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Lesjournéesde
l’ingénierie
patrimoniale2016
3et4février2016–PavillonDauphine,Paris
Compte-rendu
Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Sommaire
Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété..............3
Présentationtraditionnelledudémembrement,formedésuèted’unepropriétééclatée...........................3
JeanAULAGNIER................................................................................................................................................................3
•
Unepratiquenotarialeancréedanslesmœurs..............................................................................3 •
Retoursurl’histoiredudémembrementdepropriété. ....................................................................3 •
Remiseencausedoctrinale. ...........................................................................................................4 Ledémembrementsubi:ladissociationdel’avoiretdupouvoirdansunepropriétééclatée....................4
•
Laséparationdel’usufruitetdelanue-propriété. ..........................................................................4 •
Ledroitdenue-propriété:undroitàrien?...................................................................................5 MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE.............................................................................................................................5
•
L’apportdenue-propriétéenSCI,unapportfictif?. .......................................................................5 Lafindudémembrementsubi:laréuniondel’usufruitàlanue-propriété?.............................................7
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Quedevientl’usufruit?.................................................................................................................7 Desprésentationscommercialeserronées.....................................................................................8 Uneprésentationfiscaleinconséquente. ........................................................................................9 Ledémembrementchoisi:ladivisiondel’avoiretdupouvoirdansunepropriétééconomiquement
divisée.......................................................................................................................................................9
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Versuneapprocheplusconstructivedudémembrement. ...............................................................9 Lepartagedel’avoiretdupouvoir. ................................................................................................9 Cohérencedesapprocheséconomiquesetjuridiques. ..................................................................1 0 Uneapplicationpratique:latransmissiontemporaired’usufruit. .................................................1 1 •
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Déterminationdelavaleurdesdroitsàacquérir..........................................................................1 2 Exemplesdecalculsdevaleuractualiséedesrevenus..................................................................1 3 Applicationsconcrètes. ................................................................................................................1 4 Appliquerlavalorisationéconomique,c’estlarègle. ....................................................................1 5 Lepartagedesutilitésdelachose...............................................................................................1 5 Commentlavaleurdel’usufruitetdelanue-propriétéévolue?. ..................................................1 5 L’enrichissementdunu-propriétaireneprovientpasdel’usufruit................................................1 6 •
•
Démembrementetfiscalité. .........................................................................................................1 7 Unnu-propriétairenommé«vocataire»,unusufruitiernommé«trustee».................................1 7 Analysefinancièredesinvestisseursdanslecadred’undémembrementchoisi.......................................12
Lafindudémembrementdepropriété....................................................................................................16
Sigles.............................................................................................................................18
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Pouruneapprochefranchement
économiquedudémembrementde
propriété
Animation:MichelTirouflet,présidentduComitédeprogrammedesJournéesdel’ingénierie
patrimoniale(JIP).
Présentationtraditionnelledudémembrement,formedésuèted’une
propriétééclatée
JeanAULAGNIER
Vice-président del'Associationuniversitairederechercheetd'enseignementsurlepatrimoine
(AUREP)
Unepratiquenotarialeancréedanslesmœurs
Pendant longtemps et jusqu’à la fin des années 1980, le démembrement de propriété était
figé dans son contenu, dans sa forme traditionnelle, par ceux qui en avaient la maîtrise,
essentiellement les juristes, et parmi eux, les notaires. Le démembrement était une
institution liée à une pratique le plus souvent consécutive à un événement subi (un décès).
Le jour de la mort d’un client, celui-ci ayant laissé la totalité de ses biens en usufruit à son
conjoint survivant, ce dernier subissait ce choix, très souvent conseillé par son notaire. En
acceptantderecevoirenhéritagel’usufruitdelatotalitédesbiensdesonconjointdécédé,le
conjoint subit le démembrement de propriété, tout comme ses enfants, devenus, de droit,
nus-propriétaires, la nue-propriété étant, par ailleurs un terme peu facile à expliquer aux
héritiers. Le démembrement peut également être utilisé à l’initiative de l’usufruitier lors de
la donation de son vivant de la nue-propriété des biens au donataire qualifié de nupropriétaire.
Retoursurl’histoiredudémembrementdepropriété
Ce démembrement vécu au quotidien est connu depuis le code civil de 1804 qui l’avait
e
institué et conforté. Puis son usage s’est développé à l’occasion des successions. Or, au 19 siècle, socialement, l’usufruit renvoyait à un mode de vie et il servait essentiellement à
assureràsonbénéficiaireunmoyend’existenceàl’occasiondeladisparitionduconjoint.
Depuislors,avons-nousrevisitél’organisationdesmodesd’administrationetdegestiondes
biens démembrés? Non, nous continuons à subir, avec la complicité active de certains
praticiens,desrèglesdegestionetd’administrationqu’ilconviendraitdemettreàjour.
1
Il est pourtant grand temps que les propositions élaborées par l’association Capitant ,
présidéeparMichelGrimaldi,soientretranscritesdanslecodecivil.Lesrèglesdegestionde
1
AssociationHenriCapitantdesamisdelaculturejuridiquefrançaise,présidéeparMichelGrimaldi
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
la propriété démembrée pourraient ainsi se rapprocher des préoccupations des héritiers
d’aujourd’hui.
Pour autant le démembrement de propriété, alors qu’il est pratiqué depuis 200 ans, est un
sujet de discussions opposant les juristes et les économistes. Étrangement, économistes et
financiersn’ontpasfaitpreuvedecuriositéàl’égardd’unconceptquileurétaitétranger.
Remiseencausedoctrinale
La présentation théorique du démembrement est restée conservatrice et figée. Nous la
subissonsencoresanslaremettreenquestion.Traditionnellement,lapropriétédémembrée
est présentée par les juristes comme une propriété éclatée, séparant avoir et pouvoir et
séparant jouissance et arbitrage, alors que les économistes voient la propriété démembrée
comme une propriété partagée. Les juristes ne sont pas friands du «partage» pour décrire
cette situation car ce terme est associé à l’indivision. Or, lors d’un démembrement, il n’y a
pasd’indivision.Pourautant,ledémembrementconcernebeletbienunepropriétépartagée
etnonéclatée.
