Le démembrement de propriété sur les titres sociaux

Transcription

Le démembrement de propriété sur les titres sociaux
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
droit
Le démembrement de propriété
sur les titres sociaux
Le présent article apporte une réflexion supplémentaire, sur certains
points, aux articles publiés dans la RFC sur le même sujet en avril et en
juillet-août 2010.
1. La qualité d’associé
1.1 Le nu-propriétaire
est-il un associé ?
Le nu-propriétaire est incontestablement
un associé. La Cour de cassation l’affirmait déjà dans un arrêt du 8 novembre
1967. Elle le confirme dans l’arrêt “de
Gaste“ du 4 janvier1994 par ces termes :
« Aucune dérogation n’est prévue concernant le droit des associés et donc du nupropriétaire de participer aux décisions
collectives ».
Elle ne fait que confirmer la qualité d’associé du nu-propriétaire reconnue par elle
depuis trente ans sans que l’on puisse en
tirer la conclusion que l’usufruitier n’est
pas un associé. Elle ne dit pas que seul
le nu-propriétaire est un associé. En effet,
les mots “et donc“ ne font que confirmer
cette qualité. Il n’est pas écrit “et donc
Résumé de l’article
Le nu-propriétaire est un associé.
La Cour de cassation n’a jamais dit
ni voulu dire que l’usufruitier n’était
pas un associé. Prudence: la question reste entière.L’assemblée générale ordinaire approuve les comptes
annuels et constate l’existence de
sommes distribuables (pouvoirs
reconnus au nu-propriétaire dans
les SARL, SNC, sociétés civiles et à
l’usufruitier dans les SA, SAS, SCA,
sauf décisions contraires des statuts). La décision d’affectation du
bénéfice n’est pas distincte de la
décision de distribution. Elle relève
du seul pouvoir de l’usufruitier.
L’usufruitier appréhende le bénéfice
de l’exercice. Appréhende-t-il aussi
le bénéfice distribuable ? La loi et
la jurisprudence n’en disent mot.
Les statuts peuvent remédier à ce
silence. Un nu-propriétaire privé de
dividendes réservés de par la loi et
les statuts uniquement à l’usufruitier
ne peut invoquer l’abus de majorité.
L’article présente les arguments justifiant ces positions.
40
des seuls nus-propriétaires“ ni “et donc
uniquement du nu-propriétaire“.
La question posée à la Cour de cassation
n’était pas de savoir si l’usufruitier avait
la qualité d’associé, mais si les statuts
attribuant l’intégralité des droits de vote
à l’usufruitier pouvaient empêcher un
nu-propriétaire d’y participer. Réponse
négative au regard de l’article 1844 du
Code civil alinéa 1 : « Tout associé a le
droit de participer aux décisions collectives ».
1.2 L’usufruitier est-il un associé ?
1.2.1 Au regard de la jurisprudence
La question n’est pas tranchée à ce jour
comme le pensent certains auteurs dont
le cabinet Francis Lefebvre 1.
Il est impossible d’affirmer avec certitude que la Cour de cassation, dans son
arrêt du 29 novembre 2006 n° 05-17009,
a estimé que la cession de la nue-propriété des titres par un associé lui faisait
perdre sa qualité d’associé. Pour quelles
raisons?
a) La Cour de cassation n’a jamais eu
à se prononcer sur la qualité d’associé de l’usufruitier. Un arrêt de Cour
de cassation s’analyse à la lumière des
moyens invoqués par la partie qui a fait
pourvoi, car c’est à ces moyens et à
ceux-là seuls que la Cour répond. Aucun
des trois moyens invoqués par la partie
qui a fait pourvoi ne conteste la qualité de non-associé d’un usufruitier. Au
contraire, dans leur troisième moyen, le
preneur lui-même ne se reconnaît pas la
qualité d’associé : « Attendu que Mmes
Z et A font grief à l’arrêt de prononcer
la résiliation des baux, alors, selon le
moyen (…) 3°) qu’en toute hypothèse,
l’usufruitier peut exercer certaines prérogatives attachées à la qualité des
associés sans pour autant avoir cette
qualité (…) ».
