Les fiducies québécoises

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Les fiducies québécoises
Droit fiscal / Fiducies
Automne 2006
Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Les fiducies québécoises : Le gouvernement change les règles de façon
rétroactive
Par Hugo Patenaude
Le 9 juin 2006, l’Assemblée Nationale a adopté le Projet de Loi 15 1 qui est entré en vigueur le 13 juin suivant.
Cette loi visait, entre autres, à combler une lacune de la Loi sur les impôts 2 (Québec) qui permettait à un
bénéficiaire d’une fiducie québécoise, dans la mesure où celui-ci résidait en dehors du Québec, d’échapper au
paiement d’impôt au gouvernement québécois.
Cette modification à la Loi sur les impôts (Québec) viserait quelque 150 des 40 000 fiducies privées au Québec, et
ce, pour un montant d’impôt d’environ 500 millions de dollars plus les intérêts. Selon les dires du ministre
québécois du revenu, M. Bergman, les fiducies ciblées utilisaient un montage fiscal agressif. Toutefois, bien que
ce montage constitue, selon le ministre, un « évitement fiscal » inacceptable, il n’est en rien frauduleux3. Les
fiscalistes ne faisaient qu’utiliser certaines divergences entre les lois fiscales, fédérale et québécoise, ainsi que
l’imprécision de cette dernière afin d’éviter à leurs clients le paiement de l’impôt au gouvernement québécois.
Le contexte fiscal quelque peu particulier du Québec permettait effectivement cette opération. La Loi de l’impôt
sur le revenu (Canada)4 et la Loi sur les impôts (Québec) prévoient deux régimes distincts et autonomes. Dans les
deux cas, par le passé, il était permis de faire un choix en vertu duquel soit la fiducie, soit le bénéficiaire devait
s’imposer sur les revenus réalisés par la fiducie. La méthode consistait à faire le choix en faveur de l’imposition
de la fiducie au fédéral et de l’imposition du bénéficiaire dans la déclaration de revenu québécoise produite par la
fiducie. Cette stratégie avait différentes conséquences. La fiducie, quant à elle, payait des impôts au fédéral. Le
gouvernement québécois ne percevait aucun impôt puisque, selon les données qu’elle obtenait de la fiducie, le
revenu distribué au bénéficiaire était imposé dans les mains de ce dernier. En ce qui concerne le bénéficiaire, il ne
payait aucun impôt au fédéral puisque, ce revenu était imposé au niveau de la fiducie, et il ne payait pas d’impôt
dans sa province de résidence (autre que le Québec) puisque l’impôt provincial dans les autres provinces est
calculé en fonction de l’impôt fédéral payable, qui était nul dans ce cas-ci. Il est clair que le gouvernement du
Québec ne pouvait pas imposer un résident d’une autre province en raison de sa compétence territoriale limitée
aux personnes ayant résidence dans la province. En définitive, il n’y avait aucun impôt provincial payé sur le
revenu gagné par la fiducie et distribué à son bénéficiaire.
Le Projet de Loi 15 vient donc mettre un terme à cette pratique. Il oblige les fiducies québécoises à prendre en
compte, lors de la production de leur déclaration de revenu québécoise, les montants attribués aux bénéficiaires à
l’égard desquels elles ont fait le choix de s’imposer elles-mêmes en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu
(Canada). Dorénavant, ces montants ne pourront plus être déduits du revenu imposable des fiducies pour les fins
de sa déclaration de revenu québécoise. Ceci signifie que, si les fiducies font le choix d’être imposées selon la
législation fédérale, les montants ainsi cotisés seront automatiquement pris en compte lors de la déclaration de
revenu provinciale au Québec et les fiducies devront aussi payer un impôt provincial au Québec. Il n’y a donc
plus deux choix distincts, mais plutôt un seul choix fait au niveau fédéral qui se transpose au niveau provincial.
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DROIT FISCAL / FIDUCIES 2
Il est important de noter que le Projet de Loi 15 a une portée rétroactive contrairement à la règle générale voulant
qu’une mesure législative ne s’applique qu’à partir du jour de son entrée en vigueur ou de la date à laquelle elle a
été annoncée, selon le cas. Ceci est justifié, selon le ministre Bergman, par le fait que cette pratique va « à
l’encontre de la politique fiscale bien établie par le ministre des Finances en 1998-1999 et bien établie dans la Loi
budgétaire qui a été déposée par le ministre des Finances de ce temps en 1999 ». Pour les fiducies visées, la
nouvelle règle aura une application rétroactive, dans le fait qu’elle s’appliquera à toute année d’imposition nonprescrite, même celles ayant pris fin avant le 9 mai 2006, la date de la présentation du Projet de Loi 15. Le délai
de prescription de ces opérations est de trois ans puisque qu’elles ne sont pas frauduleuses, selon les propos
mêmes du ministre.
D’autre part, le jour même de l’adoption du Projet de Loi 15, un amendement de dernière minute fut déposé par le
ministre Bergman afin de rendre inopérantes toutes transactions effectuées après le 9 mai 2006 visant à modifier
les déclarations de revenu antérieures. L’objectif de ces modifications était d’éviter que des fiducies n’échappent à
l’application de cette loi en raison de démarche entreprise après le dépôt du Projet de Loi 15 ou d’une
modification des transactions intervenues entre les parties impliquées ou des positions fiscales prises par celles-ci.
