nu propriété Silva Belgica 3
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nu propriété Silva Belgica 3
par Alain Jamar de Bolsée Juge de Paix LÉGISLATION La nue propriété et l’usufruit dans les bois et forêts L « e régime de l’usufruit et de la nue propriété des bois et forêts est certainement un des problèmes juridiques les plus délicats du droit forestier. Seul le Code civil en constitue le fondement » écrit Marc Gizard dans « Droit et fiscalité forestiers »1. Ainsi commence l’étude de cet auteur français, consacrée au «démembrement» de propriété (séparation de la nue-propriété et de l’usufruit) lorsqu’il s’applique au bois et forêts. La raison en est que le siège de la matière se trouve dans les articles 590 à 594 du code civil belge, soit un texte remontant au Code Napoléon du 15 mars 1803 ! A l’époque le traitement sylvicole des forêts était bien loin des techniques actuelles qui nécessitent des travaux de plantations, de soins et d’entretien importants et onéreux. Par contre, à l’époque napoléonienne, la sylviculture consistait essentiellement à retirer des forêts les fruits, le bois de chauffage et le bois de construction, en laissant la régénération naturelle reconstituer l’espace forestier. Sous l’Empire, les grands arbres de futaie, susceptibles d’être transformés en bois d’œuvre, étaient réputés capital mis en réserve alors que le principal revenu de la forêt était le bois de feu, lequel constituait quasiment l’unique combustible industriel et domestique dont le stère se vendait le même prix que le quintal de blé.2 Aussi, seule la jurisprudence interprète depuis deux siècles les 5 articles suivants : Article 590 « Si l’usufruit comprend des bois et taillis, l’usufruitier est tenu d’observer l’ordre et la quotité des coupes, conformément à l’aménagement ou à l’usage constant des propriétaires, sans indemnité toutefois en faveur de l’usufruitier ou de ses héritiers, pour les coupes ordinaires, soit de taillis, soit de baliveaux soit de futaie, qu’il n’aurait pas faite pendant sa jouissance. 1 2 «Droit et fiscalité forestiers». Presses Universitaires de France 1996, p. 76. Aujourd’hui, le quintal de blé (100 kgs) vaut 13,60 €, tandis que le stère de bois varie entre 10 et 20 €. ] En forêt, la distinction entre nue-propriété et usufruit n’est pas chose aisée. Les arbres qu’on peut tirer d’une pépinière sans la dégrader ne font aussi partie de l’usufruit qu’à la charge par l’usufruitier de se conformer aux usages des lieux pour le remplacement. » Article 591 « L’usufruitier profite encore, toujours en se conformant aux époques et à l’usage des anciens propriétaires, des parties de bois de haute futaie qui ont été mise en coupes réglées, soit que ces coupes se fassent périodiquement sur une certaine étendue de terrain, soit qu’elles se fassent d’une certaine quantité d’arbres pris indistinctement sur toute la surface du domaine. » Article 592 «Dans tous les autres cas, l’usufruitier ne peut toucher aux arbres de haute futaie : il peut seulement employer, pour faire les réparations dont il est tenu, les arbres arrachés ou brisés par accident ; il peut même, pour cet objet, en faire abattre, s’il est nécessaire, mais à charge d’en faire constater la nécessité avec le propriétaire .» Article 593 « Il peut prendre, dans les bois, des échalas pour les vignes ; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels ou périodiques ; le tout suivant l’usage du pays ou la coutume des propriétaires. » Article 594 « Les arbres fruitiers qui meurent, ceux même qui sont arrachés ou brisés par accident, appartiennent à l’usufruitier, à charge de les remplacer par d’autres. » 114 - 3/2007 43 LÉGISLATION Le principe de base est dès lors que les éclaircies et taillis reviennent à l’usufruitier et les coupes de futaie et les coupes rases au nu-propriétaire. L’article 591 introduit toutefois une exception à cette règle pour les bois de haute futaie mis en coupe réglée. Pour connaître les droits de l’usufruitier sur les arbres, il faut déterminer leur nature juridique ; sont ils des fruits ou des capitaux ? Sont assimilés à des revenus : - les taillis, - les chablis, - les plants de pépinières, - les arbres morts et malades