L`Asie du Sud-est face aux grandes puissances

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L`Asie du Sud-est face aux grandes puissances
O B S E R VAT O I R E A S I E D U S U D - E S T 2 0 1 4 / 2 0 1 5
étude
L’Asie du Sud-est
face aux grandes
puissances
périphériques
Southeast Asia
and External Great
Powers
Note d’actualité n°2 - Compte-rendu du séminaire annuel,
Cycle 2014/2015, Observatoire Asie du Sud-est
30 juin 2015
Zone carrefour entre Asie et Océanie, océans Indien et Pacifique, l’Asie du Sud-est (ASE) fait l’objet de
convoitises de la part des puissances périphériques : les États-Unis ont développé l’idée de « rééquilibrage
» dans la zone ; la Chine travaille à sa « route de la soie maritime » ; quant au Japon, il profite du dynamisme
diplomatique de son Premier ministre Shinzo Abe. Dans ce contexte, les pays d’Asie du Sud-est pris
individuellement ainsi que l’Association des nations d’Asie du Sud-est (ASEAN) parviennent-ils à garder la
main, voire à tirer profit de cette concurrence à leur égard ?
Rizal Darma Putra, Directeur exécutif, Indonesian Institute for Strategic and Defense Studies (IISDS – Jakarta)
François Godement, Directeur du programme Asie et Chine, European Council on Foreign Relations (ECFR – Paris),
chercheur associé, Asia Centre
Kathleen Rustici, Directrice adjointe de la Chaire Asie du Sud-est, Center for Strategic and International Studies
(CSIS – Washington)
Edward Schwarck, Research Fellow, Asia Studies, Royal United Services Institute (RUSI – Londres)
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I) Southeast Asia and Great Powers in
South China Sea: An Indonesian perspective (L’Asie du Sud-est et les grandes
puissances en mer de Chine méridionale :
perspectives indonésiennes).
Par Rizal Darma Putra, directeur exécutif, Indonesian
Institute for Strategic and Defense Studies (IISDS-Jakarta).
Composé de 17 508 îles qui s’étendent sur une
distance égale à Londres-Bagdad, l’Indonésie, plus
grand Etat archipélagique au monde, s’impose dans le
paysage maritime et géographique asiatique par sa taille
(1 904 569 km²) et son poids démographique (252 millions
d’habitants). Les grandes voies de communications
maritimes (ou SLOC : Sea Lines Of Communication)
empruntent le détroit de Malacca, et dans une moindre
mesure, les détroits de la Sonde, Lombok et Makassar,
passages obligés, sous souveraineté indonésienne,
entre l’océan Indien et l’océan Pacifique. Chaque
année, 5,3 milles milliards de dollars transitent dans
la zone, avec un volume d’échanges en constante
augmentation. Or, les taux de croissance des Etats sudest asiatiques et de la Chine, bien plus conséquents que
la plupart de pays de l’OCDE, nécessitent une demande
énergétique toujours plus importante. 80 % du pétrole
chinois et 60 à 70 % du pétrole sud-coréen, taïwanais et
japonais empruntent les SLOC d’Asie. La mer de Chine
méridionale (ou SCS pour South China Sea) est donc
un espace de transit stratégique ; il regorge qui plus est
d’importantes ressources halieutiques et énergétiques,
notamment gazières, estimées à 30 milliards de m3.
La maritimisation de l’économie implique pour les Etats
d’être en mesure de projeter des forces en haute mer
et sur des théâtres d’opérations extra-régionaux. Les
pays dotés d’une façade maritime doivent assurer la
surveillance et protection de leurs Zones économiques
exclusives (ZEE), soit 200 miles marins (370 km) au-delà
du littoral.
Depuis 2012, la région bordée par la SCS a connu un
regain de vives tensions, opposant principalement la
Chine au Japon, aux Philippines et au Vietnam, avec en
toile de fond les Etats-Unis, amarrés à la région par un
grand nombre d’accords de défense entre Washington
et ces Etats, demandeurs de la protection américaine.
