Victo pour écouter: Zorn, Zorn, Zorn… Bagatelles

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Victo pour écouter: Zorn, Zorn, Zorn… Bagatelles
Victo pour écouter: Zorn, Zorn, Zorn… Bagatelles
Dimanche 22 mai 2016
Depuis les années 80, il vient régulièrement à Victo afin d’y dévoiler une partie congrue de sa création. Samedi
soir, neuf configurations récentes présentaient une série de nouvelles pièces s’inscrivant dans son oeuvre
colossale. À 62 ans, que peut encore nous dire John Zorn ? En tout cas, quelques centaines de nouvelles pièces
ont été composées en 2015, corpus à l’intérieur duquel il a pigé pour les trois programmes présentés au FIMAV
sous la bannière Bagatelles.
Après tant d’années, il y a peu de bouleversements apparents dans les différents aspects de son expression, on
peut néanmoins débusquer une foule de nouvelles variables dans les détails de formes connues et apprivoisées
par les mélomanes. À ce stade de sa carrière, la créativité de Zorn se fonde sur les petits aménagements
d’avenues déjà pavées. Les grands compositeurs qui ne cessent de travailler leur vie durant produisent très
souvent une impression de redondance sur le long terme, du moins le constate-t-on dans les évaluations de
créateurs « horizontaux » tels Bob Dylan, Prince, Neil Young, Jean-Louis Murat, Frank Zappa, Duke Ellington, Steve
Coleman, Joni Mitchell et autres John Zorn. Il s’en trouve aussi pour suggérer que ce type d’oeuvre ne peut être
circonscrite à une période précise, à des concerts ou enregistrements précis. C’est plutôt dans la macroobservation qu’on arrive à dégager les qualités de ce travail. Quoi qu’on en pense, voici un court résumé des trois
programmes présentés samedi. En tout, quatre heures et demie de zizique !
* La pianiste Sylvie Courvoisier et le
violoniste Mark Feldman ont exprimé
la dimension contemporaine et
atonale du compositeur, écriture
spasmodique, abrupte, percussive,
très exigeante techniquement, le tout
ponctué par des épisodes mélodiques
néo-classiques ou inspirés du
patrimoine sémite auquel John Zorn
est toujours attaché.
* Formé de Will Greene,
guitare, Simon Hanes, basse , Aaron
Edgcomb, batterie, le trio Trigger
suggère un éclairage rajeuni au volet hardcore de l’univers zornien, que l’on connaît depuis les années 90. Il
recrutait alors chez The Melvins et Mr. Bungle pour exprimer la part la plus furieuse de son art.
Depuis lors, ça se poursuit et ces nouveaux interprètes qui se prêtent à l’interprétation de nouvelles pièces dans
une esthétique rock-jazz-métal-punk-cartoon. Encore là, les coefficients de difficulté sont très élevés, on n’a
vraiment plus le rock et le jazz-rock qu’on avait, mais cette avenue ne suscite plus d’étonnement, en ce sens que
cette esthétique est désormais intégrée, digérée, et des interprètes d’enfer se l’approprient. La qualité du jeu et
les petits détails que révèlent ces musiciens s’adressent aux vrais amateurs de hardcore intello. Quoi qu’on pense
de ce nouveau chapitre hardcore zornien, on reparlera certainement de Trigger au cours des années à venir.
* Le quartette de la pianiste canadienne Kris Davis (Drew Gress, contrebasse, Mary Halvorson, guitare, Tyshawn
Sorey, batterie) a aussi transcendé les nouvelles pièces du répertoire zornien, elle réussit au piano à rendre
l’articulation très dense et les soubresauts rythmiques que commandent la musique de zorn. En relation avec la
guitariste Halvorson et une section rythmique hors du commun, Kris Davis donne un autre éclairage à cette
oeuvre colossale. Depuis quelques années, la pianiste transplantée de Vancouver à New York est en train de faire
sa marque dans la Grosse Pomme, nous allons désormais nous y intéresser de manière soutenue car elle a déjà
une solide discographie que vous pouvez découvrir sur son site officiel.
* Quant à la prestation solo de Craig Taborn,
on peut vraiment parler d’une rencontre
entre son esthétique, sa façon de phraser,
d’improviser, de faire sonner le clavier, son
articulation, son attaque, et les pièces de Zorn
dont il avait la tâche d’interpréter. Vraiment
très bien, à la hauteur de ce grand musicien
qu’on aime retrouver. De toutes les
prestations au trois programmes de
Bagatelles, c’est probablement celle où les
deux personnalités en jeu se sont le plus
confondues.
* Consacré aux guitares acoustiques, cordes de nylon chez Gyan Riley et cordes de métal chez Julian Lage,
l’épisode suivant ouvrait la porte à des espaces moins connus de John Zorn. On en reconnaissait la patte, et le
compositeur avait adapté ses équations à la nature des instruments en jeu, ce qui produisait un spectre sonore
unique. Bon, peut-être quelques enchevêtrements au programme, il faudra écouter ces pièces à quelques
reprises pour en déterminer avec exactitude les intentions de leur compositeur. Et aussi la qualité, dans le
contexte des oeuvres contemporaines pour guitare. D’entrée de jeu, en tout cas, ce fut plus qu’acceptable.
* Pour ce qui est du trio de John Medeski, on était davantage en terrain connu: membre régulier des formations
zorniennes, il adaptait fort bien le trio classique pour Hammond B3, guitare et batterie. Croyez-moi, on n’était pas
chez Jimmy Smith ! Ce que David Fiuczynski et Calvin Weston avaient à jouer aux côtés de John Medeski était
généralement musclé, viril, paroxystique, hyperactif. Et pas très loin de plusieurs expériences sonores auxquelles
John Zorn nous a conviés par le passé.
* La guitariste Mary Halvorson était de retour avec son propre quartette constitué de Miles Okazaki , guitare,
Tomas Fukiwara, batterie, Drew Gress, contrebasse. Les avis sont partagés à ce titre : ou bien on croit que les
deux discours guitaristiques produisaient ce que le compositeur désirait exprimer, ou bien on estimait que le
contrepoint des guitares manquait de clarté. Pour ma part, j’ai plutôt apprécié les jeux complémentaires et la
progression technique évidente de la leader. Quelques réserves, cependant, dans son usage des pédales d’effet …
qu’elle ne maîtrise peut-être pas encore tout à fait.
* Pour ce qui est du tandem que formaient Uri Caine, piano, et John Medeski, Hammond B3, et bien nous étions
dans la continuité zornienne pour deux claviers bien connus du compositeur : suite infernale de miniatures
presque cartoonesque, avec citations rigolotes (Peter Gunn et Stravinsky) et mélange des genres – blues, jazz,
free, latin, boogaloo, etc.
* Pour terminer le tout, c’était le trio Asmodeus impliquant le célébrissime guitariste Marc Ribot, le bassiste
Trevor Dunn et le batteur Tyshawn Sorey. Deuxième power trio de ce triple programme, et des propositions
somme toutes assez proches dans la structure et différentes dans l’interprétation, surtout côté Ribot… qui avait
Zorn sur le dos tout au long de l’exécution – pourquoi, au fait, n’avoir dirigé qu’une de ses neuf Bagatelles ?
Mystère… Voilà le travail d’une autre génération, depuis longtemps membres de la famille élargie. Très
important, d’ailleurs, de pouvoir compter sur une telle tribu de grands interprètes et improvisateurs si on veut
durer aussi longtemps dans la pertinence.
http://blogues.lapresse.ca/brunet/2016/05/22/victo-pour-ecouter-zorn-zorn-zorn-bagatelles/

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