et le bois mort, - les produits périodiques des arbres (glands, cônes,…), - les arbres de futaie mis en coupe réglée. Sont par contre assimilés aux capitaux : - les arbres fruitiers, - les arbres d’agrément (dans les parcs) et les arbres isolés, les allées et drèves, - les arbres de futaie qui n’ont pas été mis en coupe réglée. La difficulté provient de la question de savoir quand les arbres sont mis en coupe réglée. Lorsqu’il y a doute sur le point de savoir si tel ou tel acte d’exploitation constitue une mise en « coupe réglée », il faut se référer à la volonté du propriétaire pour déterminer s’il a voulu se créer une source de revenus périodiques ou se constituer une réserve de capital. La mise en coupe réglée montre que le propriétaire fait de sa futaie un revenu. Les périodes d’exploitation peuvent être longues, mais à partir du moment ou à des dates plus ou moins éloignées, une coupe a été réalisée, la périodicité existe et le droit de l’usufruitier prend naissance. (Liège 28 mars 1933 Pas 1933II 154 et civ. Termonde 5 décembre 1977 RGEN 1979 n°22.398). Il importe à l’usufruitier d’établir par toutes voies de droit l’existence d’aménagement de la forêt par l’ancien propriétaire. Il est possible d’établir les coupes réglées par la production des bordereaux de vente des bois de futaie et la production d’un Plan Simple de Gestion (en France) ou d’un simple document de gestion (en Belgique) constituera une preuve largement suffisante. Toutefois la doctrine française estime que le Plan Simple de Gestion, dont la réalisation est imposée au sylviculteur qui veut bénéficier de l’aménagement des droits de succession, par la loi du 6 août 1963, ne peut valoir en lui-même intention de mise en coupe réglée permettant à l’usufruitier de profiter des parties de bois en haute futaie. Ces dispositions impératives de droit administratif ne peuvent se substituer au consentement du propriétaire et aux dispositions du code civil. Entre nus-propriétaires et usufruitiers peuvent surgir des divergences de points de vue sur la gestion de propriété sans que le plan de gestion ne traduise réellement la situation. Il est à conseiller dès lors au plein propriétaire de définir avant le démembrement de propriété les règles de l’aménagement de sa forêt par un document écrit qui liera les futurs nus- propriétaires et usufruitiers. A défaut, ce n’est pas au nu-propriétaire à établir que les arbres ont été coupés sans droit (Brux 5 juin 1854 BJ 1854 ,1143). Il a aussi été jugé que si les coupes sont irrégulières, non méthodiques et nécessitées par des circonstances imprévues, les bois ne sont pas aménagés (Liège 19 avril 1935 Jur. Liège 1935,257). Les droits de l’usufruitier sur une forêt de futaie non aménagée se réduisent à peu de chose : droit de chasse et droit de recueillir les fruits produits par les arbres… ] Les taillis appartiennent à l’usufruitier. 114 - 3/2007 44 Il s’agit d’une question de fait qui se confond avec la recherche de l’intention de l’ancien propriétaire de se créer un revenu régulier. Il a également été jugé que les arbres vendus par l’usufruitier, quoique non parvenus à maturité, lui appartiennent, s’il ne les a fait couper, que parce que cette opération etait devenue nécessaire, afin de procurer le moyen de croître aux arbres conservés, et alors que peu de temps avant sa mort, le propriétaire avait manifesté à son garde l’intention de faire ces éclaircies (Bruxelles 15 janvier 1853 Pas. 1854, 275). En outre, il est de jurisprudence que les résineux sont à considérer comme arbres de haute futaie. LÉGISLATION préciser dans l’acte de donation ou dans un testament en cas de succession. Un arrêt de la Cour d’Appel de Pau du 24 juin 1993 résume la position française : « L’interdiction pour l’usufruitier de toucher aux arbres de haute futaie qui constituent un capital est le principe, l’exception se trouvant réalisée dès lors que le propriétaire a voulu, par la périodicité et la régularité des coupes qu’il effectuait sur les bois, se constituer un revenu régulier sans altérer pour cela la substance du fonds. En l’espèce il est constant qu’avant le plan simple de gestion élaboré par M, les bois litigieux n’avaient jamais