BdP 21 Temoignage A Ollagnon
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BdP 21 Temoignage A Ollagnon
Témoignage Par André Ollagnon André Ollagnon, polyculteur-éleveur retraité dans le Rhône, a donné son témoignage lors du congrès agricole au Goetheanum, le 08/02/2013. Il relate son expérience et les liens qu’il a tissés tout au long de sa vie de paysan biodynamiste. Bonjour à toutes et à tous, A quoi reconnaît-on un paysan ? A ses mains ! Et également au couteau Opinel qu’il a dans sa poche. Et aussi parce qu’il est très impressionné devant cette grande assemblée. Je me suis engagé à témoigner et donc, je prends mon courage à deux mains et j’y vais… Avec ma famille, nous vivons depuis une quarantaine d’années sur une ferme d’élevage diversifiée (vaches laitières, chèvres, porcs, poules, lapins…) avec les cultures correspondantes (des prairies, des céréales, un peu de maraîchage et un grand verger). Nous avons des ateliers de transformation pour les fromages, la charcuterie, le pain, et quelques confitures ; ces produits sont vendus au marché, en magasin de ferme, et en AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne). Au départ nous pratiquions l’entraide avec la ferme de la famille de mon frère et des voisins, aujourd’hui, la génération suivante s’est rapprochée au sein d’un G.A.E.C. et ce sont trois jeunes agriculteurs (Pierre, Landry et Thomas) qui assurent le devenir des deux fermes rassemblées avec encore l’aide et la bienveillance des parents. André Ollagnon lors de son intervention au congrès agricole à Dornach (CH) Je vais essayer de vous faire partager mon parcours de paysan en portant mon regard de façon privilégiée sur les alliances pratiquées au cours des années passées et d’illustrer ainsi le thème qui nous rassemble ici. Je parlerai en premier des relations sociales et en second de l’organisme agricole. J’appartiens à une génération peu nombreuse, née pendant la 2ème guerre mondiale, suivie avec les hommes et la paix revenus, d’un boum démographique. Notre groupe de jeunes, après avoir animé joyeusement la place du village s’est empressé à l’adolescence de remettre en activité les fêtes de village (vogue, carnaval), de créer des associations de théâtre et de sport et de construire une grande salle appelée Foyer rural qui est devenue un lieu de rencontre privilégié ; ces initiatives suivies de bien d’autres ont rendu le village attractif. Quand je me suis installé comme agriculteur sur la ferme de mes parents j’ai déclaré à mon père que je voulais faire de la biologie et rassembler les terrains. Il m’a répondu que pour ce qui était de la biologie il n’y connaissait rien (à mon avis sa pratique en était proche) et pour ce qui était de remembrer je n’allais pas finir de recevoir des coups de pieds…car chacun tenait à son lopin de terre. A la première réunion du syndicat professionnel je fus investi d’office comme délégué foncier et pus mettre en pratique mes intentions et vérifier la prédiction paternelle. Ce fut une suite de nombreuses réunions avec les agriculteurs et les propriétaires du canton pour engager des échanges amiables, les premiers pas ne l’étaient pas toujours (amiables !). Mais à force de ténacité et de bon sens nous avons obtenu des résultats. J’ai appris à formuler simplement une éventualité d’échange de terrains, à attendre patiemment que l’idée fasse son chemin, et souvent elle revenait prise à son compte par le paysan sollicité ; à la campagne la parole engage ; si je parle c’est que je suis prêt à dire oui. Grâce à ce travail d’échanges le foncier de la ferme a été rassemblé sur trois îlots en lieu et place de 40 parcelles au départ. Cela nous a permis de déplacer la ferme un peu à l’écart du village : ainsi les vaches trouvent assez de pâturage sans faire de route. Une source modeste (3m3 par jour) mais très « fidèle » satisfait à tous les besoins des animaux, du local de transformation et de la famille, je lui adresse souvent mes pensées reconnaissantes, nous l’avons baptisée LucieJeanne. La découverte de l’agriculture biodynamique s’est faite par l’entremise de Suzanne, ma femme et un groupe de recherche lyonnais animé par le professeur André Faussurier, fondateur du CRESE (Centre de recherche et d’études sur l’environnement). Le groupe que nous avons constitué à propos de l’agriculture biodynamique me permit de découvrir des arrière-plans qui me firent une forte impression. Dans ce groupe se trouvait un charpentier dont l’aide fut déterminante pour construire des bâtiments de ferme beaux et fonctionnels ; ce qu’il avait déjà fait