1. F. Lefebvre, Mémento du Patrimoine 2010,
n° 3162, page 144, alinéa a du paragraphe
Précisions. J. Prieur, R. Mortier, S. Schiller, T.
Revet, La Semaine Juridique 11 juin 2010 n°
23, paragraphe 16 page 39.
// N°436 Octobre 2010 // Revue Française de Comptabilité
Par Joël GAZULLA,
expert-comptable
conseil en stratégie patrimoniale
directeur de JG Formation
b) La Cour de cassation n’avait à se
prononcer que sur l’application des
dispositions de l’article L 411-37 du
Code rural. Celui-ci dispose que le
preneur associé d’une société à objet
principalement agricole peut mettre à
la disposition de celle-ci tout ou partie
des biens dont il est locataire. Le preneur qui reste seul titulaire du bail doit,
à peine de résiliation, continuer à se
consacrer à l’exploitation du bien loué
mis à disposition, en participant sur
les lieux aux travaux de façon effective et permanente. Autrement dit, deux
conditions doivent être remplies par le
preneur à bail pour la validité de l’apport : être associé et participer à l’exploitation.
La Cour de cassation, prenant acte que la
cour d’appel avait constaté que la qualité
d’associé manquait, a inéluctablement
rejeté ce pourvoi voué à l’échec dès le
départ.
Conseil
Le professionnel restera donc prudent
et devra prévoir, par exemple, que l’usufruitier détienne au moins une part en
pleine propriété (pour les sociétés où il
est exigé la présence d’au moins deux
associés).
Au demeurant, il n’est nul grand et impératif besoin de savoir si l’usufruitier est
associé vu les moyens juridiques dont
on dispose pour en faire un réel “associé“ :
- a minima d’abord : l’article L 225-110
du Code de commerce prévoit que
l’usufruitier (dans les SA, SAS et SCA)
a le droit de vote dans les assemblées
générales ordinaires ;
- a maxima ensuite : la Cour de cassation (chambre commerciale 2 décembre
2008 n° 08-13185) lui a reconnu la possibilité de disposer statutairement de
droit
tous les droits de vote à la condition que
le nu-propriétaire soit convoqué à l’assemblée pour y participer. Cette possibilité concerne toutes les sociétés civiles
et commerciales.
Ces deux bornes légales et jurisprudentielles, bien appliquées, offrent une réelle
sécurité juridique.
1.2.2 Au regard des dispositions
du Code civil
La lecture de l’article 1844-5 du Code civil
permet-elle d’en déduire que l’usufruitier
n’est pas un associé ? Que dit cet article ?
Alinéa 1 : « La réunion de toutes les parts
sociales en une seule main n’entraîne pas
la dissolution de plein droit de la société.
Tout intéressé peut demander cette dissolution si la situation n’a pas été régularisée
dans le délai d’un an ».
Alinéa 2 : « L’appartenance de l’usufruit de
toutes les parts sociales à la même personne est sans conséquence sur l’existence de la société ».
Henri Royal 2 écrit : « Est-il illogique d’en
déduire que l’usufruitier n’a pas la qualité
d’associé ? ». Bien que non exprimée par
l’auteur, il semble que la logique réside dans
le fait que si l’usufruitier avait la qualité d’associé, l’alinéa 2 n’aurait pas de raison d’être
(la société serait alors constituée d’un usufruitier associé et au moins d’un nu-propriétaire associé, donc de deux associés). Mais
n’est-il pas tout aussi illogique d’en déduire
que l’usufruitier a la qualité d’associé ?
Cette logique peut exister également
au regard de l’alinéa 1 de l’article 1832
du Code civil qui édicte que « la société
est instituée par deux ou plusieurs personnes ». Autrement dit, pour qu’une
seule des personnes associées à l’origine
se retrouve usufruitière de la totalité des
parts, il faut qu’elle ait acheté ou reçu un
usufruit de l’autre associé.
Exemple
Un associé A échange sa nue-propriété
des parts 1 à 5 contre l’usufruit des parts
6 à 10. La situation est alors la suivante :
A se retrouve seul usufruitier et B se
retrouve seul nu-propriétaire. Faut-il en
conclure logiquement que le risque de
l’alinéa 1 de l’article 1844-5 s’applique ?
