Atelier 4 SCPI ET INGÉNIERIE PATRIMONIALE
Transcription
Atelier 4 SCPI ET INGÉNIERIE PATRIMONIALE
Atelier 4 SCPI ET INGÉNIERIE PATRIMONIALE : CRÉDIT, DÉMEMBREMENT, VIAGER, SCI DE SCPI, ASSURANCE VIE Intervention de Jean Aulagnier Président AUREP Doyen honoraire, Université d’Auvergne L’investissement en nue-propriété Par Jean AULAGNIER Président AUREP Doyen honoraire, Université d’Auvergne Acquérir la nue-propriété d’un actif patrimonial, un investissement pertinent ? Pour s’en convaincre il est indispensable de revenir sur la nature patrimoniale de ce droit. Une approche économique et financière du démembrement de propriété permet d’expliquer l’effet de richesse qui profite au nu-propriétaire. « S’enrichir en croisant les bras ». On parle plus fréquemment d’usufruit que de nue-propriété1. Il faut dire que la nue-propriété, droit patrimonial particulièrement mal nommé2, relativement méconnu, a été plus souvent subie que choisie. Avec le développement de l’ingénierie patrimoniale, l’investissement en nue-propriété a pris une nouvelle dimension. Il est de plus grande fréquence. Pour en apprécier l’intérêt et l’utilité, il faut en comprendre la vraie nature. Comprendre la nature exacte de ce droit, issu du démembrement de propriété, nécessite de faire retour sur le droit de propriété lui-même. Le droit de propriété est défini par le Code civil par référence aux prérogatives du propriétaire : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »3. Tout propriétaire immobilier (ou mobilier) réunit dans ses mains les droits suivants : – d’une part, le droit d’en jouir, c’est-à-dire de pouvoir en user librement (« droit de jouissance directe ») ou d’en percevoir les fruits (« droit de jouissance indirecte ») ; – d’autre part, le droit d’en disposer (« droit d’arbitrage »), droit d’en modifier sa substance. 1 Le Code civil a consacré près de 70 articles à l’usufruit (art. 578 à 636). Le mot « nue-propriété » apparaît une seule fois dans l’article 621 du Code civil. 2 Comment a-t-on pu retenir le mot de « nu-propriétaire » ? Probablement parce que, comme le pense certains, le propriétaire serait « dépouillé » des fruits. Plus « nu » que propriétaire. Par exemple, pour Madame Veaux Fournerie : « il est évident que le propriétaire est, avant l'extinction de l'usufruit, titulaire d'un droit qui ne lui sert à rien, et ne lui rapporte rien, d'une sorte de droit abstrait seulement porteur d'un espoir de reconstitution. D'où la terminologie, inconnue du Code civil, mais unanimement adoptée dans la pratique, de nu-propriétaire ». V. Usufruit, Juris Clas. Not. Fascicule 10 : Usufruit, caractères et sources.. Nous ne nous inscrivons absolument pas dans cette « unanimité ». 3 C. civ., art. 544. 1 I – L’investissement en pleine propriété Le plus souvent l’investisseur acquiert la propriété pleine et entière d’un actif patrimonial. L’investissement réalisé confère à l’acquéreur les attributs de la propriété, notamment la possession de tous les revenus futurs (toute la jouissance future) générés par le bien (R) pendant son existence résiduelle (m)4. Cette possession de tous les revenus futurs (de la jouissance) participe de la détermination de la valeur du bien acquis ou possédé. Le droit à la jouissance ou aux revenus du propriétaire R1 R2 R3 R4 R5 R6 R7 R8 R9 Rm-1 Rm R8 La valeur d’un actif patrimonial est directement corrélée aux avantages nets attendus5 qu’il procure pendant toute son existence. Plus les revenus qu’il procure sont importants, plus ils sont perçus pendant longtemps, plus la valeur du bien est grande et son prix élevé. Économistes et financiers identifient ces avantages nets aux fruits et produits de la chose, générés ou susceptibles de l’être, fruits et produits mesurés en monnaie6. Depuis Irving Fischer7, on considère que « la valeur d’une chose ne vaut que par la somme des flux financiers que cette chose produit ou est susceptible de produire durant son existence ». Il revient à l’expert d’estimer les flux futurs produits par le bien, pendant sa durée de vie, ainsi que les charges que ce bien induit. Ces flux futurs, nets de charges, sont représentés par le symbole R, marqué de l’indice correspondant à la période de perception : R1, R2..... Rk, Rk+1.... Rn, Rn+1..... Rm « La valeur économique d’un bien est égale à la valeur actuelle de ses produits futurs ». Pour mesurer cette valeur, on utilise la méthode du « discounted cash-flow » (DCF) ou encore du « cash-flow actualisé ». Méthode d’évaluation qui s’impose, notamment lorsqu’il n’est plus ou pas possible de déterminer la valeur par comparaison. 4 On parle de « maturité (m) du bien » pour qualifier sa durée d’existence. Attributs de nature économique : droit d’user de la chose ou droit de percevoir les fruits et les produits de la chose ; attributs de nature politique : droit de disposer de la chose. Que serait le droit à la jouissance de la chose hors le droit au produit de la chose ?, explique le professeur Zénati. Le produit de la chose est l’expression économique du droit de propriété. 6 Pour les juristes, « le droit de jouissance » correspond aux « avantages nets attendus ». 7 I. Fisher, (1867-1947), Mathematical Investigations in the Theory of Value and Prices, 1892. 5 2 La valeur d’un actif patrimonial ne peut pas être égale à la somme arithmétique des flux futurs qu’il produit parce que leur perception s’inscrit dans l’écoulement du temps. Pour l’investisseur, percevoir 10 euros dans un an ou 10 euros dans dix ans n’est pas équivalent. Le flux perçu en période 1 n’a pas aujourd’hui la même valeur que le flux à percevoir au cours de la dixième année, lorsque le temps se sera écoulé et que le revenu de l’année 10 sera devenu celui de l’année 1, même si leur montant, en valeur nominale, est identique. Tout individu préfère une jouissance « immédiate » à une jouissance « future ». En conséquence, pour se priver de la jouissance immédiate d’une somme de 10 000 euros, le détenteur de cette somme exige que sa renonciation soit récompensée, soit rémunérée. Par exemple, l’utilisateur effectif de cette somme devra rendre, au terme d’une privation annuelle de jouissance, non pas 10 000 euros, mais 10.500 euros, si le taux d’intérêt exigé de 5 % rémunère la privation de jouissance8. Si