Les actes téléchargeables de l`intervention de Catherine Neveu
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Les actes téléchargeables de l`intervention de Catherine Neveu
Levivre-ensembleaujourd’hui? InterventiondeCatherineNeveu JournéeDépartementaledesCentressociaux17 04/06/2016 C’estunpeuundéfideprendrelaparoleendébutdejournéesurunthèmeaussivaste (ou aussi flou? galvaudé?) et sans connaître de manière précise la teneur des discussions et du travail qui ont précédé la rencontre d’aujourd’hui. J’ai donc dû faire quelques choix pour ce propos introductif, dont j’espère qu’ils ne seront pas trop en décalageavecvosréflexionsetl’avancementdevostravaux. Je vais partir de quelques considérations «banales» sur le «vivre ensemble» et proposerensuitequelquesélémentsgénérauxsurlesenjeuxdepolitisationdecelui-ci, enm’efforçantaufildemonproposdereliercelaàl’expériencedesCentressociaux.Je vais avant tout me présenter rapidement: je suis anthropologue et travaille sur la citoyenneté et l’engagement, et je suis depuis quelques années engagée dans une rechercheavecdesCentressociaux(auniveaunationalaveclaFCSF,aveclaFédération RégionaleCentreetdansuncentresocialdel’agglomérationtourangelle),etjetravaille notamment sur certains des paradoxes liés à la mise en œuvre au niveau local de l’objectifdudéveloppementdupouvoird’agirdansdesCentressociaux. Quelques généralités donc pour commencer sur le «vivre ensemble». Ce sont les déplorationslesplusconstantesetlespluscourantesdanslesdiscoursactuelsquantau tristeétatduvivreensembleousurlesmenacesquipèseraientsurcelui-ci. - lesgensnevoudraientpluss’engager,ilsnes’intéresseraientpasàlapolitique,se soucieraientpeudel’intérêtgénéral,ilsseraientégoïstesetindividualistes; - danslemêmetemps,certainsneleseraientpasassez,seraientdansdeslogiques décrites comme «communautaristes», ce terme étant toujours paré en France d’uneauranégativeetpéjorative. Onauraitdoncunesituationoùilfaudraitêtredesindividus(pournepassombrerdans le«communautarisme»),maispastroptoutdemême(pouréviterl’égoïsme). On retrouve là en fait les tensions constitutives d’un modèle de citoyenneté issu entre autres de la IIIème République, et de la manière dont on a cherché à l’époque à «fabriquer» des citoyens; une conception qui associe un fondement individuel à une finalité communautaire, collective (la fraternité), et qui permettait dans le contexte d’alors d’échapper à la fois aux contraintes qu’une conception traditionnelle de la communauté (en l’occurrence celle portée par l’Eglise catholique) faisait peser sur l’émancipationindividuelle,etàuneconceptionstrictementutilitaristeselonlaquellela poursuite rationnelle de l’intérêt personnel serait le seul moteur de la vie sociale1. Le citoyen devait donc être un individu capable de s’extraire, de se dégager des communautés traditionnelles (être un individu émancipé), mais soucieux de la 1. Voir sur ce sujet l’ouvrage d’Yves Déloye, Ecole et citoyenneté. L’individualisme de Jules Ferry à Vichy: controverses,Paris,PressesdelaFNSP,1994. 1 communauté sociale, et non un égoïste guidé par son seul intérêt personnel. On verra tout à l’heure que cette tension et cette conception ont encore des conséquences aujourd’hui.Maisrevenonstoutd’abordàcertainesdecesdéplorationsquej’évoquais plustôt. «Les gens ne veulent plus s’engager, ils sont individualistes»; certes, les grandes institutionsquistructuraientdescollectifsociauxetpolitiques(partis,syndicats)sesont essoufflés;certeslesindividusaspirentàêtrereconnuscommetels.Maisilnefautpas oublier les effets structurels des bouleversements intervenus par exemple dans l’organisationmêmedutravailetdutempsdetravail(quisontdevenusplussolitaires, plus fractionnés) ou le développement de la précarité. Ce que je voudrais souligner là, c’estqueceschangementsstructurelsprofondsetleurseffetsnedoiventpasêtresousestimés quand on veut comprendre les difficultés actuelles de l’engagement. Il ne faut pas oublier non plus que la place croissante revendiquée par les individus peut aussi rimer avec leur