Non, car la loi ne distingue pas selon la
cause de la réunion de l’usufruit entre les
mains d’une seule personne.
L’alinéa 1 de l’article 1844-5 édicte que
la présence d’un seul associé au sein
d’une société (exception des EURL,
SASU, EARL à associé unique) peut
entraîner une demande de dissolution.
Or, la détention de l’usufruit des parts
sociales entre les mains d’une seule
personne est sans conséquence sur
l’existence de la société, donc sans
risque d’une demande de dissolution
de la société. C’est donc que l’usufruitier a la qualité d’associé. Sinon, à
défaut de cette qualité, on se trouverait
en présence d’un seul nu-propriétaire,
donc d’un seul associé, l’alinéa 1 s’appliquerait automatiquement et donc il
y aurait des conséquences éventuelles
sur l’existence de la société (dissolution
possible).
L’alinéa 2 précise qu’une même personne
peut détenir l’intégralité de l’usufruit des
parts sociales. Donc, la nue-propriété
des parts sociales peut être détenue par
une seule personne. En effet, l’alinéa 2
ne mentionne pas « à la condition qu’il y
ait au moins deux nus-propriétaires ». Ce
serait ajouter au texte que de supposer
comme présumée cette condition.
Enfin, l’article 1844-5 est issu de la loi
du 5 janvier 1978, soit bien avant que le
législateur n’autorise la société unipersonnelle (article 1832 alinéa 2 institué
le 11 juillet 1985). Le législateur a-t-il
volontairement ou non omis de modifier
l’article 1844-5 à ce moment-là ?
De même, l’article 132-12 du Code de
commerce dispose que « l’assemblée
générale détermine la part attribuée aux
associés sous forme de dividendes ».
Autrement dit, comme l’usufruitier
est le bénéficiaire des dividendes (au
moins de ceux résultant du bénéfice de
l’exercice), il est donc reconnu par la loi
comme étant un associé à part entière.
La logique du droit est plutôt sinueuse.
Il n’y a pas toujours, loin s’en faut, prévalence de l’alinéa précédent sur l’alinéa
suivant, ni de déduction logique à faire
entre alinéas !
1.2.3 Au regard des dispositions
fiscales
L’article RFC de juillet-août 2010 invoque
(paragraphe 1.2 page 38) la position de
l’administration fiscale (instruction BOI 5
D-2-07 du 23 mars 2007) qui ne reconnaît
pas la qualité d’associé à l’usufruitier. Mais
il ne s’agit que d’une position de l’administration avec la seule valeur qu’elle a :
une valeur interprétative susceptible d’être
contestée. L’administration fiscale ne fait
pas le droit civil ni la jurisprudence civile,
et aucun texte du CGI n’édicte que seul
le nu-propriétaire est un associé.
Or, la problématique de la qualité d’associé ne relève pas d’un problème d’interprétation d’un texte fiscal mais d’un
texte civil.
1.3 Conclusions
Elles sont au nombre deux :
n Juridique : La question de la qualité
d’associé est purement juridique. C’est
dans la nature de l’usufruit qu’il faut
chercher la réponse et que la cherchera
la Cour de cassation (à moins qu’elle ne
soit devancée par le législateur) :
• soit l’usufruit est considéré comme un
vrai démembrement de propriété, et alors
l’usufruitier est associé,
• soit l’usufruit n’est qu’une charge (une
servitude) de la propriété, et alors l’usufruitier n’est pas un associé.
Si l’on remonte au droit romain qui
semble s’être perpétué à ce jour sur
cette question, il est une servitude,
autrement dit une prérogative détachée de la propriété (le dominium). Mais
l’avant-projet de loi portant réforme du
droit des biens déposé le 12 novembre
2008 auprès du Garde des Sceaux
énonce que l’usufruit est un démembrement de propriété.
n Pragmatique : Patience ! La question
finira bien par être posée, à moins que
le projet de réforme du droit des biens
ne finisse par y répondre clairement. En
attendant, la prudence recommande de
conseiller à l’usufruitier de détenir au
moins une part en pleine propriété afin
qu’aucun risque de fictivité de la société
ne soit encouru (pour constitution d’une
société avec un seul associé, hormis les
cas autorisés par la loi).
