Note Haid Slim sur cass 1re civ15 déc 2011 Avocat et devoir d

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Note Haid Slim sur cass 1re civ15 déc 2011 Avocat et devoir d
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AVOCATS
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Les avocats déchargés du devoir d’anticipation
Après avoir mis à la charge des avocats le devoir d’anticiper les évolutions prévisibles du droit
positif, la Cour de cassation apporte une nette limite à sa jurisprudence antérieure en précisant
que la responsabilité de ces derniers ne peut s'apprécier qu'au regard du droit positif existant
à l'époque de leur intervention. Le soulagement qu’apporte l’arrêt du 15 décembre 2011 ne
devrait toutefois pas être surestimé.
rement de jurisprudence, la
Cour de cassation a rejeté le
pourvoi (Cass. com., 28 sept.
2004, n° 03-11.876 : JurisData
n° 2004-024985 ; JCP G 2005,
Un pas en avant, deux pas en
I, 107, n° 13, obs. M. Cabrillac
arrière. Telle est l’image que
et P. Pétel).
semble à première vue projeter
C’est dans ces conditions que
l’arrêt commenté. D’une part,
la société allemande a introHADI SLIM,
professeur, université
parce que la solution qu’il
duit une action en responsaFrançois-Rabelais
adopte est en elle-même en net
bilité contre l’avocat qui l’a
(Tours)
retrait par rapport à un arrêt
assistée et la société civile proantérieur rendu par la même
fessionnelle (SCP), au sein de
chambre. D’autre part, parce que la Cour laquelle ce dernier exerce sa profession. Elle
de cassation y proclame haut et fort que lui reprochait d’avoir commis une faute en
pour engager la responsabilité d’un avocat, ne saisissant pas le juge-commissaire dans
il faut tenir compte du droit positif « exis- les délais. Déboutée par la cour d’appel de
tant à l’époque de son intervention » et non Paris (CA Paris, pôle 2, ch. 1, 30 mars 2010,
du droit positif en vigueur postérieure- n° 09/10518), elle a saisi la Cour de cassament. Pourtant, les choses ne sont pas aussi tion d’un pourvoi articulé autour de deux
simples qu’elles n’y paraissent.
moyens.
Une société allemande avait vendu des Le premier moyen, le seul qui a prospéré demarchandises sous le bénéfice d’une clause vant la Cour de cassation, reprochait au juge
de réserve de propriété à une société fran- du fond d’avoir, au mépris de l’article 16 de
çaise. Quelques jours après la mise en la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative
redressement judiciaire de cette dernière, aux sociétés civiles professionnelles, déclaré
la société allemande avait fait parvenir par irrecevable l’action dirigée contre l’avocat
l’entremise de son avocat à l’administrateur au motif que ce dernier était intervenu dans
judiciaire une demande en revendication la procédure non à titre individuel, mais en
des marchandises à laquelle ce dernier avait tant que membre de la SCP. Cet article disrefusé d’acquiescer. Lorsque la demande pose, en effet, que chaque associé répond,
fut portée plus tard devant le juge-commis- sur l’ensemble de son patrimoine, des actes
saire, elle fut jugée par ce dernier forclose professionnels qu’il accomplit et que la SCP
au motif que le délai de distance prévu à est solidairement responsable avec lui des
l'article 643 du Code de procédure civile ne conséquences dommageables de ces actes.
lui était pas applicable. La décision du juge- Il en résulte, comme la Cour de cassation a
commissaire a été par la suite confirmée par déjà eu l’occasion de le rappeler récemment
la cour d’appel de Douai dont l’arrêt a fait (Cass. 1re civ., 30 sept. 2010, n° 09-67.298 :
l’objet d’un pourvoi. La Cour de cassation JurisData n° 2010-017078 ; JCP G 2011,
était invitée, conformément à l’interpréta- doctr. 468, n° 18, obs. G. Pillet), que l’action
tion qu’elle avait admise de l’article 643 du en responsabilité peut indifféremment être
Code de procédure civile quelques années dirigée contre la société, l’associé concerné
auparavant, à censurer l’arrêt de la cour ou les deux à la fois. L’arrêt ne revêt donc sur
d’appel de Douai. Mais, opérant un revi- ce point aucune originalité.
