Nutrition artificielle et pancréatite aiguë : pour qui et comment ?
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Nutrition artificielle et pancréatite aiguë : pour qui et comment ?
Mise au point Nutrition artificielle et pancréatite aiguë : pour qui et comment ? L a gravité des pancréatites aiguës tient initialement aux défaillances multiviscérales qui sont de mieux en mieux prises en charge par les nouvelles techniques de réanimation puis, secondairement à l’infection de la nécrose qui est responsable de 80 % des décès. L’infection de la nécrose se fait essentiellement par des germes digestifs. La nécessité d’un apport nutritionnel important au cours de la pancréatite aiguë grave est établie comme au cours de toutes situations hypercataboliques. En revanche, la voie d’abord nutritionnelle fait encore l’objet de débat. La nutrition parentérale a l’avantage théorique de ne pas stimuler la sécrétion pancréatique. La voie entérale permettrait un maintien de la trophicité digestive et donc de la barrière muqueuse. Il en résulterait un moindre risque de translocation bactérienne et donc de l’infection de la nécrose. Pour qui ? Chez les malades qui ont une pancréatite aiguë non sévère, les risques d’une morbidité et notamment d’une surinfection ou d’une intervention chirurgicale (en dehors d’un éventuel traitement de la lithiase biliaire) sont nuls ou faibles. Des besoins caloriques peu importants au cours des pancréatites aiguës non sévères Surtout, ces malades peuvent habituellement reprendre une alimentation orale dans les 7 jours suivant l’admission [1-4]. Dans un travail dans lequel la sévérité de la pancréatite aiguë était prédite par les critères de Ranson, 81 % des malades ayant moins de 2 critères pouvaient reprendre une alimentation orale dans les 7 jours, alors que ce n’était possible pour aucun de ceux ayant au moins 3 critères [5]. McClave et al. [6] ont proposé un algorithme pragmatique rappelé sur la figure 1. Ainsi, les malades ayant un score de Ranson ≤ 2 et un score APACHE II ≤ 9, surtout si ce dernier diminue dans le temps, auront très vraisemblablement une pancréatite d’évolution simple, sans nécessité de nutrition artificielle. En revanche, dans les autres cas (incluant les cas d’aggravation secondaire du score APACHE II), une nutrition artificielle devra être mise en place le plus précocement possible. Il en est tout autrement au cours de la pancréatite aiguë sévère [7]. Celle-ci se traduit par une augmentation importante des dépenses énergétiques et une perte de la masse protéique due à la réponse inflammatoire, elle-même conséquence de la nécrose, de l'infection du pancréas et des tissus avoisinants [8]. Accompagnant le catabolisme protéique, il existe une augmentation de l'uréogénèse, une intolérance au glucose, une augmentation de la lipolyse [8]. Cette situation catabolique est encore aggravée par le jeûne instauré dès le début de la maladie et peut se prolonger plusieurs semaines voire plusieurs mois. Enfin, la nécessité d'un recours fréquent à une ou plusieurs interventions chirurgicales aggrave encore ce tableau. Par rapport au besoin basal en énergie (basal energy expenditure (BEE)), les besoins énergétiques peuvent atteindre 1,2 à 1,5 BEE. 4 En raison de toutes ces données et malgré l’absence d’études contrôlées comparant la nutrition artificielle à l’absence de toute intervention nutritionnelle, la nécessité d’une nutrition artificielle prolongée est considérée comme établie et fondamentale pour améliorer la survie des malades ayant une pancréatite aiguë grave. Comment ? Une fois la nécessité d'un support nutritionnel établie, la voie d'abord de la nutrition fait encore l'objet de débats entre la voie parentérale et la voie entérale. POUR LA NUTRITION PARENTÉRALE Pendant longtemps, la nutrition parentérale totale (NPT) a été la voie d'abord choisie car elle était censée ne pas stimuler la sécrétion pancréatique [9-12]. Plusieurs travaux rétrospectifs et non randomisés ont étudié l'intérêt de la NPT au cours de pancréatites aiguës de gravité variée [11,13]. Dans un travail non randomisé ayant inclus 67 malades ayant une pancréatite aiguë sévère (plus de 3 critères de Ranson), la NPT diminuait la mortalité et la morbidité si elle était débutée dans les 72 premières heures Mise au point versus au-delà (mortalité : 13 vs 38 % ; taux de complications : 24 vs 97 %). Pendant toute la durée de la NPT, le statut nutritionnel des malades était stable ou amélioré. En revanche, il ne semblait pas que la NPT ait d'influence sur la progression de la maladie [11, 13]. Il ne semblait pas non plus que l'administration de lipides intraveineux aggravait la poussée de pancréatite aiguë sauf, peut-être, dans les exceptionnels cas de pancréatite aiguë due à une hyperlipémie [13]. Les malades chez lesquels la NPT permettait de positiver le bilan azoté avaient