Motivation des arrêts d`assises : la France

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Motivation des arrêts d`assises : la France
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Motivation des arrêts d’assises : la France condamnée
mais rentrée dans le rang
le 11 juin 2015
EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Pénal
PÉNAL | Jugement
Les questions posées au jury, laconiques, ne permettent pas aux requérants, acquittés en première
instance et condamnés en appel, de disposer des garanties suffisantes pour comprendre le verdict
de condamnation, ce qui constitue une violation du droit au procès équitable. CEDH 21 mai 2015, Peduzzi c. France, req. n° 23487/12
CEDH 21 mai 2015, Haddad c. France, req. n° 10485/13
Par deux arrêts du 21 mai 2015, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la
France en raison de l’insuffisante motivation d’arrêts d’assises rendus avant le 1er janvier 2012,
date d’entrée en vigueur du nouvel article 365-1 du code de procédure pénale introduisant
l’exigence de motivation. Pour dire qu’il y avait violation du droit au procès équitable, la cour a
relevé que, dans les deux cas, les requérants ont été acquittés en première instance puis
condamnés en appel. Dans ce contexte, les questions posées – une dans le premier cas, cinq dans
le second – étaient insuffisantes et laconiques et ne permettaient pas aux intéressés de disposer
des garanties suffisantes pour comprendre le verdict de condamnation.
Si les arrêts de cours d’assises en cause ont été rendus avant l’entrée en vigueur de l’article 365-1
issu de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, ils demeurent toutefois intéressants dans l’analyse de la
motivation exigée pour se conformer à l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme. La grande chambre a affirmé, à l’égard de la Belgique, que l’article 6 exigeait, à tout le
moins, des questions précises « de nature à former une trame apte à servir de fondement au
verdict » (V. CEDH 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique, req. n° 926/05, Dalloz actualité, 25 nov.
2010, obs. O. Bachelet ; D. 2011. 47, note J.-F. Renucci ; ibid. 48, note J. Pradel ; Just. & cass.
2011. 241, étude C. Mathon ; AJ pénal 2011. 35, obs. C. Renaud-Duparc ; RSC 2011. 214, obs.
J.-P. Marguénaud ; JDI 2011. 1313, obs. O. Bachelet). Elle est ainsi revenue sur un précédent arrêt
de section rendu dans la même affaire et qui posait une exigence générale de motivation des
décisions de justice (V. CEDH 13 janv. 2009, Taxquet c. Belgique, req. n° 926/05, D. 2009. 1058 ,
note J.-F. Renucci ; Just. & cass. 2011. 241, étude C. Mathon ; RFDA 2009. 677, étude L. Berthier
et A.-B. Caire ; RSC 2009. 657, obs. J.-P. Marguénaud ; Dr. pénal 2009). Pour la Cour, il suffit que
l’examen conjugué de l’acte d’accusation et des questions posées permette à l’intéressé de
comprendre les éléments qui ont convaincu le jury. Elle a par la suite précisé sa jurisprudence. De
manière générale, lorsque les questions sont peu nombreuses et laconiques, la CEDH estime que
les garanties de l’article 6 sont violées (V. CEDH 10 janv. 2013, Agnelet c. France, n° 61198/08,
AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 615, et les obs. , note J.-F. Renucci ; AJ
pénal 2013. 336, note C. Renaud-Duparc ; RSC 2013. 112, obs. J. Danet ; ibid. 158, obs. J.-P.
Marguénaud ), ce qui n’est pas le cas lorsque les questions posées sont nombreuses et
circonstanciées (V. CEDH 10 janv. 2013, Légillon c. France, req. 53406/10, D. 2013. 615 , note J.-F.
Renucci ; AJ pénal 2013. 336, note C. Renaud-Duparc ). Ainsi, c’est en l’espèce par une analyse
concrète de l’acte d’accusation, d’une part, qui n’a qu’une valeur relative en ce qu’il intervient
avant les débats, d’autant plus que les requérants ont été acquittés en première instance, et des
questions posées, d’autre part, que la Cour en conclut que l’article 6 a été violé.
Dans les deux arrêts commentés, la Cour de cassation avait rejeté les pourvois dirigés contre les
arrêts de condamnation en se prononçant après l’arrêt Taxquet. Si les décisions rendues par les
cours d’assises d’appel étaient exemptes de critiques par rapport aux dispositions alors en vigueur,
la Cour de cassation aurait dû faire une application immédiate de la jurisprudence de la Cour
européenne, sans attendre d’être condamnée devant elle (V. Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, n°
10-17.049, Dalloz actualité, 19 avr. 2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 1080, et les obs. ; ibid. 1128,
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entretien G. Roujou de Boubée ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2012. 390, obs. O.
Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro
; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade ; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli ; RTD civ. 2011. 725,
obs. J.-P. Marguénaud ), en cassant les arrêts d’assises pour permettre la tenue d’un nouveau
procès conforme aux exigences conventionnelles.
La procédure alors en vigueur en France, après l’arrêt Taxquet, ne nécessitait qu’une adaptation,
avec un plus grand nombre de questions précises et circonstanciées posées au jury, d’autant que le
Conseil constitutionnel n’avait pas vu dans l’absence de motivation des arrêts d’assises un motif
d’inconstitutionnalité (V. Cons. const., 1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC, Dalloz actualité, 5 avr.
2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 1154, point de vue W. Mastor et B. de Lamy ; ibid. 1156, point de
vue J.-B. Perrier ; ibid. 1158, chron. M. Huyette ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot
; AJ pénal 2011. 243, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello ; RSC 2011.
423, obs. J. Danet ). Cependant, pour se conformer au mieux à la Convention européenne des
droits de l’homme, le législateur français, par la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, a inséré dans le
code de procédure pénale un article 365-1, entré en vigueur le 1er janvier 2012, aux termes duquel
« le président ou l’un des magistrats assesseurs par lui désignés rédige la motivation de l’arrêt ».
L’alinéa suivant précise qu’« en cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des
principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour
d’assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la
cour et le jury en application de l’article 356, préalablement aux votes sur les questions ». Il n’en
reste pas moins que, si une telle réforme est « a priori susceptible de renforcer significativement les
garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé » (V.
CEDH 10 janv. 2013, Agnelet c. France, préc., n° 72), la motivation doit être suffisante et exempte
de contradictions pour atteindre cet objectif. La chambre criminelle exerce désormais un tel
contrôle et, si elle n’est pas très exigeante (V. Crim. 9 janv. 2013, n° 12-81.626, Dalloz actualité, 22
janv. 2013, obs. M. Bombled ; D. 2013. 179 ; ibid. 1778, chron. C. Roth, P. Labrousse, B. Laurent
et Marie-Lucie Divialle ; RSC 2013. 405, obs. X. Salvat ; 17 sept. 2014, n° 13-85.196, Dalloz
actualité, 1er oct. 2014, obs. S. Fucini ), elle n’hésite pas à censurer les décisions dont la feuille de
motivation énonce des éléments contradictoires avec la solution rendue (V. Crim. 20 nov. 2013, n°
12-86.630, Bull. crim. n° 234 ; Dalloz actualité, 5 déc. 2013, obs. S. Fucini ; D. 2013. 2779 ; AJ
pénal 2014. 81, obs. P. de Combles de Nayves ; Dr. pénal 2014. 13, obs. A. Maron et M. Haas).
Site de la Cour européenne des droits de l’homme
par Sébastien Fucini
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