Rencontre avec

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Rencontre avec
Gérard Gengembre
Gérard Gengembre, normalien, agrégé de lettres
et docteur d’État, professeur de littérature à
l’université de Caen, est l’un des plus éminents
spécialistes de la littérature française du XIXe siècle.
Il a publié une cinquantaine d’éditions commentées d’oeuvres du XIXe siècle, plus d’une centaine
d’articles et communications, et de nombreuses
monographies (dont Victor Hugo : combats politiques et humanitaires, Pocket, 2002).
x Vous êtes spécialiste du XIX e siècle.
Pourquoi cet intérêt pour ce siècle, son
histoire et sa littérature ?
Issu de la Révolution et de l’Empire, le
XIXe siècle met en relation l’Histoire et la
littérature d’une manière inédite. Il interroge le sens de la destinée historique de
l’humanité, il offre aux écrivains une mission nouvelle et se dispose notamment
selon une alternance entre une exaltation
romantique visant à penser l’unité du
Spécialiste de la littérature française
du XIXe siècle
monde, et même de l’univers, et un repli
de la littérature sur elle-même (pensez à
l’art pour l’art, ou à Flaubert), entre une
ambition scientifique et morale (le roman
balzacien, le naturalisme) et un travail sur
la vision poétique ou les prestiges de
l’imaginaire (Baudelaire, Rimbaud). C’est
un siècle d’une inépuisable richesse, complexe, dramatique, mais qui, dans ses rêves
et ses ambitions, est encore loin des tragédies et des aspects désespérants du
XXe siècle.
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x Comment expliquez-vous les difficultés qu’a rencontrées le drame
romantique ?
Le drame romantique rompt avec des
habitudes, des règles, des dogmes, et un
répertoire sacralisé mais incapable de se
renouveler, pour ce qui est de la tragédie
en tout cas. Il impose le traitement de
l’Histoire, une nouvelle conception du personnage, une manière neuve de jouer. En
un mot, c’est un théâtre moderne,
d’avant-garde pour l’époque, dont la langue tranche avec les usages compassés du
théâtre officiel, académique. Tout ce qui
est nouveau dérange dans un premier
temps…
x Plus précisément, comment expliquer
le jugement très négatif porté sur le
drame romantique par des auteurs
aussi prestigieux que Balzac et Zola ?
Effectivement, il peut paraître curieux que
Balzac, qui invente le roman moderne, soit
si critique à l’égard d‘un autre genre
moderne. C’est qu’il refuse, c’est ce qui lui
paraît relever de l’exagération, de l’emphase,
voire de la boursouflure, de l’invraisemblance. Attaché au dévoilement critique du
réel, il n’est pas sensible à la vérité poétique
supérieure du drame. Quant à Zola, en bon
naturaliste, il récuse le romantisme en général.
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x Comment Ruy Blas s’inscrit-t-il dans
l’œuvre de Victor Hugo ?
Ruy Blas fait couple avec Hernani, comme
l’indique Hugo lui-même, il témoigne d’une
monarchie ascendante puis en déclin. Plus
largement, le drame pose la question du
pouvoir, du héros déchiré, du double, de la
passion, de la condition féminine, thèmes
qui traversent toute son œuvre.
x Quel(s) sens donnez-vous à la mort de
Ruy Blas ?
Issu du peuple, parvenu à une haute position au prix d’un stratagème diabolique
dont il n’est que l’exécutant aliéné, Ruy
Blas est en avance sur l’Histoire, et il est
donc condamné. Il est autant victime du
piège dans lequel il a été placé par son
maître, que de la contradiction entre la
passion amoureuse et la vérité et d’une
Histoire sclérosée qui ne peut encore donner leur juste place aux talents roturiers.
x Les thématiques de la pièce (l’amour
d’un « ver de terre » pour une
« étoile », le rapport entre peuple et
pouvoir, par exemple) vous semblentelles aujourd’hui démodées ?
Certes, la société n’a plus grand-chose à
voir aujourd’hui avec celle du XIXe siècle,
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mais les contradictions qui déchirent les
personnages, la puissance de la passion,
qu’elle soit amoureuse ou de l’ordre de la
vengeance, le côté décalé d’un don César
n’ont rien perdu de leur séduction. Et la
beauté des vers peut toujours enthousiasmer, pour peu qu’on fasse l’effort de les
lire et de les écouter.
x À un élève qui a aimé la pièce, quelles
lectures conseilleriez-vous ?
Lorenzaccio de Musset, le plus grand drame
romantique français ; Cyrano de Bergerac
d’Edmond Rostand, une résurgence du
romantisme flamboyant avec un héros
amoureux sublime, victime de sa laideur ;
enfin, La Guerre de Troie n’aura pas lieu de
Giraudoux, une très belle pièce sur la fatalité historique.
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