Ledémembrementsubi:ladissociationdel’avoiretdupouvoirdans
unepropriétééclatée
Traditionnellement, le démembrement repose sur la séparation du droit à l’usufruitier de
jouirdetouslesrevenusfutursdelapropriétéetdudroitdunu-propriétairededisposerde
cettemêmepropriété.D’aprèsl’article544ducodecivil,lapropriétéestledroitdejouiret
disposerdeschosesdelamanièrelaplusabsolue.Ledémembrementreposedoncsurl’idée
étonnantequeledroitdepropriété,résultantdel’additiondedeuxdroits,peutêtrescindé.
Or,cetteprésentationtraditionnelleestplusquediscutable.
Laséparationdel’usufruitetdelanue-propriété
Le démembrement est présenté, par les juristes, comme la séparation du droit de
jouissancequirevientàl’usufruitier,etdudroitdedisposerquirevientaunu-propriétaire.
Ledroitd’usufruits’exerceraitsurlachosed’autrui,celledunu-propriétaire,considéréalors
commeleseuletvraipropriétaire.Cetteprésentationjuridiquetraditionnelle,bienquetrès
discutable, est reprise tant par les civilistes que par les fiscalistes. Ainsi, PauletteFournerie
fait de l’usufruitier le titulaire des droits d’usus et de fructus sur le bien, le propriétaire ne
2
conservantqueledroitdedisposer,c’est-à-direledroitd’arbitrage .Demême,selonPascal
Julien-Saint-Amand: «le démembrement consiste à scinder le droit de propriété.
L’usufruitierdisposedudroitd’usageetdesfruits.Lenu-propriétaireaundroitdedisposer
3
dans le respect des droits de l’usufruitier ». BrunoDalmas et VincentCornilleau écrivent
quant à eux que: «Le partage du droit de propriété conduit à séparer le droit d’usage et
4
celui de jouissance, l’usufruit du droit de nue-propriété (l’abusus) ». Selon cette
2
Selon Paulette Fournerie: «Le propriétaire reçoit trois prérogatives : usage de la chose (usus), jouissance de la chose
(fructus), disposition de la chose (abusus). L’usufruitier ne bénéficierait que des deux premières, d’où d’ailleurs la formule:
usufruit=usus+fructus.Lepropriétairenegarderaitqueledroitdedisposerdesachose,c’est-à-direicinonpasledroitdela
détruire,oumêmesimplementdeporteratteinteàsonintégrité,carildoitrespecterlesdroitsdel’usufruitier,maisledroitde
lanégocier,delatransmettre,comptetenu,ilestvrai,desafortedépréciation».V.Usufruit,JurisClas.Not.Fascicule10:
Usufruit,caractèresetsources.
3
P.Julien-Saint-Amand,Instrumentsjuridiquesdedroitfrançaisconstituantunealternativeautrust,Dr.&patr.2004,
n°132,p.76
4
B.DalmasetV.Cornilleau,Pratiquedudémembrementdepropriété,LITEC,2007,p.12.
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
présentation,l’usufruitrésulteraitdoncd’unfractionnementdelapropriété.Étonnamment,
cette présentation est largement partagée par l’administration fiscale qui reprend la
présentation traditionnelle d’une propriété éclatée, séparant le droit de jouissance du droit
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d’arbitrage .
Les juristes attribuent majoritairement au nu-propriétaire le droit d’arbitrage. Or, celui-ci
possède-t-ilréellementledroitdevendrelebien?
Ledroitdenue-propriété:undroitàrien?
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
Notaire
Eneffet,lenotaireditàsesclientsquelenu-propriétaireal’abususetquel’usufruitierale
fructus. Mais, ensuite, il ajoute que le nu-propriétaire, pour vendre le bien démembré, a
besoindel’accorddel’usufruitier.
JeanAULAGNIER
Danscecas,quelleestdonclavaleurdudroitdenue-propriété?Lenu-propriétaireserait-il
détenteur d’un droit qu’il ne pourrait pas exercer? Il serait alors privé à la fois de la
jouissance du bien et du droit de l’exercice de l’arbitrage. Cette fois, le qualificatif «nu»
aurait un sens puisque le «nu-propriétaire» serait finalement plus «nu» que
«propriétaire». D’ailleurs, les explications doctrinales qui ont justifié l’emploi du mot
«nu-propriétaire» se basent sur le constat que le droit de nue-propriété est sans utilité
pourlenu-propriétairepuisquetouslesfruitsseraientmaîtrisésparl’usufruitier.Ainsi,par
exemple,leProfesseurPicartconsidèrequelanue-propriétéestun«droitmutilé»etquele
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propriétaire est «dépouillé» . Par exemple, PauletteFournerie, au sujet de ce «nupropriétaire» écrit: «Il est évident que le propriétaire est, avant l’extinction de l’usufruit,
titulaire d’un droit qui ne lui sert à rien et ne lui rapporte rien, d’une sorte de droit abstrait
seulementporteurd’unespoirdereconstitution.D’oùlaterminologie,inconnueducodecivil,
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mais unanimement adoptée dans la pratique, de nu-propriétaire» . Récemment encore, un
civilisteéminent,W.Dross,aécritquelenu-propriétaireestnucar«desutilitésdelachose,
8
il ne lui en reste pas» . Cette vision est encore bien ancrée dans le corps notarial puisque
dans une étude récente, il est constaté que «Le donateur transmet une nue-propriété qui
n’est quasiment qu’un droit en devenir […] le donateur conservant la jouissance du bien
9
commes’ilétaitdemeurépropriétaire» .
L’apportdenue-propriétéenSCI,unapportfictif?
Cette présentation classique et juridique est cependant très éloignée de la réalité
économique.UneSociétécivileimmobilière(SCI)quinedétiendraitquedelanue-propriété
serait-elleunesociétéfictive?Eneffet,nepossédant«rien»,ellenepourraitpassatisfaire
10
aux dispositions de l’article 1832 du code civil . Cette analyse a d’ailleurs conduit la Cour
5
«Ledémembrementdudroitdepropriétéconsisteàattribuerledroitdejouirdubienàunepersonne,l’usufruitieretle
droitd’endisposeràuneautre,lenu-propriétaire.Ledémembrementrésultetantôtd’unecessionàtitreonéreux,tantôt
d’une transmission à titre gratuit à la suite d’une donation ou d’une succession », Extrait du Bulletin Officiel des Finances
Publiques-Impôts(BOFIP-Impôts),BOI-RFPI-PVI-20-10-10-20120912,Par.270
6
M.Picart,Traitépratiquededroitcivilfrançais,T.III,LesBiens,LGDJ,1926
7
P.Fournerie,V.Usufruit,JurisClas.Not.Fascicule10:Usufruit,caractèresetsources
8
W.Dross,DroitdesBiens,p.77,LGDJ2èmeEd.2014,Lenu-propriétaireestnu
9
Actualitédudémembrementdestitres,Lasemainejuridiquenotariale22novembre2013
10
Selonl’Article1832ducodecivil:«Lasociétéestinstituéepardeuxouplusieurspersonnesquiconviennentparuncontrat
d’affecteràuneentreprisecommunedesbiensouleurindustrieenvuedepartagerlebénéficeoudeprofiterdel’économie
quipourraenrésulter»
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
de cassation, dans l’arrêt n°07-20097, du 13janvier 2009 à conclure: «[…] son actif était
composéuniquementd’unactifennue-propriété[…]ilrésultequelaSCIétaitfictive».