Quatre mesures ont alors été prises en ce sens :
•
Toutes les modifications aux déclarations de revenu fédérales antérieures, faites après le 9 mai 2006, ne
seront pas prises en compte pour l’application de la nouvelle législation et pour la détermination du
montant réclamé par le ministère du Revenu.
•
Si, dans sa déclaration fédérale ou provinciale présentée avant le 10 mai 2006, une fiducie avait déclaré
être résidente du Québec, elle est alors réputée résider au Québec pour cette année d’imposition.
•
Aucun changement à la fiducie ou aux transactions et opérations de celle-ci n’est opposable au ministère
s’il survient après le 9 mai 2006, et ce, qu’il s’agisse d’une modification, d’une rectification, d’une
annulation ou d’une résolution apportée à la fiducie ou à ses opérations et transactions.
•
Pour une année d’imposition couverte par le Projet de Loi 15, toutes les transactions ou opérations
relatives à la constitution de la fiducie ou à ses transactions et opérations sont réputées être faites pour un
objet véritable et non afin d’obtenir des avantages fiscaux.
En résumé, le ministère du Revenu se basera, afin de calculer l’impôt payable pour les années d’imposition
antérieures au 9 juin 2006, sur les déclarations produites dans l’état où elles se trouvaient à cette date.
Cette modification à la législation québécoise s’inscrit, apparemment, dans la politique fiscale annoncée par le
ministre des Finances en mars 1998. Cette politique visait à contrer l’évitement fiscal permis par une double
désignation des montants (fédérale et provinciale) en vertu desquelles la fiducie choisissait de payer l’impôt. À
partir de ce moment, les désignations faites par la fiducie pour l’application de l’impôt fédéral étaient réputées
être faites pour l’application de l’impôt provincial. Certaines « imprécisions » semblent être demeurées suite au
budget 1998-1999. Le Projet de Loi 15 vient, selon les dires du ministre, « clarifier » ces imprécisions. Il s’agit en
fait de la deuxième initiative visant à assujettir les fiducies à un impôt jugé équitable et à empêcher l’évitement
fiscal en utilisant de telles fiducies.
Le premier changement survenu en 2002 visait, quant à lui, les bénéficiaires résidant au Québec qui avaient un
intérêt suffisant, selon les normes établies, dans une fiducie canadienne résidant à l’extérieur du Québec (les
« bénéficiaires désignés »). Ces résidents québécois transféraient leur actif à une fiducie canadienne hors Québec
afin que les revenus générés soient imposés dans la province de résidence de la fiducie, idéalement à un taux
inférieur à celui du Québec. Les fiducies albertaines étaient alors très populaires. Puisque l’impôt, fédéral et
provincial, était déjà payé, cet argent pouvait être rapatrié sans imposition pour le bénéficiaire québécois. À partir
de 2002, la législation ne reconnaissait plus aux bénéficiaires désignés le choix de la fiducie de payer elle-même
les impôts. Ce qui obligeait tous les bénéficiaires désignés de fiducies canadiennes hors Québec à payer les
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DROIT FISCAL / FIDUCIES 3
impôts québécois sur les montants reçus sans égard au choix effectué. Le bénéficiaire pouvait cependant tenir
compte du montant d’impôt provincial payé par la fiducie dans une autre province en le déduisant du montant à
payer au Québec par le bénéficiaire.
Il est plutôt curieux, malgré les revues en profondeur des règles relatives à l’imposition des fiducies, amorcées en
1998, qu’il aura fallu plus de huit années avant que les autorités constatent la présence d’une soi-disant lacune.
En conclusion, le Projet de Loi 15 ne vise qu’une minorité de fiducies qui rencontrent les critères nécessaires et
qui ont adopté une planification fiscale leur permettant d’être exonérées de l’impôt québécois. Ce projet de loi
vient, aux dires du ministre, combler une « imprécision » de la loi québécoise qui n’empêchait pas de faire un
choix différent pour chaque palier d’imposition, une situation qui est unique au Québec. Le ministère des
Finances a ainsi fait en sorte que la fiducie ne soit plus une source d’évitement fiscal vis-à-vis de l’impôt
provincial, ni pour les résidents québécois étant bénéficiaires d’une fiducie hors Québec, ni pour les bénéficiaires
hors Québec d’une fiducie québécoise.
Certaines de ces nouvelles dispositions législatives soulèvent plusieurs questions juridiques quant à leur validité et
leur opposabilité. Cette situation n’est pas étrangère au fait que plusieurs contribuables visés par ces nouvelles
dispositions législatives envisagent de contester leur validité sur le plan juridique.
Me Hugo Patenaude est spécialisé en fiscalité, en droit des fiducies et en gestion de la fortune. Dans le cadre de
sa pratique, il offre une vaste gamme de services fiscaux liés à la planification successorale, à la planification
testamentaire, au fractionnement du revenu, à la protection d'éléments d'actifs, aux organisations caritatives,
ainsi qu'à la création et à la préservation de la fortune.
On peut communiquer avec Hugo Patenaude au 514 397 5172 ou à [email protected].
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1) Projet de loi 15, Loi modifiant la Loi sur les impôts et d’autres dispositions législatives, et devenant L.Q. 2006, c. 13;
2) L.R.Q., c. I-3;
3) Point de presse de M. Lawrence S. Bergman, ministre du Revenu, 30 mai 2006;
4) L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.).