Après Nice, en préparant Bruxelles

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Après Nice, en préparant Bruxelles
CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL
(France)
Avril 2002
Premiers éléments de contribution au débat sur
l’avenir de l’Europe
INTRODUCTION
La question de l’avenir des institutions européennes est revenue au centre
du débat politique européen ces derniers mois en raison :
• de l’incapacité de la CIG de Nice à traiter de manière consistante et
convaincante les conséquences politiques de l’élargissement sur les
institutions, hormis la possibilité sous certaines conditions, de “coopérations
renforcées” (2), lesquelles déboucheraient sur une construction à géométrie
variable, avec le risque de rendre le projet européen encore plus flou sur le
plan politique,
• de la poursuite du conflit entre institutions, le Parlement en particulier
continuant à renforcer ses positions par l’extension du champ de la
codécision (3). Ce conflit est alimenté par la continuelle tension entre les
dimensions fédérale et intergouvernementale. Il se développe aujourd’hui à
travers la discussion sur la gouvernance (4)
(règles démocratiques,
participation des représentants de la “société civile”, transparence, contrôle)
qui se veut une réponse à l’inquiétude ou à l’éloignement des citoyens envers
une Europe et des institutions qui ne répondent ni à leurs attentes sociales
ni à leurs aspirations.
Après Joshka Fisher, le chancelier Gerhardt Schröder lance sur le marché
des idées une proposition fédéraliste, bicamérale, inspirée du “modèle”
allemand (Bundestag, chambre fédérale des députés et Bundesrat, Conseil
des Etats-länder). Mais les régions n’ont pas la même réalité politique et
sociale ni les mêmes compétences selon les pays membres, pas plus que
1
l’organisation de l’état central et la conception de son rôle. Ce sont les
propositions de CHIRAC et de JOSPIN pour leur “fédération des Etats
Nations”. Chacun ajoute à la perplexité des pays d’Europe centrale et
orientale. L’élargissement représente un champ total qui ne peut pas être
embrassé au travers de la seule réforme institutionnelle, l’accélération des
processus historiques à partir de la chute du mur de Berlin, n’ayant par
ailleurs pas permis d’anticipation dans ce domaine.
“La crise européenne est potentiellement là. Il sera très difficile d’en sortir si
l’Europe ne renforce pas sa capacité politique et sociale. Il y a bien un enjeu
pour le mouvement progressiste et syndical sur la transformation de cette
Europe. Il est clair qu’il faut opérer un basculement des forces qui
construiront l’Europe de demain. Les forces libérales, notamment en
Grande-Bretagne, se contentent largement d’un grand marché européen,
vaste zone de libre échange soumise aux exigences ou aux influences des
grands groupes, faisant prévaloir dans leur seul intérêt leur propre
conception de la mondialisation et de l’utilisation des nouvelles technologies
de l’information. Il y a besoin de mettre en place d’autres rapports entre
pays, d’autres pouvoirs au sein d’une réelle démocratie capable de traiter les
habitants de notre continent autrement que comme des consommateurs
organisés en lobby au service de leurs intérêts particuliers. Cette
revendication de citoyenneté est bien plus ambitieuse, car seule elle permet
de jouer un rôle actif au niveau international en établissant le lien entre le
progrès social et l’exigence d’assurer la paix sur un continent où l’on
continue à s’entre-déchirer”.
(extraits du rapport du CCN du 24 janvier 2001).
D’autre part les pays candidats n’apprécient pas outre mesure qu’on
s’efforce de leur livrer un produit clé en mains alors qu’ils estiment avoir leur
mot à dire. En particulier, ils rejoignent sur certains points les “petits pays”
membres, qui veulent conserver “leur” commissaire, ou ceux qui veulent
conserver le rôle du Conseil européen et du Conseil des ministres comme
garants de l’intergouvernementalité, face à un certain amateurisme
parlementaire et au fédéralisme libéral-technocratique de la Commission. La
légitimité démocratique dont le Parlement se prétend le seul garant réel est
plus que tempérée par son élection dans un cadre national et l’absence, pour
une période historique encore longue, d’un “peuple” européen qu’il serait
censé représenter. La diversité et la complexité vont plutôt croissant
actuellement en Europe, ainsi que s’affirment des processus de
décentralisation et/ou de déconcentration, mais l’état-nation comme
régulateur, même affaibli par la globalisation, reste le seul lieu de la
solidarité sociale, le seul garant de services publics, le seul lieu de la
formation des contrats politiques démocratiques, une référence
institutionnelle et culturelle que d’aucuns perçoivent même comme le
dernier rempart contre les débordements de la globalisation américanisante
et uniformisante, symbolisée par la chaîne Mac Do.
2
Le débat entre Europe des nations et Europe des régions, Europe
intergouvernementale ou fédérale, est sinon tranché, du moins étroitement
confiné. Qui plus est, après avoir intégré des “nations” de création récente ou
renaissante, porteuses d’une revendication d’identité, l’Europe n’aura d’autre
choix pour longtemps encore que de vivre sur un modèle institutionnel ad
hoc combinant les deux dimensions, au prix de l’élaboration continue des
aménagements nécessaires pour rendre l’ensemble gouvernable.
Par contre, le débat entre Europe des marchés et de la concurrence d’une
part et Europe sociale ou Europe de l’environnement et de la sécurité
alimentaire de l’autre, est en bonne partie occulté par la concentration du
débat politique sur les questions institutionnelles et constitutionnelles.
L’essentiel du débat pour le mouvement syndical se situe plutôt sur le
terrain des droits socio-économiques, de la démocratie participative, et, face
aux fusions et restructurations, de la mise en échec de la “corporate
governance” (5) qui fait prévaloir la rentabilité financière sur la politique
industrielle et l’emploi. II s’agit de conquérir des droits nouveaux protecteurs
et des systèmes de coopération et de solidarité, comportant des garanties en
prise avec les réalités actuelles (6) de l’organisation et des structures de
l’économie capitaliste en Europe, de son articulation avec l’économie globale,
notamment à travers l’OMC (7).
Certains considèrent la Charte des droits fondamentaux adoptée à Nice
comme l’embryon d’une Constitution de l’Europe. Clairement, le compte n’y
est pas. Dans le domaine social, son contenu devrait pour le moins intégrer
“la charte sociale révisée du Conseil de l’Europe”, dont la France est partie
signataire, avant de faire l’objet d’une intégration dans les traités. C’est un
axe politique qui est lui aussi important pour le mouvement syndical, mais
reste encore peu débattu. Sur le terrain des droits civils et politiques, la
Charte de Nice est restée des plus frileuses, notamment sur les droits des
femmes, des migrants et du droit à l’asile politique, les questions relatives à
la famille et au principe de laïcité. Les conventions européennes des droits
de l’homme actuellement en vigueur vont déjà plus loin. Nous sommes bien
loin d’une Constitution, dont la proclamation des droits humains
fondamentaux constituerait le fondement, et dans la formulation desquels le
mouvement syndical et les ONGs sociales doivent de toute évidence
continuer à s’impliquer, pour les mettre à niveau.
La stratégie syndicale réaliste ne se situerait donc pas entre fédéralisme ou
souverainisme, mais resterait donc bien essentiellement, et légitimement,
celle de la conquête des droits nouveaux qui font si largement défaut comme
on le voit avec Marks et Spencer, Danone, Ericsson et Philips, Dim, etc.
L’introduction de normes européennes et internationales nouvelles et
efficaces est nécessaire pour faire pièce aux exigences des firmes sur le plan
des règles du commerce visant exclusivement la rentabilité financière. La
mise en œuvre de cette stratégie doit s’appuyer sur l’OIT et les autres
institutions internationales compétentes de l’ONU (OMPI, UNESCO, FAO et
3
OMS notamment), rechercher autant que possible la convergence avec des
ONGs représentatives. Sa concrétisation passe tant par les états nationaux
que par les institutions politiques européennes. Elle n’implique aucune prise
de parti contre les un(e)s au profit des autres, mais une articulation des
actions sur les deux plans. Elle nécessite une mise en mouvement étendue
aux pays candidats aux diverses échéances de l’élargissement, pour
s’opposer aux tentations de dumping social et élargir le champ du combat
démocratique pour un ordre public social européen solide.
L’Euro-manifestation le 13 décembre à Bruxelles, la veille du sommet de
Laeken des 14 et 15 décembre 2001 qui devait définir le calendrier
institutionnel a été l’occasion d’exprimer nos revendications dans ce
domaine.
(2) Afin de favoriser une coopération plus étroite entre les pays de l'Union qui souhaitaient aller au-delà de
l'intégration prévue dans les traités (ex : domaine social, suppression des contrôles internes…), différents
instruments ont été développés (ex : Accord Social, Accords de Schengen…). Ils ont permis aux Etats membres
intéressés de progresser selon des rythmes et/ou des objectifs différents en dehors du cadre institutionnel de
l'Union européenne. Suite à l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le recours à ces instruments a été formalisé
par l'introduction du concept de "coopération renforcée" dans le traité sur l'Union européenne (Titre VII) et le traité
instituant la Communauté européenne (article 11). L'objectif visé par une telle forme de coopération est de
permettre à un nombre limité d'Etats membres, capables et désireux d'aller de l'avant, de poursuivre
l'approfondissement de la construction européenne, dans le respect du cadre institutionnel unique de l'Union. La
coopération renforcée doit respecter un certain nombre de conditions, notamment :
• concerner un domaine ne relevant pas de la compétence exclusive de la Communauté ;
• tendre à favoriser la réalisation des objectifs de l'Union ;
• respecter les principes des traités ;
• n'être utilisée qu'en dernier ressort ;
• concerner une majorité d'Etats membres.