la valeur future de 10 000 est égale à : 10 000(1 + 0,05) = 10 500,, inversement, la valeur actuelle de 10 500 est égale à : 10 500/(1 + 0,05) = 10 000. L’actualisation consiste à déterminer la valeur actuelle de flux financiers futurs. Elle est l’inverse de la capitalisation. Elle permet, en se basant sur une estimation du « coût du temps » (i), de comparer des sommes reçues ou versées à des dates différentes. Actualiser un flux futur suppose que l’on choisisse un taux d’actualisation. Le taux d’actualisation est égal au « coût d’opportunité de la somme investie ». Quel rendement exigé par le propriétaire pour renoncer à la jouissance de l’actif ? Ce taux est représenté par le symbole i. Pour agréger les flux de revenus futurs procurés par l’actif, pour chercher (ou juger de) leur valeur, il faut déterminer la valeur actuelle de chacun de ces flux, en tenant compte de la date à laquelle ces flux seront effectivement perçus. La valeur actuelle d’un revenu de 10 000 euros à percevoir dans 10 ans est égale à : 10 000/(1 + 0,05)10, soit 6 140 euros. La valeur actuelle de 10 000 euros à percevoir dans 100 ans est égale à : 10 000/(1 + 0,05)100, soit 76 euros. C’est l’addition de ces flux actualisés qui fournira l’ordre de grandeur de la valeur de la propriété ce jour9. Imaginons un actif qui procure un revenu annuel de 10 000 (R) pendant 100 ans (m). Sa valeur n’est pas de 1 000 000 euros (100 fois 10 000), mais de l’ordre de 200 000 euros (valeur calculée : 198 479 euros). On n’additionne pas les revenus nominaux, mais les valeurs actualisées de cet ensemble de revenus futurs dont pourra disposer le propriétaire. 8 Les conditions de marché fixent le niveau des taux de rémunération. D’autres facteurs peuvent influencer la valeur d’un bien, par exemple la situation du marché dans lequel le bien se situe, marché largement influencé par l’abondance ou la rareté de l’offre et de la demande. Un bien situé dans un marché « en tension », caractérisée par une offre très insuffisante par rapport à la demande pourra valoir nettement plus qu’un bien qui pourtant fournirait le même flux de revenus futurs mais situé dans un marché ou l’offre et la demande sont plus équilibrés. 9 3 La valeur actuelle de ces flux futurs, dont la valeur nominale est de 10 000, est fonction de leur date de perception. Elle évolue de la manière suivante : Année s 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Valeur actuelle 10000 9520 9 070 8 640 8 230 7 840 7 460 7 100 6 730 6 445 . . . 50 51 872 830 . . 100 76 Le revenu de l’année 10, à percevoir dans 10 ans, vaut aujourd’hui 6 140 euros pour une valeur nominale, au jour de sa perception, de 10 000 euros. Celui de l’année 50 ne vaut que 872 euros. La valeur actuelle d’un revenu de 10 000 euros à percevoir dans 100 ans n’est que de 76 euros (cette somme capitalisée pendant 100 ans au taux de 5 % vaudra en effet 10 000 euros). La somme de tous ces revenus nominaux à percevoir pendant 100 ans (durée de vie supposée), actualisés, donne une valeur indicative de 198 479 euros, valeur arrondie à 200 000 euros. Plus les revenus futurs sont éloignés, plus il faut attendre pour en jouir, moins ils pèsent dans la valeur actuelle du bien. Le revenu de l’année 100 (76 euros) ne représente que 0,038 % de la valeur de tous les revenus. Le revenu de l’année 50 représente moins de 0,50 % (0,43 %). 50 % des revenus à percevoir de l’année 50 à l’année 100 représentent moins de 10 % de la pleine propriété. Ces observations sont d’importance dans la mesure où elles démontrent que la méthode des flux actualisés « pardonne » les erreurs d’estimation des revenus les plus éloignés, ou encore la durée pendant laquelle ils seront perçus. Les prévisions du lointain sont délicates, mais l’erreur est permise dans la mesure où ils représentent fort peu dans la valeur calculée actualisée. Les revenus actualisés des 30 premières années sont d’environ 150 000 euros, ceux des années 31 à 50 de 30 000 euros, alors que les revenus des années 50 à 100 valent 20 000 euros. Si le bien avait une durée de vie probable, non pas de 100 ans, mais de 150 ans, l’influence de l’omission de ces 50 années sur la valeur actuelle de ce bien serait quasiment nulle, 199 867 euros au lieu de 198 479 euros, soit toujours 200 000 euros en valeur arrondie ou approchée. Connaissant l’ordre de grandeur des flux de revenus futurs, le niveau du taux d’actualisation, il est possible de déterminer la valeur du bien considéré. R1 R2 ........ Rn Rn1 ........ Rm 1 2 n n1 m 1i 1i 1i 1i 1i 4 où, encore m Rt t t1 1i où m est la durée de vie (maturité résiduelle) du bien. Cette approche économique de la valeur d’un bien s’applique tant à la détermination de la valeur d’un actif qu’à celle de la valeur d’un droit sur cet actif, par exemple à la détermination de la valeur du droit d’usufruit ou du droit de nue-propriété pouvant résulter d’une opération de démembrement de la propriété. II – La propriété démembrée : les revenus futurs partagés Nous avons démontré, sans toujours parvenir à convaincre, que la présentation traditionnelle du démembrement, qui « éclate » la propriété en séparant l’usus de l’abusus, l’usus à l’usufruitier, l’abusus au nu-propriétaire, ne traduisait pas convenablement la réalité de leur droit. Pour Madame le professeur Viaux-Fournerie : « Le propriétaire reçoit trois prérogatives : usage de la chose (usus), jouissance de la chose (fructus), disposition de la chose (abusus). L'usufruitier ne bénéficierait que des deux premières, d'où d'ailleurs la formule (usufruit = usus + fructus). Le propriétaire ne garderait que le droit de disposer de sa chose, c'est-à-dire ici non pas le droit de la détruire, ou même simplement de porter atteinte à son intégrité, car il doit respecter les droits de l'usufruitier, mais le droit de la négocier, de la transmettre, compte tenu, il est vrai, de sa forte dépréciation »10 Cette présentation classique continue à prospérer : « Le démembrement consiste à scinder le droit de propriété. L’usufruitier dispose du droit d’usage et des fruits. Le nu-propriétaire a un droit de disposer dans le respect des droits de l’usufruitier »11. « L’usufruit est traditionnellement considéré comme un droit réel. C’est en effet un élément du droit de propriété qui se trouve ainsi démembré en deux droits distincts : celui de l’usufruitier, droit d’user et de tirer profit de la chose, et celui du nu-propriétaire réduit au droit de disposer, d’ailleurs théorique, mais qui est appelé à retrouver sa plénitude à l’extinction de l’usufruit »12. 