Statut Patrimonale du chef d`entreprise et participation aux acquets

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Statut Patrimonale du chef d`entreprise et participation aux acquets
ETUDES ET COMMENTAIRES
Statut Patrimonale du chef
d’entreprise et participation aux
acquets
Une étude réalisée par Arnaud Sollet, Notaire stagiaire,
SCP Gentilhomme & Associés
1. Liberté des conventions matrimoniales. - L’esprit libéral insufflé au lendemain de la Révolution par les
rédacteurs du Code civil n’a heureusement pas épargné notre droit des régimes matrimoniaux : le principe de liberté des conventions matrimoniales en est la parfaite illustration. C’est ce même souffle de
liberté qui a conduit notre législateur à assouplir progressivement, voire renverser, cet autre principe
jadis fondamental de l’immutabilité du régime matrimonial.
La liberté des époux de régler les effets patrimoniaux du mariage, affirmée avec vigueur par l’article 1387
du Code civil, conserve aujourd’hui encore toute sa pertinence. Le régime légal répond certes aux attentes de la majorité des français, pour plus des neufs dixièmes salariés depuis la fin du siècle dernier(1) ,
pour qui la mise en commun de leurs biens est perçue à la fois comme inhérente à l’institution du mariage et comme un avantage consenti par chacun des époux.
Lorsqu’au contraire l’un des futurs époux exerce une profession indépendante, par nature à risque, le
régime de séparation pure et simple peut apparaître à leurs yeux comme un régime protecteur des
intérêts de celui qui ne se destine pas à une telle activité. Cette idée est d’autant plus vraie lorsque l’entreprise n’en est encore qu’à ses débuts, la réussite du projet n’étant alors qu’une lointaine éventualité.
A cet égard, la volonté farouche des futurs époux de détacher le destin du conjoint de l’entrepreneur de
celui de l’entreprise, relève plus d’un désir de protection réciproque que de l’individualisme forcené.
2. Participation aux acquêts. - De nombreux auteurs et praticiens(2) ont vu dans le régime de participation aux acquêts prévu aux articles 1569 et s. du Code civil une alternative sérieuse à la séparation de
biens pure et simple pour les époux dont l’un des conjoint est susceptible d’exercer une profession indépendante. La liberté des conventions matrimoniales s’affirme alors tant à raison du choix de ce régime
(I) que par rapport aux modalités de liquidation de la créance de participation (II).
I - LE CHOIX DU RÉGIME DE LA PARTICIPATION AUX ACQUÊTS
3. Critères de choix.- On rappellera volontiers que tout régime matrimonial a vocation à régler trois
questions. La première est celle de l’exercice des pouvoirs sur les biens des époux. Sous le régime de
participation aux acquêts, la solution ne soulève aucune hésitation : chaque époux conserve seul le pouvoir d’administrer et de disposer des biens qui lui sont personnels, sous la seule réserve de respecter
les dispositions impératives du régime primaire concernant la résidence principale des époux.
La seconde question que doit résoudre le régime matrimonial est celle de l’affectation du passif. Là encore en participation aux acquêts, c’est l’indépendance des époux qui prévaut : l’époux entrepreneur est
ainsi seul débiteur des dettes afférentes à l’exploitation, que celle-ci constitue ou non un acquêt. Cette
indépendance peut toutefois se trouver déjouée en pratique, les créanciers de l’entrepreneur exigeant
bien souvent la caution (ou plus grave, la garantie à première demande) de son conjoint(3).
Précisons encore que sous le régime de participation, les acquêts nets ne peuvent être négatifs(4) de sorte
que l’un des époux ne peut participer au-delà de la moitié de son propre enrichissement à la déconfiture de son conjoint (ce dont il se félicitera !), ce qui est là encore un gage de protection du conjoint de
l’entrepreneur.
La troisième question est celle de la participation des époux à leur enrichissement respectif. C’est sur cet
(1) Source : INSEE, recensements et enquêtes emploi.
