À Michel Chartrand, ma belle petite crotte d`amour

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À Michel Chartrand, ma belle petite crotte d`amour
À MICHEL CHARTRAND, MA BELLE PETITE CROTTE D’AMOUR
Texte de Léo-Paul Lauzon, professeur au département des sciences comptables et titulaire de la
Chaire d’études socio-économiques de l’Université du Québec à Montréal
AVRIL 2010
Quelle chance merveilleuse j’ai eue de rencontrer Michel Chartrand il y a 20 ans et d’être devenu
son ami intime. Ce fut le coup de foudre entre nous. Tu fus définitivement mon mentor et ma
source d’inspiration. Ensemble, nous avons donné plusieurs conférences à des groupes
communautaires et à des syndicats, et aussi fait la fête! Quel immense plaisir ce fut alors pour
moi de te côtoyer. Les gens se souviennent de ton bouillant caractère mais tu étais plutôt un sage
qui nous éclairait. Et tes colères justifiées découlaient de ton indignation et de ton mépris contre
l’exploitation.
Tu en avais contre le démantèlement de nos acquis sociaux pour lesquels tu t’es toujours battu
héroïquement, quitte à être emprisonné. Devant tant d’inégalités et de pauvreté, faut dire qu’il y
avait vraiment matière à s’indigner. C’était la colère du juste.
Michel, même si tu étais un homme d’une grande culture, tant artistique qu’économique, tu étais
d’une simplicité déconcertante. Jamais tu as joué à l’important malgré ta renommée et tes
innombrables réalisations. Jamais tu as étalé tes connaissances grandioses pour épater la galerie.
Tu avais un humour incroyable, qui me rendait jaloux. Combien de fois j’ai été plié en quatre,
comme quand tu taquinais ta conjointe des dernières années, Colette Legendre. C’était toutefois
moins drôle quand j’étais la cible de tes «attaques», comme quand tu me disais : «Léo, vas-tu
falloir que je te fasse un deux colonnes pour que tu comprennes?». Et Colette d’ajouter : «Non
Michel, fais-lui un sept colonnes».
Michel, tu n’avais pas peur d’affirmer que tu étais socialiste. Comme moi tu étais croyant et,
selon mon humble avis, quiconque est chrétien est socialiste. Merci d’avoir été authentique et de
ne jamais t’avoir fait récupérer par le pouvoir, l’argent ou la gloire, toi qui pourtant vivais à
peine au-dessus du seuil de pauvreté.
J’aimerais te faire part de quelques regrets. Tu te souviens les fois où on a joué aux cartes, au
Romain 500, en fumant un cigare et en buvant un rhum cubains? Je te battais régulièrement! Au
ciel, je te promets que je vais te laisser gagner. Pas souvent, mais une partie à l’occasion. De mon
côté, Michel, je te pardonne, car avant de te connaître, je n’avais jamais sacré et j’avais un
caractère en or. Toi tu sacrais alors que moi je tenais des propos religieux. C’est pas pareil. De
toute façon, Michel, c’est pas ben grave car je compense amplement ces petits «irritants» par de
gros défauts, comme d’être taxé, comme toi, de dinosaure, de caricatural, d’hurluberlu et de
«communiste». Quels beaux compliments, n’est-ce pas Michel, venant de tu sais qui?
À toi Michel, que ma fille Martine appelait «Mimi» et toi «l’ineffable garce», et moi qui
t’appelais «ma belle petite crotte d’amour» et que j’embrassais à chacune de nos rencontres, tu
ne sais pas à quel point déjà, tu me manques terriblement. Je me souviens comme si c’était hier
la fois où, à quatre-vingt ans et ma fille vingt ans, tu lui avais gentiment dit : «Ah Martine, si
j’avais vingt ans de moins. Et ma fille de répondre : «Non Mimi, quarante ans de moins», et tu
t’étais esclaffé de rire… et nous aussi! Je ne peux me faire à ton départ, à savoir que tu ne seras
plus là pour nous motiver à en faire toujours plus pour notre prochain et à nous taquiner. C’est
bien d’avoir la passion d’aimer ses proches, mais toi tu allais au-delà de ça et tu avais la passion
de la compassion pour autrui. Ce qui me console et ramène ma joie est ma foi chrétienne, comme
toi. Ce n’est alors qu’un au revoir mon frère.