Abstract
A bare owner is a partner. The
French Cour de Cassation has
never stated or intended to state
that a usufructuary was not a partner. Beware: the issue remains
unresolved. The general assembly approves annual accounts and
observes the amounts to be distributed (recognized bare owner
rights in French SARL, SNC and
civil companies and usufructuary
rights in SA, SAS and SCA structures, excluding all decisions to the
contrary in the company statutes).
The decision to share profit is not
separate from the decision taken
on how to distribute it. This decision is made only by the usufructuary who establishes the amount
of profit for the period. Does the
usufructuary also establish distribution rights? The law and precedent remain silent on this issue
leaving only the company statues
to comment. A bare owner who
is excluded from dividends reserved by law and company statutes
for a usufructuary cannot refer to
minority shareholder abuse. The
following article presents the arguments behind the above claims.
2. RFC n° 434 juillet-août, page 38.
Revue Française de Comptabilité // N°436 Octobre 2010 //
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Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
droit
2. L’affectation
du bénéfice et des
sommes distribuables
• à un compte de report à nouveau créditeur,
• à une distribution de dividendes.
Il sera fait la distinction entre le bénéfice
de l’exercice (distribuable ou non) et les
sommes distribuables (distribuées ou
non).
Le bénéfice de l’exercice n’est distribuable pour la partie qui subsiste qu’après
que toutes les pertes antérieures ont été
apurées (à défaut, on doit les imputer en
priorité sur le bénéfice), que la réserve
légale a été entièrement dotée (dans les
sociétés où elle est obligatoire) et que la
réserve statutaire a été dotée (dans les
sociétés où les statuts l’exigent).
Il ne peut donc y avoir constatation d’un
bénéfice distribuable après l’affectation
du résultat, vu que l’affectation du bénéfice à une distribution doit avant tout
reposer sur la constatation de l’existence
d’une somme distribuable, au risque
d’une distribution de dividendes fictifs.
C’est parce que l’on a constaté l’existence de son caractère distribuable que
le bénéfice de l’exercice peut être affecté
à une distribution. Autrement dit, un usufruitier ne peut décider une affectation du
bénéfice à une distribution que s’il a été
constaté au préalable l’existence d’un
bénéfice distribuable.
2.1 L’affectation du bénéfice
de l’exercice
Henri Royal propose une distinction très
subtile entre la décision d’affectation et
la décision de distribution (paragraphe 3
page 40) en écrivant : « Cette distinction est clairement établie par la loi et
la jurisprudence, même si les écritures
comptables confondent les opérations ».
Cette distinction (tirée de l’interprétation
du schéma fléché proposé dans l’article)
s’opère sur l’argument suivant : la loi et
la jurisprudence prévoient d’abord l’affectation du résultat, puis la constatation de
sommes distribuables et enfin la distribution d’un dividende. L’auteur estime que
l’usufruitier (dans les sociétés civiles, les
SARL, les SNC entre autres) a le pouvoir
d’affecter le bénéfice et que le nu-propriétaire (l’assemblée générale) décide de la
distribution.
La jurisprudence dit-elle exactement
ceci ? La Cour de cassation 3 évoque une
chronologie différente : « Mais attendu
que les bénéfices réalisés par une société
ne participent de la nature des fruits que
lors de leur attribution sous forme de
dividendes, lesquels n’ont pas d’existence juridique avant l’approbation des
comptes de l’exercice par l’assemblée
générale, la constatation par celle-ci de
l’existence de sommes distribuables et la
détermination de la part qui est attribuée
à chaque associé (…) ».
La loi dit-elle exactement ceci ? « Après
approbation des comptes annuels et
constatation de l’existence de sommes
distribuables, l’assemblée générale détermine la part attribuée aux associés sous
forme de dividendes » (Code de commerce article L 232 –12).
La Cour de cassation ne fait qu’une juste
application de la loi quant à la chronologie
à respecter :
• d’abord, approbation des comptes de
l’exercice par l’assemblée générale,
• puis, constatation de l’existence de
sommes distribuables,
• enfin, détermination de la part attribuée
à chaque associé.