Europe "à la carte"
L'Europe "à la carte" désigne l'idée d'un mode d'intégration différenciée selon lequel les différents Etats membres
sont à même de sélectionner, comme devant un menu, le domaine politique dans lequel ils aimeraient apporter
leur participation, tout en ne conservant qu'un nombre minimal d'objectifs communs.
Europe "à plusieurs vitesses"
L'Europe "à plusieurs vitesses" désigne l'idée d'un mode d'intégration différenciée selon lequel la poursuite
d'objectifs communs est le fait d'un groupe d'Etats membres à la fois capables et désireux de progresser,
impliquant l'idée que les autres suivront ultérieurement.
Europe "à géométrie variable".
L'Europe "à géométrie variable" désigne l'idée d'un mode d'intégration différenciée qui reconnaît l'existence de
différences irrémédiables au sein de la structure intégrative en permettant une séparation permanente entre un
groupe d'Etats membres et des unités intégratives moins développées.
(3) La codécision implique un accord entre les institutions législatives communautaires, le Parlement européen et le
Conseil des Ministres. La procédure de codécision (article 251 du traité) a été instituée par le traité de Maastricht.
Elle donne le pouvoir au Parlement européen d'arrêter des actes conjointement avec le Conseil. Dans la pratique,
elle a renforcé le pouvoir législatif du Parlement européen dans les domaines suivants : la libre circulation des
travailleurs, le droit d'établissement, les services, le marché intérieur, l'éducation (actions d'encouragement), la
santé (actions d'encouragement), les consommateurs, les réseaux transeuropéens (orientations), l'environnement
(programme d'action à caractère général), la culture (actions d'encouragement) et la recherche (programme-cadre).
La procédure de codécision a été simplifiée par le traité d'Amsterdam afin de la rendre plus efficace, rapide et
transparente. De plus, elle a été étendue à de nouvelles questions, notamment l'exclusion sociale, la santé
publique ou encore la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté
européenne. En cas de désaccords sur certains points d’une proposition législative (directive ou règlement), un
système de navette du texte s’établit entre le Parlement et le Conseil. Si un désaccord persiste, il est examiné en
comité de conciliation. En cas de conflit insoluble entre les institutions, la proposition législative est abandonnée.
(4) La promotion de nouvelles formes de gouvernance européenne est l'une des quatre priorités stratégiques que la
Commission Prodi s'est fixées. Par "gouvernance", il convient d'entendre l'ensemble des règles, des procédures et
des pratiques qui affectent la façon dont les pouvoirs sont exercés à l'échelle européenne. À l'été 2001, la
Commission européenne présentait au Parlement européen et au public un Livre blanc sur la gouvernance
européenne, contenant une série de recommandations sur les moyens de renforcer la démocratie en Europe et
d'accroître la légitimité des institutions européennes, qui paraissent bureaucratiques et éloignées des
préoccupations des citoyens(nes) de chaque pays membre. Le manque de transparence est souvent évoqué pour
traduire un sentiment généralisé d'institutions européennes lointaines et secrètes et de procédures de décision
difficiles à comprendre pour le citoyen européen.
(5) Ce concept se rapporte à la prééminence de la propriété et de la création de valeur pour les actionnaires dans
les grandes sociétés cotées en bourse ; il signifie que le critère de gestion essentiel est celui de la rentabilité
4
maximale à court terme et de la hausse de la valeur du titre en bourse, par tous les moyens, y compris les
annonces de licenciement massifs et la délocalisation des activités productives. C’est la variante la plus exacerbée
de la gestion néo-libérale.
(6) Que ce soit pour “s’y adapter” ou pour les transformer !
(7) L’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) a été fondée à l’issue du cycle de négociations d’Uruguay
(Uruguay Round) du GATT (accord général sur le commerce et les tarifs douaniers), en 1994 par l’Accord de
Marrakech. A la différence du GATT, qui ne visait qu’à l’abaissement général des taxes douanières sur les
marchandises, considérées comme un obstacle aux échanges commerciaux, en obligeant les membres à appliquer
à tous les autres membres le principe de la nation la plus favorisée (c’est-à-dire que les droits de douane les plus
bas accordés à un pays devaient être étendus automatiquement à tous les autres pays parties à l’accord général),
l’OMC concerne aussi les services, la propriété intellectuelle, les capitaux, etc. et vise l’application obligatoire de
règles commerciales communes en vue d’accélérer la libéralisation complète des échanges internationaux dans
tous les domaines. Ces règles sont sanctionnées, en cas de plainte d’un pays contre un autre membre, par une
décision d’un "panel", sorte d’organe de jugement au fonctionnement non transparent, composé "d’experts" et
désigné de manière ad hoc dans l’ORD (Organe de règlement des différends) ; cette décision, à la différence des
décisions des organes de contrôle généralement utilisés en droit international qui ont une portée essentiellement
morale ou politique, est impérative, d’application obligatoire et peut comporter de lourdes sanctions financières
tant que la décision finale (un organe d’appel existe) n’est pas respectée. L’OMC, dont le secrétariat général est
basé à Genève, tient tous les deux ans une assemblée ministérielle (la dernière a eu lieu en novembre 2001 au
Qatar, après l’échec de celle de Seattle qui devait lancer le "round du millénaire" pour accélérer et approfondir la
libéralisation des échanges mondiaux.
5
Fiche n° 1
Diversité des besoins sociaux et nécessité de l’harmonisation
pour un nouvel espace européen solidaire
On ne peut en rester à une critique de la prééminence de l’approche
monétaire et financière de la construction européenne. Le besoin d’une
Europe organisant la cohésion sociale, en tissant des liens de solidarité entre
ses habitants, est légitimement ressenti. Il faut pour cela que les salariés et
les citoyens se mêlent directement des débats sur la fiscalité, les budgets et
les financements européens. L’élargissement dont le coût représentera en
2005 entre 14 et 40 milliards d’euros pour le budget européen pose les
problèmes en termes nouveaux.
L’Europe ne peut prendre sens que si elle traduit concrètement un
élargissement du périmètre des solidarités. Or cet objectif n’a jamais été
clairement posé, et cette carence se fait aujourd’hui cruellement sentir. Le
“partage équitable des dépenses européennes”, ou le principe “du juste
retour” (8) ne peuvent servir de base à une politique budgétaire européenne
solidaire. Le problème est reposé comme jamais en raison de l’élargissement
qui conduit à une redéfinition des équilibres antérieurs.
L’Europe doit se fonder sur l’existence des nations. L’enjeu est cependant de
ne pas régresser, mais au contraire de franchir un nouveau pas en avant
pour un bien commun. De ce point de vue, les coopérations financières et
fiscales en Europe sont particulièrement limitées. La carence a pour origine
les conditions de la construction elle-même. La réciprocité et l’uniformisation
des règles ont été la doctrine de construction de la Communauté. Mais à
partir du moment où existent des déséquilibres et des dissymétries internes,
cela est intenable. Une harmonisation fiscale est impossible tant que ne sont
pas reconnus les niveaux différents de besoins sociaux dans les pays
composant la Communauté. Même chose pour la politique régionale qui
dépend des niveaux relatifs de développement, du poids des territoires, de la
répartition de la population et des revenus.
La pression à l’harmonisation des taux de prélèvement qui nierait ce
différentiel de besoins est extrêmement dangereuse, puisqu’elle aboutirait à
interdire une prise en charge collective des besoins (9) sociaux dans les pays
où ils sont les plus importants.
La convergence des systèmes doit intégrer cette réalité et avoir pour objectif,
en favorisant notamment le développement de l’emploi, d’assurer une réelle
solidarité d’ensemble.
Une harmonisation fiscale
et financière en Europe
qui soit synonyme
de solidarité
6
Les équilibres nationaux antérieurs, souvent conflictuels avec raison, mais
qui assuraient une stabilité à la construction sociale, sont rompus. Le lien
qu’établissait la fiscalité entre l’entreprise et la société s’atténue, limitant les
“obligations sociales” de l’entreprise. On voit enfin monter les antagonismes
entre les régions et entre les villes, nourris par la crise des mécanismes
financiers de péréquation.
La stratégie communautaire semble s’en accommoder et même en renforcer
les défauts. Une stratégie alternative est-elle concevable ?
Plusieurs problèmes se posent en lien avec un enjeu central, le
développement de l’emploi : le devenir de la protection sociale, le
financement du secteur public, une évolution de la fiscalité favorisant
l’emploi. Plus globalement, c’est de la maîtrise sociale de l’affectation des
ressources pour répondre aux besoins qui est en jeu.
L’option de coopération est la seule viable. La France a un rôle important
pour faire monter cette exigence dans l’union européenne.