10 V. Article cité. L’usufruit, caractères et sources P. Julien-Saint-Amand, Instruments juridiques de droit français constituant une alternative au trust, Dr. & patr. 2004, n° 132, p. 76 ; B. Dalmas et V. Cornilleau, Pratique du démembrement de propriété, Litec, 2007, p. 12 : « Le partage du droit de propriété conduit à séparer le droit d’usage et de jouissance, l’usufruit, du droit de nue-propriété (l’abusus) » ; Démembrement de propriété : aspects juridiques et fiscaux, ECM (Expert Comptable Média), coll. « Mémentos d’experts », Année(Pas clair pour l’année), p. 22 : « Le droit de propriété peut faire l’objet d’un démembrement. L’usufruitier dispose du droit d’usage et des fruits, le nu-propriétaire conserve le droit de disposer du bien ». 12 J.-F. Pillebout, J.-Cl. Notarial Formula, V° Usufruit, Fasc. 10, p. 4. 11 5 Il est vrai qu’à la lecture de l’article 578 du Code civil, on peut croire que le nu-propriétaire est bien le propriétaire, puisque « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété » (nous soulignons). Nombreux sont ceux qui en déduisent que cet « autre », qualifié de « nu-propriétaire », est donc le propriétaire. Certes, il a vocation à se trouver seul propriétaire, avec une propriété pleine et entière, puisque par nature le droit d’usufruit est limité dans le temps. Cette présentation est discutable, pour ne pas dire contestable13. Elle laisse croire que le titulaire du droit d’usufruit serait dépourvu du droit d’abusus, donc du droit de vendre, droit qui serait exclusivement dans les mains du nu-propriétaire, lui-même « dépouillé des fruits », qui seraient exclusivement dans les mains de l’usufruitier. Le nu-propriétaire aurait, lui, la faculté d’arbitrer le bien (abusus)14. Ces affirmations sont simplement erronées, car contraire à la réalité économique qu’elles sont pourtant censées expliquer Le démembrement du droit de propriété ne réside pas dans la séparation de l’usus et de l’abusus. Il réside dans le partage des prérogatives de la propriété, notamment du flux de revenus (ou de la jouissance) attachés à la propriété du bien. On pourrait dire que le démembrement « répartit » le flux des revenus futurs. Usufruitier et nu-propriétaire se « partagent » la propriété de ces revenus futurs, comme ils partagent également le droit d’arbitrage de la pleine propriété. Les attributs, économiques (avoir) et politiques (pouvoir), de la propriété sont partagés. En général, les juristes n’aiment pas utiliser le mot « partage » pour qualifier le démembrement. Ils réservent ce qualificatif de propriété « partagée » pour la propriété indivise qui, en application de l’article 815 du Code civil, peut être partagée, à la seule volonté d’un des indivisaires15 Démembrer la propriété d’un bien consiste à répartir, « à partager », entre plusieurs personnes, au moins deux16, les attributs économiques et politiques attachés à ce bien. Le démembrement réalise un « partage de la propriété »17. Cette définition est évidemment 13 Malheureusement, cette conception est encore largement partagée ; certains assimilent la nue-propriété à l’abusus, laissant ainsi croire que le nu-propriétaire pourrait librement disposer de la pleine propriété. Par exemple, on relève dans la revue à large diffusion La vie française (Vie française 24 juill. 1993, p. 34), sous la plume de Patrick Lelong, la définition suivante : « La propriété pleine et entière d’un bien, qu’il soit mobilier ou immobilier, n’est que l’addition de deux droits, celui de disposer (vendre le bien) : c’est la nue-propriété. Et celui d’en jouir (percevoir les coupons, un loyer ou y habiter), autrement dit : l’usufruit ». 14 V. J. Aulagnier, Évaluation des droits d’usufruit, de quasi-usufruit et de nue-propriété, Dr. & patr. 1999, n° 76, p. 65. 15 On doit admettre que le démembrement de propriété « subi » dans le cadre successoral n’est plus opposable aux co-propriétaires puisque depuis la loi du 3 décembre 2001, usufruitier comme nu-propriétaire ont chacun le droit d’imposer à l’autre la fin du démembrement en usant des dispositions de l’article 759 du Code civil par conversion de l’usufruit en rente : « Tout usufruit appartenant au conjoint sur les biens du prédécédé, qu’il résulte de la loi, d’un testament ou d’une donation de biens à venir, donne ouverture à une faculté de conversion en rente viagère, à la demande de l’un des héritiers nus-propriétaires ou du conjoint successible lui-même ». V. Nathalie Levillain, Conversion de l’usufruit du conjoint survivant : un outil pour sortir d’un démembrement non souhaité, La semaine juridique, Ed. not et im. N° 11, 18 mars 2011, Jean. Aulagnier, Conversion de l’usufruit en rente : un dispositif à faire découvrir Solution Notaires, n° 12, Décembre 2012. 16 Les usufruits successifs peuvent conduire à un partage des revenus de la propriété du bien entre plus de deux personnes. 17 V. D. Fiorina, L’usufruit d’un portefeuille de valeurs mobilières, RTD civ. 1995, p. 44 et s. : « Le démembrement partage entre l’usufruitier et le nu-propriétaire les objectifs de rentabilité et de pérennité du bien ». 