Un bénéfice peut être affecté :
• à un compte de report à nouveau débiteur (pertes antérieures),
• à un compte de réserve légale (si prévu
par la loi),
• à un compte de réserve statutaire (si
prévu par les statuts),
• au capital par incorporation,
• à un compte de réserve facultative,
42
Or, la constatation de l’existence de
sommes distribuables ne résulte pas d’une
décision spécifique de l’assemblée générale mais de la vérification mathématique
que des pertes antérieures restent à apurer
ou que la réserve légale n’a pas encore
été complètement dotée. La constatation résulte de l’approbation des comptes
annuels par l’assemblée générale. Et
c’est ce que dit ni plus ni moins l’article L
232 12 : « Après approbation des comptes
et constatation de l’existence de sommes
distribuables, l’assemblée générale détermine la part attribuée aux associés sous
forme de dividendes (…) ».
L’affectation du résultat ne détermine pas
la somme distribuable mais le montant
de la somme distribuée. Voilà pourquoi
la pratique juridique et la pratique comptable affectent et décident d’un montant
distribué en une seule résolution et une
seule écriture. Rien n’interdit d’ailleurs de
prévoir une résolution spécifique constatant l’existence, ou non, d’une part d’un
bénéfice distribuable, d’autre part de
sommes distribuables.
Il faut rappeler également que c’est sur
le bénéfice distribuable que doivent être
prélevés en priorité les dividendes (Code
de commerce L 232-11 alinéa 2).
Qui vote l’approbation des comptes
annuels dans les sociétés telles que
SARL, sociétés civiles, SNC ? Le nupropriétaire, sauf disposition contraire
des statuts. En votant l’approbation des
3. Chambre commerciale du 31 mars 2009
n° 08-14053.
// N°436 Octobre 2010 // Revue Française de Comptabilité
comptes annuels (donc du montant du
bénéfice de l’exercice, des réserves, du
report à nouveau), le nu-propriétaire a
obligatoirement constaté l’existence ou
non de sommes distribuables, ou à tout
le moins d’un bénéfice distribuable.
Une fois constatée l’existence d’un bénéfice distribuable, il appartient à l’assemblée d’affecter ou non ce bénéfice distribuable à une distribution conformément
à ce que prévoit le Code civil.
Qui doit affecter le bénéfice ? L’usufruitier
présent à l’assemblée et lui seul. Il peut
décider une mise en réserve ou une distribution ou combiner les deux. Bénéfice
distribuable n’est pas bénéfice distribué.
Lorsque la loi dans son article L 232-12
évoque « l’assemblée générale comme
déterminant la part attribuée aux associés sous forme de dividendes », il est
audacieux d’affirmer que la loi entend
réserver le terme “assemblée générale“
à la réunion des seuls associés de la
société. L’acception de ce terme doit
être plus large et embrasse la notion
de réunion. Autrement dit, la loi n’a pas
voulu dire que le montant attribué aux
associés en distribution de dividendes
relevait du seul pouvoir des pleins propriétaires ou nus-propriétaires de parts
sociales.
Car alors comment appelle-t-on la réunion d’où sont exclus les actionnaires
ayant des actions à dividendes prioritaires sans droit de vote ? la réunion où
un usufruitier vote des résolutions alors
qu’il détient statutairement tous les droits
de vote ? la réunion où un usufruitier ne
vote que l’affectation du bénéfice ?
2.2 L’affectation d’une somme
distribuable
La somme distribuable comprend :
• le bénéfice distribuable de l’exercice,
• le report à nouveau créditeur,
• les réserves facultatives.
2.2.1 Qui constate l’existence
d’une somme distribuable ?
C’est l’assemblée qui approuve les
comptes et constate l’existence de
sommes distribuables. Autrement dit,
sauf pouvoirs entiers donnés par les statuts à l’usufruitier, c’est le nu-propriétaire
qui approuve les comptes (sauf pour les
SA, SCA et SAS et, pour ces sociétés,
sauf dispositions contraires des statuts)
et par là-même, constate l’existence de
sommes distribuables.
2.2.2 Qui affecte les sommes
distribuables?