Du point de vue des mesures, l’harmonisation des fiscalités et des budgets
publics peut-elle se faire autrement qu’en donnant la priorité au
développement de l’emploi ? La France a une fiscalité qui, structurellement,
favorise l’accumulation contre l’emploi, ainsi qu’une extraversion (10) de
l’économie, qui s’est retournée dans toute la période passée contre le
développement de la main-d’œuvre. Cela a fait de la France un pays
développé mais aux emplois mal rémunérés, à forte productivité apparente
de travail et avec une insuffisance structurelle de qualification. Cela
correspond à l’effet conjugué des gestions patronales et des modes de
prélèvements.
Comment, à partir de la, peut se bâtir une communauté au niveau européen
? Faute d’être posés en termes de développement de l’ensemble des capacités
humaines et de l’utilisation de toutes les capacités d’emplois en Europe, il
n’y aura pas de solution. Au contraire, les déséquilibres risquent de
s’approfondir. Dans tous les pays se sont mises en œuvre des réformes de la
fiscalité et des prélèvements sociaux qui consistent surtout en des pressions
accentuées sur les salariés, une diminution de la pression sur les revenus
des capitaux et sur les patrimoines : France, Allemagne, Italie, Espagne se
lancent dans de vastes programmes “de baisse des impôts” qui privilégient
les foyers les plus favorisés et les entreprises. Il existe donc des nécessités de
convergence des salariés et des peuples sur les enjeux de transformation de
la fiscalité.
Une Europe porteuse d’un projet social ne peut faire l’impasse sur la
question de la fiscalité, a fortiori la faire régler par les forces du marché dans
une guerre économique ravageuse. Il ne s’agit pas de forger une citoyenneté
européenne à l’égale de la citoyenneté nationale. Mais la construction de
liens de solidarité et de formes démocratiques nouvelles impliquent
7
l’ouverture d’un débat politique et institutionnel sur l’harmonisation fiscale
au sein de l’Europe, le développement d’un budget communautaire et
l’organisation d’une politique
économique concertée.
Quatre orientations pour une plus grande solidarité budgétaire et fiscale
en Europe
On se tromperait si l’on posait le débat en termes d’opposition France Europe ou même d’équilibre entre souveraineté française et pouvoir
européen. Il faut à la fois une souveraineté française et un pouvoir européen,
mais à des fins tout autres : pour l’objectif du développement et contre
l’accumulation financière. Cela semble être l’enjeu clé du processus
d’harmonisation fiscale et de restructuration du budget communautaire qui
se trouvent à un tournant.
Quatre orientations s’imposent.
La maîtrise de la circulation financière se pose en préalable. Il ne s’agit plus
de constituer des barrages administratifs à la mobilité du capital, mais
d’organiser la maîtrise de cette mobilité, ce qui implique une concertation
capable d’instaurer des exigences de taxes sélectives sur les mouvements de
capitaux en Europe et de l’Europe vers l’extérieur ; ce qui suppose également
d’imposer les plus-values dues au recul de l’inflation et à l’ampleur des
stocks de dettes. Il y a là la base d’une nouvelle fiscalité communautaire.
Deuxième mesure, la convergence d’évolution du prélèvement social.
Aujourd’hui, il y a partout pression pour réduire les prélèvements sociaux
dans l’entreprise et pour introduire des systèmes alternatifs. Il y a ainsi,
sans que soit rejetée l’idée de formes nouvelles et complémentaires de
prévoyance, un enjeu global, au niveau de l’Europe, d’une préservation des
systèmes de protection sociale autour des systèmes de répartition rénovés,
couvrant l’ensemble de la population et permettant d’affirmer la
responsabilité de l’entreprise par rapport au développement de l’emploi et à
la réforme de ces besoins.
Troisième mesure, celle de la structure du prélèvement fiscal. Il s’agit de la
situation relative du capital et du travail en regard des prélèvements.
Plusieurs hommes politiques ont parlé du “danger que représenterait un
travail taxé à 60 % et un capital à 20 %”. C’est une proportion que l’on
approche en moyenne en France. Mais le problème est aussi celui de la
pénalisation de l’usage non efficace des ressources. Va-t-on aller vers un
transfert des impôts sur les seuls résultats de l’entreprise avec toutes les
contradictions que l’on connaît, ou au contraire vers la création d’un impôt
sur le capital et sur les usages non efficaces des financements ?
8
Quatrième mesure, la transformation des fonds structurels européens, afin
qu’ils ne servent pas seulement à compenser un certain nombre de
déséquilibres mais aussi à susciter des coopérations notamment des services
publics, des entreprises pour favoriser les qualifications et l’insertion dans
l’emploi. Un “droit spécifique” de financement de l’emploi, de la formation et
des qualifications tenant compte des diversités de situations et de besoins
doit être créé. Il serait partie intégrante de la construction d’un ordre public
social européen.
(8) "I want my money back !" (je veux récupérer mon argent !), disait Margaret Thatcher qui jugeait que le Royaume
Uni ne recevait pas suffisamment de la Communauté européenne (subventions agricoles, fonds de cohésion, etc.)
par rapport aux contributions versées au Budget communautaire par son pays. Le "juste retour" consiste à
demander de recevoir en totalité et si possible au-delà de la part du Budget européen auquel un état a contribué.
Dans cette conception, il n’y a plus de solidarité entre pays connaissant des différences de développement et ayant
des besoins en certains domaines pour assurer une plus forte cohésion économique et sociale entre les états
membres, et au sein de chaque pays éventuellement entre le "centre" et les régions périphériques ou
désavantagées, comme les îles, les régions montagneuses, etc.
(9) Pour plus de détail voir l’annexe à la fiche 1.
(10) L’économie d’un pays est extravertie lorsqu’elle est massivement dépendante des exportations pour assurer ses
propres besoins, ou payer sa dette extérieure. La globalisation de l’économie internationale, les institutions
financières, et la théorie libérale des "avantages comparatifs ("naturels" ou non)" pousse à cette extraversion, qui
fait dépendre la prospérité générale du pays et la couverture des besoins essentiels de la population en grande
partie des résultats du commerce extérieur, et le fragilise par rapport aux grands pays importateurs.
9
Fiche n° 2
La construction d’une identité cohérente du système
productif de biens et de services en Europe
On peut affirmer qu’il ne peut y avoir émergence d’un modèle social
européen solide sans qu’il soit sous-tendu par un ensemble de traits
généraux caractéristiques, définissant une identité cohérente du système
productif et de services dans cet espace.
Cette identité doit reposer sur la reconnaissance du caractère structurant
des objectifs de progrès social pour l’activité économique, et celle du rôle
fondamental de l’acquisition, de la maintenance et de l’actualisation des
compétences individuelles et collectives des salariés pour l’efficience de
processus productifs de plus en plus centrés sur des objectifs de qualité du
produit et du service.
De ce point de vue, il y a donc à la fois une impérieuse nécessité de repenser
les activités productives et de services en fonction de l’expression
démocratique et de l’analyse fine des besoins des populations, et avec
l’objectif de l’entretien des synergies entre l’activité productive et les activités
sociales qui produisent les externalités (11) nécessaires à son
développement, et qui constituent elles même un débouché majeur pour la
production marchande.
La définition et la mise en œuvre de politiques industrielles restent, dans le
cadre national, une méthode d’analyse et de maîtrise stratégique des
conditions du développement, et doivent le devenir au niveau européen.
Les dispositifs institutionnels et les procédures communautaires par leur
référence prioritaire et dogmatique à la politique de la concurrence rendent
jusqu’ici problématique toute politique stratégique de structuration d’un
système productif européen. Les seules avancées industrielles consistantes,
Airbus, Ariane, GSM, se sont faites en dehors de la dynamique
communautaire (12), et sont le fruit de coopérations intergouvernementales.
Il s’agit bien aujourd’hui de faire émerger un intérêt public communautaire
qui suppose des outils de régulation et des instruments renforcés de
redistribution. L’Europe a un réel problème d’incitation à la coopération et
d’instruments efficaces pour y parvenir. Un domaine devient essentiel, c’est
le développement de “l’économie fondée sur la connaissance” (13), qui sous
entend une véritable organisation politique et industrielle de l’articulation
entre la recherche développement et le tissu économique et social aux
différents niveaux territoriaux européens (14).
10
Il faut donc en finir avec les politiques de saupoudrage, orienter (15) une
part plus importante du PIB vers la Recherche / Développement par une
politique volontaire et concertée entre les acteurs, mettre en place des
indicateurs de convergence pour promouvoir la société de l’information, au
service du “développement durable”. Cela fonde la recherche d’une
construction collective basée sur la capacité des sociétés européennes à
définir des projets communs intégrant les profondes mutations en cours,
technologie de l’information, science du vivant, science de la ville, sans sousestimer ni surestimer le développement de la mondialisation, mais en
appréciant que le cœur du développement de l’économie mais aussi de la
démocratie se joue à l’intérieur du pays ou d’un ensemble coordonné de pays
(l’Europe) et que l’essentiel se jouera dans la proximité.
