Notice Comunautarisme

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Notice Comunautarisme
Communautés, communautarismes
Le communautarisme, c'est les autres ! On pourrait résumer à cette affirmation le sens
de la dérive entre le terme de communauté et celui de communautarisme. Si la communauté
est une notion fondamentale des sciences humaines, le mot de communautarisme ne puise sa
signification que replacé dans le cadre d'un renouveau des usages de la "République" depuis
la fin des années quatre-vingt.
La notion de communauté illustre bien le renouveau de la pensée sociale au XIXème
siècle qui y voit l'image de la société idéale. Elle est pensée dans la tradition sociologique en
opposition à celle de société1. Les deux termes ont notamment servi à distinguer les rapports
sociaux réputées traditionnels c'est-à-dire fondées sur une solidarité "organique", naturelle,
marquée par des liens affectifs, étroits et durables. Les relations de communauté s'opposent
alors en partie aux rapports sociaux réputés modernes c'est-à-dire fondées sur une adhésion
consentie, individuelle et contractuelle. Néanmoins, la notion de communauté revêt, dans son
usage, le danger de réifier les collectifs, c'est-à-dire de les faire exister malgré eux et hors de
leur contexte historique de production. L'usage journalistique actuel de l'idée de "communauté
musulmane" rentre précisément dans ce cadre.
Dès lors, l'émergence récente du terme de "communautarisme" apparaît singulière en
ce qu'elle n'est pas le fruit d'une tradition intellectuelle particulière, mais qu'elle fonctionne en
France telle une catégorie de dénonciation. Le "communautarisme" peut être entrevu à la fois
comme le maintien de liens collectifs passés et/ou le résultat de stratégie individuelle de repli
sur ce que l'on présume une communauté. En accusant un individu de "communautarisme",
on lui reproche donc de circonscrire son espace social de référence à ceux dont il considère
(ou dont les autres considèrent) qu'ils entretiennent avec lui des liens de sang. On est donc ici
éloigné des débats américains sur la question des fondements de la justice sociale dans une
société libérale, une justice fondée pour les uns sur le projet d'émancipation du sujet et pour
les autres sur la nécessité de la restauration de forme "communautarienne" de solidarité.
Le discours de Nicolas Sarkozy ne trompe pas de ce point de vue. Il emploie le terme
de "communautés" dans des connotations tantôt positives, tantôt négative selon qu'il le
rattache à celui de communautarisme. Il évoque par exemple "l'incompréhension qui pousse la
pensée unique à croire que pour être plus efficace, il faut non seulement laisser partir les
usines et s’éteindre jusqu’au souvenir de l’industrie, […] mais qu’il faut aussi laisser tomber
la ruralité, les petites communautés villageoises qui se sont toujours défendues comme elles le
pouvaient pour rester vivantes". (Discours à Lille le 28 mars 2007). Mais cette valorisation
des "communautés rurales" contraste singulièrement avec la dénonciation des "communautés,
des tribus et des bandes" auxquels il fait régulièrement allusion. "Je refuse le
communautarisme qui réduit l'homme à sa seule identité visible. Je combats la loi des tribus
parce que c'est la loi de la force brutale et systématique" dit-il (congrès de l'UMP, le 14
janvier 2007). Ou encore "Quand la République s’effrite, c'est le communautarisme c’est
l’enfermement dans les origines, ce sont les règlements de compte entre les communautés et
c’est la violence qui s’installe" (discours à Perpignan, le 23 février 20007).
En réalité, la relation récurrente que construit Nicolas Sarkozy entre
communautarisme, tribu et ancestralité constitue un mode de pensée très significatif d'un
nouveau républicanisme en France. Nombreux sont en effet les intellectuels "républicains" à
1
Voir, à ce propos, Robert A. Nisbet, La tradition sociologique, Paris, PUF/quadrige, 1984.
analyser des phénomènes sociaux comme "le voile islamique" ou "les tournantes" en les
associant, de manière plus ou moins explicite, à des phénomènes "ancestraux". Il est pourtant
essentiel de les replacer dans le cadre des mutations sociales expérimentées par la société
française depuis une quarantaine d'année et touchant plus spécifiquement les quartiers
populaires, les formes nouvelles d'exclusion, notamment urbaines. Ces phénomènes sont
modernes, complexes, ils ne sont pas liés à un passé qui réémergent par le truchement d'une
hérédité civilisationnelle, ils leur arrivent même de renvoyer à des logiques individuelles.
Dès lors, ce que pose la question de la communauté et du communautarisme, c'est bien
celle du rapport entre nous et les autres, ou plutôt celle de considérer toujours les uns comme
des autres. Il s'exprime notamment lorsque la "communauté d'origine" est toujours celle des
autres et que les discriminations dont sont victimes des immigrés sont saisies sur le registre de
la faute individuelle et non celle du communautarisme. Pourtant, si Nicolas Sarkozy refuse
"que l’on dise que tous les Français sont racistes ou antisémites, parce que c’est faux",
(discours à Metz, le 17 avril 2007), il n'empêche que le racisme débute lorsque l'on considère
un individu comme le petit bout d'une communauté pour expliquer ses comportements. De
sorte que lorsqu'il dit que "si nous n’expliquons pas ce qu’est l'identité nationale, ce qu’est la
communauté nationale, chacun se tournera alors vers sa communauté d’origine" (Discours à
Lyon, le 5 avril 2005), cette affirmation fait partie de ces sons à plusieurs cloches.
Une communauté n'a jamais rien de naturel, elle se construit historiquement, et
souvent de l'extérieur. Lorsque l'on perçoit les rapports sociaux sur le mode communautariste,
on finit par faire exister les communautés et la dénonciation du communautarisme sonne
quelquefois telle une prophétie autoréalisatrice.
Éric SORIANO,