Cette décision de justice est étrange. En effet, comment a-t-on pu, lors de la création de la
société,rémunérerdesapportsennue-propriétédèslorsqu’ils’agiraitdedroitsinutiles?
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
L’attitudedupraticiensurcettequestionestréservée,cardeuxpointsposentquestion.
Premièrement, quand sont apportés à une SCI de l’usufruit ou de la nue-propriété, le
praticienémetdesréservessurletransfertdudroitd’usufruitcarcedroitesttemporaire.De
plus, il est rémunéré par des droits sociaux, qui eux sont en pleine propriété. Or il est
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impossibledefaireundémembrementabinitiosaufs’ilyaunesubrogation .Quesepasset-illorsdel’extinctiondel’usufruit?Quereste-ildansl’enveloppedelasociété?Quelleest
lavaliditédumontagesil’usufruitn’apasproduitderevenu?
Deuxièmement,quelleestlavaleurd’unapportennue-propriété?Cetapportaétécritiqué
parlaCourdecassation,danssonarrêtdu13janvier2009.LaCourajugéquelaSCIn’avait
paslesmoyensderemplirsonobjetsocial.
Lespraticienssontdoncréservéssurl’apportennue-propriétéouenusufruitdansuneSCI.
De plus, des questions fiscales se posent au niveau de la rémunération de ces apports. Se
pose le risque d’une double imposition de la nue-propriété. En outre, les apports étant
rémunérésendroitssociaux,ilsserontrémunérésenpleinepropriété.Maisquesepasse-t-il
en cas d’apport conjoint de nue-propriété et d’usufruit? Le praticien pourrait alors prévoir
un report du démembrement en faisant une subrogation réelle conventionnelle et en
rémunérantlesapportspardespartssociales.
JeanAULAGNIER
Lenotairepréconiseraitdoncdecompléterl’apportennue-propriétéparunapportmodeste
debienenpleinepropriété,quiseraitalorsgénérateurdesrevenusvitauxpourlaSCI,selon
la Cour de cassation. Selon la Cour, une société ne vivrait en effet que par la perception de
revenus.
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
En effet, les praticiens prennent cette précaution. Nous proposons à nos clients d’apporter
encomplémentdelanue-propriétéunpetitportefeuillededroitsdepleinepropriétédansla
SCI.
JeanAULAGNIER
Votre prudence vous honore, pour autant elle m’apparaît superfétatoire. Je vais vous
démontrerqu’unesociétéquidétientdelanue-propriétésatisfaitpleinementàsonobjectif,
àsavoirl’enrichissementdesesassociés.
Pourquoilimitez-vousl’effetderichesseàlaseuleperceptionderevenus?Ilestétonnantde
réduire l’effet de richesse, indispensable pour satisfaire l’article 1832 du code civil, à la
seule perception de revenus. L’effet de richesse est composé non seulement du revenu
accumulé mais aussi des plus-values dégagées par le bien. Est-ce que, détenant un bien qui
sevalorise,vousnevousconsidérezpasenrichi?NierlefaitquelaSCIpourexisternepeut
pas se satisfaire de la seule nue-propriété revient à nier la valorisation inéluctable du droit
de nue-propriété. Le nu-propriétaire s’enrichit parce que le bien se valorise. Le seul fait de
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Subrogation:réinvestissementdansunbiendémembré
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
posséderestdoncsuffisantpourjustifierlacréationd’uneSCInedétenantquedelanuepropriété.
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
Nousoublionsl’argumentfiscal.Depuis2004,lebarèmefiscalachangé.L’article869-1aété
modifié introduisant un nouveau barème, beaucoup plus proche des tables de mortalités
actuelles.
JeanAULAGNIER
Cebarème,modifiévoici12ans,esttoutàfaitcritiquable.
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
Ce barème, fondé sur les tables de mortalités 1996-1998, est beaucoup plus proche de la
réalité que ne l’était l’ancien barème. Il y a 12 ans, l’apport de nue-propriété en SCI
présentait un réel intérêt. Nos clients étaient prêts à prendre le risque que cette SCI soit
jugéefictive.Aujourd’hui,l’intérêtd’untelmontageestbeaucoupplusfaible.
JeanAULAGNIER
Je retiens votre argument. Michel, quelle est votre position de praticien sur une SCI ne
détenantquedelanue-propriété?
MichelTIROUFLET
Jen’yvoisaucunproblème.
JeanAULAGNIER
Ilfautalorsconvaincrevotrenotaire-partenaired’avoirlamêmecertitudequevous.Eneffet,
la présentation traditionnelle du démembrement de propriété nous interpelle. Il semble
impossible de pouvoir dire que les seuls droits du nu-propriétaire puissent être constitués
d’un droit d’arbitrage, dont la totale inutilité est reconnue par quelques-uns de nos
collègues.
Lafindudémembrementsubi:laréuniondel’usufruitàlanuepropriété?
Quedevientl’usufruit?
Quand un démembrement prend fin, on parle de la «réunion» de l’usufruit à la nuepropriété. Selon la présentation traditionnelle, la propriété éclatée ne le serait donc que
pouruntempslimité.Selonquelprocessusest-ilmisfinaudémembrementdepropriété?
Ilestaffirmé,tantparladoctrinecivilequeparladoctrinefiscale,qu’autermedel’usufruit
(c’est-à-dire, le plus souvent, au décès de l’usufruitier), l’usufruit change de main pour se
retrouver dans celles du nu-propriétaire. La disparition de l’usufruit s’accompagne d’une
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affirmation surprenante: «l’usufruit rejoint la nue-propriété ». Dans la présentation
traditionnelle, le nu-propriétaire s’enrichit donc de l’usufruit auparavant possédé par
l’usufruitier. Mais, comment un droit qui n’existe plus au décès de son titulaire pourrait-il
«rejoindre»lanue-propriété?Comments’approprierquelquechoseàsonextinction?