Le dernier rapport de la cohésion au niveau de l’Union Européenne montre
que la convergence économique entre pays même s’il y a évolution est
marquée par un accroissement des divergences spatiales à l’intérieur des
pays notamment au profit des grandes agglomérations. L’investissement se
concentre essentiellement sur ces métropoles qui représentent non
seulement des grands marchés mais permettent aux grands groupes de
capter grâce à leurs réseaux (filiales, sous-traitance...) les potentialités du
tissu des PME, leur capacité d’innovation et d’exploiter les ressources des
systèmes d’enseignement et de formation, la variété et l’efficacité des services
publics, les opportunités d’un marché du travail vaste et diversifié.
Il y a un besoin impérieux de “resolidariser” (16) fortement territoires et
entreprises dans tous les domaines : activités de recherche-développement,
productions, services, règles sociales applicables, financements, fiscalités,
respect de l’environnement...
Cela renvoie également à la gestion de “biens publics collectifs” comme l’eau,
la santé, la sécurité des productions, les grands réseaux d’énergie, de
transport et de télécommunications qui implique de nouvelles formes
d’appropriation sociale et démocratique. Elles ne signifient pas une nouvelle
étatisation mais une autre intervention, d’autres conceptions du service
public, d’autres échelles articulant local, régional, état, national, niveau
européen, normes et coopérations internationales. Il s’agit d’un immense
effort de démocratie publique, mais aussi à l’intérieur des entreprises et tout
particulièrement à la frontière entre les deux domaines, là où s’articulent les
politiques publiques et les politiques d’entreprise.
Le salariat est en constante progression, en particulier en Europe, mais ce
mouvement s’opère dans une diversification des statuts, avec des zones
floues dues à l’atomisation des entreprises et des zones d’ombre dues à
l’extension “du travail au noir”, et de formes de précarité et de flexibilité
accrue.
Dans le même temps, la qualité s’impose de plus en plus comme une source
majeure de la compétitivité en relativisant l’impact du prix. Les différences se
feront de plus en plus sur la capacité d’innovation, l’articulation produits
11
service, le management intégré de nouveaux “process” couplant
organisation, marketing, logistique associant des flux matériels et
informationnels. La formation, la qualification des salariés, le développement
et la maintenance des compétences individuelles et collectives en seront les
atouts majeurs.
Une telle transformation du système productif pose évidemment fortement la
question d’une revalorisation de la place du travail dans la société et du prix
de la force de travail dans l’entreprise : c’est bien fondamentalement le
partage des richesses créées, de la valeur ajoutée qui est en cause mais
aussi des enjeux de démocratie sociale. Car les droits des salariés (et de la
société) ne s’arrêtent pas au moment de la rémunération salariale. Ceux-ci
doivent aussi disposer des droits d’intervention sur l’utilisation de la valeur
ajoutée. Ces droits ne doivent pas être “monopolisés” par les directions des
entreprises, alors que les pratiques des entreprises affectent directement et
indirectement la vie de la société. Etablir de nouveaux droits d’intervention
dans les choix de gestion des entreprises est un moyen efficace pour
responsabiliser les entreprises à l’égard de leur “environnement”.
En mars 2000, au sommet économique et social de Lisbonne, l’Union
européenne s’est donné un nouvel objectif stratégique pour la première
décennie du millénaire : “Devenir l’économie de la connaissance la plus
compétitive et la plus dynamique, capable d’une croissance économique
durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de
l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale”.
Comment prétendre mettre en place une société de la connaissance sans
une étroite imbrication entre l’émergence et le développement d’une société
de la connaissance, et l’avenir du statut du travail salarié, alliant mobilité
volontaire, “sécurité sociale professionnelle”, et droits d’intervention
nouveaux dans la gestion ? Le décollage de l’économie de la connaissance,
avec l’objectif d’une maîtrise démocratisée de la diffusion et de l’utilisation
des outils de la révolution informationnelle et communicationnelle, exige le
développement des activités à forte valeur ajoutée, notamment dans les
secteurs de haute technologie, et plus généralement la valorisation des
capacités humaines par l’évolution vers des combinaisons productives
privilégiant l’autonomie, la prise d’initiative et de responsabilité, l’intelligence
collective des processus productifs et de l’évolution des besoins.
(11) La théorie des externalités a un fondement utilitariste. Le coût de production d’une marchandise ou d’un
service est calculé dans le système marchand libéral à partir des coûts financiers assumés par le producteur au
stade final. Ni les pollutions que la fabrication a engendré, ni la diminution des ressources globales disponibles de
matières premières dues au prélèvement, ni les nuisances qui peuvent résulter de la fabrication et de l’utilisation
du produit ou du service (transport, par exemple), ne sont, sauf taxations écologiques appropriées ou participation
obligatoire à certaines infrastructures et services publics, prises en considération dans le calcul économique
individuel. Ces "externalités", par rapport aux coûts "internalisés" n’en représentent pas moins des coûts, en
termes financiers, de nuisances, d’atteintes à la santé par la pollution, le bruit, etc. mais qui sont supportés par la
collectivité. L’usage – et le mésusage - de biens considérés comme "non marchands", comme l’air, ne donnent pas
lieu à une tarification et à une prise en compte comptable. Ce qui n’est pas facturé est donc, de ce point de vue
utilitariste et individualiste, une externalité. les fondements utilitaristes de la théorie des externalités, les
extensions de la notion de valeur aux aménités non marchandes, et les outils d'évaluation de l'analyse contingente
par sondage. Les transports génèrent des nuisances. Elles peuvent être de nature radicalement différentes, mais
constituent le plus souvent ce qu'on appelle des "effets externes". Autrement dit, leur coût n'est pas entièrement
12
internalisé, ou si l'on préfère le "producteur" de la nuisance n'en supporte pas le coût, alors que celui-ci est reporté
sur la collectivité. Une typologie d'effets pourrait être définie suivant leur nature. Il est extrêmement difficile de
considérer sur le même plan, en particulier dans une optique de valorisation des effets afin d'en internaliser le
coût, ces différents types d'effets. L'exemple extrême du choix entre un risque - probable mais incertain - dont
l'ampleur serait catastrophique, et un risque certain d'ampleur modeste, ou encore une atteinte immédiate et
certaine au patrimoine, mais aux conséquences inconnues, permet de toucher du doigt la complexité des
problèmes. Or, trop souvent, les analyses présentées se limitent à la seule prise en compte des risques
(quasi)certains, mesurables et non patrimoniaux. La question des techniques de valorisation des effets fait
également partie des sujets discutés. Outre les importants problèmes techniques relatifs à la mesure des effets
directs réels, la question de l'impact économique et de la valorisation de ces impacts pose de véritables questions
théoriques et pratiques... parmi lesquelles celle de la "valeur du mort" est symboliquement l'une des plus
symptomatiques.
(13) Voir “L’économie de la connaissance”, de Dominique FORAY, La Découverte collection Repères, 110 pages.
(14) L’innovation technologique continue à se faire aux Etats-Unis dans deux domaines : biotechnologies et
l’information. Les Etats-Unis emploient trois fois plus de spécialistes en biotechnologie que l’Europe. D’autre part,
les groupes européens réalisent une partie de leurs efforts de RD sur le sol américain (problèmes économiques n°
2699 - 7 février 2001).
(15) Il s’agit ainsi de bien redéfinir les politiques sectorielles sans tomber dans certains errements antérieurs, en
les articulant avec une développement territorial, perspective dont le réalisme s’appuie sur un certain nombre
d’analyses (exemple de l’industrie automobile Fontagné 1999) montrant que les firmes auront toujours tendance à
échanger plutôt entre elles qu’avec les firmes hors frontières malgré l’abaissement considérable des obstacles à
l’échange.
(16) Notamment face au mouvement actuel de fusions - acquisitions et concentration du capital qui s’accompagne
de fortes restructurations comme en attestent de nombreux exemples sur la dernière période. D’autant que la
vague actuelle ne se réduit pas aux seules opérations géantes : depuis 1991 environ 10 000 opérations de ce type
sont recensées chaque année en Europe Occidentale, soit trois par jour.
13
Fiche n° 3
Les services publics en Europe : état des lieux et perspectives
Degré de satisfaction
des Européens sur la qualité des services publics avec
la libéralisation des marchés
Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont réunis les 15 et 16 mars
derniers à Barcelone avec à l’ordre du jour « plus des libéralisation des
marchés ». La mobilisation sociale les a empêchés d’aller au bout de leurs
objectifs. S’ils ont décidé de l’ouverture en 2004 du marché de l’électricité et
du gaz pour les entreprises, ils ont été obligés de surseoir à cette perspective
pour les particuliers. Ils ont dû prendre en compte notre revendication de
promouvoir une directive-cadre sur les services d’intérêt général qui renforce
et précise les obligations de service public pour tout les états et les
opérateurs (égalité d’accès pour tous les citoyens, péréquation tarifaire,
qualité et continuité des services). D’autre part, en matière ferroviaire, le
conseil européen n’a pu retenir qu’un texte où ne figure ni date, ni adoption
ou approbation des projets de la commission européenne connus sous le
nom de deuxième paquet ferroviaire.