L’engagement de Washington dans la zone
(thème traité lors de la présentation de Kathleen
Rustici), se concrétise autour de la politique de
« rééquilibrage » engagée en 2011 par Barack Obama.
Cet engagement vient contrebalancer les prétentions
chinoises en SCS, que Pékin matérialise avec la ligne
des neuf [ou onze] traits, à grand renfort de cartes et
déclarations belliqueuses à l’égard des Etats riverains
en désaccord avec les prétentions chinoises qui
s’étendent sur 90 % de la SCS, soit près du tiers de la
superficie du territoire chinois.
Géographiquement, l’Indonésie profite d’une certaine
profondeur stratégique à l’égard des prétentions
maritimes chinoises. Toutefois, la ZEE des îles
indonésiennes des Natuna jouxte la ligne des neuf traits,
dont le tracé exact reste flou. Jakarta ne prend pas
de positions tranchées à l’égard de Pékin, un de ses
principaux partenaires commerciaux et investisseurs de
la région.
Le président indonésien Joko Widodo accorde une
attention particulière aux questions maritimes, et
cherche en priorité à faire respecter la souveraineté
des eaux archipélagiques indonésiennes, notamment
dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale (5 400
incursions l’an dernier) et la lutte contre la piraterie en
forte hausse dans les eaux indonésiennes1.
Jakarta appelle au respect de la Déclaration sur la
conduite des Parties en mer de Chine (DCP) de 2002
et milite pour une résolution pacifique des litiges, en
s’appuyant sur le droit international et l’ASEAN, fer de
lance de la politique régionale indonésienne.
Sur le plan capacitaire, un vaste plan de modernisation
a été lancé par le gouvernement en 2007. Le Minimum
Essential Forces (MEF)2 s’échelonne sur trois étapes :
2009-2014/ 2015-2019 / 2020-2024, au terme desquelles les TNI (Tentara Nasional Indonesia – forces
armées indonésiennes) doivent acquérir une capacité
d’action et de projection régionale et extra-régionale,
accordant une attention particulière au contreterrorisme,
aux missions humanitaires (HADR) et au développement
d’une marine hauturière.
Eric Frécon, « Tackling South-east Asia piracy from all
angles », The Star Online, 22 juin 2014. [URL]: http://www.
thestar.com.my/News/Regional/2014/06/22/Tackling-SEAsia-piracy-from-all-angles/ (consulté en juillet 2015).
2 Iis Gindarsah, « Politics, security and defence in
Indonesia: Interactions and interdependencies », Australian
National Universty, National Security College, 4 mai
2014. [URL]: http://nsc.anu.edu.au/documents/IndonesiaArticle4.pdf (consulté en juillet 2015); Dr. Vibhanshu
Shekhar, « Indonesia’s Military Modernisation », Indian
Council Of World Affairs, 11 février 2013. [URL]: http://
www.icwa.in/pdfs/VPIndonesiamilitarymodernisation.pdf
(consulté en août 2015).
1 2
II) United States and ASEAN: the
continued rebalance (Etats-Unis et
ASEAN, dans la continuité de la politique de
rééquilibrage).
Par Kathleen Rustici, directrice adjointe de la Chaire
Asie du Sud-Est, Center for Strategic and International
Studies (CSIS-Washington).
L’investiture de Barack Obama est marquée par une
réorientation économique, diplomatique et stratégique
dans la région Asie-Pacifique.
Sur le plan géostratégique, 60 % de l’US Navy sera
progressivement affectée à la VIIème flotte en AsiePacifique (dont la zone de responsabilité s’étend de
la moitié Ouest du pacifique depuis Guam à la moitié
Est de l’océan Indien) d’ici 2020, entrainant notamment
l’affectation de 1 500 marines à Darwin en Australie
ou encore le prépositionnement de quatre LCS Littoral
Combat Ship – équivalent en tonnage et en mission aux
futures FTI (Frégates de Taille Intermédiaires) qui équiperont bientôt la Marine nationale (ndlr) – sur la base
navale de Changi à Singapour. La cité-Etat héberge
déjà au nord, à Sembawang, la plus grosse base logistique de la VIIème flotte. L’USS Freedom et l’USS Forth
Worth effectuent déjà des missions dans la zone.