(2)Le régime de participation aux acquêts a en particulier trouvé ses plus
fervents promoteurs parmi le notariat : voir notamment J.-Fr. Pillebout,
La participation aux acquêts : Lexisnexis Litec, 2ème éd., 2005.
(3)On relèvera dans ce cas à titre anecdotique que l’époux commun en
bien qui s’est porté caution peut se trouver mieux loti que le même époux
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marié sous un régime séparatiste, le gage des créanciers se limitant aux
biens propres de chacun des époux dans la première situation, si l’époux
caution n’a pas donné le consentement visé à l’article 1315 du Code civil,
alors qu’il est étendu à l’ensemble des biens des époux dans la seconde
hypothèse.
(4)Article 1571 in limine du Code civil
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aspect que la participation aux acquêts se rapproche sensiblement du régime de communauté légale. On l’a dit,
le lien matrimonial implique pour beaucoup cette solidarité des époux quant à leur enrichissement ;
l’exercice d’une profession indépendante n’y change rien.
4. Règle générale d’interprétation. - Selon une doctrine particulièrement autorisée, « la notion d'acquêts doit
être identiquement comprise sous le régime de la participation aux acquêts et sous celui de la communauté
réduite aux acquêts »(5) . Ce postulat a dans la plupart des cas le mérite de répondre aux attentes des couples
dont l’un des futurs époux au moins est susceptible d’exercer une activité professionnelle indépendante et qui
choisissent la participation aux acquêts. Sans le risque inhérent à toute entreprise, ces futurs époux s’en seraient
pour beaucoup remis au régime légal, peu important pour eux le titulaire du droit de propriété des différents
biens du couple.
Le courant doctrinal précité tire de ce postulat une règle générale d’interprétation qui pourrait fort opportunément à notre sens être prévue au contrat de mariage au moyen d’une clause idoine (voire formule n° 1). Cette
clause nous paraît être utile car en effet, de nombreuses dispositions afférentes à la communauté
légale ne visent pas les époux mariés en participation. Ainsi en est-il par exemple de l’article L 132-16 du Code
des assurances, lequel qualifie de propre le bénéfice de l'assurance contractée par un époux commun en biens
en faveur de son conjoint, sans récompense à raison des primes financées par la communauté. Il peut être
prudent, dans ce cas, de prévoir que le bénéfice de ces assurances ne rentrera pas dans le calcul de la
créance de participation. Autre exemple : de même que sous l’empire du régime de communauté réduite aux
acquêts, les actions acquises pendant le mariage au moyen de droits préférentiels de souscription (DPS)
propres, donnent lieu à récompense, il nous paraîtrait logique, en application du postulat posé ci-avant,
d’inscrire au patrimoine originaire de l’époux concerné une quote-part des actions nouvelles, en
représentation des DPS contenus « en germe » dans les actions appartenant à cet époux au jour du mariage(6).
Devant la multitude des situations susceptibles d’advenir, il paraît prudent de prévoir une règle générale
d’interprétation de nature à guider la recherche par le juge de la volonté des parties, en cas de contentieux.
5. Prestation compensatoire. - Cette volonté de participer constitue véritablement la pierre angulaire du régime
étudié, ce qui nous fait dire que les clauses d’exclusion, si elles sont susceptibles de confiner à l’iniquité
(cf. infra n° 9) peuvent encore être contraires à l’essence de la participation aux acquêts. En cas de dissolution
du régime pour cause de divorce, l’époux débiteur de la créance de participation pourra toutefois se consoler
en considérant que la créance qui lui incombe est de nature à diminuer le montant de la prestation compensatoire susceptible d’être mise à sa charge(7). Si en effet la prestation compensatoire est fixée par le juge(8), celuici doit tenir compte, entre autres considérations, du « patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial » (Code civil, art. 271) ; de ce point de vue, la
créance de participation apparaît comme une sorte de prestation conventionnelle, fixée à l’avance par les époux.