Ces objectifs sur les services d’intérêt général reste très éloigné de la
conception qui est la nôtre. La Commission européenne part du postulat que
la libéralisation des services publics garantit et améliore le niveau de qualité
et de protection des usagers alors qu’elle reconnaît par ailleurs qu’elle ne
dispose à l’heure actuelle que de très peu de données fiables pour apprécier
réellement la qualité des services libéralisés. Elle part du principe qu’il n’y a
pas incompatibilité entre prise en compte des contraintes de services
d’intérêt général et le principe de libre concurrence ce que nous contestons
formellement. Elle propose de conforter le principe de “neutralité” qui signifie
que les Etats ne sont pas obligés de privatiser les services publics mais y
ajoute immédiatement l’obligation d’appliquer aux services publics comme
aux services privés la règle de non atteinte à la “libre concurrence” prévue
par le traité. Elle propose que les Etats soient libres de définir ce qu’ils
considèrent comme des services d’intérêt général mais les moyens utilisés ne
“doivent pas créer d’inutiles distorsions commerciales”. Les restrictions à la
concurrence ne doivent pas excéder ce qui est strictement nécessaire, c’est la
cour de justice qui tranche en cas de litige.
Les propositions syndicales de la CES : droits fondamentaux et charte
des services
d’intérêt général
La conseil européen n’a pas retenu les deux propositions syndicales, que
nous soutenions, faite par la Confédération européenne des Syndicats :
• l’intégration dans le traité de l’UE de la “charte des droits fondamentaux”
(ratifiée à Nice mais pas intégrée dans le traité) ;
14
• l’intégration dans le traité, en complément de l’article 16, de la “charte des
services d’intérêt général” signée en commun par la CES et le CEEP (centre
européen des Entreprises à participation publiques) ;
• il s’agissait de préciser en lien avec les droits fondamentaux les services
qui relèvent des services d’intérêt général et les obligations que cela implique
pour tous les Etats de l’union et les opérateurs sur ces services, ainsi que les
modalités particulières de financement.
Nos propositions alternatives : faire monter en puissances les obligations de
services public sur l’ensemble des droits humains fondamentaux
Nous ne pouvons pas nous en remettre aux seules directives sectorielles
existantes sur cette question.
Celles-ci n’ont pour objectif que d’élargir l’ouverture à des opérateurs privés
sur l’ensemble du champ des activités rentables des services publics
existants. Il s’agit de ne laisser au secteur public et à l’Etat que les missions
d’intérêt général ou la partie de celle-ci qui n’est pas rentable (par exemple
les zones rurales ou il y a peu d’activité et de population, difficilement
accessible ). Il est évident que les secteurs publics ne peuvent pas dans ces
conditions réaliser des services de qualité à des prix acceptables (plus de
péréquation tarifaire possible entre les secteurs rentables et les autres, pas
de modalité de financement adaptée possible avec la clause de libre
concurrence).
Il est urgent de faire contrepoids à ces directives sectorielles. Cela pourrait se
faire en les encadrant par des obligations générales de service public
beaucoup plus précises et contraignantes pour les différents Etats de
l’Union, les opérateurs, sur ces services et pour des modalités de
financement adaptées aux conditions particulières posées par la question
des services d’intérêt général qui ne peut se résoudre dans les seules règles
du marché.
Préciser l’article 16 du traité.
Ce qui paraît essentiel c’est de préciser l’article 16 du traité et notamment ce
que contient la notion de “valeur commune” de l’union, attachée à ce concept
de service d’intérêt général. Cela pourrait se traduire par l’obligation que
toute directive sectorielle touchant à des services d’intérêt général s’inscrive
dans le respect et la mise en œuvre des droits fondamentaux définis par les
institutions européennes (charte de 1989 et celle de Nice qui reste à
améliorer) et pas seulement sur l’objectif d’améliorer l’environnement
nécessaire à l’activité économique des entreprises dans les différents Etats
de l’union. Cela signifie prise en compte de l’obligation de répondre aux
missions suivantes :
• accès pour tous aux biens et services de première nécessité (santé,
éducation, protection sociale, emploi,
transports, énergie, eau,
communication, information, logement) ;
• égalité de traitement des usagers garantie par la péréquation tarifaire ;
• qualité des prestations ;
• continuité et adaptabilité aux besoins de la société ;
15
• lutte contre l’exclusion sociale et pour la cohésion sociale, territoriale avec
des services de proximité ;
• agir pour l’emploi dans le cadre d’une économie sociale de marché et du
modèle social européen ;
• contrôle démocratique des résultats et de la gestion de ces services en y
associant les salariés et les usagers ;
• nécessité d’élargir les dérogations à la règle de libre concurrence pour les
services publics et la possibilité de position de monopole seule forme
permettant la péréquation tarifaire pour des tarifs abordables pour tous les
usagers ;
• assurer une qualité de vie pour tous, contribuer au développement
durable, préserver les ressources naturelles pour les générations futures,
renforcer la solidarité.
La décision de maintenir ou de créer un service d’intérêt général, les
caractéristiques techniques et économiques du service, sa qualité, la
manière de l’assurer, de le financer et de le réguler démocratiquement
doivent rester de la responsabilité fondamentale des autorités publiques
dans chaque état de l’Union européenne.
16
Fiche n° 4
Pour un ordre public social européen
Force est de constater que demeure dans l’UE une absence totale de clarté
sur le recours à tel ou tel type de norme, sur la valeur juridique de celles-ci
en lien avec les normes d’autres origines que communautaire.
Sur ce dernier point, il convient de rappeler que tous les pays membres de
l’UE ainsi que les pays candidats ont adhéré :
• aux Pactes des Nations Unies de 1966 relatifs aux droits de l’homme ;
• à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales de 1950 du Conseil de l’Europe ;
• à la Charte sociale européenne de 1966 du Conseil de l’Europe et pour
certains à la version révisée de 1996 du Conseil de l’Europe ;
• à la plupart des conventions OIT dont notamment les conventions dites
fondamentales.
De plus, l’ensemble des pays de l’UE ont signé la Charte communautaire des
droits fondamentaux des travailleurs de 1989 et la Charte des droits
fondamentaux de l’UE.
L’ensemble de ces normes doivent constituer un socle élevé et indivisible
d’un ordre public social communautaire. Ces normes, à travers la
reconnaissance des droits sociaux des travailleurs et du rôle des
organisations syndicales ainsi que le droit à la protection sociale notamment
renforcent la pérennité du modèle social européen.
La situation
au niveau européen
Ce qui a caractérisé jusqu’à une période très récente la construction
européenne c’est la place marginale occupée par la législation sociale et la
négociation collective débouchant sur de véritables normes sociales
européennes. C’est la conception libérale qui a prévalu pour faire de l’Europe
avant tout un marché de libre circulation des capitaux, des marchandises,
des hommes et femmes et de déréglementation sociale.
Dans le domaine social le traité prévoit explicitement que toute directive ne
peut être qu’une “prescription minimale” (art. 137) et qu’elle ne peut
empêcher un Etat membre de maintenir ou d’établir des mesures de
protection des travailleurs plus strictes compatibles avec le présent traité(art
137) ce que l’on peut traduire par “clause de non - régression”. Cette clause
de non régression doit être renforcée dans le traité.
Plus de législation communautaire ne présente que des avantages
pour les salariés
17
Le risque au niveau européen dans le domaine de législation sociale n’est
pas que des directives remettent en cause une législation nationale plus
avantageuse mais que le peu de questions sur lesquelles les institutions
européennes ont compétence à légiférer (10), la règle de l’unanimité qui
prévaut sur la moitié d’entre elle (5), le peu d’empressement du patronat de
négocier sur quelque question sociale que ce soit (les négociations engagées
au forceps sous la pression de la commission sur “le travail intérimaire” sont
dans l’impasse) continuent à faire de la dimension sociale le parent pauvre
de la construction européenne.
L’exemple pris par certains du “travail de nuit pour les femmes” adopté par
le parlement français dans le cadre d’une loi de transposition d’une directive
européenne sur l’égalité de traitement H/F dans le travail n’infirme
nullement cette approche. La directive européenne n’obligeait nullement le
parlement a traduire l’égalité H/F par le rétablissement du travail de nuit
pour les femmes mais pouvait se transposer par l’interdiction du travail de
nuit pour tous les salariés H et F sauf dérogation pour services de santé,
sécurité. C’est d’ailleurs ce qui s’est fait dans certains pays nordiques.
A la veille de l’élargissement de l’union à 13 autres pays de l’Europe centrale
ou orientale dont la situation sociale est encore beaucoup plus précaire que
dans les 15 et ou les écarts de salaire, de protection sociale ne peuvent
qu’inciter les employeurs à faire jouer à plein la concurrence entre salariés et
à augmenter le dumping social pour augmenter les profits si des normes
sociales communautaires beaucoup plus élevées et touchant des domaines
sociaux beaucoup plus larges ne sont pas mises en place.
Vers quel ordre social
européen ?
Il ne serait ni réaliste, ni judicieux de revendiquer pour l’Europe une
reproduction de l’ordre public français faisant prédominer la loi par rapport
à la négociation collective et les accords conventionnels. Cela ne correspond
ni aux diversités de culture existant dans les différents pays en ce domaine ,
ni aux grandes diversités de situations sociales existantes impliquant des
normes réglementaires adaptables à ces situations, ni à la volonté très
majoritairement partagée en Europe de non remise en cause des acquis
sociaux nationaux plus avantageux. Il faut donc un système qui permette
une harmonisation progressive vers le haut des différentes législations
sociales nationales et qui préserve le rôle et la place des interlocuteurs
syndicaux qui existe dans la majorité des pays européens sur l’élaboration
des normes sociales par la négociation collective.
