expertises poussées sur la situation de droits de l’homme dans chaque pays auprès de l’ASEAN
institutionnelle. Leurs débats se concentrent sur trois thèmes : les préoccupations de sécurité et les
droits de l’homme ; la situation des défenseurs des droits de l’homme ; et la peine de mort. Et sur ce
dernier point, la situation en Birmanie est une cause d’inquiétude particulière.
Elle condamne aussi le terrorisme et tous actes liés, car ils constituent une sérieuse menace tant pour la
démocratie que pour les droits fondamentaux. Cependant, dans plusieurs pays asiatiques (comme
partout ailleurs ces derniers temps), la lutte contre le terrorisme, bien que légitime et nécessaire,
entraîne de sérieuses violations aux droits de l’homme. Des législations injustes, discriminatoires et
arbitraires sont adoptées ou mises en oeuvre. Les considérations de sécurité l’emportent facilement
face à la nécessité de respecter les droits et principes. En outre, une tendance inquiétante est apparue :
utiliser des législations prétendument anti-terroristes pour viser les défenseurs des droits de l’homme
et étouffer les voix dissidentes légitimes. Par conséquent les membres de l’ASEAN People’s
Assembly sont invités à faire pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu’il prennent en
compte le fait que la lutte contre le terrorisme ne doit pas être menée en violation du droit international
relatif aux droits de l’homme.
Cependant, dans cet environnement de « sécurité avant tout », il est beaucoup plus difficile pour les
défenseurs des droits de l’homme de faire passer un message de paix et de justice. Les positions sont
plus radicales, le communautarisme se développe et la répression augmente. Les questions de la
défense du droit à un procès équitable, de la présomption d’innocence ou de l’interdiction de la torture
sont considérées par certains Etats comme non pertinentes ou secondaires. De surcroît, dans bon
nombre d’Etats d’Asie du Sud-Est, les défenseurs des droits de l’homme sont toujours victimes
d’assassinat (Indonésie, Philippines, Thaïlande), arrêtés en raison de la sécurité nationale ou en vertu
de législations sur la sûreté de l’Etat (Chine et Vietnam), détenus en isolement (Vietnam) ou
poursuivis en justice (Malaisie). Les gouvernements essaient donc d’étouffer la voix d’une société
civile qui devient gênante par sa prise d’ampleur. Mais c’est justement parce que la société civile
parvient à mettre le doigt dans l’engrenage politique que les gouvernements vont commencer à
percevoir l’urgence et la nécessité de mettre en place une protection effective des droits et libertés
fondamentaux.
Enfin, l’Assemblée met en exergue la menace que représente la question des droits de l’homme pour
la popularité et l’image extérieure de l’ASEAN. De fait, cette thématique met en avant les divergences
de points de vue au sein même des membres de l’ASEAN ainsi que l’incapacité de cette même
instance intergouvernementale quant à son mode de prise de décisions. Elle rappelle notamment qu’un
mécanisme régional de protection des droits de l’homme en Asie du Sud-Est est nécessaire pour que
les populations aient un recours contre les abus des gouvernements, les dispositifs nationaux n’étant
pas capables d’assurer cette tâche.
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CONCLUSION
Lors de sa dernière réunion ministérielle en juillet 2007, l’Asie du Sud-Est a entamé des
discussions sur sa future charte, un projet visant à mettre en place un mécanisme de décision
supranational. La place des droits l'homme, mise en sourdine jusque là sous la pression de la Birmanie
a été particulièrement débattue. De fait, la présidente des Philippines, Gloria Arroyo a ouvert la
réunion en rappelant, entre autres, l’importance d’une «aspiration collective à la promotion d'une
justice sociale». La finalisation de la charte en novembre dernier (à l’instar de la mini-Constitution à
l'européenne) confère au bloc sud-asiatique le droit de signer des traités internationaux et ainsi de
peser davantage sur la scène internationale. Mais a contrario il permettra aux instances internationales
de pouvoir exercer une pression plus forte sur l’ensemble de ces pays et notamment en matière de
respect des droits de l’homme.
Au cours de cet exposé, on a pu remarquer que la physionomie des droits de l’homme sur le continent
asiatique, et plus particulièrement en Asie du Sud-Est, se définissait par une certaine ambivalence. La
liste des pays de l’ASEAN est d’ailleurs la preuve de cette ambiguïté car elle inclut pays
démocratiques et pays autoritaires, pays assez développés et pays en voie de développement, pays
ouverts aux droits de l’homme et pays niant les droits de l’homme en pratique (et ce, en dépit de leurs
discours officiels). Mais une réflexion est en cours pour réformer l’actuel système de vote par
consensus dû au respect de la souveraineté des Etats, dans l’optique de parvenir à l’élaboration d’une
entité supranationale aux décisions contraignantes pour ses Etats Membres. Le processus est lent, mais
il est initié. Aujourd’hui, son succès conditionne surtout la crédibilité d'une structure régionale qui
refuse toujours à s'ingérer dans les affaires domestiques de ses membres.