6 éloignée de celle défendue par la majorité des juristes qui n’admettent pas que l’on puisse « extraire » l’usufruit (donc une partie des revenus) de la pleine propriété. L’usufruitier et le nu-propriétaire détiennent des droits aux revenus futurs, droits de même nature, à la seule différence que ces droits ne s’exercent pas simultanément, mais successivement. La propriété est « divisée horizontalement », parce que la propriété d’une chose se divise, comme le temps divise l’exercice des droits qu’il confère. Cette propriété « divisée » ne donne pas pour autant naissance à une indivision, dans la mesure où il y a bien « division » matérielle des revenus futurs. Si l’on suppose un bien dont la maturité probable (durée de vie résiduelle) est de m années, capable de procurer des revenus pendant cette période, investir en démembrement c’est : – pour l’usufruitier, acquérir et détenir les revenus de ce bien (la jouissance) sur une période débutant au temps 0 pour prendre fin au temps n, « période égale » à la durée de vie de l’usufruitier, s’il s’agit d’une personne physique. Cette période peut être conventionnellement déterminée s’il s’agit d’une personne morale (durée maximale de 30 années)18 ; – pour le nu-propriétaire, acquérir et détenir les revenus de ce même bien (la jouissance) sur la période allant du temps n (date de disparition de l’usufruitier, ou d’extinction de l’usufruit) au temps m (date de disparition du bien). On suppose que le temps m est supérieur au temps n. Éclatement du droit de propriété R1 Rn-1 R2 Rn R3 Droits de l’usufruitier R4 Rn+1 Rm Rn+2 Rn+3 Rm-1 Droits du nu-propriétaire Les droits de l’usufruitier et du nu-propriétaire, constitués de revenus futurs, sont de même nature. Ils ont une même réalité économique19. Quelle différence entre les revenus de l’année n – 1 et ceux de l’année n + 1 ? Quasiment aucune, sauf une petite différence de valeur. La valeur du droit d’usufruit, comme la valeur de la nue-propriété, seront déterminées selon la méthode du « cash flow actualisé », en prenant en compte les revenus futurs acquis et détenus par chacun : 18 Un usufruit viager peut également être conventionnellement limité dans le temps. Comment une partie de la doctrine peut affirmer que le nu-propriétaire serait « titulaire d'un droit qui ne lui sert à rien, et ne lui rapporte rien », alors que personne ne conteste l’utilité patrimoniale des droits de l’usufruitier, constitués de manière identiques, de revenus futurs. 19 7 Valeur de l’usufruit Les droits de l’usufruitier sont constitués des revenus nets de R1 à Rn. R 1, R2,................, Rn où n = l’espérance de vie de l’usufruitier (ou la durée déterminée de l’usufruit). L’actualisation de ces revenus futurs nets de charges est égale à : R1 R2 ........ Rn 1 2 n 1i 1i 1i La valeur actuelle de ce droit est donc égale à : n t1 Rt t 1 i Valeur de la nue-propriété Les droits du nu-propriétaire sont constitués également des revenus futurs à percevoir à compter de la période n + 1. où m = la maturité résiduelle du bien. Il percevra « seul » les revenus produits par le bien lorsque le temps n + 1 sera devenu le temps 1. Il en a d’ores et déjà la pleine propriété (PP) , la valeur actuelle de son droit est donc : P Pn 1i n 8 Comme tout propriétaire, les détenteurs de ces revenus futurs en useront par l’effet du temps qui s’écoule. Le revenu de l’année n – 1 (appartenant à l’usufruitier), comme celui de l’année n + 1 (appartenant au nu-propriétaire), deviendront un jour le revenu de l’année 0. Usufruitier et nu-propriétaire pourront librement disposer, à titre onéreux ou à titre gratuit, des revenus qu’ils ont acquis. Ils pourront, l’un comme l’autre, vendre ces revenus futurs, les échanger, en faire apport à société, les donner. Une nuance, certes d’importance : l’usufruitier ne peut pas léguer les revenus futurs d’usufruit dans la mesure où le droit qu’il possède s’éteint avec lui, alors que le nu-propriétaire le peut. Partageant les revenus futurs, ils partagent également le droit d’arbitrer (abusus). L’arbitrage du bien démembré exige l’accord de l’usufruitier et du nu-propriétaire, qui, pour arbitrer le bien, doivent vendre « ensemble » la partie des revenus qu’ils possèdent. Comme dans l’indivision, l’exercice du droit d’arbitrage du bien démembré suppose l’« unanimité ». C’est d’ailleurs cette exigence d’accord pour arbitrer le bien démembré qui constitue un des inconvénients de ce mode de détention. Cet inconvénient explique que, comme dans l’indivision, on associe souvent au démembrement un mode sociétaire de possession pour attribuer le droit d’arbitrage par exemple au seul usufruitier20. La vente, parce qu’elle porte sur la totalité des revenus futurs, s’accompagne du partage du prix de vente tel que prévu par l’article 621 du Code civil21 : « En cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nuepropriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix » (nous soulignons). Il est d’évidence que, si l’arbitrage du bien démembré (droit partagé) suppose l’accord de l’usufruitier et du nu-propriétaire, la plus value éventuellement réalisée à cette occasion sera partagée entre eux par l’entremise du partage du prix. La plus value contrairement à ce que l’on peut lire n’est nullement l’apanage du nu-propriétaire. Il s’agit bien également d’un droit « partagé ». Comment se détermine la valeur respective de leurs droits22 ? Point d’autre solution que de recourir à la méthode du « cash flow actualisé ». Il n’existe pas de marché des droits démembrés afin d’évaluer par comparaison. On prendra en compte les revenus futurs qu’auraient recueillis tant l’usufruitier que le nu-propriétaire en l’absence de vente. L’usufruitier cède, ce dont il est propriétaire, les revenus de 0 à n (n = temps probable de survenance de son décès, ou terme fixé du démembrement). Le nu-propriétaire cède également ce qu’il possède, c’est-à-dire les revenus de n à m (m = temps probable de disparition de l’actif). 20 Cumulant droit de vote et gérance, l’usufruitier des parts sociales pourra seul décider de l’arbitrage du bien détenu par la société. C’est également pour maintenir le droit d’arbitrage entre les seuls mains de l’usufruitier, et ainsi éviter le partage du droit de disposition, que l’on qualifie parfois l’usufruit réservé de « quasi-usufruit » afin de maintenir sur le fondement de l’article 587 du code civil le bien, dans son intégralité, dans le patrimoine de l’usufruitier. 