C.04.0168.N

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C.04.0168.N
22 DECEMBRE 2005
C.04.0168.N/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.04.0168.N
ETAT BELGE, ministre des Finances,
Me Ignace Claeys Bouuaert, avocat à la Cour de cassation,
contre
1.
CLINIQUE SANATIA CENTRE MEDICO SOCIAL SANATIA,
association sans but lucratif,
Me Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation,
2.
I.
CREDIMO, société anonyme.
La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre un arrêt rendu le 17 décembre
2003 par la cour d’appel de Bruxelles.
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II.
C.04.0168.N/2
La procédure devant la Cour
Le président Ivan Verougstraete a fait rapport.
L’avocat général Dirk Thijs a conclu.
III.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen dans sa requête.
Dispositions légales violées
-articles 1235, 1236, 1376 et 1377 du Code civil ;
-article 149 de la Constitution coordonnée.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt est critiqué dans la mesure où il déclare fondée la demande
incidente dirigée par la première défenderesse contre le demandeur, et qu’il
condamne le demandeur à payer à la première défenderesse la somme de
13.673,46 € et à garantir la première défenderesse contre la condamnation de
cette dernière aux dépens de première instance et d’appel de la seconde
défenderesse.
La décision attaquée est motivée de la manière suivante.
« 6.La cession de salaire qui comprend celle de l’indemnité de congé,
pouvait être opposée à la Clinique Sanatia en tant que débiteur cédé.
La Clinique Sanatia pouvait et peut payer de manière libératoire la
rémunération et l’indemnité de congé à Credimo.
Le fisc ne pouvait pratiquer de saisie-arrêt sur des sommes qui ne se
trouvaient déjà plus dans le patrimoine de Q.
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La Clinique Sanatia reste donc tenue de payer les sommes réclamées à
Credimo. La demande principale est fondée comme le premier juge l’a décidé à
juste titre.
7.La Clinique Sanatia a payé la rémunération à l’Etat belge pour la
période allant du mois d’août 1997 au mois d’août 1998 inclus. Elle réclame le
remboursement par l’Etat en considérant que son paiement était indu.
Un paiement est indu lorsqu’il n’a pas de cause ou lorsqu’il a une
cause illicite.
En l’espèce, le créancier, l’Etat belge, avait une créance qui était due, à
savoir une créance sur Mr Q. et qui a été effectivement payée par la Clinique
Sanatia.
Le fisc ne pouvait, dès lors, pas réclamer le paiement de cette dette à la
Clinique Sanatia. Celle-ci ne pouvait s’acquitter de manière libératoire de la
créance en paiement de la rémunération qu’auprès de Credimo.
Dès lors, le paiement effectué par la Clinique Sanatia à l’Etat était un
paiement indu.
La clinique Sanatia n’aurait jamais effectué le paiement si elle avait su
qu’elle ne pouvait payer de manière libératoire à l’Etat.
La demande incidente de la Clinique Sanatia dirigée contre l’Etat est,
dès lors, non fondée ».
Griefs
L’arrêt considère que c’est à juste titre que la première défenderesse a
réclamé le remboursement au demandeur en considérant que son paiement était
indu.
Un paiement est indu :
-soit lorsque celui qui reçoit n’est pas le créancier (art. 1376 du Code
civil).
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-soit lorsque la dette payée n’existe pas ou plus (article 1235 du Code
civil).
-soit lorsque la personne qui a payé la dette n’est pas le débiteur
(article 1377 du Code civil).
En ce qui concerne les faits, il ressort des constatations de l’arrêt
qu’aucune de ces trois dispositions légales n’est applicable au présent litige.
Le paiement indu, tel qu’il est visé à l’article 1376 du Code civil,
suppose que celui qui reçoit le paiement n’est pas le créancier. Le texte vise
celui qui a reçu quelque chose qui ne lui était pas dû. Les juges d’appel
constatent, en outre, qu’il existait une créance du demandeur sur le travailleur
de la première défenderesse qui a effectivement payé la dette de celui-ci.
La décision ne peut, dès lors, être fondée sur l’article 1376.
Les articles 1235 et 1377 du Code civil visent le cas dans lequel une
personne a fait, par erreur, un paiement qui n’était pas dû. L’arrêt ne constate
toutefois pas que la première défenderesse n’était pas redevable de la
rémunération payée et confirme, au contraire, l’existence de cette dette. La
validité de la saisie sur salaire de celui qui reçoit n’est pas davantage niée.
Sur la base de la saisie sur salaire de celui qui reçoit, la première
défenderesse était effectivement la débitrice des sommes payées. Le fait que la
cession de salaire de Q. avait aussi fait naître une dette à l’égard de la
seconde défenderesse ne pouvait porter atteinte à la validité de la saisie sur
salaire de celui qui reçoit. Il existait bien une priorité dans le chef de la
seconde défenderesse qui a été méconnue par la première défenderesse. Cela
ne rend toutefois pas indu le paiement effectué au demandeur.
