Scpo - Construction européenne et démocratie
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Scpo - Construction européenne et démocratie
ENSEIGNEMENT DE SPECIALITE Sciences sociales et politiques Il est demandé au candidat de répondre à la question posée par le sujet : - en construisant une argumentation ; - en exploitant le ou les documents du dossier ; - en faisant appel à ses connaissances personnelles. II sera tenu compte, dans la notation, de la clarté de l'expression et du soin apporté à la présentation. Ce sujet comporte deux documents. THÈME DU PROGRAMME La participation politique SUJET En créant une citoyenneté européenne, la construction européenne a-t-elle renforcé la démocratie ? Document 1 – Participation aux élections parlementaires de l´UE En % Allemagne France Italie Royaume-Uni 1994 60,0 52,7 73,6 36,4 1999 45,2 46,8 69,8 24,0 2004 43,0 42,8 71,7 38,5 2009 43,3 40,6 65,1 34,7 UE (15 pays) UE (25 pays) UE (27 pays) ~ ~ ~ 49,5 ~ ~ ~ 45,5 ~ ~ ~ 43,0 (Source : Insee, 2010) Document 2 – Le Data Protection Regulation (DPR), projet de règlement visant à améliorer la protection des données personnelles des Européens quand elles sont stockées dans des bases de données ou qu'elles circulent sur Internet. Pour toutes les démarches, un guichet unique sera instauré : si un internaute allemand est en conflit avec une entreprise basée en Irlande, il ne sera plus obligé de s'adresser à l'agence irlandaise de protection des données. L'agence allemande prendra son affaire en charge. La Commission souhaite aussi renforcer la règle du "consentement explicite" : avant de s'emparer des données d'un consommateur, il faudra lui en demander la permission. Par ailleurs, le DPR réaffirme le "droit à l'oubli" : chacun pourra demander que ses données soient effacées – dans les limites du raisonnable, car sur Internet une suppression totale est souvent impossible. A noter que ce droit ne concernera sans doute pas les données publiées volontairement par un internaute sur un réseau social. En cas de violation des nouvelles règles, l'amende sera sévère : jusqu'à 2 % du chiffre d'affaires mondial de la société. Le DPR s'appliquera à toute entreprise étrangère visant les consommateurs européens, même si elle n'a pas de filiale en Europe. Depuis un an, le projet est examiné par le Parlement. S'il voit le jour (probablement en 2014, pour une mise en application en 2016), il affectera tous les secteurs d'activité, publics et privés. Or, partout en Europe, ce marché est largement dominé par des sociétés américaines – Google, Facebook, Amazon, Apple, Microsoft, eBay –, plus, en coulisses, des centaines d'autres moins connues, qui forment une nébuleuse très dense. Les Américains estiment donc avoir leur mot à dire dans cette affaire. Les grandes sociétés américaines ont embauché leurs propres lobbyistes, dont beaucoup ont fait une première carrière au sein des institutions européennes. Le responsable de la stratégie politique de Google à Bruxelles, Antoine Aubert, travaillait auparavant pour la Commission européenne. De son côté, pour diriger son bureau de Bruxelles, Facebook a embauché l'Allemande Erika Mann, qui fut députée européenne socialedémocrate pendant quinze ans. Pour aller plus vite, les lobbyistes ont repris à leur compte une pratique classique : ils rédigent des propositions d'amendements prêts à l'emploi, qu'ils envoient aux eurodéputés jugés les plus favorables à leur cause – notamment les conservateurs et les eurosceptiques. Le résultat est spectaculaire : en quelques mois, plus de quatre mille amendements au DPR ont été déposés, dont beaucoup sont directement inspirés de textes envoyés par les lobbyistes. On découvre, par exemple, qu'un député britannique conservateur a déposé 55 amendements, dont 14 sont en fait des textes envoyés par Amazon, eBay et l'American Chamber of Commerce. Ils visent à supprimer les protections pour les données stockées sous pseudonyme, à baisser le montant des amendes en cas de violation du règlement, à faciliter le transfert de fichiers vers des sous-traitants, ou à limiter les droits des citoyens contre les profilages abusifs. (Source : Yves Eudes, Le Monde du 2 juin 2013) 1 – Analyse du sujet : En créant une citoyenneté européenne, la construction européenne a-t-elle renforcé la démocratie ? Citoyenneté européenne = Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas Construction européenne = Ensemble des traités et accords qui ont permis la naissance et le développement de l’Union européenne. Renforcer la démocratie = La citoyenneté européenne a-t-elle rendu aux peuples européens leur souveraineté dans les choix politiques européens ? Champ spatial et temporel = L’UE depuis 1979 2 – Réponse à la question posée : Introduction : Amorce = L’Europe, historiquement préoccupée par la réalisation d’un marché intérieur, n’a accordé que très tardivement des droits politiques aux ressortissants des Etats membres. C’est au moment de l’instauration de l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct en 1979, que le droit de vote fut reconnu aux peuples européens. La notion de citoyenneté européenne de l’Union est, elle, apparue avec le traité de Maastricht du 7 février 1992. Problématique = En accordant des droits et des devoirs politiques à tous les nationaux des Etats membres, l’Union européenne a-t-elle favorisé la participation des peuples européens à la construction européenne ? Dans quelle mesure cette citoyenneté européenne a-t-elle donné naissance à un sentiment d’appartenance à une nouvelle communauté politique ? Les peuples européens sont-ils encore des peuples souverains ? Annonce du plan = Si la citoyenneté européenne est un pas dans le sens de la démocratisation du processus européen, on ne peut pas encore parler d’une véritable démocratie européenne. 