Cass. 1re civ., 15 déc. 2011,
n° 10-24.550, F P+B+I :
JurisData n° 2011-028170
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Le second moyen, autrement plus intéressant, reprochait aux juges du fond d’avoir
rejeté l’action en responsabilité dirigée
contre l’avocat et la SCP alors que ces derniers étaient tenus d’accomplir toutes les
diligences utiles à la défense de leur client,
y compris d’observer les règles de prudence
nécessaires. Plus précisément, le pourvoi
soulignait qu’à supposer même qu'un doute
eut pu apparaître dans l’esprit de l’avocat en
ce qui concerne le délai applicable, la simple
existence de ce doute suffisait à justifier le
respect de la décision la plus prudente pour
conserver les intérêts du justiciable.
L’occasion était ainsi donnée à la Cour de
cassation de se prononcer à nouveau sur
la question délicate de la responsabilité
des avocats en cas de revirement de jurisprudence. Rejetant le second moyen du
pourvoi, elle prend le soin de souligner
que « les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne
s'apprécient qu'au regard du droit positif
existant à l'époque de son intervention,
sans que l'on puisse lui imputer à faute de
n'avoir pas prévu une évolution postérieure
du droit consécutive à un revirement de
jurisprudence ».
La précision temporelle que comporte cette
motivation ne passe pas inaperçue. En indiquant que c’est en fonction du droit positif
existant « à l’époque » où l’avocat est intervenu que la responsabilité de ce dernier
devrait être appréciée, la Cour de cassation
s’éloigne clairement de sa jurisprudence antérieure. Cette réhabilitation du droit positif (1) cache cependant une autre difficulté,
celle de la détermination des règles relevant
de ce droit à un moment déterminé (2).
1. La réhabilitation du droit positif
L’arrêt commenté apporte une limite importante au devoir d’anticipation que la
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 7 - 13 FÉVRIER 2012
LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE
Cour de cassation avait mis à la charge des
avocats dans son arrêt du 14 mai 2009 (Cass.
1re civ., 14 mai 2009, n° 08-15.899 : JurisData n° 2009-048152 ; JCP G 2009, note 94, H.
Slim ; JCP G 2009, doctr. 295, n° 14, obs. G.
Pillet ; D. 2010, p. 56, obs. P. Brun ; RTD civ.
2009, p. 493, obs. P. Deumier, p. 725, obs. P.
Jourdain, et p. 744, obs. P.-Y. Gautier ; Gaz.
Pal. 3 sept. 2009, p. 9, note Y. Avril ; LPA 10
août 2009, p. 10, note J.-F. Barbieri ; RDC
2009, p. 1373, obs. S. Carval ; Resp. civ. et assur. 2009, comm. 219, S. Hocquet-Berg). Or,
ce dernier arrêt ne peut être compris sans
le mettre dans son contexte jurisprudentiel
puisqu’il était venu lui-même retoucher la
solution qu’avait adoptée un arrêt antérieur
rendu le 31 janvier 2008.
Dans ce dernier arrêt, la Cour de cassation
était confrontée à la même question, c'està-dire celle de déterminer le critère permettant d’apprécier la responsabilité de l’avocat
en cas de revirement de jurisprudence. Elle
avait choisi d’éviter toute prise de position
à ce sujet en se contentant de souligner
que l’avocat « n'engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un
moyen de défense inopérant » (Cass. 1re civ.,
31 janv. 2008, n° 04-20.151 : JurisData n°
2008-042514 ; JCP G 2008, II, 10074, note
H. Slim ; JCP G 2009, doctr. 295, n° 14, obs.
G. Pillet ; D. 2008, p. 488, obs. V. Avena-Robardet et p. 1448, note A. Aynès ; D. 2009, p.
1044, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD
civ. 2008, p. 442, obs. P. Deumier).
Elle n’a toutefois pas pu échapper trop longtemps à cette question. Ainsi, dans un arrêt
du 5 février 2009, elle a considéré qu’un
avocat, chargé de la rédaction d’une lettre
de licenciement, pouvait se voir reprocher
de n'avoir pas anticipé une évolution de
la jurisprudence dès lors que la décision
en cause ne constituait ni un revirement,
ni une évolution imprévisible de la jurisprudence (Cass. 1re civ., 5 févr. 2009, n° 0720.196 : JurisData n° 2009-046831 ; JCP G
2009, doctr. 295, n° 14, obs. G. Pillet).