L’objectif est d’assurer la reconnaissance de la finalité propre du droit social
européen qui ne doit pas constituer un simple contre poids au droit de la
concurrence mais qui doit amener à modifier celui sur les dimensions
essentielles où sont en cause les besoins sociaux.
On devrait agir pour un nouvel ordre social européen qui se caractérise par
les dimensions suivantes :
18
• un socle de droits sociaux fondamentaux qui s’applique à tous les
résidents de l’Union européenne et s’impose à tous les Etats membres. La
charte des droits fondamentaux adoptés à Nice doit en ce sens être révisée
dans son contenu (y intégrer l’obligation de salaires minimum, le droit au
travail, le droit au logement, le droit d’association et de grève transnational,
la libre circulation avec des droits égaux pour tous les résidents, ..). Elle doit
ensuite être rendue contraignante et être intégrée dans le traité de l’union
(CIG de 2004). Cela constituerait un puissant levier pour harmoniser vers le
haut les législations sociales en faisant monter les minima sociaux partout et
notamment dans les pays les plus en retards. Il faudrait mettre en place un
organisme de suivi de la révision de contenu de la charte ;
• un élargissement et un renforcement des compétences législatives des
institutions européennes dans le domaine social implique sans doute
aujourd’hui :
- l’extension de la procédure de vote à la majorité qualifiée aux questions
sociales relevant du champ de compétence des institutions à l’exception de
la protection sociale,
l’extension progressive du champ de compétence des institutions
européenne à d’autres questions sociales comme, par exemple, les salaires,
en particulier l’extension de la règle du salaire minimum interprofessionnel
généralisé (SMIC).
Normes volontaires,
codes de conduite
Les normes volontaires (codes de conduites et labels sociaux) sont en
expansion en Europe. Plusieurs codes de conduites ont été adoptés
notamment dans le secteur du textile et des télécommunications. La
Commission européenne envisage, à travers une Communication à venir sur
la responsabilité sociale des entreprises, de dresser un cadre européen
servant de repère indicatif à la mise en place de normes volontaires.
Les codes de conduite peuvent servir de support à l’application effective de
normes de base tels que les conventions fondamentales de l’OIT et à
fomenter les relations industrielles. Or, on peut craindre a contrario
d’assister à une “privatisation du modèle social européen”. Le droit privé
remplacerait le droit public, l’entrepreneur remplacerait l’Etat.
La question se pose plus sérieusement dans les pays à faible protection
sociale et à faible force syndicale. Cela concerne donc les pays pauvres mais
aussi les (futurs) nouveaux pays membres de l’Union européenne. En effet,
outre l’état embryonnaire du droit social communautaire, l’OIT a constaté
dans un rapport sur les codes de conduite et labels sociaux de 1998 que
certains états poussent déjà à l’adoption de ces normes volontaires pour se
dégager de leur rôle législatif et réglementaire.
19
Parallèlement, la question la plus difficile à résoudre est celle du contrôle de
l’application de la norme volontaire. Ainsi, le rôle de validation ou de
dénonciation du code de conduite par les travailleurs doit être affirmé.
Il n’existe pas aujourd’hui de bon système de vérification privée quant à
l’application du droit du travail car les systèmes d’audit social ne respectent
pas les meilleures pratiques. Ils interprètent les règles de droit à leur
manière, sans tenir compte de certains éléments essentiels telle que la
jurisprudence. Ainsi que cela a été débattu au Parlement européen en 1998,
l’OIT pourrait être l’organisme d’accréditation des auditeurs sociaux, tenir
un registre des dits auditeurs et mettre au point des programmes de
formation.
Agenda social,
coordination ouverte
Ce programme (2000/2005) d’initiatives communautaires dans le domaine
social donne des objectifs à atteindre : plus d’emploi, et des emplois de
qualité, une meilleure protection sociale des salariés, améliorer
l’environnement au travail, la lutte contre l’exclusion, les inégalités et les
discriminations, préparer l’élargissement de l’Union Européenne.
Les moyens de mise en œuvre restent cependant flous et insuffisants. En
effet, le recours à l’élaboration de nouvelles législations est rarement prévu.
La méthode la plus fréquemment utilisée est celle dite de “coordination
ouverte”, système par lequel les Etats s’engagent simplement à élaborer et à
poursuivre des objectifs communs dans un domaine particulier. Il prévoit
également un système de suivi afin d’évaluer les progrès de chaque Etat.
Cette méthode repose donc essentiellement sur la “bonne volonté” des Etats
membres et n’a pas de force juridique réelle.
Dans sa résolution d’octobre 2000 sur la Communication de la Commission
“agenda pour la politique sociale” la CES relève les points suivants : “Trop de
confiance est accordée dans l’Agenda à la méthode de coordination “ouverte”.
Selon la CES, et comme le processus de Luxembourg l’illustre, une telle
méthode peut en effet soutenir les changements dans des domaines
complexes, dont ceux pour lesquels une législation peut ne pas être
appropriée ou pas encore en situation d’être avancée. Elle peut aussi
contribuer à la mise en œuvre des législations existantes. Mais elle ne
devrait pas être utilisée pour diluer l’objectif de convergence sociale en
Europe.
Il convient de veiller à ce que le mécanisme d’étalonnage et la méthode de
coordination “ouverte” soient utilisés en vue de soutenir une avance tangible,
rapide et visible vers des objectifs communs. À défaut, une frustration
s’installera et l’utilité de la méthode sera remise en question. Cela nécessite
des objectifs précis et centrés, des calendriers établis et une évaluation et un
suivi rigoureux. De plus, la méthode de coordination ouverte ne peut
remplacer le besoin d’activités spécifiques dans certains domaines, en
20
particulier en ce qui concerne les standards minimum. L’établissement d’un
revenu minimum, par exemple, n’est pas quelque chose que l’on atteint en
étapes, de manière progressive. Dans le cas des pays candidats, l’acquis
communautaire représente également un élément qui doit être adapté dans
son ensemble”.
Comme l’indique la CES, il existe une différence entre ce qui doit relever de
la législation et de la coordination ouverte. Cette dernière peut aider à
insuffler la première. C’est le cas lorsque les Quinze sont dans l’incapacité de
parvenir à un accord sur la législation, une méthode intermédiaire de
rapprochement des objectifs et pratiques nationaux pouvant s’avérer
efficace. D’autre part, le recours à la coordination ouverte est utile pour
atteindre des objectifs programmatiques, comme par exemple atteindre un
taux de chômage de 4 % maximum, objectif qui ne peut évidemment pas
faire l’objet d’une décision contraignante. Cependant ceci n’exclut pas que
soit reconnu un droit au travail qui devrait être intégré dans la Charte des
droits fondamentaux de l’UE.
Mais la méthode de coordination ouverte est également une porte ouverte à
certains Etats réfractaires aux règles contraignantes. Il est donc nécessaire
que le recours à cette méthode soit strictement encadré quant à son champ
d’application.
Par ailleurs, s’agissant de la procédure, il convient de s’interroger sur
l’opportunité de baser des recommandations du Conseil aux Etats membres
sur la base de rapports de mise en œuvre réalisés par les Etats membres
eux-mêmes (comme c’est le cas par exemple dans le processus de
Luxembourg). Par soucis de transparence et d’efficacité, il conviendrait de
développer davantage l’évaluation par les “pairs” ce qui permettrait que
chaque pays voit ses propositions analysées par d’autres Etats membres
puis commentées dans un débat général, en associant les organisations
syndicales.
• La mise en place d’une saisine obligatoire des représentants des salariés
dans les entreprises et de la direction générale emploi et affaires sociales
avant toutes décisions ayant des conséquences sociales importantes
(licenciement, changement de statut, salaires) avec la possibilité :
♦ pour les salariés d’exprimer leur avis et propositions et d’intervenir dans
la décision au niveau de l’instance de direction de l’entreprise ;
♦ pour la commission européenne de ne pas juger le bien fondé d’une
fusion acquisition restructuration seulement sur le critère de “libre
concurrence” mais aussi sur celui des conséquences sociales et
notamment sur l’emploi au regard des résultats financiers de l’entreprise.
Charte des Services publics
La Charte des services d’intérêt général proposée par la CES et le CEEP le 15
juin 2000 pourrait renforcer l’appareil juridique communautaire si elle était
intégrée dans les traités. Cela participerait non seulement à garantir certains
21
droits d’accès à des services considérés comme indispensables mais
également à assurer davantage de cohésion sociale et de développement
économique et social dans la transparence.
Elargissement
Le concept d’ordre public social européen prend toute sa place dans
l’appréhension de l’élargissement de l’UE à 12 voir 13 nouveaux pays. Les
pays candidats ont la lourde tache de reprendre à leur compte l’acquis
communautaire. La conquête de droits nouveaux constitue donc un véritable
défi pour les travailleurs de ces pays. Les législations sociales nationales
doivent évoluer dans le progrès. Il convient que les institutions européennes
s’assurent de cette progression et d’une mise en œuvre effective sans se
limiter à des normes “douces” ou “soft law” (voir infra, normes sociales
volontaires et sur la coordination ouverte). Cela implique que les
organisations de travailleurs soient reconnues comme partenaires à part
entière et soient réellement impliquées dans le processus d’élargissement.