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Codegénéraldesimpôts(CGI),Article1133:«[…]laréuniondel’usufruitàlanue-propriété[..]».
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Desprésentationscommercialeserronées
Certaines présentations commerciales développées par des sociétés telles que PERL ou
NOVAXIA,championsdudémembrementdepropriété,accréditentl’effetderichesseobtenu
par extinction de l’usufruit. Selon PERL (cf. figure1), au moment de l’acquisition, l’usufruit
représenterait 40% et la nue-propriété 60% de la valeur du bien. Au terme du
démembrement,lapleinepropriétésereconstituerait,auboutde15ans,enadditionnantla
valeur du droit acheté (la nue-propriété) et la récupération de l’usufruit. Selon ces schémas
commerciaux,l’effetderichesserésideraitdansl’usufruitacquisquasimentgratuitementpar
lenu-propriétaire.
Figure1-Présentationschématiqueetcommercialedefindedémembrementdepropriété
selonPERL
Cetteprésentation,commercialementhabile,n’estcependantpasconformeàlaréalité.Elle
est la conséquence de la présentation traditionnelle et inconséquente du démembrement.
Comment un investisseur pourrait-il investir gratuitement sur les droits d’un autre
investisseur? Que l’usufruit s’éteigne par l’arrivée de son terme est évident, mais que cela
profite au nu-propriétaire est totalement faux. Si ce dernier n’avait que l’usufruit pour
s’enrichir,songainseraitbienmodesteparcequ’égalàzéro.
Maître,qu’enpensez-vous?
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
Nous retenons cette terminologie presque malgré nous car elle possède une puissance
évocatrice certaine. Pour expliquer la fin du démembrement, nous utilisons en effet une
imagesimplemaisdéforméedelaréalité.
Pourquoiutilise-t-onlemot«réunion»?
L’article617ducodecivilemploielemot«consolidation»quandl’usufruitsetrouve«réuni
entre les mêmes mains» mais pas dans le cadre de son extinction. L’article suivant, le 618,
parlede«rentréedupropriétairedanslajouissancedel'objetquienestgrevé».
Les praticiens sont donc les seuls à employer le terme de «réunion» et l’image qu’ils
utilisent est non seulement erronée mais aussi trompeuse et peut avoir des conséquences
importantes. En réalité, on peut consentir des usufruits successifs, mais le premier ne se
donne pas au second, il se consomme. Ce que nous écrivons dans nos actes est absurde: il
n’existe pas de réversion d’usufruit, mais deux usufruits successifs qui s’ouvrent l’un après
l’autre.
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Uneprésentationfiscaleinconséquente
JeanAULAGNIER
D’autres éléments participent également à cette confusion. Par exemple, l’article 1133 du
Codegénéraldesimpôts(CGI)n’a,logiquement,aucuneraisond’exister:«[…]laréunionde
l'usufruitàlanue-propriéténedonneouvertureàaucunimpôtoutaxelorsquecetteréunion
a lieu par l'expiration du temps fixé pour l'usufruit ou par le décès de l'usufruitier».
Commentl’usufruitpourrait-ilseréuniràlanue-propriétélejourmêmeoùiln’existeplus?
Cet article peut être rapproché de l’article 617 du code civil qui indique les causes de
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l’extinction de l’usufruit : soit par la mort de l’usufruitier, soit par l’expiration du temps
pour lequel il a été accordé. Comment expliquer une acquisition par extinction? Comment
pourrait-onacquérirquelquechosequin’existeplus?Cetteapprochen’aaucunsens.
Ledémembrementchoisi:ladivisiondel’avoiretdupouvoirdans
unepropriétééconomiquementdivisée
Versuneapprocheplusconstructivedudémembrement
L’approche juridique et notariale du démembrement de propriété ne semble pas
correspondre aux attentes des investisseurs. Il faut donc reconstruire une théorie de
présentation du démembrement susceptible de mieux expliquer la nature des opérations
engagéesparlesinvestisseursetlessourcesd’enrichissementoud’appauvrissementvoulues
etmaîtriséesquirésulterontdecettestratégie.Or,commelasecondepartiedel’article579
14
du code civil l’indique, l’homme est libre d’organiser comme il l’entend l’usufruit et le
démembrement de propriété sera une opération choisie. Le démembrement est une
technique d’ingénierie patrimoniale qui est entre les mains des Conseillers en gestion du
patrimoine (CGP), des notaires, des avocats, et de tous ceux qui accompagnent leurs clients
enrecherched’optimisationdejouissance.D’unesituationquiaentraînéledémembrement,
on passera à une situation qui permet de choisir le démembrement comme mode de
détentionpartagé,divisé,del’avoiretdupouvoirentrelesdeuxinvestisseurs.
Lepartagedel’avoiretdupouvoir
Démembrer,cen’estpasfaireéclaterlapropriétémaispartageravoiretpouvoirentredeux
investisseurs.Ledroitdejouissanceetledroitd’arbitragesontconsubstantiels,c’est-à-dire
inséparables. Le démembrement est une source d’enrichissement pertinent et immédiat
pourlesdeux.
Larépartitiondel’avoiréconomique
Dans une présentation traditionnelle juridique, la plus-value semble être l’apanage du nupropriétaire. Cette approche est fausse car la plus-value n’est que la conséquence de
l’arbitrage. Si l’usufruitier est appelé à l’arbitrage par le notaire chargé de la vente, il
réclameradetouteévidencesapartdeplus-value.Cependantilfautrappelerqu’en1804,le
démembrement de propriété était une situation temporaire relativement brève, c’est
d’ailleurspourquoilelégislateur,àcetteépoque,nes’estpaspréoccupéd’uneorganisation
cohérente de fin du démembrement. Pendant la période d’un démembrement bref, il était
fort peu probable que le bien démembré soit arbitré. Par absence d’arbitrage pendant le
13
Selonl’Article667ducodecivil:«L'usufruits'éteint:parlamortdel'usufruitier;parl'expirationdutempspourlequelila
étéaccordé;parlaconsolidationoularéunionsurlamêmetête,desdeuxqualitésd'usufruitieretdepropriétaire;parle
non-usagedudroitpendanttrenteans;parlapertetotaledelachosesurlaquellel'usufruitestétabli.»