1 – La citoyenneté européenne favorise la démocratisation de l’Union européenne Un régime politique démocratique se caractérise par l’existence de plusieurs conditions telles que l’élection des gouvernants au suffrage universel (reconnaissance du droit de vote à tous les citoyens), la séparation des pouvoirs, le droit d’éligibilité, la libre détermination (liberté d’opinion, liberté des médias), le pluralisme politique (existence de plusieurs partis représentants différents courants d’idées et de programmes politiques), la liberté de l’opposition, la publicité des débats et des actes politiques. L’élection du Parlement européen au suffrage universel, à partir de 1979, est un premier pas vers la démocratisation de la construction européenne. L’envoi de députés européens au Parlement de Strasbourg par le biais du suffrage universel renforce la démocratie représentative à l’échelle de l’Union. Ainsi, dès 1979, plus des trois quart des Italiens, près des deux-tiers des Français et des Allemands se déplacent pour aller voter à l’exception des britanniques qui ne sont qu’un tiers à participer en 1994 (Doc 1). Les peuples européens sont donc représentés directement au niveau législatif par des députés issus de partis représentant tout l’échiquier politique (y compris des partis eurosceptiques). La citoyenneté européenne, consacrée par le traité de Maastricht de 1992, est une autre étape du renforcement de la démocratie dans l’Union européenne. Il s’agit d’une citoyenneté additive qui s’ajoute sans les remplacer aux droits et devoirs attachés à tous les nationaux des Etats membres. Elle comprend une citoyenneté civile (Droit de circuler, séjourner, s'installer, travailler, étudier dans les autres Etats membres de l'Union), la citoyenneté politique (Droit de voter et d'être éligible aux élections du Parlement européen et aux élections municipales dans l'Etat membre où il réside, droit de pétition devant le Parlement européen et droit de faire appel au Médiateur européen, droit d'accès aux documents des institutions européennes) et la citoyenneté économique et sociale (Droit du consommateur, protection des données…) (Doc 2). Tous ces droits sont inscrits dans la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice en 2000 et intégrée dans les traités. Enfin, la démocratie représentative et la démocratie participative ont été renforcées au fil des traités. D’une part, les attributions du Parlement ont été étendues. Il peut amender les propositions de la Commission retenues par le Conseil des ministres (Doc 2). Il approuve la nomination des commissaires européens et peut censurer la Commission. Il a un pouvoir de contrôle (questions écrites, orales, débats, enquêtes…). D’autre part, les citoyens européens ont un droit d’initiative citoyenne européenne depuis le traité de Lisbonne : un million de citoyens issus « d’un nombre significatif d’États membres » peuvent inviter la Commission à soumettre une proposition d’acte juridique à l’Union sur un sujet particulier. 2 – Mais on ne peut encore parler d’une véritable démocratie européenne Tout d’abord, le Parlement européen n’a pas les pouvoirs d’un Parlement national. Il ne peut proposer des lois dont la Commission a le monopole. Il n’a pas le monopole du vote de la loi puisqu’il partage ce pouvoir avec le Conseil des ministres. Ce dernier a même des pouvoirs législatifs plus importants que lui car il est le seul organe qui vote toutes les lois, et le seul à voter les lois dans les domaines où la procédure de codécision ne s’applique pas. Enfin, le Parlement européen ne vote pas les recettes du budget européen. Autrement dit, le Parlement européen et, par voie de conséquence, les citoyens ont peu de capacités pour peser sur les grandes décisions qui engagent la construction européenne. Ensuite, les citoyens européens n’ont pas le sentiment d’être associés à la construction européenne comme le montre la baisse de la participation aux élections européennes et la montée des partis eurosceptiques. Le taux de participation aux élections des députés européens est passé en dessous des 50% en Allemagne, en France et en moyenne dans l’ensemble des pays de l’UE (Doc 1). Les mesures proposées par la Commission et adoptées par la Conseil des ministres sont souvent complexes et technocratiques (elles sont prises par des « eurocrates »). Elles sont difficilement compréhensibles pour le citoyen moyen de l’Union qui n’a pas participé directement aux choix démocratique de ces décideurs. Une part substantielle de démocratie a disparu au niveau national avec les transferts de souveraineté, sans être restituée au niveau européen. Enfin, les décisions communautaires sont souvent influencées par des groupes de pression économiques où par les Etats qui pèsent le plus au sein de l’Union (Le Royaume-Uni, le couple Franco-Allemand). Ainsi, les grands groupes industriels européens et étrangers se sont constitués en groupes de pression à Bruxelles en recrutant des anciens fonctionnaires européens ou des députés pour faire passer des lois qui leur soient favorables ou qui rendent inopérantes les lois qui leur sont défavorables (Doc 2). En d’autres termes, ce ne sont plus les représentants du peuple élus qui ont le pouvoir de faire les lois mais des lobbies puissants. A ce compte la démocratie risque d’être remplacée par une ploutocratie (système politique ou social dans lequel le pouvoir est exercé par les plus riches). Conclusion : Rappel de la démonstration = Si l’Union européenne a fait des efforts pour rapprocher la construction européenne de la volonté des peuples européens, elle souffre encore d’un déficit démocratique qui peut provoquer une crise de l’idée européenne comme semble le montrer la montée de l’euroscepticisme. Ouverture = Si l’on veut construire une Europe des peuples, les institutions européennes doivent se démocratiser en étant élues par les citoyens européens ce qui suppose que l’on passe d’un modèle dominé par l’intergouvernemental à un modèle fédéraliste.