22
FICHE 5 : L’élargissement de l’Union européenne
La CGT considère qu’il est essentiel d’assurer la paix et la stabilité en
Europe. Cela l’a conduite à se prononcer pour l’élargissement de l’Union
européenne (UE) notamment aux pays d’Europe centrale qui le souhaitaient.
Stabilité, paix, sécurité dépendent de facteurs géopolitiques et diplomatiques
mais aussi d’un développement économique et social équilibré et durable
pour tous les pays de l’UE actuelle et à venir et toute la population
concernée. Elles sont également liées aux relations multi et bilatérales que
l’UE entretient ou devrait entretenir avec le reste du monde.
Ni l’approfondissement de la construction européenne ni l’élargissement de
l’UE ne peuvent être uniquement des processus techniques et administratifs
de reprise mécanique dans les législations nationales de normes
communautaires. Pour les pays membres de l’UE comme pour les pays
candidats, le respect des aspirations démocratiques des citoyens doit être à
la base de toutes les étapes et composantes du processus d’élargissement de
l’UE : reprise de l’acquis communautaire ; prise de décisions ; réformes des
politiques gouvernementales notamment en matière de protection sociale,
retraite, éducation … ; privatisation et restructuration de l’économie etc. Le
soutien de l’opinion publique est à ce prix tant dans les pays de l’UE que
dans les pays de l’élargissement. Le soutien de la population des pays
candidats à l’adhésion à l’UE ne va pas de soi et reste lié à la prise en
compte de leurs préoccupations économiques et surtout sociales, politiques
et culturelles. De plus, il serait logique de trouver les formes de leur
participation à l’élaboration des normes ne serait-ce que parce qu’elles feront
partie de l’acquis communautaire.
Cependant, en moyenne, ce sont les opinions publiques des pays membres
de l’actuelle UE qui sont les plus réticentes. La participation citoyenne à la
construction et à l’élargissement de l’UE reste très insuffisante et les
mécanismes, objectifs et moyens d’intervention largement méconnus. Parmi
les craintes majeures, on trouve celle du chômage que pourrait entraîner les
transferts d’entreprises vers les nouveaux pays adhérents de l’UE mais aussi
l’arrivée de salariés originaires d’Europe centrale notamment auxquels
seraient offertes des conditions de salaires et de travail inférieures à celles
des ressortissants de l’actuelle UE. Deux conséquences sont redoutées : la
pression à la baisse sur les salaires et conditions de travail dans les pays
d’accueil et la perte d’emploi pour certains salariés. De fait, la pression existe
déjà. Des employeurs délocalisent entreprises et sièges sociaux vers les pays
candidats où pour l’instant certaines directives européennes ne s’appliquent
pas.
Pour éviter la concurrence entre les salariés, la solution passe par la mise en
place d’un système d’harmonisation progressive vers le haut dans les pays
candidats parallèlement à l’obligation d’appliquer les conditions de salaire et
23
de travail du pays d’accueil à tous les salariés émigrés notamment d’un pays
de l’UE élargie – et ce même si en devenant citoyens de l’Union européenne
ces salariés perdent leur qualificatif de migrants pour devenir « libre
circulants ».
L’écueil des périodes de transition injustifiées à la libre circulation des
personnes doit absolument être évité tout comme il faut se garder d’adopter
des scénarios démagogiques en matière de migration. Les élargissements
précédents comme les études prospectives ne laissent prévoir que des
migrations limitées dans le nombre et dans le temps des pays candidats vers
les pays de l’actuelle UE. La solution n’est pas dans une définition stricte ou
floue des quotas de migrations et des frontières mais dans la lutte pour
imposer des cadres sociaux réels communs à tous imposants un certain
nombre de principes dont la lutte contre la corruption, le travail au noir, le
respect des conditions de travail, d’emploi et de salaire ainsi que du dialogue
social et des droits syndicaux. Une Europe élargie sociale où l’acquis
communautaire à reprendre mais aussi les nouvelles normes ne se
contentent pas d’être des textes sur du papier sans assurance réelle sur le
fait que la transcription en ait été débattue démocratiquement et que les
textes adoptés soient réellement appliqués.
La question de la libre circulation est également préoccupante si l’on se place
du côté des pays candidats. Parce qu’ils manquent de main d’œuvre
notamment qualifiée dans un certain nombre de branches et de domaines,
certains pays de l’actuelle UE recrutent des salariés à leurs conditions pour
contrebalancer les conséquences négatives des évolutions démographiques
et l’investissement insuffisant et/ou tardif dans la formation de diplômés.
Aucun des pays candidats ne peut offrir des salaires et conditions du niveau
de ceux de l’UE actuelle. Tous ont des craintes mais les candidats à
l’émigration sont évidemment plus nombreux dans les pays les plus en
difficulté privant ainsi ces pays de salariés nécessaires à leur développement
et faisant peser sur eux le poids des dépenses de formation dont
bénéficieront les pays d’accueil.
Il est essentiel que chacun des pays candidats soit traité en fonction de ce
qu’il est et de toutes ses caractéristiques (historiques, culturelles,
démographiques, géographiques, économiques, sociales et syndicales) avec
pour base des principes essentiels communs dans un objectif unique
l’élargissement de l’UE. Chaque solution envisagée doit être étudiée pour en
éviter les conséquences négatives et pour que chacun des pays puisse en
tirer effectivement des avantages. Dans le cadre de la procédure actuelle
d’élargissement, l’adhésion de tous les pays au même moment représenterait
un avantage politique mais pas uniquement. On écarterait ainsi les risques
courus, en laissant dehors les pays les moins avancés, de rupture des
relations bilatérales ou multilatérales d’échanges et de commerce parfois très
anciennes en particulier entre les régions frontalières. Cependant, si l’on
voulait imposer un élargissement à marche forcée à tous les pays candidat
dans le domaine économique ou monétaire par exemple, le risque serait
24
grand de déstabiliser les pays actuellement les plus en difficulté. Tous les
pays ne peuvent pas progresser au même rythme dans tous les domaines. Le
nier reviendrait à ignorer la cohérence propre à chacun d’entre eux.
La mise en place de la nouvelle frontière de l’UE ne va pas sans poser de
problèmes. Au fil des 10 dernières années, de nouvelles relations se sont
nouées, bénéfiques pour tous les partenaires. Les rompre mènerait à la
déstabilisation des pays non membres de l’UE se trouvant de l’autre côté de
la frontière Schengen mais aussi les régions frontalières souvent les moins
développées des pays candidats. Par ailleurs, les pays aux nouveaux confins
de la future UE doivent maintenant assumer la charge financière et politique
de ces nouvelles frontières. Cela leur impose de négocier avec leurs voisins
des changements dans les politiques de renvoi des migrants clandestins et le
régime des visas.
Si construire l’Europe signifie assurer la sécurité et la stabilité cela passe
nécessairement par la stabilité pour les salariés, celle de l’emploi, du contrat
de travail, de la protection sociale, de la retraite etc.
Le volet social de l’Europe en cours d’élargissement est toujours très
insuffisant. Ses retards et ses insuffisances n’offrent aux salariés des pays
candidats comme à ceux des pays de l’actuelle UE qu’une Europe
déséquilibrée. Faire face aux défis auxquels nous sommes tous confrontés à
des niveaux divers, pays membres et candidats : chômage, exclusions,
discriminations, inégalités, exige de bâtir l’Europe élargie de demain sur des
priorités sociales, de plein emploi, avec des obligations sociales publiques.
L’Europe n’est pas le remède miracle à tous les maux de la croissance ni la
solution aux problèmes de paix et de stabilité. Construire l’Europe nécessite
et mérite une finalité autre que la disparition des frontières et la mise en
place d’un Très grand marché, construction qui se fait en concurrence avec
les autres zones géographiques et/ou géopolitiques, sous la forme d’un club
de pays riches. D’autre part, il n’est pas de l’intérêt des pays membres de
l’UE actuels ou à venir comme des citoyens de l’Union européenne de laisser
croire que celle-ci peut augmenter à l’infini. Un espace démesuré deviendrait
vite impossible à gérer et inefficace y compris dans le domaine social et
syndical. La réalité des relations économiques et commerciales montre que
les échanges sont beaucoup plus fréquents avec les pays voisins de chacun
d’entre nous. L’important est donc de favoriser tous les échanges et
coopérations nécessaires dans tous les aspects de la vie – l’économie bien
sûr mais pas seulement. Plutôt que de débattre sur une frontière définitive
pour l’Europe ou de son extension irréaliste, nous devrions nous pencher de
nouveau sur le principe d’une Union européenne solidaire avec les autres
régions et continents du monde ; consciente de partager la planète avec
d’autres et de sa responsabilité de participer au développement de tous et
pour tous ces autres mais aussi pour les européens.