Du point du vu diplomatique, Washington participe activement à de nombreux forums de discussions régionaux : ADMM+ (réunion des ministres de la défense de
l’ASEAN et de ses six principaux partenaires) ; East Asia
Summit ; APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) ou
encore l’US-ASEAN E3 initiative (Economie, Environnement, Energie).
Le premier mandat de M. Obama a notamment
été marqué par les nombreuses visites effectuées
par la secrétaire d’Etat Hillary Clinton auprès des
pays de l’ASEAN et une réouverture progressive,
mais historique, des relations diplomatiques avec le
Myanmar [Birmanie], malgré les tensions persistantes
et le piétinement (voire le recul), des réformes engagées
par le président Thein Sein.
Hanoi et Washington se sont également rapprochés,
avec la levée de l’embargo sur les armes au Vietnam,
en vigueur depuis 1975, sur « des équipements de
défense létaux, mais uniquement à des fins de sécurité
maritime »3, la signature d’un Joint Vision Statement4
avec le général Than, ministre de la Défense vietnamien,
et un accord de coopération dans le domaine maritime
accordant une aide de dix-huit millions de dollars au
corps des garde-côtes.
Rapprochement également avec les Philippines, et la
signature de l’EDCA (Enhanced Defense Cooperation
Agreement) en avril 20145, malgré la réticence de
nombreux Philippins sur la réouverture des bases.
Les deux pays poursuivent en sus leurs manœuvres
militaires annuelles Balikatan6.
Sur le plan économique, Washington fait la promotion
active de son traité Trans-Pacific Partnership (TPP),
projet auquel pour le moment seul quatre Etats
sur les dix que compte l’ASEAN adhèrent. L’Asian
Infrastructure Investment Bank (AIIB) chinois est
cependant susceptible de venir concurrencer le TPP
sur certains aspects.
Toutefois, en dépit de l’activisme des Etats-Unis, un
certain climat d’incertitude plane en toile de fond
quant à la constance et la durabilité de l’engagement
américain dans la région. Avec le réengagement de
l’OTAN en Europe de l’Est avec la crise ukrainienne,
les tensions persistantes au Moyen-Orient, en IsraëlPalestine, en Syrie, l’avancée de l’EI, et les négociations
sur le nucléaire iranien, Washington devra identifier et
définir des priorités.
Malgré l’engagement concret de Washington dans la
région, certaines limites ont été relevées, tel le changement de doctrine, tout du moins de sa dénomination,
avec l’abandon par le Pentagone de l’Air Sea Battle
(ASB)7; fondée sur la coordination des moyens airterre-mer-cyber-spatial et la supériorité technologique
(procurant notamment une profondeur stratégique par
les frappes à long rayon d’action), l’ASB s’opposait à
une stratégie de déni d’accès (A2/AD pour Anti Aera
Acces Denial) développée par la Chine depuis la crise
3 AFP, « Washington va vendre des armes au Viet-
nam », Lemonde.fr, 3 octobre 2014. [URL]: http://www.
lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/10/03/washingtonva-vendre-des-armes-au-vietnam_4499732_3216.html
(consulté en juillet 2015).
4 Bureau de presse de la Maison Blanche. [URL]: https://
www.whitehouse.gov/the-press-office/2015/07/07/unitedstates-%E2%80%93-vietnam-joint-vision-statement
5 Voir Lance Bacon, “U.S. negotiating to rotate troops to 8
Philippine bases”, Navy Times, 28 avril 2014. [URL]: http://
www.navytimes.com/story/military/pentagon/2015/04/28/
us-negotiating-troop-rotation-philippines-catapang-china-base-troops/26512301/ (consulté en juillet 2015).
