La rédaction dans le processus de traduction juridique

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La rédaction dans le processus de traduction juridique
La rédaction dans le processus de
traduction juridique
De la clarté, s’il vous plaît !
Par Pascale Aubry
Qui a dit qu’une traduction juridique devait être austère et
compliquée ? Bonne nouvelle, ce n’est pas de tout nécessaire ! Car
la traduction d’une loi, par exemple, doit être claire, esthétique et
fidèle au texte de départ. Possible de relever ce triple défi ?
« Certes », répond Michel Sparer, un expert en la matière.
gent de publicité, vous cherchez à
vérifier si le message publicitaire
que vous préparez est légal ? Sachez
que la Loi sur la protection du
consommateur interdit de faire de la
publicité à des personnes de moins de treize
ans. Or, pour déterminer si votre publicité
respecte cette loi, vous consultez l’article
249 qui vous apprend notamment ceci : « Le
fait qu’un tel message publicitaire soit
contenu dans un imprimé destiné à des
personnes de treize ans et plus ou destiné à
la fois à des personnes de moins de treize
ans et plus ou […] ne fait pas présumer qu’il
n’est pas destiné à des personnes de moins
de treize ans ». Avez-vous compris quelque
chose ?
A
Écrire pour le lecteur, pas pour soi !
Briller ou être clair
La loi anglaise, une loi
« patchwork » !
Le texte juridique devrait viser la pure
clarté : il doit être un succès de
communication pour guider le citoyen. En
tant que justiciable, vous vous attendez à
ce qu’une loi – compréhensible! – vous
dicte les gestes à poser. Par ailleurs, en
traduction, on veut faire comprendre une
même loi à deux lectorats, l’un
anglophone et l’autre, francophone. Une
loi traduite en français doit produire chez
le justiciable francophone les mêmes
conséquences que sa version initiale
rédigée en anglais.
« Quand on écoute Hubert Reeves, on se
sent intelligent parce qu’on le comprend,
même s’il explique des choses
complexes! », dit Michel Sparer, qui
enseigne la traduction juridique à
l’Université Laval et a rédigé des manuels
didactiques sur le sujet. Le traducteur doit
respecter le lecteur en situant le discours à
son niveau, quel qu’il soit. Si le traducteur
ne sait pas exactement à qui le texte est
destiné, il lui faut viser le public le plus
large. Par contre, s’il sait qu’il s’adresse à un
lecteur instruit, son respect pour le lecteur
peut le pousser dans l’autre sens, en utilisant
par exemple un vocabulaire plus recherché.
Pourquoi les lois traduites en français sontelles souvent formulées de façon
compliquée ? Leurs infinis détails sont-ils
nécessaires ? En droit français, on écrit des
lois non seulement pour régler un problème,
mais également pour couvrir tout problème
potentiel. À l’opposé, en droit anglais, les
lois sont essentiellement remédiatrices : le
juriste règle un problème et uniquement ce
problème, ce qui explique le manque
apparent de structure et de logique des textes
anglais. De plus, le traducteur doit souvent
reprendre le texte, faire comme s’il le
rédigeait à nouveau, mais en français. La
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traduction doit être une valeur ajoutée au
texte, ce que permet justement la réécriture.
La fidélité : deux écoles
« La scène de tout théâtre doit être séparée
de l’enceinte réservée aux spectateurs par un
mur en brique de pas moins de quatre cents
millimètres d’épaisseur […]. » Bien que
clair, cet article de loi relatif à la sécurité
dans les édifices publics ne livre sûrement
pas le bon message !
Pour être fidèle, en traduction, faut-il
traduire le texte de départ mot à mot ? Est-ce
plutôt préférable de transmettre le sens exact
du message, sans accorder d’importance à la
ressemblance physique entre le texte anglais
et le texte français ? Débat d’importance !