La paix en Europe passe aussi par la réflexion sur l’identité et une
citoyenneté y compris syndicales. Alors que l’ambition affichée au départ
25
pour la construction de l’Europe était de « dépasser les contentieux du passé
par une coopération tournée vers l’avenir », la montée des nationalismes
dans l’UE et dans les pays candidats aujourd’hui menace l’idée d’une
cohabitation paisible. Elle fait de l’histoire et de l’élargissement de l’UE les
instruments de règlements de comptes. Elle tend à réduire notre identité
individuelle et collective à une unique appartenance majeure (religion,
langue …) alors qu’elle est complexe et en permanente évolution –
s’enrichissant sans cesse au contact des autres. Nous devons rechercher le
ou les dénominateurs que nous avons en commun. C’est essentiel pour les
sociétés comme pour les syndicats. L’élargissement de l’UE impose de
trouver comment rendre possible la cohabitation de l’ensemble des groupes
de population et les échanges. Respecter les minorités et permettre leur
évolution pour en faire un élément d’identités plus larges - régionale,
nationale et européenne – notamment afin de conserver la richesse de
l’Europe. Perdre un des éléments amoindrirait la richesse commune de
l’Europe mais de la planète toute entière et nous priverait d’une partie de
notre humanité.
La réalité des relations économiques et commerciales montre que les
échanges sont beaucoup plus fréquents avec les pays voisins de chacun
d’entre nous. L’important est donc de favoriser tous les échanges nécessaires
dans tous les aspects de la vie – l’économie bien sûr mais aussi la formation,
la culture etc. Plutôt que débattre sur une frontière définitive à l’Europe,
nous devrions nous pencher de nouveau sur le principe d’une Union
européenne solidaire avec les autres régions et continents du monde,
consciente de partager la planète avec d’autres et de sa responsabilité de
participer au développement de tous pour tous ces « autres » mais aussi pour
les européens.
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Annexe 1 à la fiche n° 1
Prélèvements obligatoires
et besoins sociaux
L’approche classique en termes de niveaux de prélèvement et de dépenses
collectives est insuffisante. Un niveau plus élevé de prélèvements obligatoires
dans un pays peut en effet correspondre, toutes choses égales par ailleurs, à
des besoins plus importants. En outre, la qualité des services collectifs et
des prestations offertes aux citoyens peut varier et peser sur le niveau des
prélèvements obligatoires. En d’autres termes, la comparaison de pays à
pays des seuls prélèvements obligatoires ne tient pas compte du rapport
besoins à satisfaire / couverture de ces besoins par les prélèvements.
Ce dernier aspect reste bien évidemment très difficile à mesurer. On peut
cependant tenter de caractériser les différents pays suivant l’importance
respective des besoins que les dépenses publiques ont vocation à satisfaire.
Dans tous les pays, il s’agit principalement de “besoins sociaux” : les
dépenses de protection sociale et les dépenses publiques d’éducation
représentent ainsi l’équivalent des trois quarts du volume des prélèvements
obligatoires dans les pays de l’Union européenne.
L’importance de ces “revenus socialisés” n’est donc pas sans lien, a priori,
avec l’importance relative des inactifs ou, plus généralement, des personnes
non occupées à une activité rémunérée. Cette population correspond aux
tranches d’âge les plus jeunes et les plus âgées de la population, auxquelles
on peut également ajouter les chômeurs. En rapportant cette population à la
population totale, on pourrait obtenir un indicateur des besoins sociaux
dans chaque pays.
Il montrerait l’écart relatif des besoins sociaux : il est de 50 % entre le
Luxembourg et l’Irlande ; il est de plus de 15 % entre l’Allemagne et la
France.
Par rapport à la moyenne communautaire, on distingue nettement deux
groupes de pays. Dans un premier groupe formé des pays du Bénélux, du
Danemark, de l’Allemagne et de la France, le degré de socialisation des
dépenses est supérieur à la moyenne de la CEE. Il se révèle être quasi
identique en Allemagne et en France en dépit de taux de prélèvements
obligatoires nettement différents. En fait, le niveau supérieur des
prélèvements obligatoires en France semble correspondre à un volume de
besoins plus important.
L’harmonisation fiscale ne peut dès lors se résumer à la convergence des
prélèvements autour d’un “niveau moyen” à fortiori à un alignement sur les
niveaux les plus bas. Un système fiscal européen cohérent doit tenir compte
des diversités sociales et institutionnelles et favoriser les solidarités entre
pays.
Dans un second groupe de pays, qui comprend les pays anglo-saxons ainsi
que les pays les moins développés du sud de la CEE (Espagne, Portugal,
Grèce), l’effort relatif consenti en matière de dépenses sociales reste inférieur
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à la moyenne communautaire. Il s’agit de pays où le rôle des solidarités
familiales reste encore important.
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Annexe 2 à la fiche n° 1
Prélèvements obligatoires
et besoins sociaux
Les ressources propres
Perçues par les États membres pour le compte de la Communauté, les
ressources propres du budget communautaires se composent de quatre
éléments :
• les prélèvements agricoles, droits perçus sur les importations de produits
agricoles en provenance des pays tiers, et cotisations sucre et isoglucose ;
• les droits de douane provenant de l’application du tarif douanier commun
aux frontières extérieures de l’Union ;
• la ressource TVA, sur la base d’un taux uniforme de l’assiette TVA
harmonisée de chaque État membre ;
• une ressource complémentaire, calculée sur la base du PNB des États
membres, qui est la plus importante.
D’autres recettes de moindre ampleur viennent s’inscrire au budget,
provenant notamment des impôts des fonctionnaires, des intérêts de
paiement et des amendes infligées dans le cadre de la politique de
concurrence.
Les perspectives financières 2000 / 2006
Les perspectives financières adoptées par le Conseil européen de Berlin
(mars 1999), dans le cadre d’Agenda 2000 fixent au budget de l’Union un
plafond de 1,27 % du PNB communautaire. Sur cette base, le parlement
européen, le Conseil et la Commission sont convenus, par un accord
interinstitutionnel du 6 mai 1999, des grandes propriétés budgétaires des
années à venir, et d’un encadrement des dépenses pour la période
2000/2006. Le système introduit un double plafond, celui de la dépense
totale, et celui de chaque catégorie de dépenses.
Des mécanismes d’adaptation sont prévus, permettant de faire face à des
situations imprévues : le Conseil et le Parlement peuvent convenir d’une
révision des plafonds, ou d’un transfert de dépenses entre rubriques, sans
pouvoir toutefois affecter les dépenses liées à l’élargissement aux politiques
internes (et inversement). D’autre part, un “instrument de flexibilité” général,
plafonné à 200 millions d’euros par an, peut être mobilisé pour couvrir des
dépenses spécifiques qui ne peuvent être financées dans la limite des
plafonds fixés.
Les grandes lignes du budget
♦ Dépenses agricoles
L’agriculture reste le principal poste des dépenses de l’Union (45 % en
crédits d’engagement). Les dépenses de marché (soutien des prix, restitution
aux exportations, primes...) augmentent tandis que l’enveloppe consacrée au
développement rural enregistre une forte croissance. Au cours de la
procédure budgétaire, 60 millions d’euros ont été dégagés pour le
financement de la campagne de dépistage de l’ESB.
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♦ Actions structurelles
Deuxième poste du budget communautaire, les actions structurelles
représentent 34 % des dépenses pour l’année 2001. L’enveloppe des fonds
structurels (30 milliards en crédits d’engagement) et celle du fonds de
cohésion (2,7 milliards) sont stabilisés.
♦ Politiques internes
Dans ce domaine, qui couvre une grande diversité d’actions (transport,
éducation et formation professionnelle, emploi, énergie...), la marge de
manœuvre du budget est réduite, 80 % des dépenses étant prédéterminées
par les enveloppes des programmes pluriannuels (comme Jeunesse ou
Media+). En outre, 63 % de l’enveloppe totale est attribuée au 5e
programme-cadre de recherche et de développement technologique.
♦ Relations extérieures
La priorité retenue par la Commission a abouti à concentrer les moyens
disponibles sur les actions de lutte contre la pauvreté. Le financement de la
force européenne de réaction rapide est assuré. Enfin, le Parlement européen
a augmenté la dotation du programme MEDA (coopération avec les pays
méditerranéens) de 40 millions.
♦ Dépenses administratives
Elles ne mobilisent qu’une part très faible du budget (5 %) et couvrent les
dépenses administratives de l’ensemble des institutions communautaires
dont le financement de la réforme de la Commission engagée en 1999 et
l’amélioration de la gestion des programmes communautaires.
♦ Les réserves
Destinées à couvrir des dépenses impondérables, elles sont de trois types :
monétaires (pour faire face aux fluctuations de parité entre l’euro et le
dollar), financières (garanties de prêt sur les pays tiers) et humanitaires
(aides d’urgence en faveur des pays tiers).
♦ Élargissement
Plus de 3,2 milliards d’euros - soit la totalité de l’enveloppe des perspectives
financières - seront engagés en 2001 en faveur de la préparation des pays
candidats à leur adhésion à l’Union. Sur cette somme, 540 millions iront à la
restructuration agricole, et 1 milliard aux instruments de pré-adhésion. Le
programme PHARE mobilise
1,6 milliard d’euros.
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