Droit américain de la personnalité morale. - TICE

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Droit américain de la personnalité morale. - TICE
Personnalité morale, patrimoine d’affectation, fiducie-sûreté en droit français et
américain : 2 - a) : Droit américain de la personnalité morale1.
• Aux Etats-Unis la question de la personnalité morale (corporate personhood) est
appréhendée de la façon suivante : on s’interroge sur le point de savoir si les droits
traditionnellement octroyés aux personnes physiques (qualifiée de « natural person ») peuvent
être attribués aux sociétés, qualifiées alors de « legal person ».
* Dès 1819, la Cour Suprême des Etats-Unis (Darmouth College v. Woodward) a
considéré que les sociétés avaient le pouvoir de contracter et d’obtenir l’exécution de ces
contrats, au même titre que les personnes physiques.
* En 1886, la Cour Suprême des Etats-Unis est allée plus loin, se prononçant sur le point
de savoir si les sociétés étaient en droit d’invoquer légitimement la protection du 14ème
amendement de la Constitution américaine (adoptée en 1868) qui permet à tout individu de
contester la constitutionnalité des lois discriminatoires2 (Arrêt Santa Clara County V.
Southern Pacific Railroad).
Transition : cependant, en dépit de ces prises de position jurisprudentielles relativement
claires, les choses ne sont pas aussi évidentes que cela, d’une part parce que d’autres
juridictions ont adoptées des positions différentes et d’autre part parce que débat doctrinal
(surtout depuis arrêt 1994 qui refuse reconnaître au fœtus la protection du 14ème amendement).
• L’attribution de la personnalité morale aux sociétés est intimement liée aux Etats-Unis au
débat relatif à la nature de la société.
* Trois théories concurrentes
→ 1° Théorie de l’entité artificielle (artificial entity theory) = société est une entité
artificielle qui tire son existence certes de la loi, mais plus précisément de l’Etat qui a bien
voulu signer son acte de naissance en lui octroyant une charte (celle-ci délimitant clairement
son objet : ex : chemin de fer).
- dans le cadre de cette approche, la société présente deux caractéristiques
principales :
La première tient au fait qu’elle possède une existence propre, distincte de celle des
personnes qui la composent telles que les actionnaires.
1
A corporation is not in fact and in reality a person, but the law treats it as though it were a person by process
of fiction, or by regarding it as an artificial person distinct and separate from its individual shareholders.[FN1] It
has a real existence with rights and liabilities as a separate legal entity.[FN2] The corporation has no physical
existence, but exists only in contemplation of law.[FN3] This attribute has been regarded as the most
distinctive corporate faculty and as distinguishing a corporation, above all other features, from unincorporated
organizations.[FN4] A corporation owes its existence to law.[FN5] It is an artificial person created by law for
certain specific purposes, the extent of whose existence, powers and liberties is fixed by its charter.[FN6]
Artificially personified, it lacks capacity for numerous abilities of a natural person [FN7].
2
Section 1. Tout individu né ou naturalisé aux Etats-Unis et soumis à leur juridiction est citoyen des Etats-Unis
et de l’Etat où il réside. Aucun Etat ne pourra faire appliquer des lois qui restreindraient les privilèges ou les
immunités des citoyens des Etats-Unis ; aucun Etat ne pourra non plus priver une personne de sa vie, de sa
liberté ou de ses biens sans procédure légale, ni refuser à quiconque relève de sa juridiction une égale
protection des lois.
La seconde caractéristique réside dans le fait que la société se définit par rapport à la
relation étroite qu’elle entretien avec son créateur, L’Etat.
→ 2° Théorie de l’entité naturelle (natural entity theory) : naît de la volonté
individuelle, de personnes privées et non plus d’un Etat.
- A l’instar de la théorie de l’entité artificielle, la théorie de l’entité naturelle, parfois
désignée par l’expression « real entity theory », postule que la société possède une existence
distincte des individus qui la composent.
- Cependant elle s’en distingue dans la mesure où la création de la société ne résulte
pas de la volonté étatique (elle n’est donc pas, en d’autres termes, une réification d’origine
publique). Elle est, au contraire, l’expression naturelle d’initiatives individuelles privées3.
- En conséquence, les pouvoirs qu’elle possède dérivent de ses actionnaires et non
pas de l’Etat.
- Partant, les relations que la société entretient avec celui-ci changent radicalement
de nature puisque la théorie de l’entité naturelle pose le principe selon lequel la société a une
existence naturelle en dehors du droit. La création de la société n’est plus soumise à la volonté
d’un Etat, ce dernier se contente de prendre acte de son existence.
- S’il est cependant libre d’adopter des dispositions visant à la réglementer, il n’a
désormais plus droit de vie ou de mort sur elle.
→ 3° Théorie de l’aggregate, qui, dans sa version moderne, prend le nom de théorie du
nœud de contrats (nexus of contracts theory).