Lorsque la somme distribuable se résume
à la totalité du bénéfice de l’exercice, il
appartient à l’usufruitier de l’affecter
(dotation à une réserve facultative, dotation à un compte de report à nouveau
créditeur, distribution).
droit
Lorsque la somme distribuable comprend le bénéfice de l’exercice et le
report à nouveau créditeur, le pouvoir
d’affectation appartient à l’usufruitier. En
effet, le report à nouveau créditeur n’est
que le reflet de bénéfices en instance
d’affectation.
Lorsque la somme distribuable comprend
en sus de l’un ou des deux postes précédents les réserves facultatives, la réponse
est très délicate. Les auteurs sont partagés, certains estimant que l’affectation
des réserves facultatives à une distribution relève du seul pouvoir du nu-propriétaire, d’autres estimant au contraire
qu’elle relève du pouvoir de l’usufruitier.
Ces derniers relèvent que rien dans les
textes ni dans des arrêts de jurisprudence
ne permet d’affirmer que l’usufruitier a le
droit de vote pour l’affectation des “bénéfices de l’exercice“. La loi civile et la loi fiscale font référence au terme “bénéfices“,
sans autre précision et aucune décision
jurisprudentielle n’est venue infirmer ou
confirmer qu’il s’agit des bénéfices de
l’exercice. Or, les réserves facultatives
ne sont que des bénéfices antérieurs, ni
plus ni moins.
Ils font valoir aussi qu’il serait étonnant
que le législateur, dans l’esprit, traite différemment les prérogatives de l’usufruitier sur les bénéfices selon que la société
est une SARL, une société civile, une
SNC ou selon qu’elle est une SA, une
SAS, une SCA (dans ces sociétés, c’est
l’usufruitier qui décide seul en assemblée
générale ordinaire), alors que le statut
légal de l’usufruitier est un et indivisible
quant à ses prérogatives sur les bénéfices.
Le législateur civil n’évoquant que le
terme “bénéfice“ a-t-il entendu restreindre cette notion à celle de bénéfice de l’exercice ? Rien n’est moins sûr
car la notion de “somme distribuable“
est une notion qui a été insérée dans
le Code de commerce bien après l’article du Code civil. Une harmonisation
serait souhaitable entre le texte civil et
le texte commercial, mais le législateur
considère certainement qu’elle est inutile, du fait que ces dispositions sont,
tant en matière civile qu’en matière commerciale, supplétives de la volonté des
parties.
2.2.3 L’appréhension du bénéfice
distribué
Il ne fait aucun doute que l’usufruitier peut
appréhender la distribution partielle ou
totale du bénéfice distribuable de l’exercice et du report à nouveau créditeur. Ceci
n’est que la juste application de l’article
582 du Code civil.
Henri Royal défend une thèse intéressante : un nu-propriétaire privé de dividendes peut-il invoquer l’abus de droit ?
Oui, répond l’auteur en citant trois arrêts de
la Cour de cassation (22 avril 1976, 6 juin
1990, 1er juillet 2003).
Une opinion différente peut être émise, se
fondant, d’une part, sur le droit des biens,
et d’autre part sur le droit des sociétés.
Au regard du droit des sociétés, l’abus
de majorité n’est qu’un des aspects de
l’abus du droit de vote (au même titre
que l’abus de minorité), droit de vote
qui ne doit pas être contraire à l’intérêt
social ni émis dans l’unique dessein de
favoriser les membres de la majorité (ou
de la minorité) par rapport aux autres
actionnaires (Cour de cassation 22 avril
1976, 23 juin 1987, 6 juin 1990, 22 janvier
1991, 3 juin 2003, 1er juillet 2003).
D’ailleurs, les trois arrêts cités ne concernent pas un litige entre usufruitiers et nuspropriétaires mais entre associés majoritaires et minoritaires pleins propriétaires
de leurs titres.
Admettre l’abus de majorité d’un usufruitier, c’est donc lui reconnaître la qualité
d’associé. Ce qui est quelque peu paradoxal pour ceux qui affirment ou estiment
qu’il ne l’a pas !