Cet arrêt annonçait la prise de position que
la Cour de cassation allait adopter dans
son arrêt du 14 mai 2009 (préc.), en vertu
duquel elle a repris la même phrase qu’elle
avait utilisée dans son arrêt du 31 janvier
2008, c'est-à-dire que l’avocat « n'engage
pas sa responsabilité professionnelle en ne
soulevant pas un moyen de défense inopérant » en lui ajoutant toutefois, immédiatement après, que si aucune faute ne peut être
LA COUR - (…)
• Attendu selon l’arrêt attaqué, que la société allemande Büchel et
Co Fahrzeugteilefabrik GMBH (la société Büchel) a vendu des marchandises à la société Dangre cycles sous le bénéfice d’une clause
de réserve de propriété ; que la société Dangre cycles a été mise en
redressement judiciaire, puis en liquidation par jugements des 8 juin
1998 et 27 juillet 1998 ; que par lettre du 16 juin 1998, la société Büchel,
assistée de M. H., avocat associé au sein de la SCP Siméon et associés, a revendiqué les marchandises auprès de l’administrateur judiciaire qui a rejeté cette demande le 1er juillet suivant ; que par requête
du 8 octobre 1998, la société Büchel a saisi le juge-commissaire de la
demande, laquelle a été jugée forclose par une décision (CA Douai,
5 déc. 2002) désormais irrévocable (Cass. com., 28 sept. 2004, n° 0311.876) au motif que le délai de distance prévu à l’article 643 du code
de procédure civile n’est pas applicable à la demande en revendication portée devant la juge-commissaire ; que la société Büchel a, dans
ces conditions, engagé une action en responsabilité contre M. H. et la
SCP Siméon et associés aux droits de laquelle se présente le cabinet
Lovells Partnership ;
Sur le second moyen, pris en ses deux branches :
• Attendu que la société Büchel reproche à l’arrêt de la débouter de
sa demande indemnitaire dirigée contre le cabinet Lovells Partnership
venant aux droits de la SCP Siméon et associés (…) ;
• Mais attendu que les éventuels manquements de l’avocat à ses obligations professionnelles ne s’apprécient qu’au regard du droit positif
existant à l’époque de son intervention, sans que l’on puisse lui imputer à faute de n’avoir pas prévu une évolution postérieure du droit
consécutive à un revirement de jurisprudence ; qu’ayant constaté que
l’analyse juridique de l’avocat était conforme à la jurisprudence alors
en vigueur (Cass. 2e civ., 26 févr. 1997 : Bull. civ. 1997, II, n° 60), laquelle
énonçait qu’aucune disposition de la loi du 25 janvier 1985 et du dé-
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imputée à l'avocat « de ne pas avoir anticipé
une évolution imprévisible du droit positif », ce dernier « se doit de faire valoir une
évolution jurisprudentielle acquise dont la
transposition ou l’extension à la cause dont
il a la charge a des chances sérieuses de la
faire prospérer ».
La solution ne laissait pas indifférent. Elle
a été critiquée dans la mesure où la distinction entre un revirement prévisible et
un revirement imprévisible n’est pas chose
aisée et que l’extension d’une évolution
jurisprudentielle même acquise à un domaine autre que celui dans lequel elle a été
rendue ne l’est pas davantage. Il n’est donc
pas étonnant que la limite qui lui est apportée par l’arrêt commenté soit accueillie
avec soulagement. Il convient cependant
de remarquer que la solution retenue par
la Cour de cassation ne concerne que le
« droit positif » issu de la jurisprudence.
Elle n’exclut donc pas la possibilité que la
responsabilité d’un avocat soit retenue si
ce dernier ne tient pas compte, au moment
de son intervention, d’une évolution prévisible des textes législatifs ou réglementaires.