6 Gina Harkins, « The new look for U.S.-Philippine military relations », Marine Times, 26 avril 2015. [URL]: http://
www.marinecorpstimes.com/story/military/2015/04/26/
philippines-military-exercise-balikatan-marines/26293261/
(consulté en août 2015).
7 Philippe Gros, « La question du déni d’accès et le
concept Air-Sea Battle », Revue Défense Nationale, mai
2013.
3
du détroit de Taïwan en 1995-1996. La JAM-GC8, pour
Joint Concept for Access and Maneuver in the Global
Commons, succède donc à l’ASB après cinq ans de
service.
Suite au coup d’Etat qui a secoué la Thaïlande en 20149
(le 19ème depuis 1932, dont douze réussis, soit une
moyenne d’un coup d’Etat tous les quatre ans), John
Kerry a condamné « ce recul de la démocratie » qui aurait
des « conséquences négatives » entre les deux alliés.
Le Pentagone réexamine depuis la coopération militaire
entre les deux pays, entraînant un rapprochement de
Bangkok avec Pékin10.
Lors du Shangri-La Dialogue qui s’est tenu fin mai 2015
à Singapour, le secrétaire américain à la Défense Ashton
Carter a rappelé la détermination de l’engagement
américain en Asie, notamment à travers la promotion
du TPP et la critique de la stratégie de poldérisation
chinoise en SCS, déjà évoquée (quoiqu’avec davantage
de véhémence) lors de son précédent discours à l’US
PACOM d’Hawaï.
Suite aux lacunes dans le domaine de la sûreté et de la
coopération maritime et navale mises en lumière dans
l’affaire du vol MH 370, M. Carter a annoncé un plan
d’aide de 425 millions de dollar sur cinq ans au sein de
l’Asia Maritime Security Initiative11.
Ces propos venaient contrebalancer ceux du chef
d’état-major adjoint chinois Sun Jianguo12, qui a
confirmé la poursuite des objectifs chinois en SCS.
8 Paul McLeary, « New US Concept Melds Air, Sea and
Land », DefenseNews, 24 janvier 2015. [URL]: http://
www.defensenews.com/story/defense/policy-budget/warfare/2015/01/24/air-sea-battle-china-army-navy/22229023/
(consulté en juillet 2015).
9 Adrien Le Gal, « Le coup d’Etat, une spécialité thaïlandaise », Le Monde.fr, 3 juin 2014. [URL]: http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/06/03/le-coup-d-etatune-specialite-thailandaise_4430619_3216.html (consulté
en juillet 2015).
10 Prashanth Parameswaran, « China, Thailand Eye Deeper Defense Ties », The Diplomat, 28 avril 2015. [URL]:
http://thediplomat.com/2015/04/china-thailand-eye-deeperdefense-ties/ (consulté en juillet 2015).
11 Prashanth Parameswaran, « US Launches New Maritime Security Initiative at Shangri-La Dialogue 2015 »,
The Diplomat, 2 juin 2015. [URL]: http://thediplomat.
com/2015/06/us-launches-new-maritime-security-initiative-at-shangri-la-dialogue-2015/ (consulté en juin 2015).
Site officiel : http://amti.csis.org/
12 « Strengthening Regional Order in the Asia-Pacific:
Admiral Sun Jianguo – English », The ISS Shangri-La Dialogue, 14th Asia Security Summit, 30 mai 2015. [URL]:
https://www.iiss.org/en/events/shangri%20la%20dialogue/
archive/shangri-la-dialogue-2015-862b/plenary4-b8e3/sun0dfc (consulté en juillet 2015).
III) Southeast Asia, Japan perspective
(Asie du Sud-est, perspectives japonaises).
Par Edward Schwarck, Research Fellow, Asia Studies, Royal United Services Institute (RUSI-Londres).