21 L. n° 2006-728, 23 juin 2006, JO 24 juin. 22 V. J. Aulagnier, La répartition du prix de cession d’un actif démembré, JCP N 2012, n° 48, p. 45 et s. 9 Cet article 621 est particulièrement important. Il reconnaît de manière explicite que le démembrement de propriété est constitué du partage des revenus futurs. Le législateur a fait un premier pas vers la présentation d’une propriété « démembrée » comme propriété « partagée ». L’épargnant qui investit dans la nue-propriété est donc propriétaire, au jour du démembrement, des revenus futurs dont il jouira au terme de la jouissance de l’usufruitier, que ce terme soit fait de sa mort ou de l’expiration du temps pour lequel il a été accordé23. Ayant précisé la nature juridique et économique de la nue-propriété, il nous est maintenant possible de préciser pourquoi l’investissement en nue-propriété est un placement pertinent. Comment se valorise la nue-propriété ? Le nu-propriétaire par donation ou succession n’est pas nécessairement très regardant sur la valorisation du bien donné. La détention de la nue-propriété était le plus souvent une école de patience. On attendait le décès de l’usufruitier pour constater la « valorisation » de l’actif possédé. Aujourd’hui, on peut devenir nu-propriétaire en ayant « volontairement choisi » ce mode de possession. Juger de la pertinence d’un investissement en nue-propriété est alors indispensable. III – L’intérêt patrimonial de l’investissement en nue-propriété : la revalorisation « paisible » des revenus futurs Pourquoi investir dans la nue-propriété ? Toute opération d’investissement doit satisfaire à une utilité patrimoniale. Un investissement est souvent justifié par la recherche de revenus futurs dans la perspective, par exemple, de compenser des revenus de remplacement (retraite) sensiblement inférieurs aux revenus d’activité. Il ne s’agit pas d’obtenir des revenus immédiats mais de disposer de revenus pour un terme plus ou moins éloigné, sauf que, pour en disposer plus tard, l’investisseur doit le plus souvent les percevoir au lendemain de l’opération parce qu’il acquiert la pleine propriété. Soit un épargnant, âgé de 51 ans, disposant d’un capital (ou d’une capacité d’emprunt). Il s’interroge. Aura-t-il des revenus suffisants au jour de la retraite pour maintenir ses habitudes de vie ? Pas sûr, alors il faut investir. Comment ? Investir en pleine propriété procure des revenus immédiats et futurs. L’investisseur pourra certes capitaliser les revenus dont il n’a pas l’utilité immédiate, mais après avoir supporté les prélèvements fiscaux afférents à ces revenus. Détenir la pleine propriété oblige à gérer, à entretenir, à supporter les frais, les coûts et les contraintes de gestion, à supporter éventuellement l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Autre solution, investir en nue-propriété. Pour cela, il faut trouver un investisseur en usufruit, convenir avec lui d’un horizon de placement, d’une part, et du partage du prix d’achat de la pleine propriété, d’autre part. Achetant à deux, la nue-propriété coûte évidemment moins cher que la pleine propriété. 23 C. civ., art. 617. 10 Revenons vers notre épargnant de 51 ans. Il a pour horizon patrimonial l’année de ses 65 ans, âge probable de la retraite et de besoins de revenus supplémentaires. Il dispose de 500 000 euros qu’il pourrait investir dans l’acquisition de bureaux, dont le rendement net de charges serait de 5 %24, prix de vente au mètre carré : 3 333 euros. S’il acquiert la pleine propriété, il investit les 500 000 euros, acquiert 150 m2 de bureaux. Il disposera de 25 000 euros de revenus dès l’acquisition. Ces revenus immédiats ne lui sont pas indispensables. Pourquoi les acquérir ? Il lui est proposé d’acquérir la nue-propriété, ayant trouvé un investisseur pour un usufruit temporaire de 14 ans25. Valeur calculée (494 932 euros) et valeur négociée de l’usufruit et de la nue-propriété (500 000 euros) : 50 %/50 %. Il investit les 500 000 euros. Il achète la nue-propriété de 300 m2 de bureaux avec la perspective de percevoir, au terme des 14 années, 50 000 euros de revenus locatifs nets de charges26. Il optimise ses revenus futurs en évitant les revenus immédiats les plus proches dont il n’avait pas l’utilité. Aucun doute, le schéma est adapté aux préoccupations patrimoniales de cet investisseur27. La valeur de la nue-propriété acquise est inférieure de moitié à la valeur de la pleine propriété. Ce constat est parfois présenté avec une certaine « adresse » qui en facilite la commercialisation, mais pas nécessairement la compréhension. On a relevé par exemple les présentations suivantes de la part de sociétés de promotion immobilière qui, au demeurant, ont parfaitement compris l’intérêt pour un investisseur d’un placement en nue-propriété28 : « L’acquéreur de la nue-propriété perçoit sous forme de décote immédiate les loyers revalorisés et défiscalisés qu’il aurait dû percevoir pendant la période de démembrement. Le pourcentage de la décote prend en compte la durée du démembrement ». 24 Par exemple en achetant une partie des bureaux de son entreprise. V. Ph. Rebattet, Le démembrement de l’immobilier d’entreprise, LexisNexis, 2013. 25 L’entreprise peut conserver l’usufruit de ces bureaux pour une durée de 14 ans. 26 Hors indexation des loyers. 27 Les investissements qui peuvent satisfaire à cette stratégie : « Pas de revenus immédiats des revenus futurs », ne sont pas nombreux. On pourrait cependant citer la rente viagère à effet différé. 28 Depuis l’année 2000, la société PERL (Patrimoine Épargne Retraite Logement – Paris), aujourd’hui leader du marché, et à sa suite différentes sociétés de promotion immobilière, proposent des acquisitions d’appartements en démembrement de propriété. L’usufruit est acquis par un bailleur institutionnel (usufruit locatif social), pour des durées déterminées en général comprises entre quinze et vingt ans, et la nue-propriété par un investisseur privé. Ce mode opératoire a été soutenu, encouragé et codifié par les pouvoirs publics qui ont parfaitement compris qu’il y avait là une réponse originale et adaptée aux besoins de logements sociaux, particulièrement dans les villes en tension foncière (v. L. n° 2006-872, 13 juill. 2006, JO 16 juill., portant engagement national pour le logement ; CCH, art. L. 253-1 à L. 253-8). Le bailleur institutionnel, en ne finançant que 50 à 40 % du coût d’acquisition, peut avec une même somme d’argent, sous réserve de trouver un investisseur en nuepropriété, acquérir deux unités d’habitation au lieu d’une, qu’il pourra gérer, administrer et louer pendant les années du démembrement. Pour une présentation de ces propositions, v. Les assises de la nue-propriété, organisées par la société PERL, notamment : J. Aulagnier, Sécurité juridique et fiscale d’une acquisition en démembrement de propriété, 2e assises de la nue-propriété, mai 2010 ; H. Barthelemy, La nue-propriété dans les préconisations patrimoniales, 3e assises de la nue-propriété, mars 2011 ; J. Aulagnier, Sécurité et performance du schéma d’investissement en nue-propriété, 4e assises de la nue-propriété, juin 2013. 