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Selonl’Article579ducodecivil:«L'usufruitestétabliparlaloi,ouparlavolontédel'homme.»
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
démembrement,siplus-valueilyavait,elleétaiteffectivementl’apanagedunu-propriétaire
devenualorspleinpropriétaire.
Mais aujourd’hui, compte tenu de l’allongement de la durée de la vie, les situations de
démembrement sont durables. Le nu-propriétaire doit patienter de longues années avant
l’extinction de l’usufruit par la mort de l’usufruitier. L’arbitrage peut donc survenir
volontairement, alors même que le terme du démembrement n’est pas parvenu.
L’usufruitier, de son vivant, participe à la vente et réclame sa part de plus-value. Cette
dernière est, au même titre que les revenus générés par le bien démembré, est un élément
de l’avoir économique. Les droits pécuniaires sont donc bel et bien partagés entre
l’usufruitier et le nu-propriétaire. Ce partage des droits pécuniaires est en rupture avec la
présentationtraditionnelledudémembrementfaiteparlesjuristes.
Lepartagedespouvoirspolitiques
Aujourd’hui,ons’intéressedeplusenplusauxpouvoirspolitiquesattachésàlapropriété:le
pouvoir de représentation de la propriété démembrée en Assemblée générale (AG) de
copropriétaires, le droit de représentation des associés aux AG d’actionnaires, le droit de
modificationdelasubstancedelachoseetc.
L’exercice de ces droits politiques doit être aménagé conventionnellement en respectant le
postulat de départ que ces droits sont partagés entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. Ce
partagepeutêtrerefusé,maisseulementdanslecadred’uneconventionorganisée.
Cohérencedesapprocheséconomiquesetjuridiques
La propriété d’un bien consiste dans l’appropriation de toute la jouissance, de tous les
revenus, de toutes les utilités qui seront générées par le bien pendant son existence. On
parle de pleine propriété lorsqu’une personne ou plusieurs sont propriétaires ensemble des
revenus futurs générés par le bien. Il n’y a de propriété qu’à travers le droit aux revenus
futurs.Toutdroitàlajouissance(dividende,loyers,intérêtouplus-values)estattachéàla
propriétédubien.
Si une personne est propriétaire d’un bien à un temps 0, son droit de propriété consiste au
droit à tous les revenus futurs générés par le bien. La perception des revenus futurs, la
jouissance du bien, s’inscrit dans le temps parce que le temps est divisible: on peut
considérer des périodes de temps de durée variable. Il est alors possible de partager les
périodes de perception de revenus entre plusieurs personnes (cf. figure2). Le premier à
15
percevoir des revenus sera qualifié d’usufruitier (années 0 à n ) et le second sera qualifié,
improprement, de nu-propriétaire (années n+1 à m). Chacun possède une fraction des
revenus générés par le bien. Démembrer, ce n’est pas mettre les revenus des années 0 à n
entre les mains de l’usufruitier, c’est mettre une partie des revenus entre les mains de
l’usufruitier(de0àn).
15
«n»étantladuréeconventionnelledudémembrementdepropriété
10
Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Figure2–Présentationschématiquedudémembrementdepropriété:larépartitiondes
droitsdejouissanceentreusufruitieretnu-propriétaire
Uneapplicationpratique:latransmissiontemporaired’usufruit
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
En tant que praticienne, je vois dans ce schéma des applications très concrètes et je suis
persuadée que nous n’avons pas encore pris toute la mesure des possibilités offertes par le
démembrementdepropriété.
Uneapplicationconcrètedelaséparationdansletempsdelaperceptiondesrevenusserait
la cession d’un usufruit temporaire. À certains moments de la vie, certains de nos clients,
possédant un patrimoine important, ont moins besoin des revenus générés par leurs biens,
par exemple, parce qu’ils sont soumis à l’Impôt sur la fortune (ISF). En revanche, ils
souhaitent conserver la propriété de leurs biens afin, à terme, de la transmettre. La
transmission temporaire d’usufruit peut être une solution intéressante pour ces clients.
Aujourd’hui des particuliers effectuent de plus en plus fréquemment des transmissions
(donation ou cession) temporaires d’usufruit à des personnes morales. L’idée est donc de
sortir des biens du patrimoine pendant une période critique où le client se situe dans des
tranches d’imposition importantes pour faire des économies d’Impôt sur le revenu (IR) et
d’ISF.
Le caractère abusif ou non de la transmission temporaire d’usufruit a été mis à jour par
l’administration fiscale. Il peut être recherché selon les modalités de l’article L.64 du Livre
16
desprocéduresfiscales(LPF) .Mais,aujourd’hui,lescritèrespouréviterlecaractèreabusif
d’unetelletransmissionsontconnus.Pourqu'unedonationtemporaired’usufruitnesoitpas
considéréecommeabusive,cinqconditionscumulativesdoiventêtreremplies:
-elledoitprendrelaformed'unactenotarié;
- elle doit être réalisée au profit d'organismes d'intérêt général habilités à recevoir des legs
etdonations,notammentlesfondationsetassociationsreconnuesd'utilitépublique;
16
Selon l’article L.64 du LPF: « […] l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes
constitutifs d'un abus de droit […] inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales de
l'intéressé[…]»
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
17
-elledoitêtreeffectuéepouruneduréeaumoinségaleàtroisans ;
- elle doit porter sur des actifs contribuant à la réalisation de l'objet de l'organisme
bénéficiaire(contributionfinancièreoumatérielle);
-elledoitpréserverlesdroitsdel'usufruitier,c’est-à-direquelesbienstemporairementdonnésne
doiventpasfairel’objetd’uneréservegénéraled’administrationdelapartdudonateur.
Ladernièremodalitéestlaplusdifficileàmettreenœuvrecarledonateur,nu-propriétaire,
ne souhaite pas octroyer à l’usufruitier des droits de vote sur ses actifs. Pour des raisons
pratiques, l’administration fiscale accepte que le nu-propriétaire puisse avoir un pouvoir
spécial sur toutes les prérogatives liées à l’usufruit, comme la participation aux AG des
actionnaires.Pournepasrisquerd’êtreaccuséd’abusdedroit,ilnefautpasfairederéserve
dansl’actededonation,maisattribueràl’usufruitierlatotalitédespouvoirs.
Jevousinviteàanalysercemontagepourvosclientsfortunésetquipoursuiventunbutnonlucratif.