Dans le panorama des grandes puissances régionales,
le Japon est très impliqué et particulièrement concerné
par la situation sécuritaire en SCS, par laquelle transite
la majeure partie de ses importations énergétiques et
en ressources naturelles, desquelles son économie
demeure largement tributaire. La liberté de circulation
en mer et la sécurisation des SLOC (70 % des navires
japonais empruntent le détroit de Malacca, considéré
comme un axe vital de l’économie japonaise) expliquent
l’investissement japonais en ASE.
Depuis l’investiture en 2012 de Shinzo Abe, dit « le
Faucon », le Japon accorde une attention particulière
à sa politique de voisinage et envers l’ASEAN, dont
la plupart des Etats membres sont des partenaires
économiques privilégiés du Japon, qui investit largement
dans la région depuis les années 1970, notamment
dans les infrastructures et les équipements de sécurité
maritime le long du détroit de Malacca.
Le virage entrepris par Shinzo Abe est davantage politique et stratégique, aspects encore sensibles étant
donné le passé impérial japonais toujours présent dans
les mémoires.
Sur le plan stratégique, la marge de manœuvre du
Japon reste restreinte par l’article 9 de sa Constitution,
qui limite sa doctrine d’emploi des forces à une armée
d’auto-défense (Japanese Self Defense Forces),
mais dont la doctrine est réinterprétée et étendue à
une capacité d’autodéfense « dynamique », donc
susceptible de protéger ses intérêts vitaux, passant par
la liberté de navigation et la sécurisation des SLOC.
Cette réinterprétation intervient en réponse aux velléités
territoriales chinoises en SCS, cristallisées, pour le
cas japonais, autour des îles Senkaku/Diaoyu et de la
déclaration unilatérale par Pékin de mettre en place une
zone d’exclusivité aérienne (ADIZ)13 en mer de Chine.
Des face-à-face ont lieu fréquemment entre les
puissants corps de garde-côtes chinois et japonais
dans cette zone14.
13 Harry J. Kazianis, « China’s East China Sea ADIZ
Gamble: Past, Present, and South China Sea Future? ». The
National Interest, 19 juin 2015. [URL]: http://nationalinterest.org/feature/chinas-east-china-sea-adiz-gamble-pastpresent-south-china-13150 (consulté en août 2015).
14 Lire à ce sujet : Louis Borer, « Les forces
armées en Asie du Sud-est : doctrines et liens civilomilitaires » et Professeur Geoffrey Till, « Maritime
Cooperation in Southeast Asia », Note d’actualité
n°2 - compte-rendu du séminaire annuel, Cycle 20132014, Observatoire Asie du Sud-est, 30 avril 2014. [URL]:
http://www.centreasia.eu/sites/default/files/publications_
pdf/note_seminaire_annuel_30042014.pdf (consulté en
juillet 2015).
4
Lors du Shangri-La Dialogue 2015, Shinzo Abe rappelait
la position japonaise officielle :
- les Etats doivent clarifier leurs prétentions en SCS en
accord avec le traité de Montego Bay.
- régler les différends par des moyens pacifiques.
Tokyo s’investit en ASE, par rapport à la Chine d’une
part, mais aussi pour combler le manque d’efficacité
apparent de l’ASEAN à servir de plate-forme de
discussion d’autre part. La DCP de 2002 marque le
pas, et la Chine, comme à son habitude, privilégie les
relations bilatérales à son avantage.
La présence, les investissements et l’expertise
japonaise dans la région reçoivent donc un accueil
favorable, d’autant plus que les garde-côtes et la
marine japonaise (JMSDF) demeurent les composantes
les plus compétentes d’Asie sur le plan capacitaire. De
fait, le Japon participe activement au développement
capacitaire des Etats riverains de la SCS et membres
de l’ASEAN, tant sur le plan maritime (sa constitution
limite les RETEX dans le domaine de la défense aux
forces paramilitaires type garde-côtes), mais aussi sur
le plan diplomatique via les institutions régionales, dont
le Japon est un membre actif : ASEAN, ARF, ADMM+
et le centre de lutte contre la piraterie ReCAAP, basé à
Singapour, financé en majeure partie par Tokyo.
