texte intégral - Fondation Maison des sciences de l`homme

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texte intégral - Fondation Maison des sciences de l`homme
PREFACE
UNE HISTOIRE CROISEE
Pour le peintre Cícero Dias et le
musicologue Luiz Heitor Corrêa de
Azevedo, Brésiliens de Paris.
Ce numéro des Cahiers du Brésil Contemporain reflète le travail d’une équipe
pluridisciplinaire qui s’attelle depuis plus de quatre ans à comprendre les relations qu’entretiennent
deux peuples et deux cultures. Cette publication ne montre qu’un échantillonnage des axes de
recherches qui s’appuient sur un vaste inventaire de données bibliographiques, iconographiques et
biographiques traitées dans la Banque de Données multimédia France-Brésil. Cette banque de
données réalisée sous la responsabilité de Mario Carelli, grâce à l’appui du «Projet France Brésil»
du Ministère des Affaires Etrangères, peut être consultée au Centre du Brésil Contemporain de la
Maison des Sciences de l’Homme. Elle est également installée à l’lnstituto de EstudosAvançados de
l’Université de São Paulo où une équipe symétrique à la notre travaille sous la direction de Leyla
Perrone-Moisés et à la Casa França Brasil de Rio de Janeiro.
En effet, notre premier souci a été de constituer un «fonds de culture commune» sur l’histoire
croisée entre ces deux pays. Nous voulons pour mieux déchiffrer l’état actuel des relations
franco-brésiliennes nous situer dans la longue durée et partir des rencontres originelles qui
nourrissent l’imaginaire et donc l’horizon d’attente ultérieurs
Pendant un an, nous avons exploré les récits de voyages en essayant de systématiser la
poétique de ce genre littéraire, ce qu’Hartog appelle avec bonheur « la rhétorique de l’altérité ». En
plus de la contextualisation des textes nous avons insisté sur le jeu des représentations qu’engendre
la confrontation de ceux-ci avec les illustrations. Ces recherches ont débouché d’abord dans
l’exposition « Jean-Baptiste Debret, un peintre philosophe sous les tropiques » au Musée de la Seita
en 1987 puis dans la récente exposition «La mission française de 1816 et les peintres voyageurs» de
la Casa França-Brasil de Rio de Janeiro. Pour diversifier notre propos, nous avons reçu de
I’Université de São Paulo une exposition sur la «Vision du Noir dans l’iconographie européenne du
XIXe siècle», conçue par Maria. Luiza Tucci Carneiro et Boris Kossoy. Parmi les visions singulières
du Brésil nous présentons pour l’heure celle d’Hercule Florence, «I’inventeur en exil».
Mais nous tenions également à ne pas nous cantonner à la vision européenne. Parmi tous ceux
qui ont proposé un discours brésilien sur l’Europe depuis Araújo Porto-Alegre jusqu’à António de
Alcântara Machado, Nisia Floresta méritait, par l’originalité de sa démarche de femme marquée par
le positivisme, d’illustrer ce «regard inversé» qu’étudie Ligia Fonseca Ferreira.
Ne se limitant pas aux représentations réciproques, notre groupe de recherche s’est également
intéressé à la réappropriation brésilienne des grands mouvements de pensée élaborés en France.
Nous avons donc été impliqués dans l’organisation d’un colloque sur «Auguste Comte, philosophie
et révolution» qui, en 1989, à 1’occasion du centenaire de la proclamation de la république
brésilienne, a mis à plat la part du positivisrne dans la formation de «l’âme» nationale brésilienne.
La transplantation du corps de doctrine comtien eut au Brésil une fécondité réelle. D’où l’article
d’Helgio Trindade sur la «dictature républicaine» dans l’état du Rio Grande do Sul. Cette
réappropriation est parfois artificielle, notamment lorsqu’elle veut modeler la conscience nationale à
travers un système symbolique français qui ne prend pas (voir notre étude sur l’indéfinition de
l’allégorie féminine du Brésil).
Cahiers du Brésil Contemporain, 1990, n°12
Mario CARELLI
Cette toile de fond sur les débats idéologiques est indispensable pour la compréhension à la
transformation des modèles esthétiques transplantés au Brésil Dans le domaine de l’architecture
Heliana Salgueiro Angotti étudie l’exemple de la conception art-déco de la capitale du Minas
Gerais, Belo Horizonte. Les Brésiliens du XXe siècle ont su s’approprier des mouvements de
modernité qui leur ont servi de références contre-acculturatives pour l’affirmation de leur propre
identité aussi bien dans la musique savante (c£ article de Carolina Magalhaes) que dans la peinture.
Comme le montrent Gloria Ferreira et Inês de Araujo, la marque «structurante» d’André Lhote et de
Fernand Léger sur les artistes brésiliens depuis le modernisrne des années 1920 n’a pas empêché ces
derniers de construire leur univers spécifique. Dans le domaine des intéractions artistiques nous
avons tenu à montrer des transferts culturels dans les deux sens, ce qui est particulièrement frappant
dans le théâtre (Armindo Bião) et surtout dans la «francisation» de la musique populaire de «la
matchiche » à la «lambada» (Ariane Witkowski).
L’itinéraire de Ludovic Surgus, géomètre immigré dans le Paraná, est bien atypique puisque le
peuplement de ces régions fut l’apanage des Italiens et des Allemands (Raimunda de Brito Batista).
La présence française, par moments tout à fait hégémonique, se fit sentir non pas tant par les
ressortissants expatriés que par le développement de la «civilisation», en particulier dans le domaine
médical (Monique Le Moing).
Nous nous devions de rappeler grâce aux recherches de Jean-Paul Lefebvre l’importance des
missions universitaires françaises au Brésil. Elles sont à l’origine non seulement de liens
scientifiques très privilégiés entre les deux communautés académiques, mais encore elles ont
transformé le discours français sur le Brésil. Roger Bastide, Fernand Braudel, Claude Lévi-Strauss,
Pierre Monbeig, Charles Morazé et tant d’autres ont en effet inauguré une ère de connaissance
réciproque dont les brésilianistes français sont loin d’avoir exploré toutes les conséquences.
Cartographes d’un vaste territoire d’échanges asymétriques, nous cherchons tout d’abord à
inventorier, à mesurer et à comparer des données multiples qui, analysées avec des exigences
disciplinaires propres, s’éclairent réciproquement L’anthropophagie culturelle brésilienne nous
frappe par sa voracité et son pouvoir de métamorphose des modèles français. Dans certains
domaines, en particulier la musique, la France n’est pas de reste et cannibalise bs apports de là-bas.
Mario CARELLI

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