JeanAULAGNIER
Cemontageillustreparfaitementcequejeveuxexpliquer.Lepropriétairedonnelesrevenus,
parexemple,descinqprochainesannées.Maisilnemetpasdanslepatrimoinedudonataire
lesrevenusfutursàpercevoirau-delàdutermeextinctifdudémembrementdepropriété.À
l’usufruitier revient l’allocation des revenus des années 0 à 5, le nu-propriétaire conserve
quant à lui les revenus des années 6 à suivantes. Au moment du démembrement de
propriété, ils partagent donc la propriété des revenus, divisée dans le temps. Le droit de
l’usufruitieresttemporaire,ledroitdupropriétaireestperpétuel.
Usufruitier et nu-propriétaire sont chacun pleins propriétaires des droits qu’ils possèdent.
Ils partagent l’ensemble des revenus futurs. Ils ont des droits identiques dont la valeur est
faite des utilités partagées. Il n’y a pas de différence de nature économique entre
l’usufruitieretlenu-propriétaire.
Analysefinancièredesinvestisseursdanslecadred’un
démembrementchoisi
Pourquoi investir dans la pleine propriété, si une fraction seulement des revenus futurs
m’intéresse? Pourquoi investir 100 unités quand je peux en investir 20 et bénéficier des
revenus des années 0 à 10? Si les revenus des années 11 et suivantes ne m’intéressent pas,
pourquoilesacheter?Aucontraire,pourquoiaujourd’hui,lenu-propriétaireinvestirait-ildans
lapleinepropriétéalorsqu’iln’apasl’utilitéimmédiatedesrevenusdesannées0à10?
L’opérationdedémembrementchoisiconsisteàn’acquérirqu’unepartiedesrevenusfuturs:
ceuxjugésutilesparchacundesinvestisseurs.
Déterminationdelavaleurdesdroitsàacquérir
Partageant les revenus futurs, les investisseurs partageront le prix à investir. Or la valeur
d’unepartiedutoutestforcémentinférieureautoutlui-même.Quelleestlavaleureffective
dudroitd’usufruitetdudroitdenue-propriété?Commentévoluelavaleurdesdroitsacquis
dansletemps?
17
Al’issuedelapériodedetroisans,lenu-propriétairepeutreprendrelapleinepropriétédesonbien,prolongerladonation
(iln’estplusalorsliéparledélaidetroisans)oudonnerlebiendemanièredéfinitive
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
La valeur d’un revenu futur est corrélée à sa date de perception. Plus le revenu à percevoir
est éloigné du temps présent (t0), plus sa valeur actualisée est faible. Plus le revenu à
percevoir se rapproche du temps présent, plus sa valeur actuelle est forte. La valeur de la
pleine propriété est égale à la sommation des espérances de revenus. Or, pour faire la
sommationdesrevenusespérés,ilfautlesactualiser,c’est-à-direlesconvertirenleurvaleur
actuelle.Nepasactualiserlesrevenusrevientàconsidérerquelavaleurnominaledurevenu
d’un bien reste la même indéfiniment. Or, on ne peut pas conférer aux revenus de l’année
100,lamêmevaleurquecelledesrevenusdel’année1.
Exemplesdecalculsdevaleuractualiséedesrevenus
Lavaleurdelapleinepropriétédonnedroitàtouslesrevenusfuturs,letempsdeladuréede
vie ou de la «maturité» du bien (années 0 à m). Soit un bien procurant un flux de revenus
annuelsfutursd’unmontantnominalde1000eurospendant100ans.Lavaleurdelapleine
propriétén’estpaspourautantde100multipliéspar1000.Demême,lavaleurdesrevenus
des 10 prochaines années n’est pas égale à 10 multiplié par 1000. Pourquoi? Simplement
parcequelesfluxderevenusnominauxnesontpasperçusaumêmemoment.
Parexemple,uninvestisseurquisouhaiteunerentabilitéde3,50%desonplacementatrois
possibilitésd’investissement:
-surlapleinepropriété;
-surl’usufruit;
-surlanue-propriété.
Quel prix doit-il payer chaque flux de revenus futurs pour parvenir à une rentabilité globale
de3,5%?
Chaque revenu participant à la détermination de la valeur, il faut que chaque revenu soit
payéàunprixtelque,lejouroùilestperçu,ilprocureunerentabilitéde3,5%.
Pour un bien dont la valeur nominale est de 100000euros (100 multipliés par 1000euros),
par hypothèse, le flux de revenus futurs est connu. Ainsi, selon la figure3, le prix à payer
pourlerevenudel’année1estde966eurospourunrevenufuturde1000euros;leprixà
payerdurevenudel’année10estde708eurospourunrevenufuturde1000euros;leprix
àpayerdurevenudel’année100estde32euros.
Années
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
,,,
98
99
100
Revenusactualiséseneuros
966
933
901
871
841
813
785
759
733
708
684
661
639
617
596
,,,
34
33
32
Cumul
966€
1899€
2800€
3671€
4512€
5325€
6110€
6868€
7601€
8310€
8994€
9655€
10294€
10911€
11507€
,,,
28443€
28477€
28510€
Figure3–Fluxderevenusactualisésattendu,pourunerentabilitéde3,5%pourlesannées
1à100(revenunominalannuelde1000euros)
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
La valeur actuelle totale des revenus de la pleine propriété est la somme des revenus
18
actualisésàlavaleur d’aujourd’huisoit28500euros.Lavaleuractuelledesrevenusfuturs
delapleinepropriétén’estpasde100multipliéspar1000maisde28500euros.Enpayant
19
ceprix,l’investisseurréaliseuninvestissementdontlarentabilitéestde3,5% .
Lesfluxderevenusfuturspeuventêtredécomposésdelafaçonsuivante:
- les revenus des années 0 à 10 valent 8310euros (pour une valeur nominale de
10000euros);
- les revenus des années 10 à 50 valent 15000euros (pour une valeur nominale de
40000euros);
- les revenus des années 50 à 100 valent 5200euros (pour une valeur nominale de
50000euros).