- Apparaissant pour la première fois dans un article publié en 1976 par les
économistes Michael Jensen et William Meckling, l’expression « nœud de contrats » (nexus
of contracts)4 fait référence à une théorie de la firme d’essence contractuelle, qui plonge
directement ses racines dans les trois théories de la firme, distinctes mais complémentaires,
que sont la théorie de l’agence, la théorie des coûts de transaction et la théorie des droits de
propriété.
3
Les partisans de cette approche adhèrent ainsi, s’agissant de la nature de la personnalité morale de la société,
à l’école française dite de la réalité technique, laquelle, à l’inverse de l’école de la fiction, fait l’économie de
l’intervention étatique. Dans le cadre de cette école « la personne morale est une réalité qui existe dès lors que
certaines conditions sont réunies. Plus précisément, un groupement dispose de la personnalité juridique
indépendamment de toute reconnaissance étatique à condition qu’il possède un intérêt distinct des intérêts
individuels et une organisation capable de dégager une volonté collective qui puisse représenter et défendre
cet intérêt » : M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, p. 78. L’approche contractuelle de la société accorde, par
ailleurs, une place privilégiée aux relations interpersonnelles, au détriment de la personnalité morale.
4
Cette théorie ets également connue sous l’expression « contractarian theory » ou encore « web of contracts
theory ». Pendant un temps, elle a également été qualifiée de « new economic theory ». Voir en ce sens
notamment W. W. Bratton Jr., The New Economic Theory of the Firm : Critical Perspectives from History, 41
Stan. L. Rev. 1471 (1989) ainsi que D. Millon, Theories of the Corporation, 1990 Duke L. J. 201, 229-231 (1990).
- Jensen et Meckling la définissent ainsi comme une fiction juridique permettant de
parvenir à un subtil équilibre entre les intérêts conflictuels de différents individus dans le
cadre d’un processus complexe de nature contractuelle.
- La firme est donc appréhendée comme un centre contractant, chargé de gérer, de
façon centralisée, l’ensemble des contrats nécessaires à la production.
- En d’autres termes, elle est sur le point de rencontre de différents contrats,
explicites et implicites, liant les différents participants à la fonction productive, tel que les
actionnaires, les salariés, les créanciers ou encore les fournisseurs.
* Bien que la théorie du nœud de contrats semble avoir pris le dessus depuis le milieu des
années 1970 (surtout adoptée par AED), les partisans de la théorie de l’entité naturelle ne
s’avouent pas nécessairement vaincus.
* Et c’est précisément la persistance de la théorie de l’entité naturelle qui a contribuée au
fait que le considère les sociétés comme des « personnes » pouvant bénéficier de certains
droits constitutionnels, à l’instar de la liberté d’expression.
* Mais il faut bien reconnaître que depuis des décennies, la majorité de la doctrine a
considéré la personnalité morale comme acquise.
* Cependant, au cours des 5 dernières années, deux auteurs (Hansmann et Kraakman) ont
a nouveau attiré l’attention sur la question de la personnalité morale, faisant valoir que la
personnalité morale est l’attribut le plus important des sociétés.
* Selon ces auteurs, la personnalité morale entraîne deux conséqucnes importantes, qu’ils
qualifient, prises dans leur ensemble, de « affirmative asset partitioning ».
→ 1° Première caractéristique : priorité accordée aux créanciers de la société : se
servent en premier sur les actifs de la société.
→ 2° Seconde caractéristique : protection en cas de liquidation : les actionnaires ne
sauraient reprendre comme bon leur semble leur part dans les actifs de la société (et ainsi
entrainer la liquidation partielle ou totale des actifs de la société). Par ailleurs, les créanciers
personnels des actionnaires ne sauraient se servir sur les actifs que les actionnaires détiennent
dans la société.
• Il convient également de noter que la compréhension de la personnalité morale aux EtatsUnis est susceptible d’être modifiée en raison des développements récents en droit de la
faillite et en matière de responsabilité.
* En effet, au tournant du siècle, plusieurs sociétés d’envergure se sont placées sous la
protection du « Chapter 11 », c'est-à-dire des dispositions fédérales en matière de procédures
collectives qui réglementent les situations de faillite des entreprises. Il favorise de fait la
continuité de l’entreprise afin de sauvegarder l’emploi et de ne pas déstabiliser le système
économique en laissant une grande marge de manœuvre au débiteur pour se restructurer5.
5
Rappel : Chapter 11 bankruptcy is available to every business, whether organized as a corporation or sole
proprietorship, and to individuals, although it is most prominently used by corporate entities. In contrast,
* Autre exemple : le 21 janvier 2010, la Cour Suprême des Etats-Unis a rendu une
décision confirmant et étendant le droit à la liberté d’expression des sociétés (Citizens United
v. Federal Elction Commission ; A 5-4 majority invalidated many restrictions on corporate
spendings to influence elections). Décision est controversée notamment parce que la Cour
Suprême a opéré un revirement par rapport à une décision de 2003 (McConnell v. Federal
Elction Commission).
Chapter 7 governs the process of a liquidation bankruptcy, while chapter 13 provides a reorganization process
for the majority of private individuals.

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