chez deux collègues et amis agriculteurs. Paul, c’est le prénom de notre charpentier, devenu un ami avec qui nous avons travaillé l’anthroposophie dans le cadre de la Branche Nicolas de Cuse de Lyon. Il vient de mourir la semaine dernière ; j’ai souvent en mémoire une réflexion qu’il aimait « ce qui compte, fils, c’est la relation d’être à être ». Pour passer à l’action il nous fallait trouver un lieu où se réalisaient les préparations biodynamiques : ce fut la ferme des Charmilles près de Roanne où se constitua en 1979 un groupe régional qui accueillit et rassembla tous ceux qui découvraient cette méthode et voulaient la pratiquer. Nous nous sommes formés en allant écouter Maria Thun et le Dr Léo Selinger et en recevant Xavier Florin et Claude Monziès comme conseillers. Dans l’élaboration des préparations du compost, nous étions embarrassés par celle du pissenlit à cause du mésentère, organe animal mal défini. Au cours d’une dissection d’un ventre de vache à la ferme nous avons vu apparaître, sous les doigts de Georges et Elisabeth l’organe complet se décollant de l’intestin grêle, il n’y avait rien à couper, les deux feuillets ensemble donnaient bien cette enveloppe que le cours aux agriculteurs définit comme ayant « une forme grosse comme une tête de bébé ». Cette pratique s’est aussitôt répandue au cours de nos rencontres professionnelles. Depuis ce groupe s’est réuni sans interruption à la ST Michel et à Pâques tous les ans, il élabore suffisamment de préparats biodynamiques pour tous ses membres et accueille les nouveaux. Récemment un groupe sud, puis un groupe nord se sont constitués, nous pensons…à l’est et à l’ouest. Je tiens aussi à signaler notre proximité régionale avec Biodynamie Service, animé maintenant par Vincent Masson, qui nous permet une collaboration fructueuse et en particulier de progresser techniquement dans l’élaboration des préparats. Parallèlement au groupe régional des préparations biodynamiques, je me suis trouvé de participer à la création d’une association antenne du MABD national. Des jardiniers et des sympathisants aident les agriculteurs à la cueillette des fleurs, à la confection des préparats et proposent des animations diverses : stand sur des foires, ballades botaniques, conférences et des journées compost. Ces activités entretiennent une convivialité intéressante avec une mention spéciale pour les repas partagés à la ferme. Nous cultivons aussi des liens avec les autres agriculteurs en biologie, le syndicalisme agricole, la Coopérative d’utilisation de matériel en commun (CUMA locale), l’entraide pour les gros travaux avec un proche voisin ; je pourrais également citer Terre de liens, Solidarité paysans (aide aux agriculteurs en difficulté), bref pour amener une idée essentielle : la plus grande source d’agriculteurs en biologie et en biodynamie se trouve chez nos collègues conventionnels ; de ce fait il est bon et utile d’entretenir des relations amicales. Nous allons passer au second point concernant l’organisme agricole. Tous ces liens que je viens d’exposer sont bien nécessaires à l’équilibre de l’agriculteur qui travaille de grands moments seul sur sa ferme. Si l’idée de l’organisme agricole vient du cours aux agriculteurs, pour la mettre en œuvre l’impulsion est donnée puis entretenue par toutes ces rencontres, c’est de cette façon que je me suis engagé à transformer la ferme familiale. Ce qui me plaît c’est de faire accorder les cultures aux besoins des animaux ; que tout soit utile ou recyclé : le bon foin pour les chèvres et les vaches laitières, le foin mûr pour les génisses et les vaches allaitantes, le petit lait pour les porcs, le blé trié pour le pain, et le reste pour les poules, les fruits imparfaits pour les jus, le tri des légumes pour les lapins et à la fin tous les effluents partent au compost, lequel sera dynamisé et retournera au sol où il servira de ferment. N’oublions pas le deuxième cheptel, ces animaux du sol, nos alliés essentiels qu’il faut bien nourrir avec des engrais verts et protéger dans leur reproduction en travaillant le sol modérément en surface. C’est une vraie joie de vivre au milieu de cette diversité, mais il faut quand même être raisonnable en constituant de petits ateliers. Au total il est possible d’avoir assez de production pour en vivre normalement et surtout en achetant très peu à l’extérieur (du sel à faire lécher aux animaux et du basalte à mélanger au compost pour lui donner ainsi un cocktail d’oligo-éléments). Il y a une contre partie : c’est d’accepter davantage de travail manuel en mécanisant modérément