Ce qui a été payé par erreur est sujet à répétition en application de
l’article 1235 du Code civil, lorsque l’erreur concerne l’existence de la dette.
L’existence d’une autre obligation qui aurait dû avoir la priorité sur la dette
payée n’équivaut pas à une erreur quant à l’existence de la dette. La cession
de salaire par Q. à la seconde défenderesse n’a pas fait disparaître la créance
du demandeur et n’a pas porté atteinte à la légalité de la saisie sur salaire qui
a été pratiquée. L’omission commise par la première défenderesse quant à la
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priorité des créanciers agissant ne peut mettre à néant les droits du
demandeur ;
Aucune des trois dispositions légales précitées ne peut, dès lors,
constituer le fondement de la décision. Au contraire, il doit se déduire de
l’article 1336 du Code civil qu’un paiement effectué par une personne qui n’est
pas débiteur peut valablement libérer le débiteur.
La considération suivant laquelle à la suite de la cession de salaire les
sommes qui ont fait l’objet de la saisie par celui qui a reçu le paiement avaient
déjà disparu du patrimoine de Q., ne peut pas davantage fonder la décision de
l’arrêt. Le droit à la rémunération faisait partie du patrimoine de Q. jusqu’au
moment où cette rémunération était payée, et a disparu à la suite du paiement
de cette rémunération au Trésor public qui possédait en effet une créance sur
cette rémunération.
L’erreur de la première défenderesse est étrangère à la composition du
patrimoine de Q. : quel que soit celui de deux créanciers qui a été payé par la
première défenderesse, ce paiement libérerait Q. à l’égard de celui qui reçoit, à
concurrence de son montant.
Il en ressort qu’en décidant que le paiement de la première défenderesse
au demandeur était indu, l’arrêt a méconnu la notion légale de « paiement
indu » (violation des articles 1235, 1376 et 1377 du Code civil), et a déclaré
sans, motif légitime, que le paiement fait par la première défenderesse de la
dette fiscale de son travailleur n’était pas valable (violation de l’article 1336
du Code civil). Il apparaît aussi que les considérations reprises par l’arrêt ne
peuvent fonder en droit la décision de sorte que la décision n’est pas motivée
suivant les critères constitutionnels (violation de l’article 149 de la Constitution
coordonnée).
IV.
La décision de la Cour
Attendu qu’en vertu de l’article 1376 du Code civil, celui qui reçoit par
erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû, s’oblige à le restituer à celui de qui
il l’a indûment perçu ;
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Que le paiement fait à un créancier d’une dette existante a une cause et
ce paiement n’est pas indu par le seul fait que le créancier qui a pratiqué une
saisie-arrêt sur une créance de son débiteur, est payé au moyen des deniers
provenant de cette saisie en violation des règles de préférence des créances ;
Attendu que l’arrêt constate que :
1.le 2 août 1993, la seconde défenderesse a signifié une cession de
salaire à la première défenderesse à charge du débiteur ;
2.le 20 août 1997 et le 4 novembre 1997, le demandeur a signifié une
saisie-arrêt-exécution entre les mains de la première défenderesse à charge de
ce même débiteur ;
3.la première défenderesse a versé au demandeur la partie de la
rémunération susceptible d’être saisie pour la période allant du mois d’août
1997 au mois d’août 1998 ;
4.ces montants correspondent à la créance du demandeur sur le
débiteur ;
Attendu que le juge d’appel a considéré que la première défenderesse
n’aurait pas dû donner suite à la saisie pratiquée par le demandeur eu égard à la
cession de salaire à la première défenderesse qui a eu lieu antérieurement; qu’il
en a déduit que le paiement effectué par la première défenderesse au demandeur
est indu et qu’il a condamné, dès lors, le demandeur au remboursement des
sommes reçues ;
Qu’en décidant ainsi le juge d’appel n’a pas justifié légalement sa
décision ;
Que le moyen est fondé ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l’arrêt attaqué en tant que le juge d’appel a statué sur la demande
incidente dirigée par la première défenderesse contre le demandeur et qu’il a
statué sur les dépens ;
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Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt
partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel d’Anvers.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président Ivan Verougstraete, le président de section Ernest
Waûters, les conseillers Ghislain Londers, Eric Dirix et Albert Fettweis, et
prononcé en audience publique du vingt-deux décembre deux mille cinq par le
président Ivan Verougstraete, en présence de l’avocat général Ann De Raeve,
avec l’assistance du greffier Philippe Van Geem.
Traduction établie sous le contrôle du président
Ivan
Verougstraete
et
transcrite
avec
l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.
Le greffier,
Le président,