Cette prestation conventionnelle ne saurait toutefois se substituer à la prestation compensatoire prévue par la
loi fixée, in fine, par le juge.
6. Neutralité fiscale. - Habileté fiscale oblige, on pourrait être tenté de juger de l’opportunité d’adopter le
régime de la participation aux acquêts au regard de considérations exclusivement fiscales. Certes, ce régime ne
bénéficie pas des faveurs de l’article 1133 bis du Code général des impôts qui exonère de toute perception au
profit du Trésor les actes portant changement de régime matrimonial en vue de l’adoption d’un régime communautaire(9) ; la participation aux acquêts est cependant un régime que les époux concernés ont coutume
d’adopter ab initio, avant le mariage.
Par ailleurs, on pourrait croire de prime abord que le paiement de la créance de participation au moyen de biens
personnels de l’un des époux supportera systématiquement les droits de mutation à titre onéreux et sera
susceptible d’extérioriser les plus-values latentes afférentes aux biens concernés, ceux-ci étant remis à l’époux
créancier par dation en paiement, in facultate solutionis.
(5) Liquidation d’un régime de participation aux acquêts, Examen de
notaires, 2e valeur, Session de sept. 1989, Defrénois 1990, n° 34790, M.
Grimaldi.
(6)Ou les actions venant elles-mêmes en représentation de biens présents à cette époque
(7)On relèvera à cet égard que le PACS se distingue pour l’instant du
mariage sur ce point, et affirme à cet égard sa nature contractuelle, alors
que la loi du 23 juin 2006 lui a donné un « vernis » institutionnel (Code
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civil, art. 515-4).
(8) A défaut d’accord des parties ou si cet accord préserve insuffisamment l’intérêt de l’époux bénéficiaire de la prestation compensatoire, s’agissant du divorce par consentement mutuel.
(9) Notons que l’Administration admet en revanche que cette disposition
s’applique à l’adjonction d’une société d’acquêts à un régime de séparation de biens (Inst. 27 juillet 2004, 7 A-1-04 n° 9 à 11).
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Toutefois, du point de vue des droits de mutation à titre onéreux tout d’abord, l’Administration fiscale a
tiré les conséquences de l’article 1576 al. 3 du Code civil, qui prévoit que le règlement en nature de la
créance de participation constituait une opération de partage lorsque les biens attribués à l’époux
créancier n’étaient pas compris dans son patrimoine originaire : seul le droit de partage de 1,10 % est alors
exigible sur les acquêts remis en paiement(10). De surcroît, l’article 18 de la Loi de finances pour 2008 a
étendu le régime spécial propre aux partages et licitations opérés dans le cadre familial aux biens acquis
indivisément par les époux avant ou pendant le mariage (CGI, art. 748 et 750), faisant échapper les soultes ou plus-values aux droits de mutations à titre onéreux(11).
De la même manière concernant l’imposition des plus-values des particuliers, l’article 16 de la loi de
finances précitée a légalisé la position de la doctrine fiscale aux articles 150-0A et 150 U du CGI en
l’étendant aux biens acquis avant le mariage par les époux(12) ; les partages de biens indivis acquis avant
ou après le mariage par des époux en participation n’extériorisera pas les plus-values afférentes à ces
biens, nonobstant la présence de soultes ou plus-values(13). En outre, « le règlement en nature ne devrait
pas […] avoir pour conséquence la taxation des plus-values dans la mesure où il peut être assimilé à un
partage (14)» . A contrario, le règlement de la créance au moyen de biens figurant au patrimoine
originaire de l’indivision rendrait exigible les éventuelles plus-values latentes y afférentes.