Néanmoins, même circonscrite au « droit
positif » issu de la jurisprudence, la solu-
cret du 27 décembre 1985 ne faisait exception aux règles de l’article
643 du (nouveau) code de procédure civile d’application générale à
défaut de dérogation expresse, la cour d’appel n’a pu qu’en déduire,
en présence du revirement opéré par l’arrêt du 28 septembre 2004
précité, que le professionnel du droit n’avait pas commis de faute ; que
le moyen est mal fondé en ses deux branches ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l’article 16, alinéas premier et deuxième, de la loi du 29 novembre
1966 modifiée relative aux sociétés civiles professionnelles ;
• Attendu, aux termes de ce texte, que chaque associé répond, sur
l’ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu’il accomplit
et que la société civile professionnelle est solidairement responsable
avec lui des conséquences dommageables de ces actes ; qu’il en résulte que l’action en responsabilité peut indifféremment être dirigée
contre la société ou l’associé concerné, ou encore contre les deux ;
• Attendu que pour accueillir la fin de non-recevoir soulevée par M. H.,
l’arrêt énonce, par motifs propres et expressément adoptés, que l’avocat était intervenu dans la procédure opposant la société Büchel à la
société Dangre cycles, non à titre individuel, mais en tant que membre
de la SCP Siméon et associés puis du cabinet Lovells, en sorte que
l’action dirigée contre lui personnellement était irrecevable ;
Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a, par refus d’application, violé le
texte susvisé ;
Par ces motifs (…)
• Casse et annule, mais seulement en ce qu’il juge irrecevable la demande indemnitaire formée par la société Büchel et Co Fahrzeugteilefabrik contre M. H. (…) pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d’appel de Versailles. (…)
M. Charruault, prés., M. Jessel, cons.-réf.-rapp., M. Domingo, av. gén. ;
Me Blondel, SCP Boré et Salve de Bruneton, av.
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tion retenue n’écarte pas toute difficulté
en la matière car l’identification des règles
qui découlent de ce droit n’est pas toujours
commode.
2. L’identification du droit positif
Le « droit positif » inclut à l'évidence les
évolutions acquises de la jurisprudence.
L’identification de ce droit ne devrait donc
pas poser de difficulté lorsqu’une évolution
est suffisamment avancée ou suffisamment
claire. Cependant, la jurisprudence n’est
pas une matière figée, elle est constamment
en cours de construction ou de déconstruction (S. Carval, obs. préc.).
Appelé ainsi à décider, conformément à la
solution adoptée par l’arrêt commenté, si
un avocat a pris en considération le droit
positif existant au moment de son intervention, le juge est nécessairement conduit à
effectuer une reconstitution historique
de l’évolution de ce droit. Il s’agit, plus
précisément d’une appréciation a posteriori de ce qu’était l’état de la jurisprudence à un moment donné.
Cette appréciation comprend nécessairement un certain degré de subjectivisme
compte tenu des paramètres à prendre
en considération et de l’incertitude qui
pourrait être celle du droit positif à un
moment donné. Un arrêt, considéré par
certains comme reflétant le droit positif,
peut ainsi être jugé par d’autres comme un
simple arrêt d’espèce. De même, si pour
certains, seuls les arrêts de la Cour de cassation mériteraient d’être pris en compte
pour identifier le droit positif, d’autres
pourraient ne pas écarter ceux des cours
d’appel. On voit bien, à la lumière de ces
considérations, la difficulté de fixer quelquefois le moment précis auquel intervient
un revirement.
Ainsi, même dans l’espèce qui a donné
lieu à l’arrêt du 14 mai 2009 (préc.), l’avocat mis en cause avait fait valoir, en dépit
de la renommée de l’arrêt Costedoat rendu
par l’assemblée plénière le 25 février 2000
(Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, n° 97-17.378 :
JurisData n° 2000-000650 ; JCP G 2000, II,
10295, concl. R. Kessous et note M. Billiau ;
Resp. civ. et assur. 2000, comm. 11, H. Grou-
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tel ; Resp. civ. et assur. 2000, comm. 22, C.