été exploités en coupe réglée. Il n’existait donc pas d’usage antérieur profitable à l’usufruitier. La seule intention de mise en coupe réglée résultant du plan de gestion étant insuffisante, on doit donc considérer qu’il n’y a pas eu mise en coupe réglée des bois en l’espèce ». ] La futaie est considérée comme du capital et appartient donc au nupropriétaire... pour autant qu’elle ne soit pas mise en coupe réglée. L’usufruitier d’une sapinière nouvellement plantée n’a droit qu’aux produits de l’éclaircissage3 et de l’élagage périodique, action par laquelle on enlève des plants, des branches, des fruits pour donner de la place, de l’air. Peut-il couper les arbres parvenus à maturité d’une sapinière non mise en coupe réglée ? La question est controversée et malaisée à trancher dit le professeur Hansenne dans « Les biens » tome II n° 1034 Ed Collection scientifique de la Faculté de Droit de Liège 1996 (pour la négative voy. Liège 10 juillet 1895 Pas .1895 II 404 Comp. Dalloz 1904 I 147 et RCJB 1953 N° 59). Pour l’affirmative, on peut dire que l’intention du propriétaire en plantant des sapins, ne peut être que de les couper à leur maturité et que l’usufruitier est responsable du capital. Le cas des peupleraies divisent la jurisprudence : pour les uns, les peupliers en raison de leur courte révolution font l’objet de l’usufruit et constituent un revenu périodique (l’usufruit immobilier. Hilbert 1959 n°72), tandis que pour la jurisprudence française, les peupliers font partie des bois de haute futaie (Paris 10 octobre 1959 GP 1959,2,264 et sur pourvoi Civ 1er 3 décembre 1963 JCP 1964 II 13487 n RL). Pour la doctrine, tout revient à dire que l’usufruitier ne peut récolter que les possibilités de la forêt ou en d’autres termes, ce que la forêt est capable de produire annuellement sans altérer le rapport soutenu (Guyot, Cours de droit forestier 1909, France). Le régime de l’usufruit et de la nue- propriété se fondent sur le consentement des donateurs et donataires qu’il y a lieu de 3 Action par laquelle on enlève des plants, des branches, des fruits pour donner de l’air, de la place. En Wallonie, un plan simple de gestion ou document simple de gestion étant pour l’instant purement consensuel, il doit pouvoir servir de preuve de l’aménagement des coupes réglées. Rappelons qu’en Flandre, la rédaction d’un plan simple de gestion est obligatoire pour les propriétés de 5 ha et plus. Quant à la question de savoir qui doit supporter les charges d’entretien de la forêt, aucune disposition particulière du code civil ne règle le problème. Il faut donc s’en référer aux dispositions générales relatives à l’usufruit qui manifestement dans l’esprit des auteurs du code, ne se rapportent qu’aux immeubles bâtis, à savoir que l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien tandis, que les grosses réparations sont à charge du nu- propriétaire. La détermination des grosses réparations à des biens autres que des maisons est une pure question de fait que le juge du fonds résoudra en s’inspirant de l’avis d’un technicien. Ainsi les travaux d’élagage sont à charge de l’usufruitier puisqu’il peut non seulement profiter des branches, mais également des produits d’éclaircie. Par contre, la replantation après coupe rase sera à charge, soit du nu- propriétaire s’il n y’a pas de coupe réglée et que le produit de la vente constitue du capital, soit de l’usufruitier s’il y a coupe réglée et que la vente des bois constitue un revenu régulier. Les travaux d’entretien normaux tel que les dégagements sont à charge de l’usufruitier puisqu’ils sont exposés pour maintenir le bon état de la forêt, obligation découlant de son devoir général de jouir en bon père de famille. De façon générale, les grosses réparations sont les travaux dont les frais se prélèvent habituellement sur le capital. Ces dispositions du Code civil n’étant pas d’ordre public, rien n’empêche, et il est même conseillé, de convenir la répartition de la prise en charge des travaux entre l’usufruitier et le nu-propriétaire par une convention entre eux ou par une décision de l’ancien propriétaire. En ce qui concerne l’impôt sur le revenu, seul l’usufruitier en est redevable. 114 - 3/2007 45