Enfin, la Loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA) du 22 août 2007 a ramené le
tarif des droits de succession entre époux à… zéro, ce qui réduit au plan fiscal l’intérêt que présentaient
jadis les avantages matrimoniaux, notamment en ce qui concernait les réversions d’usufruit(15). Le critère
de choix de la participation aux acquêts apparaît en définitive comme exclusivement civil, ce qui mérite
d’être souligné.
II - LES MODALITÉS DE LIQUIDATION DE LA CRÉANCE DE PARTICIPATION
7. Généralités. - La liquidation de la participation aux acquêts consiste à déterminer dans un premier temps
les acquêts nets des époux, de les comparer puis de calculer la créance de participation égale à la moitié
de la différence.
La liberté des conventions matrimoniales trouve là encore à s’appliquer, puisque l’article 1581 du Code civil
prévoit expressément la possibilité pour les époux de convenir de modalités particulières de liquidation de
la créance de participation. Le législateur va même jusqu’à enjoindre le praticien à faire preuve
d’imagination en lui fournissant une liste non exhaustive de conventions permises ! Ainsi le texte vise-t-il
la clause de partage inégal ou encore l’attribution au conjoint survivant de la totalité des acquêts nets de
l’autre époux.
Parmi les clauses permises, l’une au moins nous paraît devoir être mise en exergue aux yeux des futurs
époux qui s’orientent vers le régime de la participation aux acquêts : l’exclusion de la créance de
participation en cas de décès lorsque l’époux survivant en est débiteur. Quoi de plus pernicieux en effet
pour qui veut avantager son conjoint, que de lui imposer de verser une créance de participation à ses
héritiers, à plus forte raison lorsqu’il s’agit des propres enfants du couple ?
8. Nature de ces conventions. - La nature des conventions visées à l’article 1581 du Code civil est incertaine. On admettra pour notre part bien volontiers qu’il puisse s’agir de véritables avantages matrimoniaux(16),
encourant l’action en retranchement (C. civ., art. 1527 al. 2nd) ou la révocation en cas de divorce (C. civ.,
art. 265), même s’il est vrai que les textes ne visent que « les avantages que l’un ou l’autre des époux
peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle ». A défaut, il faudrait convenir qu’il s’agisse
soit d’une libéralité (susceptible en tant que telle de se heurter à l’ordre public successoral(17)) soit au
contraire d’un contrat aléatoire(18). S’agissant d’une convention matrimoniale, la nature onéreuse de ces
stipulations nous paraît cependant plus qu’incertaine, la volonté d’avantager son conjoint étant évidente. (10) Rép. min. Vasseur, JOAN 2/04/1990, p. 1493, n° 23560.
(11) FR 61/07, 22 déc. 2007, p. 82, n° 33.
(12) FR 61/07, 22 déc. 2007, p. 73, n° 28. Pour les commentaires de
l’Administration fiscale, voir BOI 5 C-3-08, n° 54 du 21 mai 2008 (plusvalues de cession de valeurs mobilières et de droits sociaux par les particuliers) et BOI 8 M-1-08 n° 54 du 21 mai 2008 (plus-values immobilières des particuliers).
(13)Si l’on en doutait, l’Administration a pris soin de préciser que « s’agissant de l’indivision conjugale, le régime matrimonial est sans incidence [sur
le régime de faveur] » (BOI 5 C-3-08 préc. n° 20 et BOI 8 M-1-08 n° 19).
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(14) Répertoire Notarial formulaire, Participation aux acquêts, Fasc. 10, n°
170, J. Fr. Pillebout.
(15) Sur ces avantages qui font aujourd’hui figure « d’antiquités » fiscales : voir 96ème Congrès des Notaires, Lille, 2000, p. 741.
(16)Sur l’appréciation de ces avantages et leur distinction avec les simples « bénéfices » que les époux peuvent retirer du fonctionnement de
leur régime matrimonial, on se reportera à l’étude de Me N. Duchange
qui préconise de réaliser une triple liquidation : Quelques précisions sur
l’évaluation des avantages matrimoniaux à propos d’une formule de participation aux acquêts, Defrénois 1993, n° 35618, voir en particulier les n°
14 à 24.