Radé ; RTD civ. 2000, p. 582, obs. P. Jourdain ; D. 2000, p. 673, note P. Brun), que
l'extension de l'immunité au bénéfice du
préposé condamné pénalement n'avait été
acquise que plus tard par un arrêt de la
chambre criminelle de 2001. Une doctrine
autorisée (P. Brun : D. 2010, p. 56) a relevé
à cet égard, qu’en réalité, s'agissant précisément de l'hypothèse du préposé titulaire
d'une délégation de pouvoir, la chambre
criminelle a, à deux reprises, eu l'occasion, postérieurement à l’arrêt Costedoat,
de décider que l'immunité ne jouait pas
dans ce cas (Cass. crim., 28 mars 2006, n°
05-82.975 : JurisData n° 2006-033184 ; Bull.
crim. 2006, n° 91 ; D. 2006, p. 1252 ; RTD
civ. 2007, p. 135, obs. P. Jourdain ; JCP G
2006, II, 10188, note J. Mouly. – Cass. crim.,
13 mars 2007, n° 06-85.422, D : JurisData n°
2007-038442 ; Resp. civ. et assur. 2007, étude
13, A. Vialard).
Dans l’arrêt objet du présent commentaire,
la situation était également complexe. La
question était de savoir si l'allongement des
délais de procédure, au bénéfice des plaideurs demeurant hors du territoire métropolitain prévu à l’article 643 du Code de
procédure civile, était applicable au délai
du recours en opposition contre les ordonnances du juge-commissaire fixé à l’époque
à un mois par l'article 85-1 du décret n° 851387 du 27 décembre 1985. L'article 643
du Code de procédure civile précise que
le délai de distance s'applique aux « délais
de comparution, d'appel, d'opposition, de
recours en révision et de pourvoi en cassation ». Cependant, l'article 645 du même
code le contredit en disposant que le délai
de distance s'applique toutes les fois qu'il
n'y est pas dérogé.
En présence de cette contradiction, la Cour
de cassation avait décidé, dans un arrêt du
26 février 1997, que les délais de distance
s’appliquent « dans tous les cas où il n'y est
pas expressément dérogé » et « qu'aucune
disposition de la loi du 25 janvier 1985 et
du décret du 27 décembre 1985 n'exclut
l'application des règles générales de l'article
643 du nouveau Code de procédure civile »
(Cass. 2e civ., 26 févr. 1997, n° 94-19.233 :
JurisData n° 1997-000772 ; Bull. civ. 1997,
II, n° 60). Mais, en 2004, à l’occasion du
pourvoi formé par la société allemande
contre la décision de la cour d’appel de
Douai qui avait confirmé la décision de
rejet du juge-commissaire, la Cour de cassation a changé de cap. Elle a décidé « que
l'augmentation du délai prévu par l'article
643 du nouveau Code de procédure civile
ne s'applique pas à l'action en revendication
portée devant le juge-commissaire » (Cass.
com., 28 sept. 2004, n° 03-11.876 : JurisData
n° 2004-024985 ; Bull. civ. 2004, IV, n° 171).
L’on peut comprendre, compte tenu de la
contradiction que recèlent les articles 643
et 645 du Code de procédure civile, des
réserves formulées par la doctrine quant à
la compatibilité des délais de distance avec
les nouveaux moyens de communication et
du caractère spécial de la procédure relative
à la revendication dans le domaine des procédures collectives, que la société allemande
ait pu en l’espèce s’attendre à une prudence
accrue de la part de son avocat, une prudence qui lui aurait évité le risque de voir sa
demande en revendication jugée forclose.
Mais, en décidant, en dépit de ces facteurs,
que seul devait être pris en considération
pour apprécier la responsabilité dudit avocat le droit positif en vigueur à l’époque de
son intervention et en estimant que ce droit
positif était celui résultant de son arrêt du
26 février 1997 (préc.), la Cour de cassation
a tranché en faveur du professionnel du
droit.
Le soulagement que l’arrêt commenté
pourrait induire ne devrait toutefois pas être
surestimé. Si cet arrêt libère les avocats,
dans une large mesure, du devoir d’anticipation auquel les avait soumis l’arrêt
du 15 décembre 2009 (préc.), il confirme
néanmoins l’existence à leur charge
d’un devoir tout aussi redoutable, celui
d’identifier, à un moment donné, l’état
du droit positif résultant de l’évolution
jurisprudentielle. À la réflexion, ce dernier devoir n’est pas fondamentalement,
dans certaines circonstances, moins exigeant que le devoir d’anticipation.
Textes : CPC, art. 643
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 7 - 13 FÉVRIER 2012