émancipation, leur libération du carcan de solidarités imposées et souvent inégalitaires, au sein de la famille pour les jeunes et les femmes par exemple. L’enjeu est donc de ne pas confondre individuation (devenir un individu et s’affirmer comme tel) et individualisme; «être un individu» est précieux et ne rime pas nécessairementavecégoïsmeetindifférence. Denombreuxtravauxdesociologiesoulignentd’ailleursàquelpointiln’yasansdoute pas moins d’engagement aujourd’hui qu’hier, mais des engagements qui prennent d’autres formes que celles du modèle précédent de militantisme. Pour le dire rapidement, on serait passé de formes d’engagement «sacrificiel», où l’on s’engageait tout entier et pour la vie dans une cause, souvent au détriment de sa vie familiale ou professionnelle, à des formes d’engagement plus souples, pour diverses causes en fonction des contextes et des moments2. De plus, ces engagements contemporains se font selon des formes dans lesquelles, là aussi, les individus revendiquent toute leur placeetsouhaitentêtrereconnusavecleursparticularités,leurscompétencesetsavoirs spécifiques. L’imaged’unesociétépluségoïste,plusindividualistedoitdoncêtre,aumoinsenpartie, questionnée:certainesdessolidaritésdontondéploreladisparition,etcertainesencore actuelles, peuvent être des formes de domination et d’inégalités pour certains (et surtoutcertaines),notammentlesplusfaiblesetlesplusdominés,dontilfautpouvoir s’émanciper 3 . Et si les formes d’engagement ont évolué, elles sont toujours bien présentes,commelemontrenttouslescollectifsetassociationsmobiliséesactuellement, même si elles n’ont plus le même visage que celui du militant blanchi sous le harnais d’un engagement total. Enfin on peut se demander si la faiblesse parfois réelle d’engagement n’est pas plus liée à un manque d’espaces qui soient précisément «engageants»,dans/pourlesquelsonaitenviedes’engager,qu’àuneabsenced’envie entantquetelle… Quant à ceux qui sont perçus comme se mettant volontairement et délibérément à l’écart d’une «communauté de citoyens» en se repliant sur des formes de «communautarisme», il se trouve (et ce n’est sans doute pas un hasard) que ce sont souventaussidesfractionsdelapopulationmarginaliséesouminorisées.A-t-onjamais 2.VoirentreautresJacquesIon,Lafindesmilitants?Leséditionsdel’atelier,1997;JacquesIonetMichel Peroni(dirs.),Engagementpublicetexpositiondelapersonne,Editionsdel’Aube,1997. 3. ycomprisparlamiseenplacedeservicespublicsparexemplepourcequiconcernecertainestâches commeunepartiedessoinsauxpersonnesâgéesoumalades. 2 décrit comme «communautariste» et menaçant pour le vivre-ensemble les pratiques trèspousséesd’entresoietd’endogamiedelagrandebourgeoisie?Pourquoidécrit-on come «ghettos» des quartiers populaires et jamais les «ghettos du gotha» pour reprendreletitred’unouvrageconnu4? Autrement dit, seul le «communautarisme» supposé de certains serait suspect, voire dangereux;sinonpourquoi,saufàconsidérerquecertainesformesdecollectifsseraient moins légitimes que d’autres, déplorer à la fois l’effondrement des solidarités dans les quartierspopulairesetendisqualifierd’embléeetapriorid’autres? Pourledireunpeurapidement,onpourraitvoirlàlestracesd’undoublemouvement: un héritage de la méfiance des premiers républicains vis à vis des «corps intermédiaires»,perçuscommedesobstaclesoudesécransentrelescitoyens-individus etl’état.Etunmouvementplusglobal,qu’onpourraitqualifierde«culturaliste»,ence sens qu’il tend à (prétendre) expliquer l’ensemble des processus sociaux et politiques par des références ou des arguments culturels. Par exemple, la révolte des jeunes de quartiers populaires en 2005 ne serait pas liée à des perspectives d’avenir assez peu prometteuses,ouàunsentimentpartagéd’êtreexclusd’unesociétéquilesméprisent, pasplusqueceneseraitparcequelesrelationsentreleshabitantsdecesquartiersetla policesesontconsidérablementdégradéesaufildesannées;maisparcequ’ilsvivraient dans des familles polygames et porteuses de modèles culturels inadaptés, voire inadaptables. «La culture» (comme si chacun