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La question de la nature de ces conventions a pu récemment émouvoir la doctrine à propos de la clause
d’exclusion des biens professionnels. Si cette exclusion constituait en effet un avantage matrimonial, apprécié au regard d’un seul point de référence constitué par le régime de la participation aux acquêts « type »
tel que défini par les articles 1569 et s. du Code civil, il faudrait conclure que cette clause d’exclusion
constitue une précaution… inefficace ! Pour reprendre les termes d’un récent article de Me Letellier en effet,
« si la clause d’exclusion du bien professionnel est assimilée à un avantage matrimonial qui n’a pas
produit ses effets au cours du mariage alors, en application de l’article 265 du Code civil issu de la
réforme du divorce du 26 mai 2004, cette clause serait révoquée de plein droit »(19) . Cet auteur développe toutefois contre ce raisonnement une argumentation qui nous semble pertinente, fondée sur l’appréciation relative de l’avantage matrimonial : les conventions qui auraient pour effet de rapprocher la situation
des époux communs en biens ou en participation aux acquêts « type » de celle qui serait la leur en
séparation de biens, ne constitueraient pas des avantages matrimoniaux(20).
9. Exclusion des biens professionnels. - La clause d’exclusion des biens professionnels est apparue aux yeux
des spécialistes de la participation aux acquêts comme un « correctif nécessaire »(21). Cependant, ces mêmes
auteurs constatent que la clause d’exclusion pure et simple des biens professionnels du calcul de la créance peut se révéler totalement contraire à l’objectif recherché par les époux : « si le conjoint de l’époux
bénéficiant de la clause d’exclusion possède lui-même des acquêts dont la valeur est supérieure aux
acquêts non professionnels de ce dernier, la clause d’exclusion devient inéquitable »(22), l’époux qui s’est
en réalité le moins enrichi se trouvant alors débiteur d’une créance de participation !
Ces auteurs ont proposé de plafonner le montant de la créance de participation soit en lui appliquant un
taux de minoration (la créance de participation étant égale au quart de la différence des acquêts nets de
chaque époux par exemple)(23) , soit en plafonnant le montant de la créance de participation à la moitié (ou
pourquoi pas à la totalité ?) des acquêts nets non professionnels réalisés par l’époux débiteur de cette
créance(24).
10. Discussion. - L’exclusion (aménagée) des biens professionnels peut apparaître comme légitime : le but
poursuivi étant de ne pas remettre en cause la pérennité de l’entreprise, dont l’intérêt peut être distingué
de celui, personnel, de l’époux entrepreneur(25). Toutefois, il nous semble que poser une limite à la participation puisse laisser place à l’arbitraire et confiner les futurs époux dans des abîmes de réflexion, quasiexistentiels : « jusqu’où est-on prêt à participer à nos enrichissements respectifs » ?
L’exclusion des biens professionnels peut se révéler d’autant plus funeste que l’époux entrepreneur qui
verrait poindre à l’horizon l’éventualité d’un divorce, pourrait préférer par exemple affecter les résultats
bénéficiaire au poste « réserves » de son entreprise sociétaire, de manière à limiter autant que possible la
créance de participation dont il pourrait être tenu. Ce faisant, il détournerait une partie de ses acquêts du
calcul de la créance de participation au détriment de son conjoint.
Cette question a trouvé un écho récent à propos d’un arrêt de la Cour de cassation(26) relatif au régime de
la communauté réduite aux acquêts. En l’espèce, un époux commun en biens avait reçu des parts
nouvelles à l’occasion d’une augmentation de capital par incorporation de réserves. L’épouse de l’associé
concerné souhaitait, au moment de leur divorce, profiter de l’enrichissement ainsi réalisé par son mari.