Le Japon favorise le développement d’une nouvelle
architecture de sécurité régionale par le biais d’autres
initiatives comme la Conference Interaction and Confidence Bulding Meeasures (CICA), renouvelée en 2014.
Les interactions bilatérales se sont particulièrement
développées avec les Etats en première ligne des litiges
en SCS, au premier rang desquels figurent le Vietnam,
les Philippines, et dans une moindre mesure l’Indonésie
et Brunei.
Un partenariat stratégique a été signé avec l’Indonésie en
2006, et des consultations sur des questions de défense
se tiennent régulièrement. Dans la même dynamique, le
Japon a opéré un rapprochement avec les Philippines
et la mise en place d’un dialogue stratégique sur les
affaires maritimes en 2011, ou encore via l’important
déploiement humanitaire des JSDF à la suite du typhon
Haiyan, qui reste la plus grosse OPEX japonaise depuis
la Seconde guerre mondiale.
Le Vietnam n’est pas en reste avec la signature
d’un Extensive Strategic Partnership en 2011 et de
nombreuses visites de bâtiments militaires, ainsi que la
signature en avril 2015 de nouveaux accords de sécurité
avec les Etats-Unis.
En plus d’un fort engagement dans toutes les missions
humanitaires, les JSDF prennent de plus en plus part
aux manoeuvres militaires régionales conjointes, lors
des exercices US-Thaïlande Cobra Cold depuis 2005,
les exercices Philippines-US Balikatan depuis mars
2012, l’exercice RIMPAC et des manœuvres conjointes
avec l’Australie et les Etats-Unis au large de Brunei en
2011.
IV)
China
and
Southeast
Asia: shifting sands (La Chine et l’Asie du
Sud-est : sables mouvants).
Par le professeur François Godement,
directeur du programme Asie et Chine,
European Council on Foreign Relations
(ECFR), chercheur associé, Asia Centre
(Paris).
Le professeur Godement rappelait en préambule de son
propos la difficulté de parler de ce qui paraît aujourd’hui
comme une évidence, rappelant qu’avec un certain
recul historique le cheminement et le positionnement
chinois en Asie du Sud-Est et en mer de Chine est plus
complexe.
Les relations entre l’Asie du Sud-Est et la Chine ont
longtemps été marquées par un climat de méfiance
mutuelle, avec notamment la création de l’ASEAN en
1967, dont l’objectif initial était de faire bloc contre
la montée du communisme en Asie. Toutefois,
de sempiternelles interactions économiques et
commerciales lient la Chine et l’Asie du Sud-Est, dont
la région fut dans les années 1980, avec l’ouverture
économique chinoise, la première grande zone
d’exportation de produits chinois, contribuant ainsi à sa
forte croissance économique.
Cette montée en puissance économique s’est
accompagnée d’une (ré)émergence géopolitique
chinoise, qui occupe une nouvelle place sur l’échiquier
géostratégique régional et international, notamment
dans l’objectif de sécuriser les approvisionnements
énergétiques indispensables au soutien d’une
croissance économique énergivore à deux chiffres.
Toujours dans le domaine maritime, le Japon a donné
dix bâtiments de garde-côtes15 aux Philippines, trois à
l’Indonésie et six patrouilleurs des pêches au Vietnam,
déduits de l’aide annuelle à Hanoi. Plus de 250
personnes issues des Philippines de l’Indonésie et de
la Malaisie ont été formées au Japon depuis 2014,
essentiellement dans le corps des garde-côtes.
15 « Patrol boats from Japan to start arriving in 2015 »,
Inquierer.net, 31 mars 2014. [URL]: http://newsinfo.inquirer.net/590453/patrol-boats-from-japan-to-start-arrivingin-2015 (consulté en juillet 2015).
