Responsabilité de l`agent immobilier

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Responsabilité de l`agent immobilier
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Responsabilité de l’agent immobilier : manquement à
son obligation de conseil
le 16 octobre 2013
AFFAIRES | Assurance
IMMOBILIER | Assurance | Fiscalité immobilière
La responsabilité d’un agent immobilier, dans la commercialisation de produit de défiscalisation et
au titre de son obligation de conseil, peut être retenue dès lors que sa plaquette publicitaire utilise
des termes spécifiques, tels que « loyers garantis ».
Civ. 1re, 2 oct. 2013, FS-P+B, n° 12-20.504
Il est des mots dont il faut prendre garde à l’usage, spécialement dans un document publicitaire. «
Loyers garantis », par exemple, ou encore « loyers nets de charge » sont de ces expressions dont le
sens est lourd et à même de convaincre un investisseur dubitatif face à un produit peut-être un peu
complexe ou, au moins, suscitant la réflexion. Un agent immobilier vient d’en faire l’expérience,
devant la première chambre civile, dans cet arrêt publié du 2 octobre 2013. Encore une décision qui
vient nourrir le contentieux de la responsabilité des agents immobiliers au titre de leur obligation
de conseil, lequel prend aujourd’hui un tour numérique assez important (V. l’importante étude, à ce
sujet, de P. Pillet, L’obligation d’information et de conseil de l’agent immobilier à l’égard de
l’acquéreur, AJDI 2008. 263 ; ibid. 366 ).
Était en cause, en l’espèce, le dispositif Demessine, mis en place à l’occasion de la loi de finances
pour 1999 et ayant vocation à stimuler l’investissement dans ce qu’il était convenu de dénommer :
« zone de revitalisation rurale ». L’opération passait par l’acquisition d’un appartement sis dans une
résidence touristique, elle-même située au sein d’une de ces zones, et par la souscription
immédiate d’un bail commercial, pour cet appartement, au profit d’une société d’exploitation,
chargée de sous-louer ce bien en location saisonnière. Une opération assez classique, somme toute,
que l’on décline encore aujourd’hui dans divers secteurs, par exemple les résidences hôtelières, et
pas nécessairement à des fins fiscales. Les époux acquéreurs du bien étaient supposés percevoir
leur loyer commercial tandis que le preneur s’occupait de la gestion quotidienne, sous-louait, etc.
La difficulté venait de ce que la société preneuse avait été placée en liquidation judiciaire. Et le bail
avait, certes, été repris mais à des conditions nettement désavantageuses, ce qui générait pour les
acquéreurs une perte financière. Aussi, ceux-ci se sont-ils plaints de ce que l’agence immobilière,
spécialisée dans l’immobilier de placement, avait manqué à son obligation d’information et de
conseil en ne les ayant pas éclairés dans cette opération.
C’est aussi l’avis de la cour d’appel, approuvé par la Cour de cassation. Selon cette dernière, la cour
d’appel a fort justement énoncé qu’un agent immobilier qui s’entremet habituellement dans des
opérations immobilières de placement se doit d’informer et de conseiller l’acquéreur éventuel sur
les caractéristiques de l’investissement qu’il lui propose et sur les choix à effectuer. Cette première
affirmation correspond à une jurisprudence devenue aujourd’hui classique (sur la reconnaissance
d’une obligation de conseil pesant sur l’agent immobilier, V., encore récemment, Civ. 3e, 20 nov.
2012, no 11-23.612, AJDI 2013. 65 ; ès qualités de rédacteur d’acte, Civ. 1re, 4 mai 2012, no
11-16.328, AJDI 2012. 535 ), et s’inscrit dans la droite ligne de ce que l’agent immobilier peut aussi
se révéler un « prescripteur » d’investissement. Or toute la difficulté, en l’espèce, était que la
plaquette commerciale vantant ce dispositif Demessine utilisait des termes dénués de toute
équivoque. En effet, on y affirmait la « perception de loyers nets de charge », lesquels seraient «
garantis par un bail minimum de neuf ans, quel que soit le taux d’occupation de la résidence ». Or
ces expressions étaient de nature à convaincre les acquéreurs, de surcroît non avertis, que « ce
type de montage présentait des caractéristiques de sécurité et de rentabilité certaine ». Et la cour
d’appel de poursuivre en estimant que l’agent aurait dû les alerter sur l’éventualité d’une
déconfiture du preneur à bail commercial et les risques corrélatifs ayant un impact sur la fiabilité
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annoncée du placement. Et, effectivement, en pratique, ces produits ne sont pas sans risque. La
faillite du preneur, certes, le plus souvent, une importante société immobilière, peut toujours
survenir. Et ce risque ruine alors la sécurité du mécanisme. Aussi est-il primordial de le rappeler et
ce, aussi d’un point de vue commercial.
Dans cet arrêt, il est également question du préjudice subi. Il ne saurait s’agir d’une simple perte
de chance, comme le prétendaient les auteurs du pourvoi. En effet, selon la Cour de cassation, il
résulte avec certitude des motifs de la cour d’appel de ce que les acquéreurs auraient refusé de
souscrire à cet investissement, s’ils avaient été correctement informés de ses aspects les moins
favorables.
Enfin, le dernier enseignement de la décision a trait aux rapports des acquéreurs avec l’assureur en
responsabilité professionnelle dont la souscription est rendue obligatoire par l’article 3, 3°, de la loi
n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 49 de son décret d’application. La Cour de cassation rappelle qu’en
application de ces deux textes et d’un troisième émanant de l’arrêté fixant les conditions minimales
que doit comporter la garantie, « l’assurance obligatoire de responsabilité professionnelle doit, pour
satisfaire aux conditions minimales de garanties prescrites […], ne pas comporter de franchise
supérieure à 10 % des indemnités dues ». « En cas d’opposition ou de différence entre les termes
du contrat d’assurance et ceux des conditions minimales de garantie, l’assuré bénéficie de celles
de ces dispositions qui lui sont le plus favorables ». L’impossibilité de dépasser le taux de 10 % est
donc d’ordre public, ce que rappelle expressément la Cour de cassation. Aussi, la franchise
excédant le taux réglementaire n’était pas opposable à l’assuré, et donc aux tiers victimes. Il est
important de ne pas vider le contrat de sa substance, et d’en faire une sorte de « coquille vide » (V.
Y. Lambert-Faivre, De la licéité des obligations d’assurance réglementaires et des limitations de
garantie dans le temps et en montant, D. 2001. 1265 ).
par Thibault de Ravel d’Esclapon
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