La Cour d’appel de Colmar, approuvée en ce sens par la Cour de cassation, a débouté l’épouse de sa
demande sur le fondement de l’article 1406 du Code civil, en jugeant que ces actions nouvelles constituaient
des biens propres d’une part (ce qui est incontestable) et ne donnait pas lieu à récompense d’autre part
(ce qui est sujet à controverse). Par comparaison, l’application de cette solution à la participation aux
(17)Mais également d’être révoquée si cette libéralité devait être qualifiée de
donation de biens à venir (C. civ. art. 1096, al. 1er) ou à tout le moins de donation de biens présents ne prennant pas effet au cours du mariage (C. civ. art.
1096, al. 2 a contrario).
(18)Il s’agirait d’une sorte de clause d’accroissement : le survivant emportant,
par exemple, les acquêts nets de son conjoint prédécédé.
(19) François Letellier , JCP N, 21 mars 2008, n° 1155, p. 23.
(20) Cette « appréciation relative » rappelle en vérité la théorie de la « triple
liquidation » développée par Me Duchange, qui conduit à écarter de la qualification d’avantages matrimoniaux les « avantages » compris entre le « point
zéro » (régime de séparation de biens) et le régime de référence (communauté légale ou participation aux acquêts « type » selon le cas) comme constituant
de simples « bénéfices » au sens de l’art. 1527 al. 2 du C. civ., insusceptibles
d’être révoqués : N. Duchange, art. préc.
(21)J. Fr. Pillebout, Formules particulières de contrat de mariage. Une sépara-
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tion limitée, JCP N 1993, n° 13, p. 141 ; N. Duchange et J. Fr. Pillebout, La clause d’exclusion des biens professionnels de la participation aux acquêts. Un correctif nécessaire, JCP N 1995, n° 12, p. 787.
(22)N. Duchange et J. Fr. Pillebout, art. préc.
(23)N. Duchange, La minoration du taux de la participation aux acquêts,
Defrénois 1993, n° 35670.
(24) N. Duchange et J. Fr. Pillebout, art. préc
(25) Une telle distinction n’est pas sans rappeler la doctrine de l’entreprise dont
les premiers promoteurs sont les Pr. C. Champeau et J. Paillusseau : Paillusseau,
La société anonyme, technique de l’organisation de l’entreprise, Sirey, Paris,
1967 ; du même auteur : Les fondements modernes du droit des sociétés, JCP
E 1984, II, 14193. Cette doctrine s’inspire très largement de la théorie nord-américaine des Stockholders : sur cette théorie, voir la chronique de F.G. Trébulle,
Bull. Joly
(26) Sociétés, déc. 2006 et janv. 2007.
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acquêts conduirait à porter ces actions nouvelles au patrimoine originaire de l’époux concerné, ce qui
neutraliserait l’attribution d’actions gratuites du point de vue du calcul de la créance de participation.
L’exclusion de tout droit à récompense a cependant été critiquée en doctrine, pour qui « la solution laisse
malgré tout un fondement d’iniquité »(27) . Pour le Pr. Champenois, les actions nouvelles attribuées à
l’époux associé constituent un « acquêt manqué »(28) : économiquement, il faut bien admettre que la
« distribution » de réserves sous forme de liquidités ou par l’attribution d’actions nouvelles, sont deux
situations assez proches. La question se pose dans les mêmes termes s’agissant d’une incorporation de
réserves se traduisant par une augmentation de la valeur nominale de l’action : cette situation ne devrait-elle
pas enrichir la communauté d’un droit à récompense ?
Au regard d’une application stricte des principes du droit des sociétés cependant, les réserves nous apparaissent plus relever de la qualification de plus-value que de celle d’un revenu en l’instance d’affectation ; il ne
fait en effet plus aucun doute que les bénéfices ne sont pas des fruits civils réputés en tant que tels
s’acquérir au jour le jour(29).
Il faut ici réserver le cas de la fraude qui, pour reprendre l’adage, corrompt tout. Cette réserve pourra être
rappelée à bon escient par le contrat de mariage(30).