Le prix de la pleine propriété est donc égal à la sommation des valeurs actuelles des 100
annéesderevenusfuturs,soit28510eurosetnon100000euros.Encasdedémembrement,
les flux de revenus futurs seront divisés en fonction du temps. Par exemple, pour un
démembrement temporaire de 10 ans, l’usufruitier possède les revenus des années 0 à 10
quivalent8310euros.Lenu-propriétaire,quiluisuccéderadanslajouissancedesutilitésdu
bien,paiera20200eurosdesdroitsdontilestdéjàpropriétaireautemps0.Lesdroitstant
de l’usufruitier que du propriétaire sont constitués des fruits futurs. Les utilités, pour ces
deux parties, ont une même nature et réalité économique. La seule différence entre le
revenudel’année10etceluidel’année11estunedifférencedevaleur:autempst0,celui
de l’année 10 vaut 708euros et celui de l’année 11 vaut 684euros. En payant l’usufruit
8310euros et la nue-propriété 20200euros, les deux investisseurs auront réalisé un
placementdontlarentabilitéestidentiqueetégaleàcelledelapleinepropriété.
Applicationsconcrètes
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
Lespraticiensutilisentceschémadansdeuxcasdevenuspresquecourantsd’acquisition.
La première application de ce schéma est celle d’un dirigeant d’entreprise cherchant à
acquérirseslocaux.Ilutiliseunesociétécivileimmobilière(SCI)relevantdurégimefiscaldes
sociétés de capitaux – c’est-à-dire de l’Impôt sur les sociétés (IS) – pour acquérir l’usufruit
des locaux. Par ailleurs, il achète sous forme de SCI familiale la nue-propriété du bien. Ce
schémaaurauneffetdelevierfiscalfantastiqueentermesdeplus-valueetd’amortissement
pourlaSCIoptionIS.
La deuxième application est devenue aujourd’hui un marché prospère. En effet, la loi du
13juillet 2006 portant engagement national pour le logement, complétée par le décret de
20
2009 , a fourni un cadre juridique innovant pour permettre à l’usufruit locatif social de se
développer rapidement. Aujourd’hui, nombre de nos clients se tournent vers ce schéma
simple.Danscedernier,lebailleursociallouedeslogementsàdesménages(souscondition
de ressources) moyennant des loyers sociaux ou intermédiaires. Le nu-propriétaire ne
perçoit aucun loyer, mais il bénéficie d’un régime fiscal favorable et le bailleur social lui
garantitlalibérationdubienetsaremiseenétatàl’échéancedelaconvention.
18
Cesvaleurssontdéterminéesparlesexpertsengestiondepatrimoine,ilfautadmettrequelavaleurcalculéereste
subordonnéeauprixnégocié.Enacceptant,parexempledepayerunprixde33000euros(aulieude28500euros)on
accepteuntauxderentabilitéinférieurà3,5%.
19
3,50%*28500euros=1000euros
20
Décretn°2009-1485du2décembre2009relatifaurépertoiredeslogementslocatifsdesbailleurssociaux
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Quelssontlesavantagesdeceschéma?
- l’acquéreur de la nue-propriété achète un bien à prix réduit par rapport à sa valeur en
pleinepropriété;
- l’acquéreur de la nue-propriété bénéficie d’avantages fiscaux et le locatif social peut
égalementêtreutilisécommeoutildetransmissiondepatrimoine;
-lebailleursocialachètel’usufruitqu’ilpeutfinancerparlesloyers;
-lacollectivitépeutaugmenterl’offredelogementssurlemarchédulocatifsocial.
Commentvaloriseréconomiquementcetusufruittemporaire?
Encasd’usufruitdétenuparunepersonnephysique,l’usufruitestviageretlebarème669du
CGI s’applique pour les droits d’enregistrement. Le barème fiscal relatif au droit d’usage et
d’habitation est égal à 60% de la valeur de l’usufruit. Ces barèmes sont obligatoirement
appliqués aux droits d’enregistrement, mais une valorisation économique peut être
appliquée.
Appliquerlavalorisationéconomique,c’estlarègle
JeanAULAGNIER
Il ne s’agit pas d’une possibilité: la règle est d’appliquer la valeur économique mais, par
choix délibéré, la valeur fiscale peut être appliquée. Il ne faut pas inverser la situation. La
21
cour d’appel de Metz a d’ailleurs condamné un notaire pour défaut de conseil parce qu’il
avaitoubliédementionnerlebarèmeéconomique.
Lepartagedesutilitésdelachose
Dans le locatif social, il faut être particulièrement attentif à la répartition des droits
politiques. Dans ce cadre, le notaire est incontournable à condition qu’il fasse l’effort de
sortir des règles de gestion subies en allant vers une administration choisie du bien
démembré. L’usufruitier et le nu-propriétaire partageront ainsi les droits politiques sans
devoir nécessairement s’inspirer des règles supplétives. Le droit d’arbitrage de la pleine
propriété sera obligatoirement exercé donc, en même temps, par l’usufruitier et le nupropriétaire.L’arbitrageestunedécisioncommunedesinvestisseurs.D’ailleurs,depuislaloi
du23juin2006,lelégislateurreconnaîtdansuntexteducodecivill’obligationdepartagedu
22
prix: l’article 621 laisse désormais aux parties le choix de décider de la répartition du prix
entrenu-propriétaireetusufruitier.
Dansl’exemplechoisiprécédemment,lenu-propriétaire,titulairedesrevenusdel’année11
à100,détientundroitdontlavaleurestsupérieureàcelledudroitpossédéparl’usufruitier.
Sicettenue-propriétéestdétenueparuneSCI,commentpourrait-onaffirmerquecetteSCI,
qui détiendrait un droit dont la valorisation est de 20200euros, serait une société fictive?
D’autantquelavaleurdesdroitspossédésévoluemécaniquementenfonctiondutemps.
Commentlavaleurdel’usufruitetdelanue-propriétéévolue-t-elle?
La consommation annuelle des revenus possédés réduit inéluctablement la valeur de
l’usufruitdétenueparl’usufruitier.Auboutdecinqans,lavaleurdel’usufruitestpasséede
8400eurosà4512euros(cf.figure3).Ledroitdétenuparl’usufruitieradoncdiminué.
21
Courd'appeldeMetz,Chambre1,5nov.2015,RGN°14/00549
Article621ducodecivil,ModifiéparLoin°2006-728du23juin2006-art.29JORF24juin2006envigueurle1erjanvier
2007:«Encasdeventesimultanéedel'usufruitetdelanue-propriétéd'unbien,leprixserépartitentrel'usufruitetlanuepropriétéselonlavaleurrespectivedechacundecesdroits,saufaccorddespartiespourreporterl'usufruitsurleprix.»