une mortalité diminuée d'un facteur 10 par rapport à ceux dont le déficit n’était pas corrigé [13]. CONTRE Pancréatite modérée - Score de Ranson ≤ 2 - APACHE II ≤ 9 - Pas de défaillance viscérale - Pas de nécrose pancréatique Aggravation secondaire Pancréatite sévère - Score de Ranson > 2 - APACHE II > 9 - Présence de défaillance viscérale - Présence de nécrose pancréatique Support nutritionnel rapide LA NUTRITION PARENTÉRALE Les inconvénients de la NPT sont cependant multiples : risque d'infection du cathéter central, hyperglycémie sévère, déséquilibres hydro-électrolytiques ou vitaminiques. De plus, il est bien démontré sur des modèles animaux et humains que la NPT induit des modifications structurales et fonctionnelles de la muqueuse intestinale. Les modifications sont une diminution de l'épaisseur totale de la muqueuse intestinale et la hauteur des villosités. La perméabilité intestinale est augmentée, comme en témoigne l'augmentation du rapport lactulose/mannitol urinaire sous NPT, régressive dès que l'on réintroduit la nutrition entérale [14, 15]. Enfin, la NPT est onéreuse en produits et manipulation par le personnel. POUR Evaluation de la sévérité LA NUTRITION ENTÉRALE Plusieurs études ont montré une diminution des complications septiques si une nutrition entérale totale (NET) est mise en place précocement dans d’autres situations que la pancréatite Intolérance Nutrition parentérale Nutrition entérale Guérison de la pancréatite Envisager une reprise de la nutrition orale cyclique Fig.1 : Algorithme décisionnel pour la nutrition chez les malades ayant une pancréatite aiguë d’après (6) où un syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS) peut se développer [16] : traumatisme [17], chirurgie délabrante [18]. Le mécanisme invoqué pour expliquer l’effet bénéfique de la NET dans ces situations est le rétablissement de la barrière muqueuse par l’apport d’aliments intra-luminaux, ce qui empêche la translocation bactérienne. Au cours de la pancréatite aiguë, la morbidité et la mortalité sont en partie la conséquence de l’intensité de la réponse inflammatoire à la nécrose pancréatique. Cette réponse inflammatoire excessive se manifeste par le SRIS qui est à l’origine des défaillances viscérales multiples. Des arguments ont démontré que le SRIS pouvait être 5 entretenu par des endotoxines bactériennes digestives libérées dans la circulation par l’intestin dénutri [19]. Ce concept d’une rupture de la barrière muqueuse digestive a donc été évoqué au cours de la pancréatite aiguë [20, 21]. Il a été montré une augmentation de la perméabilité de la paroi digestive au PEG au cours de la pancréatite aiguë expérimentale chez le rat et l’augmentation de la perméabilité est corrélée à la sévérité de la pancréatite aiguë [20]. Enfin, au contraire de la NPT, la NET semble diminuer la réponse inflammatoire aiguë et préserver le métabolisme protéique intestinal, suggérant suite page 6 Mise au point Nutrition artificielle et pancréatite aiguë : pour qui et comment ? ... (Suite de la page 5) un rôle inhibiteur sur la production de cytokines d’origine splanchnique [18,22]. L’ensemble de ces données expérimentales et cliniques suggère que l’utilisation de la NET au cours de la pancréatite aiguë sévère a une certaine logique. CONTRE LA NUTRITION ENTÉRALE La NET pose en théorie le problème de la parésie gastrique, de l'obstacle à l'évacuation duodénale et de l'iléus observés chez les malades ayant une pancréatite aiguë sévère. De plus, la La mise en place d'une jéjunostomie au cours d'une laparotomie pour pancréatite grave permet d'alimenter les malades par cette voie sans inconvénient et sans aggravation manifeste de la pancréatite. L'utilisation de cette voie est possible immédiatement en postopératoire [26, 27]. Cela a amené certains auteurs à proposer la réalisation systématique d'une jéjunostomie chez tous les malades opérés pour une pancréatite grave. Cependant, dans ce contexte, la jéjunostomie peut entraîner des complications graves à type d'hémorragies, de fistules digestives ou d'infection de paroi [26, 28]. INTÉRÊT DE LA NET SUR SONDE GASTRIQUE Nécrose glandulaire délivrance de nutriments en site gastrique ou duodénal peut stimuler la sécrétion pancréatique par le biais d'une sécrétion de sécrétine et de cholécystokinine. La délivrance de nutriments élémentaires ou semi-élémentaires pauvres en lipides au-delà de l'angle de Treitz peut provoquer une stimulation hormonale et une augmentation de la sécrétion pancréatique, mais celle-ci est alors essentiellement hydrique et pauvre en enzymes [23, 24]. De plus, il a été montré chez des malades ayant eu une chirurgie pancréatique permettant un drainage externe de la sécrétion pancréatique – et donc sa mesure - que la NPT et la NET ne sont pas différentes pour ce qui est de la stimulation de la sécrétion pancréatique [25]. Compte