11. Proposition. - Si c’est véritablement l’intérêt de l’entreprise qui est en jeu avec la clause d’exclusion des
biens professionnels, il nous paraît possible, plutôt que de s’attacher au calcul de la créance de participation,
de prévoir les modalités de son règlement en cas de divorce(31), de façon à permettre à l’époux titulaire de
biens professionnels de rembourser la dette qui lui échoit sans remettre en cause la continuité de
l’exploitation.
Si les époux recherchent en effet une participation maximale à l’enrichissement de chacun, même dans
l’hypothèse d’un divorce, ils pourront convenir que la créance de participation afférente aux acquêts nets
professionnels sera payable par échéances égales sur une durée déterminée à l’avance, dix ou quinze ans par
exemple, moyennant un taux fixé lui aussi à l’avance. On retrouve ici l’idée d’une prestation conventionnelle
(cf. supra n° 5).
Calculer le montant de la créance de participation afférente aux acquêts nets professionnels nécessite de
réaliser deux liquidations : la première, effective, en respectant les règles fixées par le Code civil et la
seconde, théorique, faisant abstraction des acquêts nets professionnels. La différence serait ainsi admise au
bénéfice du paiement échelonnée.
Voilà un époux entrepreneur qui, au jour du divorce, aura réalisé des acquêts nets à hauteur de 100 en
application des règles de la participation aux acquêts « type », tandis que les acquêts nets de son conjoint
s’élèvent à 50. La créance de participation à sa charge est alors égale à :
(100 – 50) / 2 = 25.
Si la même liquidation, déduction faite cette fois-ci des acquêts nets professionnels, laissait apparaître des
acquêts nets de l’époux entrepreneur pour 70, la créance de participation bénéficiant de la facilité de
paiement s’élèverait à :
25 – [(70 – 50)] / 2 = 15.
Il conviendra également de prévoir le cas où la seconde liquidation ferait apparaître une créance « en sens
inverse », au profit de l’époux débiteur de la créance de participation effective. Pour reprendre l’exemple précédent, en considérant cette fois que la liquidation théorique fasse apparaître des acquêts nets de
l’époux entrepreneur pour 30, la créance de participation théorique serait alors due par le conjoint de
l’entrepreneur à hauteur de 10.
Dans une telle hypothèse, il faudra admettre que l’ensemble de la créance de participation sera admise au paiement échelonné (voir formule n° 2).
(27) G. Champenois, Defrénois 2008, n° 38719-2.
(28)Manquement qui, au contraire de « l’acte manqué » en psychanalyse,
pourra être réalisé par l’époux entrepreneur de manière plus ou moins consciente…
(29)« Les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant l’approbation des
comptes de l’exercice par l’assemblée générale, la constatation par celle-ci de
l’existence des sommes distribuables, et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé » (Cass. Com., 28 nov. 2006, JCP E, n° 11, 15 mars 2007,
F. Deboissy ; Revue Lamy droit des affaires, fév. 2007, n° 13, A. Cerati-Gauthier).
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(30) On rappellera les termes de la formule proposée par Me J. Fr. Pillebout :
« si lors de la liquidation il apparaît qu’un époux a investi anormalement en
biens professionnels (ajouter éventuellement : « dans l’intention de réduire le
montant de ses acquêts »), l’excédent est ajouté au patrimoine final »,
Formules particulières de contrat de mariage. Une séparation limitée, art. préc.
(31)En cas de dissolution de la participation pour cause de décès du conjoint
de l’entrepreneur, cette précaution serait superflue en cas d’exclusion de la
créance de participation lorsque le conjoint survivant en est débiteur : cf. supra
n° 7 in fine.
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ETUDES ET COMMENTAIRES
En guise de conclusion, on peut s’interroger sur l’éventuelle qualification d’avantage matrimonial
(éventuellement révocable en cas de divorce) qui pourrait être attribuée à ce type de dispositions(32).