et aussi en consacrant, entre autres choses, tout le temps nécessaire aux cueillettes de fleurs pour les préparations, les tisanes et les décoctions et la confection des sels calcaires que nous a donnés le Dr Selinger (apatite, huître et ortie et son). Selon lui nous ne devrions élever que les veaux dont la mère a eu des sels calcaires pendant la gestation. Toutes ces activités se confortent les unes les autres et illustrent bien le fonctionnement organique de la ferme, ce que R. Steiner résume dans l’injonction : « restez dans le vivant ! ».Cette expression me parle bien Un lien très fort s’établit entre le paysan et l’organisme agricole : quand le premier réalise que le second lui demande tout son temps, il lui devient nécessaire de s’engager profondément dans le quotidien et pour une carrière professionnelle entière. Curieusement, c’est quand arrive le moment de la séparation, quand le successeur est là que ce lien se révèle dans toute sa force. Chaque matin vous avez présent à l’esprit tout ce que vos mains vont devoir prendre, modeler, déplacer, construire, votre corps est habité entièrement par la journée qui s’annonce. La force de l’engagement enthousiaste vous habite encore, c’est elle qui vous a permis d’agir pendant toutes ces saisons. Avec le détachement qui devient nécessaire votre vie, moins active, conjugue les regrets avec la reconnaissance. Une dernière observation s’avère plus difficile à exprimer et je vais le faire avec un peu de crainte. L’agriculteur est immergé dans son domaine, de toutes parts l’organisme agricole l’entoure. En fait nous décidons de tout : le choix des productions, leur transformation, leur commercialisation, les moyens techniques, leur adéquation à la nature de la ferme, l’entrée et la sortie des animaux, c’est un droit un peu extraordinaire de vie et de mort, voilà quelqu’un qui se conduit selon l’expression « maître après Dieu ». Dans le même temps il doit servir chaque jour la nourriture à tous les animaux, des bouches toujours en appétit, curer l’étable, faire face aux imprévus, assurer les pointes d’activité au moment des semis et des récoltes. C’est la ferme qui commande, le temps qui presse, le travail étant bien plus simple s’il est fait au bon moment : le paysan est au service de son organisme agricole, maître impérieux et rival redouté de la vie familiale. Il s’agit d’assumer cette dualité de maître et de serviteur et puis de la dépasser : le paysan, âme du domaine qu’il anime bien sûr, est largement nourri par la fréquentation de l’âme groupe de son troupeau, par la vue des barbes siliceuses des orges mûrissantes, par l’amoncellement de blancheur des fleurs de pruniers au printemps où perce imperceptible le rouge des étamines ou la généreuse abondance des légumes qui gonflent au jardin après la pluie d’orage garnie d’azote. Le retour de la nature sur l’homme qui s’est mis à son service se traduit par des forces innombrables qui le modèlent et le transforment. Je crois que l’on peut connaître que l’on est instruit par cet organisme agricole. L’activité de dynamisation illustre et prolonge notre propos. Brasser rythmiquement pendant une heure une préparation de silice prédispose à la méditation : les premières 20 minutes permettent de maîtriser les gestes et d’assouplir le corps, ensuite pendant les 20 minutes suivantes, l’âme se délie et se réchauffe et pour finir l’esprit se libère et peut accueillir des images lumineuses. Si ces préparats biodynamiques développent la sensibilité de la terre aux forces cosmiques, celui qui a dynamisé fait partie du « voyage ». Dans cette cohabitation du paysan avec l’organisme agricole se confirme cette idée étonnante : il se pourrait que ce dernier enseigne inlassablement l’homme qui s’agite en son sein, ou dit autrement : que d’une vision en noir et blanc il nous fait découvrir les couleurs. Pour conclure je désire vous faire part de la réflexion du Dr Léo Selinger qui au terme d’une dernière visite nous a interpellé dans la cour de la ferme juste avant son départ en nous déclarant : « Vous voulez bien orienter votre travail sur le troupeau selon mes indications. Mais il est aussi nécessaire que le paysan aime sa paysanne », il s’est ensuite tourné vers Suzanne mon épouse : « Et bien sûr que la paysanne aime son paysan ». Aussi, en écho à l’intervention de Madame Verena Klee à propos du congrès des agricultrices, je tiens devant vous à remercier toutes les femmes qui acceptent de nous accompagner dans notre vie de paysan. Extrait du Bulletin des professionnels de la biodynamie Numéro 21, avril 2013