d’entre nous n’en avait qu’une), ou plus exactement d’ailleurs celles des «autres» (de ceux constitués comme tels) expliquerait dont tout, faisantlàencoreperdredevuelepoidsaussidecequ’EtienneBalibaradécritcomme un «communautarisme républicain» dominant dans lequel «la lutte contre les communautarismes plus ou moins réels dont on perçoit la menace se transforme en construction d’une identité exclusive qui, pour se définir de manière “abstraite“ et “politique” n’en est pas moins utilisée très concrètement pour tracer des lignes de démarcationethniques»5. Il semble donc nécessaire d’ouvrir la boîte noire d’un ensemble de représentations ou d’explications afin de comprendre d’où elles viennent, de les inscrire dans des transformations systémiques, et de porter un regard critique sur elles et leurs usages. L’individu, le collectif, les communautés: lesquels, comment, pourquoi… Cela passe notamment par une attention aux mots utilisés, aux catégories convoquées, et à leurs effets.Celavautdemanièregénérale,maisaussibienquelorsdel’UniversitéFédérale des Centres sociaux à Sangatte en 2011 que plus récemment dans diverses réunions, nombre de militants des Centres sociaux ont souligné à quel point les termes utilisés, dans les politiques publiques par exemple, mais par eux aussi, constituaient autant d’euphémismes,dedénominationnepermettantpasderendrecomptedelacomplexité de la vie des gens. «Allocataires du RMI», «jeunes» («issus de l’immigration»), «mamans», non seulement réduisent les personnes à une place provisoire dans ces dispositifs techniques, mais ne traduisent pas la réalité, la complexité de leur vie quotidienne.Plusencore,leurapparente«neutralité»(ouleurcaractèrepéjoratif)peut enfairederéelsinstrumentsd’impuissance,enmasquantlescausesstructurellesdeces situations. 4. Monique Pinson-Charlot et Michel Pinson, Les ghettos du gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces,LeSeuil,2007. 5. Etienne Balibar, «Une citoyenneté sans communauté?» in E. Balibar, Nous, citoyens d'Europe? Les frontières,l'Etat,lepeuple,Paris,LaDécouverte,2001. 3 Ce que je voulais souligner dans cette première partie, c’est la nécessité de prendre quelquedistancecritiqueavecuncertainnombredereprésentationsprégnantes,etde sedéfaired’unevisionparfoistropnostalgiquequantàunâged’ormythique. Pourenrevenirmaintenantd’uneautremanièreàlaquestiondu«vivreensemble»,ou du«fairesociété»pourutiliseruntermequejepréfère,questionsouventrésuméesous lanotionde«cohésionsociale»,D.Demoustierrappelleutilementquecettenotionest double6: très souvent, les sociologues l’ont réduite au lien social interpersonnel de proximité;ducoup,ilyacohésionsocialequandlesgensviventenbonneintelligence dans un quartier, quand les voitures ne brûlent pas. Mais si la paix sociale est indispensableàlacohésionsociale,onnepeutselimiterauxrelationsinterpersonnelles, car cela fait courir le risque de ne pas comprendre d’où peuvent venir les transformations sociales nécessaires. Celles-ci ne découlent pas spontanément de l’évolutiondeslienssociaux,maisdecequiconstituela2èmedimensiondelacohésion sociale:lesrapportssociaux,beaucoupplusdifficilesàdécrypter. Pouréclairercettedistinction,D.Demoustierprendl’exempledesaclasseàl’université: - leliensocialconsisteàfaireensortequetouslesélèvesserespectent,quetous puissentavoirlaparoleetqueleséchangessoientrichesetconviviaux - lerapportsocialestplussimple,c’estlarelationhiérarchiqueentreenseignante etétudiants.Dansleliensocial,ilyaégalitéentreétudiantsetenseignant;mais lerapportsocialestinégal. Il y a donc un rapport social qui traverse ns relations sociales. Cette distinction entre liensocialetrapportssociauxal’avantagedenousrappelerl’existencedesinégalitéset des rapports de pouvoir au sein de la société. Du même coup, c’est aussi ce qui nous permetdepenserlacapacitéàpolitiser,c’estàdireàconsidérerlesfaitsetleschoses autrement que comme des incidents, à trouver des liens, des points communs induits parlesclivagesfondamentauxquitraversenttoutesociété. Par politiser, on entend ici le