tenu des données ci-dessus, plusieurs auteurs ont étudié la faisabilité et l'intérêt d'une nutrition entérale sur sonde gastrique de type drip placée sous contrôle endoscopique audelà de l'angle de Treitz. Un premier travail a montré que cette technique était faisable et sûre : 32 malades ayant une pancréatite aiguë ont reçu soit une NET soit une NPT. Au bout de 4 jours, les malades sous NET recevaient plus de 70 % du nombre de calories souhaitées, une quantité non différente du groupe NPT. L’évolution clinique et biologique n’était pas différente dans les 2 groupes. Les scores APACHE II et de défaillance viscérale diminuaient dans le groupe NET, alors qu’ils augmentaient dans le groupe NPT. Le seul incident noté était une exacerbation de la pancréatite chez un malade sous NET due à une mobilisation du 6 drip dans l’estomac. La NPT était 4 fois plus coûteuse que la NET [29]. Un autre travail a confirmé la faisabilité et l’innocuité de la NET dans cette indication puisque la NET pouvait être mise en place dans la quasi totalité des cas (19 malades sur 20 avec une pancréatite aiguë sévère) dès les premiers jours (< 3 jours) après le début clinique de la pancréatite [30]. Deux études randomisées sont venues confirmer ces faits. Dans la première, 34 malades ayant une pancréatite sévère ont été stratifiés pour la gravité et randomisés pour recevoir soit une NET soit une NPT. Dans le premier groupe, tous les marqueurs de sévérité étaient améliorés (CRP,APACHE) [31]. Dans la seconde de même importance (38 malades), le nombre de complications et en particulier les complications septiques étaient moins élevées dans le groupe NET. La NPT était 3 fois plus coûteuse que la NET [32]. Aucune de ces deux études n’a cependant été assez puissante pour démontrer une diminution de la mortalité. Sur les 72 malades que totalisent les deux études, 5 morts ont été notées dont 4 dans le groupe NPT [31, 32]. On peut encore ajouter que la nécessité d’implanter l’extrémité du drip en site jéjunal n’est pas formellement démontrée. D’une part, cela nécessite soit la mise en place du drip par un guidage endoscopique (le plus souvent sous anesthésie générale), soit l’utilisation de sonde spéciale dont l’extrémité est en queue de cochon ce qui permet leur migration spontanée audelà du pylore. Il est alors nécessaire d’attendre plusieurs jours pour pouvoir l’utiliser après avoir contrôlé sa position par une radiographie sans préparation de l’abdomen. L’équipe de Imrie a mis en doute ce concept de la nécessité d’une nutrition en site jéjunal en montrant, chez 26 malades ayant une pancréatite aiguë sévère qu’une nutrition en site gastrique pouvait être Mise au point mise en place dans les 48 heures suivant l’admission [33]. Par cette voie, 22 de ces malades ont pu être alimentés très rapidement avec une mise en place de la sonde d’alimentation la plus simplifiée possible. En conclusion Bien qu’aucune étude de grande envergure n’a encore formellement démontré la supériorité de la nutrition entérale sur la nutrition parentérale, notamment en termes de mortalité, tous les travaux expérimentaux et en clinique humaine suggèrent que la mise en place d’une nutrition entérale est non seulement faisable, permettant à moindre coût un apport alimentaire équivalent aux besoins, mais encore qu’elle pourrait améliorer le pronostic en diminuant les risques d’infection à point de départ digestif. On peut donc fortement suggérer que la nutrition entérale doit être systématiquement préférée à la voie parentérale, mais aussi qu’elle doit être mise en place le plus tôt possible (dans les deux jours suivant l’admission). Ce n’est pas un des moindres changements d’attitude dans la prise en charge de cette affection. Cette recommandation a été largement soulignée dans les conclusions de la conférence de consensus française sur ce sujet [34]. Philippe Lévy, Fédération médico-chirurgicale d’hépato-gastroentérologie, Hôpital Beaujon, Clichy Pour en savoir plus 1. Larvin M, McMahon MJ. APACHE-II score for assessment and monitoring of acute pancreatitis. Lancet 1989 ; 2 : 201-5. 2. Corfield AP, Cooper MJ, Williamson RC, Mayer AD, McMahon MJ, Dickson AP, et al. Prediction of severity in acute pancreatitis: prospective comparison of three prognostic indices. Lancet 1985 ; 2 : 403-7. 3. Levy P, Heresbach D, Pariente EA, Boruchowicz A, Delcenserie R, Millat B, et al. Frequency and risk factors of recurrent pain during refeeding in patients with acute pancreatitis: a multivariate multicentre prospective study of 116 patients. Gut 1997 ; 40 : 262-6. 4. Adams DB, Harvey TS, Anderson MC. Percutaneous catheter drainage of infected pancreatic and peripancreatic fluid collections. Arch Surg 1990 ; 125 : 1554-7. 5. Sax HC, Warner BW, Talamini MA, Hamilton FN, Bell RH, Jr., Fischer JE, et al. 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