Travail dissimulé et erreur de droit

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Travail dissimulé et erreur de droit
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Travail dissimulé et erreur de droit
le 9 février 2015
PÉNAL | Droit pénal général | Droit social
Justifie sa décision la cour d’appel qui ne retient pas l’erreur de droit en faveur d’un employeur de
nationalité allemande ayant manqué à son obligation de déclaration préalable à l’embauche, dès
lors que le prévenu, dont l’entreprise était implantée de longue date en France, pouvait solliciter
l’avis de l’inspection du travail.
Crim. 20 janv. 2015, F-P+B+I, n° 14-80.532
Selon l’article 122-3 du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui justifie
avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement
accomplir l’acte ». Cette disposition édicte une cause subjective d’irresponsabilité pénale, qui,
parce qu’elle renverse la présomption générale de connaissance de la loi, est appréciée très
strictement par les juridictions pénales. L’erreur de droit n’est ainsi admise qu’à la condition d’être
invincible.
En l’espèce, un contrôle effectué en 2009 par les services de la direction départementale du travail
au sein d’une société créée en 1994 et gérée par un individu de nationalité allemande fait
apparaître que les salariés de cette entreprise étaient, de manière systématique, déclarés par leur
employeur aux organismes de protection sociale postérieurement à leur embauche, après la
période d’essai. Poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de travail dissimulé par
dissimulation d’activité, ce dernier en est déclaré coupable. Saisie des appels du prévenu et du
ministère public, la cour d’appel confirme cette déclaration de culpabilité et relève que le prévenu
reconnaît la matérialité de la situation constatée par les services de l’inspection du travail tout en
prétendant cependant n’avoir pas créé cette situation volontairement, dans la mesure où il ignorait
l’exigence de déclaration préalable à l’embauche posée par le droit français, celui-ci différant, sur
ce point, du droit allemand. S’appuyant sur ces motifs de l’arrêt attaqué, le pourvoi faisait grief à la
cour d’appel de n’avoir pas recherché si le prévenu n’avait pas omis les déclarations préalables à
l’embauche sur le fondement d’une erreur de droit tenant à l’idée d’une identité entre les
législations française et allemande relatives à l’embauche des salariés.
Le pourvoi est rejeté, la chambre criminelle considérant que la cour d’appel a justifié sa décision.
Elle souligne que l’entreprise dirigée par le prévenu était implantée de longue date en France et
que ce dernier pouvait solliciter l’avis de l’inspection du travail sur l’étendue de ses obligations en
matière d’embauche de salariés.
Une solution contraire pouvait difficilement être envisagée. Bien qu’il ressorte de l’arrêt que
l’individu était poursuivi pour travail dissimulé par dissimulation d’activité, il convient de se référer
à l’article L. 8221-5 du code du travail, selon lequel est réputé travail dissimulé par dissimulation
d’emploi salarié « le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à
l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à
l’embauche ». Ainsi, le texte d’incrimination ne se contente pas de renvoyer aux obligations légales
en vigueur mais rappelle la nécessité d’une déclaration préalable à l’embauche. L’absence de toute
incertitude sur le sens et la portée du texte est, selon la chambre criminelle, un élément de nature
à démontrer que l’erreur n’était pas inévitable (V. Crim. 4 mars 1998, n° 97-82.922, Dalloz
jurisprudence). Par ailleurs, l’extranéité n’est évidemment pas, eu égard à la portée du principe de
territorialité, considérée comme une circonstance suffisante pour justifier une erreur au sens de
l’article 122-3 du code pénal (V. Crim. 29 mars 2000, n° 97-80.916, Bull. crim. n° 146). Enfin, le
prévenu, qui considérait comme un acquis la transposition à l’identique de la loi allemande en
France, ne prétendait pas avoir effectué des démarches qui auraient été susceptibles d’accréditer
sa croyance erronée. Or la jurisprudence ne tolère pas que l’individu demeure passif en l’absence
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de toute certitude juridique. En effet, « l’erreur ne devient inévitable que si l’agent a activement
vérifié avant de l’accomplir la légitimité de l’acte qu’il projette et qu’il a été trompé par le résultat
de cette vérification » (V. Rép. pén., v° Erreur sur le droit, par D. Viriot-Barrial, n° 25). C’est la
raison pour laquelle il est encore affirmé que « c’est à la personne poursuivie qu’il incombe d’établir
les circonstances d’où résulte sa croyance en la légitimité de l’acte » (RSC 1997. 827, obs. B.
Bouloc ).
Et encore faut-il que la vérification accomplie soit suffisamment approfondie pour convaincre de la
légalité de l’acte accompli. La Cour de cassation a ainsi jugé que doit être poursuivie pour
l’infraction d’exercice illégal de la pharmacie la société qui commercialise certains produits qu’elle
pense être des compléments alimentaires, alors que ceux-ci relèvent du monopole
pharmaceutique, après s’être contentée d’en vérifier la définition dans le dictionnaire des
médicaments vétérinaires (V. Crim. 4 oct. 2011, n° 10-88.157, Dalloz actualité, 4 nov. 2011, obs. M.
Bombled ; D. 2012. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T.
Potaszkin ; AJ pénal 2012. 95, obs. J. Lasserre Capdeville ; RTD com. 2012. 415, obs. B. Bouloc ).
Il n’est donc pas surprenant que la chambre criminelle ait, en l’espèce, reproché au prévenu d’avoir
manqué d’interroger l’inspecteur du travail sur ce point. Elle avait déjà jugé en ce sens que l’erreur
de droit invoquée par un prévenu portant sur l’interprétation de certaines dispositions de
l’ordonnance du 16 janvier 1982, instituant la semaine de trente-neuf heures, ne présente pas un
caractère insurmontable, dès lors que la portée des textes applicables pouvait faire l’objet d’une
consultation auprès de l’inspection du travail (V. Crim. 5 mars 1997, n° 95-83.492, Bull. crim. n° 84
; RSC 1997. 827, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1997. 107 [2e arrêt], obs. Véron).
Site de la Cour de cassation
par Cloé Fonteix
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