repérage des situations d’inégalité et des possibilités de leurtransformation,quipasseaussiparlaconflictualisation. C’estsurcepointquejesouhaitemaintenantproposerquelquesélémentsderéflexion. Je vais revenir tout d’abord sur quelques éléments généraux permettant de saisir pourquoilaconflictualitéaaujourd’huisimauvaisepresseengénéral,ycomprisparfois dans les sciences sociales elles-mêmes. Le «conflit social» a été très tôt un de leurs objetscentraux,danslesannées1970.Maisaujourd’hui,danslaplupartdesanalyses,le conflit est devenu synonyme de l’échec d’une politique, ou de l’échec d’une communication publique, quand il n’est pas perçu comme la manifestation archaïque d’une résistance à un changement inéluctable. On a donc assisté à un développement d’une conception consensualiste du social dans laquelle le conflit est perçu négativement, comme un désordre, comme vecteur de division. Vu comme contreproductif,leconflitdoitdoncêtreéradiqué,minimisé,voirepassésoussilence. Si cette conception consensualiste est repérable dans certains travaux de sciences sociales,notammentaudétourdesréflexionssurla«démocratieparticipative»,elleaà la fois des racines plus profondes et des porteurs plus variés. Ainsi dans un rapport 6.Cequisuits’appuielargementsursacontributiondansEcouter,comprendre,agir,Congrès2013,FCSF. 4 récentpourlaCNAF7,R.CorteserosoulignelacoexistenceauseinduréseaudesCentres sociaux de quatre référentiels8de projet, qui sont loin de tous privilégier une vision positivedelaconflictualité. De nombreux auteurs ont cependant argumenté sur le conflit comme condition de la démocratie.Ainsi,deG.Simmel,pourquileconflitdoitêtrevalorisécommeuneforme de socialisation, puisqu’il fait pleinement partie de l’apprentissage des valeurs et du fonctionnement démocratiques. H. Arendt souligne quant à elle que le conflit est l’essence même de la démocratie, quand C. Lefort estime que ce qui différencie la démocratie des régimes totalitaires est qu’elle laisse la place à l’expression des divers pointsdevueetdesconflits,sanstomberdansledésordrepolitique.Parcequelepacte civiquedoitêtreconstammentrenégocié,leconflitestuneconditionmécaniquedel’agir ensemble. C’est ce sur quoi insiste C. Mouffe9: elle nous rappelle que l’ordre social pacifié, vécu comme naturel et routinier, est toujours l’expression particulière de relationsdepouvoir,d’oùsoncaractèrepolitique,«l’activation»duconflitpermetalors aux groupes dans la société de dénaturaliser leur expérience sociale, d’en comprendre les ressorts et de viser leur transformation. Pour cette auteure, l’objet du politique ne peutdoncêtrelaproductiond’unconsensus;ilestaucontrairedefavoriserl’expression desantagonismesdansuncadreoùchaquepointdevueestconsidérécommelégitime. Leconflitn’estdoncpasunemenace,maislaconditiondepossibilitédeladémocratie. L’évitement du conflit a pour conséquence directe de rendre quasiment impossible l’inclusiondansledébatdes«publicsabsents»(lesjeunesparexemple)etlesstratégies d’évitementduconflit,repérablesnotammentdanslacélèbreformule«onn’estpaslà pour faire de la politique, ou pour parler de cela» entraînent mécaniquement la marginalisationdeceuxquisontlesmoinsbienarméspoursefaireentendre.Quandla placeduconflitestréduiteànéant,celaveutdirequ’ilyadesvoixmuselées,desplaces passivesquinesontpasprisesencomptedanslesdécisions.Larechercheduconsensus à tout prix limite alors l’approfondissement des controverses, la compréhension des positions et des points de vue; accepter et donner une place active aux formes d’expression les plus conflictuelles et les moins en adéquation avec les normes institutionnellesconstitueunapportdémocratiqueindispensable. Pourterminercepropossurleconflitcommeconditiondeladémocratie,jeciteraiun dernierauteur,J.Rancière,quisouligneque«ledissensusn’estpaslemondearchaïque du conflit auquel il faudrait faire succéder le dialogue moderne entre partenaires sociaux.Ilestlaformemêmedelarationalitépolitique»10.Autrementdit,cequi«fait société»estledésaccord,lelitigeetladiscussionsurceux-ci,etnons’efforcer(comme c’est souvent le cas quand on parle «d’intégration» par exemple) de faire entrer certains dans un cadre préétabli qui ne ferait l’objet d’aucune discussion quant à ses contours. 