5
La crise économique de 2008-2009 marque un tournant
dans le débat stratégique chinois et l’année 2012 le
début d’une série de tensions ininterrompues en SCS,
suivant une interprétation historique contestable et
juridique semi légale.
Si du point de vue chinois, il n’y a pas de discontinuité
historique sur la demande de souveraineté des îles
Spratlys et Paracels, ces arguments sont contredits,
notamment par un doctorant taïwanais qui a démontré,
à l’aide d’archives coloniales françaises de 1920, le
désintéressement de la Chine à cette époque, alors
concentrée sur des problématiques domestiques et
continentales. Le principe de succession (qui ferait des
Paracels une propriété vietnamienne) et d’effectivité
serait donc difficilement applicable pour la Chine.
Avec l’ouverture progressive de la Chine à ces marges
maritimes, l’intérêt pour les questions maritimes et
navales ont emboîté le pas, avec la nécessité de pouvoir
projeter ses forces armées en haute mer.
Afin de sécuriser ses intérêts, Pékin envisage d’étendre
sa souveraineté et son influence à la première chaîne
d’iles dans un premier temps, jusqu’à la seconde chaîne
d’îles (Guam, îles Mariannes, voir schéma ci-contre).
La stratégie chinoise en SCS, qui pourrait s’apparenter
à une forme de doctrine Monroe chinoise (ndlr), se fait
sur la base d’une alternance entre périodes de tensions,
durant lesquelles Pékin « avance ses pions » et « teste »
l’engagement des Etats et des Etats-Unis, et de relâches
diplomatiques, marquées par un certain statisme, ou
statu quo. Dans tous les cas, Pékin ne recule pas.
Les tensions avec le Vietnam, qui revendique 70 % de
la SCS, ont débouché sur des face-à-face entre gardecôtes, notamment lors du prépositionnement de la
plate-forme de forage pétrolier chinoise HD-981 à 120
miles des côtes vietnamiennes, créant des vagues de
contestations antichinoises en mai 2014, encadrées et
organisées par le Parti communiste vietnamien (PCV).
Dans l’archipel des Spratleys, les îles Scarborough
Shoal furent le théâtre de confrontations avec les forces
philippines, probablement parmi les plus faibles d’ASE,
nécessitant l’intervention diplomatique américaine pour
éviter toute escalade dans le conflit.
La sécurisation de la « route de la soie chinoise »
incarnerait la finalité de cette stratégie multiscalaire.
Mais plusieurs routes de la soie seraient à identifier,
avec :
-
d’une part la composante maritime, qui se
déclinerait :
o avec la SLOC SCS-détroit de
Malacca-océan Indien, le long de
laquelle la Chine établirait le « Collier
de perles »,
o ou par la route du grand Nord via
l’Arctique,
-
d’autre part, la composante terrestre, qui
englobe :
o les stratégies d’investissements
chinois en Asie Centrale (routes,
chemin de fer, secteur minier,
gazoduc…),
o le transsibérien,
o ou encore les investissements dans
certains pays frontaliers d’Asie
du Sud-est comme le Laos ou le
Myanmar, contraignant le Vietnam à
négocier avec la Chine pour ne pas
être pris en tenaille suivant le fameux
« deal with you or deal around you ».
Selon M. Godement, les investissements chinois à
Singapour n’ont pas de liens directs avec cette route
de la soie ; il s’agirait davantage d’investisseurs chinois
fortunés qui quittent la Chine dans un cadre purement
lucratif.
Quant aux investissements massifs chinois en ASE,
il serait hâtif, voir hasardeux, d’en dégager la preuve
d’une visée stratégique, puisque l’on retrouve ces
investissements sur tous les autres continents, dont
l’Afrique de l’Est.
Louis Borer, Junior Fellow Asia Centre
Source : http://keamanan-global.blogspot.com/2014/03/merebut-kembali-hegemony-militer-dari.html (consulté en juillet 2015).
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