11 Ou encore : « L’acquéreur perçoit sous forme d’une réduction immédiate de 40 à 50 % du prix d’acquisition l’équivalent de la totalité des loyers actualisés, nets de frais, taxes et charges, qu’il aurait encaissés sur la période s’il avait investi en pleine propriété ». Également : « La nue-propriété permet ainsi de capter dès l’achat, sous forme de réduction du prix, l’équivalent de 15 années de loyers totalement défiscalisés d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ». L’opération d’investissement réalisée par le nu-propriétaire n’a nullement besoin pour se justifier de cette soi-disant « décote », destinée à donner le sentiment de la « bonne affaire ». L’investisseur en nue-propriété fera une excellente affaire en payant, comme pour tout investissement, le bon prix du droit de nue-propriété acquis. Payer le prix, fonction de la valeur actuelle des revenus futurs qu’il percevra lorsque les années d’usufruit (14 ans, dans notre exemple) se seront écoulées. L’investisseur en nue-propriété a vocation à la jouissance future et exclusive (dans 14 ans) de ce qu’il a effectivement acheté, à savoir 50 000 euros de revenus futurs au lieu de 25 000 en investissant ses 500 000 euros. Le nu-propriétaire ne s’enrichit pas de ce qu’il n’a pas acheté mais bien plus simplement de la valorisation mécanique, automatique, de ce qu’il a acquis. Détenteur de la nue-propriété, comment son investissement se valorise-t-il ? La valorisation du droit de nue-propriété entre les mains du nu-propriétaire est faite : – d’une part, et d’abord, de la qualité de l’investissement lui-même. Le bien acquis en nuepropriété se situe dans un marché dont il faut avoir apprécié les caractéristiques. Le maintien de sa valeur comme sa valorisation future en dépendent. De l’investissement réalisé on attend des revenus immédiats (pour l’usufruitier) et futurs (pour le nu-propriétaire). Comment la demande locative se comporte-t-elle aujourd’hui et demain ? De quoi est faite l’offre locative de locaux commerciaux ou d’habitation ? Une bonne localisation est indispensable. Une bonne qualité de construction ne l’est pas moins. Valorisation de marché difficile certes à prévoir, mais probable. Valorisation qui pourra se répercuter sur le montant des loyers par le jeu de l’indexation ; – d’autre part, de sa valorisation « mécanique », indépendante du droit d’usufruit qui d’ailleurs, mais de manière inverse, également automatique, se déprécie en conséquence de ce même temps qui passe de manière aussi inexorable. Valorisation mécanique totalement prévisible29. 29 C’est cette valorisation « mécanique » qui fait qu’une société, par exemple civile, qui ne détient que de la nuepropriété satisfait malgré tout parfaitement à son objet social dans la mesure où elle s’enrichit véritablement, son profit est croissant par l’effet du temps. Chaque jour qui passe accroît la valeur de la nue-propriété détenue pour, au terme du démembrement, détenir une valeur égale à la pleine propriété. La société à valeur constante de l’actif possédé réalise des bénéfices que les associés pourront se partager. Elle satisfait ainsi aux exigences de l’article 1832 du Code civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». La qualification de société « fictive », d’une société qui ne posséderait que de la nue-propriété est sans fondement. Cette qualification signifie simplement de la part de celui qui l’avance une méconnaissance du mécanisme de richesse qui profite à celui qui détient de la nue-propriété. L’administration fiscale a tente à plusieurs reprise d’invoquer à tort cette fictivité. V. Arrêt Wurstemberger rendu par la Cour d’appel de Paris (15 juin 2007, n° 05-24.398). L’ancien CCRADD avait également partagé cette position (CCARD BOI 13 L.1-07, aff. 2005-16 et 2005-38). 12 Cette valorisation « mécanique » peut se constater pendant le démembrement, puis au terme du démembrement. La valorisation « mécanique », ou « intrinsèque », de la nue-propriété pendant le démembrement de propriété. – Chaque année écoulée rapproche l’investisseur en nuepropriété de l’entrée en jouissance des revenus futurs qu’il détient. La valeur actualisée de ses revenus futurs s’apprécie en se rapprochant mécaniquement et inexorablement de leur valeur nominale. Soit l’exemple suivant : La société X a cédé à M. Y la nue-propriété d’un immeuble à usage de bureaux, se réservant la jouissance de ce bien (c’est-à-dire l’équivalent des loyers susceptibles d’être produits) pour une durée fixe de 14 ans. La nue-propriété de ces bureaux a été acquise par M. Y pour une valeur de 500 000 euros. La valeur du droit d’usufruit temporaire réservé par le cédant est également de 500 000 euros. Les flux futurs nominaux, nets de charge, sont de 50 000 euros. Les valeurs actuelles des revenus futurs à percevoir par le nu-propriétaire, par exemple de la 15e à la 25e année, sont les suivantes : Année Valeur actuelle 15 24 050 16 22 905 17 21 814 18 20 776 19 19 786 20 18 844 21 17 947 22 17 092 23 16 278 24 15 503 25 14 765 Au terme de l’année 1 du démembrement : Tous les revenus possédés par l’investisseur en nue-propriété se sont valorisés du seul fait de l’écoulement de cette année, les revenus de l’année 15 sont devenus ceux de l’année 14, ceux de l’année 16 les revenus de l’année 15, etc. Valorisation mécanique du flux de revenus futurs. La valeur actualisée de ces revenus futurs serait de l’ordre de 530 000 euros, gain mécanique : + 30 000 environ. Année Valeur actuelle Valorisatio n 14 25 25 8 + 1 208 15 24 05 0 + 1 145 16 22 90 5 + 1 091 17 21 81 4 + 1 038 18 20 77 6 + 990 19 19 78 6 + 942 20 18 84 4 + 897 21 17 94 7 + 855 22 17 09 2 + 814 23 16 27 8 + 775 24 15 50 3 + 738 25 1476 5 + 703 Au terme par exemple de l’année 6 : Pour le nu-propriétaire, le revenu de l’année 15, par l’effet du temps, est devenu le revenu de l’année 8, ceux de l’année 16 les revenus de l’année 9, etc. Chaque revenu annuel s’est mécaniquement revalorisé portant la valeur du droit de nue-propriété à la somme de 676 000 euros, gain : + 176 000 euros. Poursuivons, le temps s’écoule, arrive l’année 12 : Si le nu-propriétaire devait céder son droit la 12e année du démembrement (alors qu’il reste 2 années d’usufruit), il pourrait négocier son droit de nue-propriété sur la base d’une valeur de l’ordre de 907 000 euros, gain : + 407 000 euros. 