La stipulation d’un intérêt réduit à notre sens ce risque, en conférant aux modalités de paiement dérogatoires du régime de participation aux acquêts « type » développées ci-avant, un caractère onéreux.
FORMULES
FORMULE 1 - REGLE GENERALE D’INTERPRETATION
Pour l’interprétation du présent contrat, les futurs époux conviennent que la notion d'acquêts devra être
comprise de la même manière que sous le régime de la communauté réduite aux acquêts défini aux
articles 1401 et suivants du Code civil. Les solutions admises sous l’empire du régime de la communauté
réduite aux acquêts sont donc de nature à guider l'interprétation des présentes.
FORMULE 2 - PAIEMENT ECHELONNE DE LA CREANCE DE PARTICIPATION AFFERENTE AUX ACQUETS NETS
PROFESSIONNELS DE L’EPOUX DEBITEUR
Les futurs époux conviennent qu’en cas de dissolution de leur régime matrimonial par divorce, la quotepart de la créance de participation afférente, le cas échéant, aux acquêts nets professionnels de l’époux
débiteur de cette créance, serait payable de manière échelonnée sur dix années, par échéances mensuelles égales, déterminées selon la formule suivante :
Capital * TxPer
Échéance =
1 -(1 + TxPer) -NbEch
Avec :
- Echéance : échéance mensuelle ;
- Capital : quote-part de la créance de participation afférente aux acquêts nets professionnels de
l’époux qui en est débiteur ;
- Tx Per (exprimé en pourcentage) : taux d’intérêt légal afférent à l’année où le divorce est prononcé,
divisé par douze ;
- NbEch : nombre d’échéances (120 pour une durée de 10 années par exemple).
A cet égard, pour déterminer la quote-part de la créance de participation afférente aux acquêts nets
professionnels de l’époux débiteur, il conviendra, le cas échéant, de procéder à deux liquidations
successives : l’une incluant les acquêts nets professionnels de l’époux débiteur, l’autre en en faisant
abstraction, de sorte que l’excédent de la créance de participation calculée au terme de la première liquidation sur celle, théorique, déterminée au terme de la seconde, constitue la quote-part de la créance de
participation bénéficiant du paiement échelonné.
Si la liquidation réalisée abstraction faite des acquêts nets professionnels de l’époux effectivement
débiteur de la créance de participation laissait apparaître une créance de participation théorique à son
profit, celle-ci serait retenue pour nulle, de telle manière que la totalité de la créance de participation serait
admise au paiement échelonné.
Pour l’application de la présente clause, les acquêts nets professionnels s’entendront des biens et des
dettes afférentes à l’exercice d’une activité professionnelle indépendante par l’époux débiteur de la
créance de participation. Ces biens et dettes professionnels seront définis selon les principes et usages de
la profession et comprendront notamment : le fonds de commerce, l’exploitation agricole, la valeur de la
clientèle libérale, les équipements et matériels servant à l’exercice de la profession, les parts sociales ou
actions de la société au sein de laquelle l’époux exerce son activité, le droit de propriété ou le droit au
bail des locaux et immeubles dans lesquels l’activité de l’époux est exercée ou les parts sociales ou actions
de toute société propriétaire desdits locaux et immeubles, ainsi que de toutes les dettes qui pourraient se
rapporter à l’acquisition de ces différents biens(33). (32) Si toutefois une « appréciation relative » de l’avantage matrimonial ne
devait pas suffire à écarter une telle qualification : voir supra n° 8.
(33) Cette définition des acquêts nets professionnels est très largement inspi-
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rée de celle des biens professionnels donnée par Me Pillebout, in Formules particulières de contrat de mariage. Une séparation limitée, art. préc., spéc.
Formule 1, Article 5, Exclusion des biens professionnels des époux.
La Revue des Notaires
Octobre 2008