Il appartient, de par la loi civile et commerciale, à l’usufruitier de voter l’affectation du bénéfice. Comment alors
reprocher à un usufruitier de décider
une distribution sauf si celle-ci mettait
en péril la survie de la société ? Il suffit
à l’usufruitier de laisser les sommes à la
disposition de la société.
Au regard du droit des biens, il appartient à l’usufruitier d’appréhender les fruits
civils (Code civil article 582) donc les dividendes. En quoi un usufruitier pourrait-il
se voir reprocher un abus du droit de
majorité, alors que c’est la loi qui réserve
les bénéfices distribués de l’exercice à
l’usufruitier ?
Pour qu’il y ait abus de majorité, il faut que
soient remplies deux conditions : droit de
vote contraire à l’intérêt social et droit de
vote émis dans l’unique but de favoriser
celui qui vote. En quoi l’usufruitier s’accorde-t-il une faveur en s’attribuant des
dividendes alors que c’est la nature même
de l’usufruit qui veut que l’usufruitier perçoive des fruits?
Et n’y-a-t-il pas une solution, sur cet
aspect-là des choses, pour concilier le
nu-propriétaire et l’usufruitier ? Oui. Il suffit que les statuts prévoient la dotation
partielle du bénéfice à une réserve statutaire. Or qui, à l’origine, établit les clauses
statutaires ou, par la suite, les modifie ?
Le nu-propriétaire. Voie plus simple pour
lui que celle d’une voie judiciaire pour
abus de majorité.
2.2.4 L’appréhension des réserves
distribuées
Le problème de l’appréhension des
réserves par l’usufruitier se pose dans les
mêmes termes que celui de l’affectation
des réserves. L’article paru dans la RFC
d’avril 2010 expose toutes les opinions
des auteurs sur ce sujet.
Conclusion
Le débat reste entier et passionnant
au sujet du démembrement des titres
sociaux. Les questions sont nombreuses
à rester sans réponse claire.
En regard des thèses intéressantes soutenues par H. Royal, telles que :
• la Cour de cassation dénie à l’usufruitier
le droit d’être un associé,
• le nu-propriétaire peut prétendre aux
dividendes,
• le nu-propriétaire peut invoquer l’abus
de majorité si l’usufruitier appréhende
tous les résultats,
• le nu-propriétaire décide seul de la
distribution et du montant des dividendes, cet article a pour but de démontrer que dans ce domaine peu de certitudes existent en fait.
Lesquelles ?
• un usufruitier a le droit de vote en AGO
dans les SA, SAS, SCA et SASU,
• un usufruitier peut se voir conférer par
les statuts le droit de vote à toutes les
assemblées, et ce dans toutes les sociétés,
• un nu-propriétaire ne peut se voir interdire de participer à toutes les assemblées,
et ce dans toutes les sociétés.
Ces certitudes suffisent à apporter le
conseil ad hoc exigé par le client en
fonction de sa situation et de ses souhaits. Il est donc inutile de fonder ses
conseils sur des incertitudes juridiques.
Pour ces dernières, il ne s’agit pas de
dire qui a tort ou qui a raison.
En attendant que les choses se clarifient, il sera prudent de prévoir dans les
statuts les pouvoirs respectifs politiques
et financiers de l’usufruitier et du nupropriétaire. Cela relève du conseil en
stratégie patrimoniale que doit mener à
bien l’expert-comptable en fonction des
souhaits de ses clients.
Bibliographie
J. Aulagnier et C. Orlhac, Support AUREP 2010,
Démembrement de propriété, page 48.
Joël Gazulla, “Les risques civils du démembrement
de propriété sur les titres sociaux“, Revue française
de comptabilité, avril 2010, p. 33-37
F. Lefebvre, Mémento du Patrimoine 2010, n° 3162,
page 144, alinéa a du paragraphe Précisions.
J. Prieur, R. Mortier, S. Schiller, T. Revet, La Semaine
juridique 11 juin 2010 n° 23, paragraphe 16 page 39.
Henry Royal, “Le démembrement des titres sociaux“,
Revue française de comptabilité, juillet-août 2010 p.
38-41.
Arrêts cités dans l’article.
Revue Française de Comptabilité // N°436 Octobre 2010 //
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