13 À cette valorisation « mécanique essentielle » s’ajoutent ce que nous pourrions appeler des profits « annexes », profits réalisés par exemple en raison d’une fiscalité spécifique à la propriété démembrée : – l’investisseur, en investissant les 500 000 euros dans de la nue-propriété, a réduit de ce montant sa base d’imposition au titre de l’ISF pour toute la période du démembrement (CGI, art. 885 G) ; – l’investisseur économise pour toute la période du démembrement l’impôt foncier et toutes les charges usufructuaires qu’il aurait dû payer s’il avait investi en pleine propriété, taxes et charges supportées par l’usufruitier ; – l’investisseur pourra, s’il finance tout ou partie de l’opération par emprunt, imputer éventuellement les charges financières sur d’autres revenus fonciers (défiscalisation indirecte), sous réserve d’une acquisition de l’usufruit par un investisseur institutionnel. Si l’opérateur ne s’enrichit pas de l’usufruit, il peut, en revanche, s’enrichir grâce à l’usufruitier. Pendant tout le démembrement, les dépenses d’entretien de l’actif immobilier sont à la charge de l’usufruitier. Disposition supplétive, le Code civil a en effet prévu que l’usufruitier était tenu de toutes les réparations d’entretien30. L’usufruitier peut cependant décider d’aller au-delà du financement des simples dépenses d’entretien. Par connivence « affective » entre usufruitier et nu-propriétaire, il peut entreprendre et financer des dépenses de modernisation, d’agrandissement, etc. Ces améliorations et les plus-values qu’elles sont susceptibles de dégager seront acquises « définitivement » au nu-propriétaire. Selon l’article 599, alinéa 2, du Code civil, « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée »31. Sous réserve que ces travaux aient été utiles à l’usufruitier qui les aura financés, l’enrichissement indirect du nu-propriétaire ne sera pas constitutif d’une libéralité indirecte. La valorisation « mécanique » de la nue-propriété au terme de l’usufruit. – Comme l’indique l’article 617 du Code civil, l’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier ou par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé. Dans ces deux cas, le nu-propriétaire se trouve alors seul propriétaire. Commence alors, on pourrait dire « enfin », la jouissance des droits qu’il avait acquis. C’est le plus souvent à l’occasion de la fin du démembrement que des erreurs de présentation du mécanisme d’enrichissement sont commises. Citons quelques exemples : – « L’usufruit rejoindra la nue-propriété (...) »32, là est l’erreur la plus fréquente ; – « Au terme de l’usufruit temporaire, le nu-propriétaire devient aussitôt plein propriétaire. Le gain net constaté résulte de la récupération gratuite et automatique de l’usufruit à laquelle s’ajoute la valorisation du bien sur toute la période » ; – « L’usufruit s’éteint au profit du nu-propriétaire qui récupère automatiquement et gratuitement cet usufruit ». 30 C. civ., art. 605. V. J. Aulagnier, Transmettre : les vertus de l’article 599 du Code civil, Dr. & patr. 2012, n° 218, p. 26. 32 V. B. Dalmas et V. Cornilleau, Pratique du démembrement de propriété, précité, p. 248. 31 14 Que l’usufruit s’éteigne par l’arrivée du terme, bien sûr que « oui », mais au profit du nupropriétaire, bien sûr que « non ». S’il n’avait que l’usufruit pour s’enrichir, son gain serait bien modeste parce que égal à zéro. Nous empruntons à la société PERL la présentation suivante traditionnelle de fin du démembrement : En fait, les deux images de gauche suffisent. Le gain net n’est pas fait de la récupération de l’usufruit comme le suggère la troisième image. Lorsque l’usufruit prend fin (par l’arrivée du terme ou le décès de l’usufruitier), sa valeur est nulle. L’usufruit est un droit qui se « consume » par l’effet de l’écoulement du temps. Il ne peut nullement enrichir le nupropriétaire qui d’ailleurs n’en a absolument pas besoin pour constater son propre enrichissement et en conséquence la pertinence du placement qu’il a réalisé. L’administration fiscale elle-même participe de la confusion. La rédaction de l’article 1133 du Code général des impôts (CGI) est pour le moins surprenante : « (...) la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier ». Il est pour le moins normal qu’aucun impôt de mutation ne soit prélevé dans la mesure où il n’y a aucune mutation. L’usufruit s’éteint, un point c’est tout. Il ne rejoint pas la nuepropriété. Comment pourrait-il en être autrement, comment l’usufruit pourrait-il se réunir à la nue-propriété ? Au terme du démembrement l’usufruit n’existe plus. On n’a pas pu l’acquérir par extinction, comme a pu l’écrire cette même administration fiscale dans une instruction fiscale du 4 août 2005 : « Lorsque l’usufruit a été acquis par voie d’extinction, son prix d’acquisition est nul »33. L’effet de richesse du nu-propriétaire réside dans le fait que les revenus des années 15 et suivantes qu’il a acquis sont devenus lentement mais sûrement les revenus des années 1 et suivantes. Tous les revenus, en se rapprochant de leur date de perception, se sont valorisés par le jeu même du mécanisme d’actualisation. 33 BOI 8 M-1-05, 4 août 2005. Cette instruction se rapporte au calcul de la plus-value imposable lorsqu’un bien est vendu alors même qu’il fut un temps démembré et que l’usufruit s’est éteint (a pris fin), le nu-propriétaire étant devenu « seul » propriétaire. Pour déterminer le prix d’acquisition, alors même que le cédant n’avait acquis que la nue-propriété, l’administration fiscale admet que le prix de revient est le prix de la pleine propriété. Cette position a été reprise au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP-RPPM-PVBMI-20-10-60-20120912). V. P. Fernoux, Gestion fiscale du patrimoine, Groupe Revue Fiduciaire, coll. « Pratiques d’experts », 2008, 13e éd., p. 237. 