En opposition à ces divergences politiques « d’en haut », une forte société civile soudée s’est alors
constituée « en bas » s’appuyant sur une grande diversité d’acteurs issus en majorité de pays de
l’ASEAN. Celle-ci est soutenue par des réseaux régionaux mis en place sur son initiative propre
comme le Groupe de Travail pour un Mécanisme Régional de Protection des Droits de l’Homme. De
même que sous les pressions sociales et internationales, l’ASEAN se voit obligée de s’ouvrir aux
problèmes des droits de l’homme, du moins dans ses programmes. Cependant, il faut rappeler que bien
que beaucoup de membres de la société civile et d’organisations non gouvernementales soient
capables d’agir dans certains pays de l’ASEAN, d’autres sont moins bien lotis dans les Etats moins
démocratiques. À savoir que les défenseurs des droits de l’homme sont autant persécutés dans les pays
démocratiques que non démocratiques, même s’il y a plus de violations parmi ces derniers.
Enfin, dans le contexte de l’ASEAN, deux voies de dialogue sont maintenant bien établies, la première
voie entre les gouvernements et la deuxième entre la société civile et certaines institutions semiofficielles. Cette dernière devrait être intégrée plus officiellement dans l’agenda de l’ASEAN. A ce
propos, la communauté internationale fait pression en soulignant le fait que dans le contexte de la
mondialisation, il faut coordonner les efforts depuis la base jusqu’au niveau international, ce qui
signifie fournir des occasions de tisser des liens entre les partenaires sociaux et politiques afin de
favoriser les échanges, l’apprentissage et l’analyse en commun ainsi qu’une planification et des
actions concertées. La question de la mise en place d’un mécanisme régional de protection des droits
de l’homme en Asie du Sud-Est est donc réduite à des considérations de lutte de pouvoir et d’influence
entre société civile et ASEAN pour imposer leurs vues sur celles de l’autre. Au final, l’appel pour un
mécanisme régional sur les droits de l’homme a été lancé et ne cesse d’être répété mais il faudra
encore beaucoup de patience et surtout de persévérance pour qu’un tel mécanisme voie le jour.
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RESSOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
Ressources informatiques:
Le « South Asia Human Rights Documentation Centre » : www.hrde.net/sahrde/. Sources
d’informations sur la question des droits de l’homme en Asie du Sud-Est.
Le site du Haut commissariat des Nations Unis aux droits de l’homme : www.ohchr.org; et la section
concernant la Commission Régionale aux droits de l’homme pour l’Asie et le Pacifique :
www.ohchr.org/english/countries/regional/asia/index.htm
Rapport et articles de presse d’Amnesty International sur « La violation des droits de l’Homme dans
la région sud asiatique » : http://www.derechos.org/saran/saran.html; Site général : www.amnesty.org
Articles parus dans Human Rights Solidarity, la revue de la Commission asiatique pour les droits de
l’Homme, une organisation non gouvernementale de juristes et activistes de la protection de ces droits
fondamentaux : http://www.ahrchk.net/
Discussions de groupes sur les droits de l’Homme en Asie et les initiatives des citoyens en la matière,
promu par le Centre pour la Justice et la Paix en Asie du Sud-Est :
http://www.egroups.com/group/cjesa/info.html
Site officiel du « Groupe de travail pour un mécanisme régional des droits de l’homme » en Asie:
www.aseanhrmech.org
Ouvrages consultés:
Coicaud Jean Marc, Doyle Micheal, Gardner Anne-Marie, « The globalization of human rights », Part
II « The practice of human rights at the regional level », United Nations University Press
Dekeuwer-Défossez Françoise, « Que sais-je ? Les droits de l’enfant », aux Ed. Presse Universitaire
Française -2006. Panorama du droit de l’enfant selon les pays et les sociétés.
Duverger Emmanuelle, « Les droits de l’homme », Ed. Les essentiels Milan -2003. Petit ouvrage de
référence pour avoir un aperçu global de la situation des droits de l’homme dans le monde.
Tinio Maria Linda, « Les droits de l’homme en Asie du Sud-Est », 2004.
Conférences :
« Asian Values and Democracy in Asia », Proceedings of a Conference, 28 March 1997, Japan. The
First Shizuoka Asia-Pacific Forum: The Future of the Asia-Pacific Region.
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