Certains favorisent la conformité entre le
texte de départ et le texte d’arrivée : par
exemple, les deux textes doivent se
ressembler par le nombre de mots de chaque
phrase. À l’opposé d’autres privilégient la
fidélité au sens. L’important ? Que le lecteur
français comprenne exactement la même
chose que le lecteur anglais. Pour y parvenir,
le traducteur peut se permettre de déplacer
des phrases. Monsieur Sparer est de cette
école : « Notre but, en traduisant du droit,
est de rester fidèle dans l’esprit en étant
efficace dans la communication. » Il
recommande au besoin – et c’est fréquent ! –
de restructurer le texte à traduire pour
assurer plus de qualité à la communication.
« C’est que la structure même des phrases a
une répercussion sur la compréhension. Le
traducteur n’est pas contraint autant qu’on le
pense de respecter l’ordre des idées du texte
anglais. Il lui faut garder une chose en tête :
faciliter la tâche au lecteur », ajoute-t-il.
Ainsi, le traducteur peut être audacieux et
fractionner une phrase-fleuve anglaise de
150 mots en six phrases françaises !
En se libérant du mot à mot, le traducteur
se garde une marge de manœuvre. Au regrad
d’un texte de départ boiteux, il peut le
restructurer. « La traduction est lestée par les
incertitudes du texte de départ », affirme
M. Sparer. « Il faut comprendre que les
habitudes de rédaction ne sont pas les même
dans les deux langues : en droit anglais, le
juriste se sent prisonnier du détail ». En
français, le traducteur pourrait définir un
terme de façon claire mais abstraite
(sinistre : tout événement majeur qui arrive
ou que l’on craint) plutôt que d’énumérer
tout ce qui peut représenter ce terme
(phénomène naturel, défaillance technique,
inondation, tornade, incendie, tremblement
de terre, émeute).
La rédaction a amont
Un juriste fait traduire une loi rédigée de sa
main. Il se soucie peu de l’effet de son
travail, qui se situe en amont du processus
de traduction. Le texte de départ constitue
pourtant le premier enjeu rédactionnel du
traducteur. Il a une incidence sur la
conception et la clarté du texte d’arrivée. Un
texte de départ douteux ne dispense toutefois
pas le traducteur de bien rédiger ! Pour
échapper aux lourdeurs et même aux
illogismes, le traducteur doit trouver et
exploiter sa marge de manœuvre.
Une méthode utile et rafraîchissante
Quand on pense « traduction juridique », on
anticipe un travail ardu. M. Sparer explique
justement comment parer aux ambiguïtés du
texte anglais ainsi qu’à tout élément qui
nous fait froncer les sourcils !
On conseille au traducteur de faire un
peu comme s’il ne disposait que de deux
lignes : il ira du général au spécifique. Ainsi,
si le texte anglais débute par une
énumération de conditions particulières,
M. Sparer invite le traducteur à faire
l’inverse : traiter d’abord la situation
générale, puis exposer les exceptions. Par
ailleurs, plus on donne de détails, plus on en
oublie, et de façon exponentielle ! Mieux
vaut être concis.
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Les longues phrases du droit :
nécessaires ?
Ces phrases typiquement longues donnent
souvent la migraine ! Et les phrases courtes
sont de loin préférables. Il faut écrire pour le
lecteur, donc rendre le tout digeste. Pour
faciliter la lecture, il faut faire attention aux
concepts inutilement difficiles, proposer une
logique, bien choisir ses mots.
Le but ultime est d’adapter la taille de la
phrase à la capacité du lecteur d’en
mémoriser et d’en maîtriser le contenu. Et
comme on retient mieux le début des
phrases, le traducteur a intérêt à en faire des
courtes ! Michel Sparer conseille d’ailleurs
sagement de mettre un point chaque fois que
c’est grammaticalement possible.
Des atours pour un texte
L’apparence. Encore elle ! Un texte
esthétique constitue la première vitrine de
compétence du traducteur, un peu comme la
guérison l’est au médecin : c’est ce qu’on a
sous les yeux qui permet de constater le
succès ou l’échec du traitement. La
démarche sous-jacente, elle, est invisible. De
plus, le traducteur ne doit pas oublier que la
rédaction – l’aboutissement du processus de
traduction – est la seule façon qu’a le client,
juriste ou justiciable, de juger de la qualité
du produit. Le fruit de son travail a tout
intérêt à être… appétissant ! R
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