15 Le nu-propriétaire se trouvant alors seul propriétaire de tous les revenus futurs, les droits qu’il possède ont une valeur égale à la pleine propriété. En fait, à valeur constante du bien34, le nu-propriétaire connaît dès le jour de son acquisition la plus-value qu’il doit réaliser, plus-value égale à la valeur de l’usufruit, sans pour autant être faite de l’usufruit, mais plus simplement et plus réellement de la valorisation actualisée des revenus qu’il possède. Pour le nu-propriétaire, l’« écoulement du temps » peut être plus rapide que prévu dans la mesure où un usufruit viager peut s’éteindre avant le terme théorique correspondant à l’espérance de vie de l’usufruitier au jour du démembrement. Le mécanisme de valorisation reste le même. Si l’usufruit s’éteint prématurément, par exemple au cours de l’année 10 (durée de vie réelle) au lieu de l’année 15 (durée de vie probable), le nu-propriétaire constate que les revenus qu’il possède, alors qu’il devait attendre encore 5 ans pour en jouir, sont devenus les revenus des années 1 et suivantes. Leur revalorisation est automatique. Le droit de nue-propriété est égal à la valeur actuelle de tous les revenus futurs à percevoir, c’est-àdire à la valeur de la pleine propriété. Il peut être inversement plus lent, si la durée de vie réelle de l’usufruitier excède sa durée de vie probable. Tant que l’usufruit existe, la valeur du droit du nu-propriétaire demeure inférieure à la valeur de la pleine propriété. La valorisation « extrinsèque » de la nue-propriété par l’usufruit. – Il existe cependant des situations dans lesquelles la nue-propriété est valorisée par l’usufruit par décision de l’usufruitier. Ces situations sont visées par l’article 617 du Code civil. Il en est ainsi lorsque « (…) l’usufruit s’éteint (...) par la consolidation ou la réunion sur la même tête des deux qualités d’usufruitier et de propriétaire ». Ce n’est pas l’usufruit qui s’éteint, mais simplement le démembrement qui prend fin. Les revenus non consommés de l’usufruit sont ajoutés aux revenus composant la nue-propriété entre les mains du nu-propriétaire devenu alors « seul » propriétaire de tous les revenus. Cesse le partage des revenus futurs. Dans quelles circonstances cette réunion ou consolidation peut-elle avoir lieu ? Tout simplement lorsque l’usufruitier cède, à titre gratuit (donation de l’usufruit) ou à titre onéreux (cession), au nu-propriétaire le droit qu’il détient, ou encore lorsque l’usufruitier renonce à son droit, avant son extinction35. On pourrait ajouter à ces deux situations la conversion de l’usufruit en rente qui réunit usufruit et nue-propriété sur une même tête. Si l’usufruitier demande la conversion de l’usufruit en rente, le nu-propriétaire se trouve seul propriétaire de tous les revenus futurs. Si le droit qu’il détient s’est « apprécié », il ne s’est pas nécessairement enrichi dans la mesure où, en contrepartie de l’usufruit acquis par conversion, il doit assurer le service de la rente. Il est devenu débirentier. 34 L’obligation d’entretien peut être conventionnellement renforcée par une obligation de remise à l’état neuf dans les opérations mettant en présence bailleur institutionnel et investisseur privé. 35 On peut parfaitement imaginer que la réunion des revenus futurs dans une seule main est la conséquence de la donation par le nu-propriétaire de ses droits à l’usufruitier. 16 Cependant, la réalisation d’un investissement en nue-propriété est devenue plus compliquée depuis que l’administration fiscale a étendu l’application des dispositions de l’article 13, 5°, du CGI aux acquisitions en démembrement de propriété36. Si la cession de la nue-propriété est le fait d’un propriétaire qui se réserve un usufruit temporaire, l’opération de cession entre dans le champ d’imposition des plus-values, aucune difficulté particulière n’est alors à constater. En revanche, si la cession porte sur la pleine propriété au profit de deux acquéreurs se partageant les revenus futurs, dont l’un acquiert la nue-propriété, le cédant sera peut-être réticent à céder l’ensemble des revenus futurs, quand il lui sera précisé que pour la valeur des revenus correspondant à l’usufruit temporaire, l’opération sera imposée non au titre de la plus-value mais à l’impôt sur le revenu. Une telle imposition sera sans nul doute dissuasive. Le candidat à l’investissement en nue-propriété aura du mal à convaincre le cédant de la pleine propriété, sauf si celui-ci, par son statut juridique, n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu ou est exclu de plein droit du dispositif par le fait que l’usufruit temporaire cédé a conservé un caractère viager. On a pu se demander si les opérations immobilières d’acquisition en démembrement réalisées par un bailleur institutionnel (acquéreur de l’usufruit) et par un investisseur privé (acquéreur de la nue-propriété) étaient concernées par ce dispositif. La réponse est clairement négative. Lors des débats parlementaires, il a été indiqué que ce dispositif ne concernait pas l’usufruit locatif social tel que prévu par les articles L. 253-1 et suivants du Code de l’urbanisme, d’une part, et pas davantage les opérations de construction-vente, d’autre part. Pas de doute, l’investissement en nue-propriété est un placement « paisible, tranquille et sûr »37. À valeur constante du bien dont la propriété a été partagée, le nu-propriétaire connaît le montant de la plus-value qu’il va réaliser et la valeur nominale des revenus qu’il est en droit d’espérer. L’investissement en nue-propriété est parfaitement bénéfique pour le nupropriétaire. Il peut être conseillé, parce que parfaitement adapté aux besoins d’investisseurs de plus en plus nombreux. Avec la baisse « quasi inéluctable » du montant des retraites servies par le système de répartition, les épargnants seront à la recherche de revenus complémentaires à percevoir au lendemain de leur cessation d’activités. L’acquisition de la nue-propriété, combinée avec un usufruit temporaire détenu par un co-investisseur, garantit pour une date donnée les revenus recherchés. Article paru dans la revue Droit et Patrimoine, Numéro 229, Octobre 2013 36 37 V. à propos de l’application de l’article 13, 5°, du CGI, Rép. min. n° 15540, Lambert, JOAN Q. 2 juill. 2013. V. H. Barthelemy, La nue-propriété dans les préconisations patrimoniales, précité. 17