22
15
Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Alors que dans le même temps, les revenus futurs détenus par le nu-propriétaire se
valorisent paisiblement par l’écoulement du temps. Le temps qui s’écoule augmente
mécaniquement la valeur de la nue-propriété. Par l’effet du temps, au bout d’un an, le
revenudel’année11détenuparlenu-propriétaireestdevenulerevenudel’année10,ilne
vautplusalors684eurosmais708.Enserapprochantdutempsdejouissance,lavaleurdela
nue-propriétés’estaccruepassantde20200eurosà20900euros.Demême,autermedela
cinquième année du démembrement, le droit possédé par le nu-propriétaire s’est accru
mécaniquementpassantde20200eurosà24000euros.
L’enrichissementdunu-propriétaireneprovientpasdel’usufruit
Jamais le nu-propriétaire ne s’enrichit de la fin des droits de l’usufruitier. L’usufruitier
consomme son droit, l’usufruit, qui se déprécie mécaniquement, parce qu’il se consume. En
revanche, la nue-propriété, qu’elle soit détenue par une SCI ou par une personne physique,
se valorise mécaniquement par l’effet du temps car chaque revenu futur se rapproche du
momentdesonentréeenjouissance.Maisl’unn’enrichitnullementl’autre:l’extinctionde
l’usufruit n’enrichit pas le nu-propriétaire. La dépréciation de l’usufruit ne participe
nullement à la valorisation de la nue-propriété qui n’en a d’ailleurs pas besoin, car le droit
possédé par le nu-propriétaire augmente par l’écoulement du temps. Le nu-propriétaire ne
s’enrichitpasdel’usufruitqu’iln’ad’ailleurspasacheté.Ledroitd’usufruitnerejointjamais
lanue-propriété,saufexception,lorsquel’usufruitier,vivant,lecèdeaunu-propriétaire.
23
C’estd’ailleursàpartirdececonstatquel’administrationfiscalefaitvariersonbarème de
valorisationdelanue-propriété.Lavaleurdecettedernières’accroîtaujourlejour,aufildu
temps qui s’écoule. Le droit de nue-propriété enrichit naturellement son propriétaire qu’il
soitunepersonnephysiqueoumorale.
Il est alors bien difficile de nier les profits attachés à la détention d’un patrimoine en nuepropriété. Ainsi une SCI qui ne détient que de la nue-propriété, certes ne perçoit pas de
revenus immédiats, mais fait inexorablement des bénéfices, résultant de la valorisation des
flux de revenus futurs qu’elle détient. De ce constat vient la pertinence de l’investissement
économiquedanslanue-propriété.
Lafindudémembrementdepropriété
Selon l’article 617 du code civil, l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier ou par
l’expiration du temps pour lequel il a été accordé. Dans les deux hypothèses, l’usufruit ne
rejointpaslanue-propriété.Autermedudémembrement,l’usufruitnes’éteintpasauprofit
du nu-propriétaire. Au jour de l’extinction de l’usufruit commence la jouissance du nupropriétaire des utilités qu’il a acquises. Le nu-propriétaire devient seul propriétaire des
revenusqu’ilaacquisdesannéesauparavant.
Encasdedécèsprématurédel’usufruitier,parexempledanslecasoùayantacquislesdroits
d’usufruit des années 0 à 10, il décède à la cinquième année, ce décès n’enrichit pas le nupropriétaire des droits qu’il n’a pas exercés. Il entre simplement en jouissance cinq années
plustôt.Ilnes’emparenullementdesrevenusnonconsommésparl’usufruitier.Lesrevenus
qu’ilavaitacquis,dontildevaitjouirdanscinqannées,sontmécaniquementvalorisésparla
réductiondutempspourenjouir.
23
Article669duCGI,Barèmefiscaldel’usufruit
16
Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Le nu-propriétaire s’enrichit de l’usufruit exclusivement par renonciation ou par donation
lorsquel’usufruitierestvivant.
L’administration fiscale n’est donc pas fondée à parler de «réunion d’usufruit à la nuepropriété»,etpasdavantageàdire:«quandcetteréunionalieuparl’expirationdutemps
24
fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier» . Au moment de l’extinction de
l’usufruit,iln’yani«réunion»,nimutationtaxable,nidroitdemutation.L’article1133est
doncmalrédigé.
Démembrementetfiscalité
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
Enprésenced’undémembrement,leprincipeapplicableestceluidelataxationdelapleine
propriété dans le patrimoine de l’usufruitier selon l’article 885 G du CGI. Toutefois ce
principegénéralcomportetroisexceptions:
25
-lesdémembrementssuccessorauxconcernantlesdécèsantérieursà2002 ;
-ledémembrementrésultantdelaventedenue-propriétéisolée;
- les démembrements résultant d’une donation ou d’un legs fait à l’Etat ou à certaines
personnesmorales.
Unnu-propriétairenommé«vocataire»,unusufruitiernommé«trustee»
JeanAULAGNIER
En conclusion je fais le vœu que l’on cesse de qualifier le propriétaire des revenus à
percevoir aux termes de l’usufruit de «nu-propriétaire». Ce terme est ambigu, peu
compréhensif et inadapté. Le propriétaire n’est certainement pas nu, il est véritablement
propriétaire. Je vous propose le terme de «vocataires»: celui qui a vocation à la pleine
propriétéfuture.
MaîtreVéroniqueDEJEANdeLABATIE
Cetermeestintéressantmais,pourexpliquerledémembrementànosvoisinsbritanniques,
j’ail’habitudederapprocherledémembrementdepropriétédutrust:lapropriétéd’unbien
détenueparsonconstituant(settlor)estconfiéeàundétenteur(trustee),quienperçoitles
revenusetquialachargedel’administrerpourlecompted'unbénéficiaire(beneficiary),qui
seraitlenu-propriétaire.
24
Article1133duCGI
L’article885GduCGInetrouvepasàs'appliquersiledémembrementdepropriétérésultedel'applicationdesarticles767
ancien,1094ou1098ducodecivil
25
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Pouruneapprochefranchementéconomiquedudémembrementdepropriété–JIP2016
Sigles
AG:Assembléegénérale
AUREP:Associationuniversitairederechercheetd'enseignementsurlepatrimoine
CGI:codegénéraldesimpôts
CGP:Conseillerengestiondepatrimoine
IR:Impôtsurlerevenu
IS:Impôtsurlessociétés
ISF:Impôtsurlafortune
JIP:Journéesdel’ingénieriepatrimoniale
LPF:Livredesprocéduresfiscales
SCI:Sociétécivileimmobilière
Compte-rendu–Journéesdel’ingénieriepatrimoniale2016
3et4février2016
©MTCJIP2016
18