La décolonisation de la masculinité indienne

Transcription

La décolonisation de la masculinité indienne
3ème Forum International de Philosophie Politique et Sociale
EuroPhilosophie / Université Toulouse Le Mirail
9-16 juillet 2011
La décolonisation de la masculinité indienne
Harald Tambs-Lyche
Université de Picardie, Amiens
LISST – Centre d’Anthropologie, Toulouse
Résumé
La décolonisation de l’Inde diffère de celle de la plupart des colonies de par la taille du
pays et la manière dont l’élite des colonisés participe, dés le début, au système colonial. Une
fois née, le nationalisme indien produit alors une autocritique de la part de cette élite, bien
éduquée et conversant avec les idées fondamentales de la modernité. Capable d’administrer le
pays, l’élite indienne ne peut cependant concevoir de projet pour sa libération. La
contradiction qui existe entre le niveau intellectuel de l’élite et son inaptitude à l’action
inspire d’abord un discours qui oppose la spiritualité indienne au matérialisme occidental,
mais finit par induire un débat concernant la masculinité, inspiré en son tour par le machisme
du discours impérial, tel qu’on le voit, par exemple, chez Kipling.
Dans cette contribution, je me concentre sur cet aspect du discours, qui consiste à
contourner le monopole sur la masculinité détenu par les colons britanniques. L’ancienne
image du guerrier indien, qui aurait pu représenter la réponse la plus évidente, est gravement
compromise du fait que les princes, qui incarnent cette image, soutiennent la domination
britannique, laquelle, à son tour, garantit leur pouvoir sur leurs propres sujets. Il ne suffit donc
pas, pour les intellectuels indiens issus des castes végétariennes de consommer la viande à
l’instar des guerriers pour s’accaparer des qualités martiales : Il faut construire une
masculinité alternative.
Deux figures masculines se présentent alors : celle du terroriste, qui emprunte des
éléments au guerrier traditionnel mais contourne le côté aristocratique des princes : et celle du
renonçant, représentée notamment par Gandhi. Nous présenterons quelques exemples de ces
deux approches. La masculinité du terroriste, comme celle du guerrier, s’inspire de la force
féminine de la déesse hindoue, dont le guerrier était traditionnellement le dévot. La figure de
la nation est donc identifiée à la déesse. Pour le renonçant, en revanche, il s’agit de se
distancier de tout élément féminin, ce qui reviens souvent à pratiquer le célibat, ou au moins
l’abstinence sexuelle. Historiquement, cette dernière image va l’emporter pour dominer la
lutte pour l’indépendance. Comme le dit Gyan Prakash : ‘l’état faible, dégénéré, hypersexuel,
et décadente (du mâle hindou) devient la raison qui permet d’imposer la rétention du sperme
comme but stratégique de la nation’.
Cette idée demeure centrale encore aujourd’hui, dans l’idéologie de la droite hindoue :
néanmoins, les acquis et les progrès de la nation indienne produit aujourd’hui une certaine
confiance qui inspire une relation entre masculinité et nationalisme plus proche de celle qui
prévaut dans les autres grandes nations.