7. Régis Cortesero, Les Centres sociaux, entre participation et cohésion sociale, Dossier d’étude n° 160, CNAF,2013. 8.Unréférentielestunethéoriesocialeetpolitiqueimplicite,unensemblederéférencesformantcelle-ci. 9.ChantalMouffe,«Pourunpluralismeagonistique»,LaRevueduMAUSS,n°2,1993. 10.JacquesRancière,Auxbordsdupolitique,Folio,1990;Lamésentente,Galilée,1995. 5 Laquestionestalorscelledel’articulationentreconflit,conflictualité,etcoopération.La coopérationgénèreduconflit,encequ’elleimpliquelamiseenœuvredesdivergences sur ses fins, ses normes et donc de formes de pouvoir. Quant au conflit, il incite à la coopération car celle-ci intègre les différentes parties au jeu social et les associe au résultat. Certesleconflitsocialpeutprendredesformesviolentes;maiscesdernièresdécoulent généralementdel’impossibilitépourcertainsacteursdeprendrepartauxprocessusde coopération conflictuelle où ils estiment avoir le droit d’être impliqués. Pour Van Canpenhout «une société qui assume le conflit et lui permet de prendre des formes institutionnelles se dote d’un efficace antidote à la violence. En revanche, le résultat d’une logique consensuelle qui s’obstinerait à entraver toute conflictualité risque de radicaliser les conflits»11. La notion de «transaction sociale» peut ici être utile; c’est l’idéed’unéchangeoùinterviennentdupouvoir,delareconnaissanceetdelasolidarité. Elle conçoit le contrat social comme renégociable en permanence et porte donc aussi une signification provisoire. La sociologie de la transaction sociale prend le conflit au sérieux; celui-ci crée une rupture, ouvre la crise, c’est à dire du questionnement, la remise en cause du statut quo. La transaction est u compromis provisoire permettant d’aménagerlacohabitationentredesopposésetderéduirelatension.PourM.Blanc«la transaction sociale se méfie des utopies qui présentent une société harmonieuse, ordonnée et pacifiée comme l’idéal à atteindre. La société réelle ne connaît pas d’innovations sans désordre et sans conflit» 12 . L’enjeu est donc de travailler les modalitésdescoopérationsconflictuelles,danscertainscas,detransformerlaviolence (ou l’absence) en conflit démocratique. Celui-ci s’incarne dans des confrontations d’arguments sur différentes scènes publiques, tandis que la violence se soustrait au débatpublic.Undesenjeuxestdoncdefavoriserl’existenceetlaconstitutiond’espace collectifs critiques et créatifs, d’espaces publics intermédiaires qui permettent à des personneséloignéesdelaparolepubliqued’acquérirdelavisibilité. Dumêmecoup,unenjeuimportant,voireunesortederévolutionculturelle,résidedans la reconnaissance de communautés de vie (territoriale, ethniques, générationnelles…) comme éléments moteur de la démocratie, comme le soulignaient M-H. Bacqué et M. MechmachedansleurrapportsurlaréformedelaPolitiquedelaVille13.Unautreenjeu importantestceluidelaformation,maispastantdeshabitantsquedesprofessionnels et des élus, afin de les acculturer à l’écoute, à une démarche ascendante, à la constructionduconflitdémocratique. En effet, et je conclurai sur ce point, on ne peut envisager de promouvoir le pouvoir d’agir sans envisager en même temps les répercussions de cela sur l’ensemble des partenairesetpersonnespartiesprenantesdesprocessus;quandlepouvoird’agirdes habitants se développe, l’équilibre des légitimités bouge, puisque loin d’être une nouvelletechniqued’intervention,ladémarched’empowermentplongesesracinesdans lavolontéderééquilibrerdespouvoirsauprofitdeceuxquiensontleplusdémunis. 11. Luc Van Campenhoudt, «Le conflit, au cœur du lien social», dans D. Vrancken, C. Dubois et F. Schoenaers(dirs.),Penserlanégociation,DeBoeckSupérieur,2008. 12.MauriceBlanc,«Latransactionsociale:genèseetféconditéheuristique»,PenséePlurielle,n°20,2009. 13 . Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires,RapportauMinistredéléguéchargédelaVille,2014. 6